Image de la semaine | 11/05/2015
Les plages soulevées de Scandinavie et du Canada, conséquences du rebond post-glaciaire
11/05/2015
Résumé
Glaciation, déglaciation, variation relative du niveau de la mer et viscosité du manteau terrestre.
On trouve en Scandinavie, au Canada... de nombreuses paléo-plages soulevées. Elles sont constituées de cordons de galets étagés, cordons qui matérialisent des paléo-lignes de rivage. Au niveau des plages actuelles en zone stable, si la dynamique littorale est adéquate, la mer peut former un petit cordon de galets éphémère en haut de la plage à chaque marée haute. Un cordon un peu moins éphémère peut exister au niveau le plus haut atteint par les marées hautes de vives eaux (grands coefficients). Si la morphologie de la côte le permet, on peut aussi trouver un (des) cordon(s) de galets encore plus haut(s), déposé(s) lors de tempêtes exceptionnelles ayant eu lieu pendant une (des) très grande(s) marée(s). De tels cordons ont pu localement se développer à la limite supérieure atteinte par la mer en haut de certains traits de côte du littoral atlantique français lors des tempêtes Xynthia en février 2010, Lothar et Martin fin décembre 1999. La paléo-plage la plus haute visible sur la photographie ci-dessus (à l'extrême droite) est à environ 30 m d'altitude. Depuis que cette paléo-plage a été faite, le sol est remonté (ou la mer est descendue) d'une trentaine de mètres. Cette remontée récente du continent (ou cette descente de la mer) n'est pas générale à la surface de la Terre mais localisée seulement dans quelques régions (Scandinavie, Canada...). Il ne s'agit donc pas d'une baisse du niveau de la mer qui serait générale sur toute la Terre. Sauf dans certaines régions tectoniquement et sismiquement très actives, cette remontée importante du continent n'existe que là où il y a eu d'importants glaciers quaternaires, qui ont laissé de nombreux témoins comme les fjords dans cette région de Scandinavie. Cette surrection du continent est due au réajustement isostatique conséquence de la fonte de la calotte glaciaire. Cette remontée avait évidemment été précédée d'un enfoncement lors de la croissance de la calotte glaciaire. Cette surrection est appelée rebond post glaciaire.
Source - © 2010 Jukka Marttinen sur panoramio | Source - © 2012 Avner Steiner sur panoramio |
Source - © 2012 Mike Beauregard / wikimedia, CC BY 2.0 | |
La surrection relative de la Scandinavie et du Canada est connue depuis "toujours" car elle a des effets visibles à une échelle de temps humaine. Outre les plages étagées pas forcément faciles à interpréter, il y a quelques siècles, cette remontée se traduit par une baisse apparente du niveau de la mer, qui se manifeste par une diminution de la profondeur des ports, par un recul du trait de côte quand celle-ci est relativement plate... Il n'est pas besoin d'être spécialiste en morphologie côtière ou en gravimétrie pour constater cela. Un proverbe same (same = lapon en langue locale) dit d'ailleurs que là où le grand-père attachait sa barque le petit fils plante ses choux. Les mesures de nivellement faites depuis le début du 20ème siècle montrent qu'actuellement le Nord du golfe de Botnie (entre Suède et Finlande) remonte (par rapport au niveau de la mer supposé fixe) d'environ 1 m/siècle (= 1 cm/an). Elle est du même ordre de grandeur (1 cm/an) au Canada au niveau de la baie d'Hudson (figure 9), mais seulement de 40 cm/siècle au niveau de l'île de Cockburn (figure 10) et de 20 cm/siècle sur la côte Nord de la Norvège (figures 1 à 8).
