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Image de la semaine | 30/03/2009

L'évolution est un phénomène lent

23/03/2009

Pierre Thomas

Laboratoire de Sciences de la Terre / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Vitesse de l'évolution : pas toujours rapide...


Dessin humoristique « prouvant » que l'évolution n'existe pas

Figure 1. Dessin humoristique « prouvant » que l'évolution n'existe pas

Sur une idée originale de Pierre Thomas.


En cette année Darwin, les créationnistes et autres partisans du Dessin Intelligent vont sans doute donner de la voix, probablement mezzo voce en France, mais peut-être avec plus d'insistance dans les pays où les religieux intégristes ont pignon sur rue. Le dessin humoristique de cette semaine est là pour rappeler un des (mauvais) arguments des créationnistes, mais aussi et surtout pour faire une peu d'histoire des sciences.

Pour les créationnistes, l'une des « preuves » que l'Évolution n'existe pas, c'est que l'on n'assiste à aucun changement des animaux et végétaux d'un jour à l'autre, ni même au cours d'une vie humaine. L'image de cette semaine le « prouve ». En fait, l'image de cette semaine du 1er avril prouve simplement que l'apparition de l'aile chez les chiroptères a dû prendre plus de temps que les quelques dizaines de