Cette surrection a été comprise dès le début du 20ème siècle quand on a compris (1) que la Scandinavie et le Canada avaient été recouverts de plusieurs milliers de mètres de glace lors des glaciations quaternaires, et (2) que la surface de la Terre est (à l'échelle des temps géologique) en équilibre hydrostatique. Une surcharge (calotte glaciaire, volcans...) se traduit par un enfoncement et une décharge (fonte des glaces, érosion...) se traduit par une remontée, de la même façon d'un bateau qu'on charge s'enfonce dans l'eau et qu'un bateau qu'on décharge remonte. Dans le cas d'un bateau dans un port, la montée/descente d'un bateau et le retour à l'équilibre sont quasiment instantanés, car la viscosité de l'eau est très faible (10-2 Pa.s). Si on imaginait un bateau flottant sur un miel épais ou sur de la cancoillotte, la descente/remontée d'un bateau que l'on charge et décharge ne serait pas instantanée, mais durerait plusieurs minutes. Dans le cas de la surface terrestre, montée/descente et retour à l'équilibre mettent des milliers d'années à se faire, car la viscosité des roches constituant l'asthénosphère est beaucoup plus élevée (de 1019 à 1020 Pa.s).
En approximant la masse volumique des silicates de l'asthénosphère à 3 000 kg.m-3 et celle de la glace à 1 000 kg.m-3 on peut effectuer un calcul mental rapide donnant l'ordre de grandeur de l'enfoncement dû à la surcharge d'un glacier. De petits calculs simples à la portée des élèves de terminale S, à condition que ceux-ci maîtrisent les notions d'équilibre hydrostatique et/ou de poussée d'Archimède, notions qui « de mon temps » (en 1967), étaient au programme de seconde, montrent qu'en Scandinavie, une calotte épaisse de 3 000 m a entraîné un enfoncement du sol d'environ 1 000 m. Le relèvement a débuté dès la fonte (rapide) des glaces vers -15 000 à -12 000 ans. Au centre de la Scandinavie, le relèvement déjà effectué est estimé à 800 m. Il reste encore environ 200 m de surrection à venir pour que l'équilibre soit atteint. Au Canada, où la calotte devait mesurer 5 000 m en son centre, la surrection a encore plus d'ampleur. On peut raffiner le calcul est utilisant les "vrais" valeurs de densité (cf. la note isostasie).
La mesure de la vitesse de remontée et sa variation au cours du temps est d'ailleurs l'une des méthodes pour mesurer la viscosité de l'asthénosphère.
Il est assez facile de mesurer la vitesse de remontée du continent. Il suffit de dater des plages (par exemple en y échantillonnant de vieux morceaux de bois pris dans les galets et en les datant au 14C) et de relier l'âge et l'altitude des plages en un même lieu.
La dernière glaciation (le Würm selon la terminologie européenne) a débuté vers -100 000 ans pour culminer vers -18 000 ans. La mise en glace a été lente et progressive. L'enfoncement du Canada et de la Scandinavie a été aussi lent et progressif que la mise en glace et s'est quasiment fait à l'équilibre isostatique. La déglaciation a par contre été beaucoup plus rapide, et l'essentiel s'est fait entre -15 000 et -12 000 ans, durée très brève que l'on peut considérer comme géologiquement instantanée. La remontée actuelle a bien sûr commencé dès cette époque mais continue encore quelques milliers d'années après cette décharge quasiment instantanée, à cause de la forte viscosité de l'asthénosphère.
Source - © 2012 Hannes Grobe / wikimedia, CC BY-SA 2.5
Rappel : équilibre isostatique
Dans le cas d'un équilibre isostatique, le calcul de l'enfoncement de la lithosphère suite à une surcharge (formation d'un glacier, mise en place d'un volcan, épaississement crustal...) nécessite de comparer l'état initial et l'état final par rapport à un niveau de compensation asthénosphérique (niveau horizontal sous lequel il est considéré y avoir la même masse jusqu'au centre de la Terre) : on doit avoir la même "masse" au-dessus du niveau de compensation dans les deux états. Le principe est le même pour calculer la surrection en cas de "décharge" (fonte d'un glacier, érosion, amincissement crustal ou lithosphérique...).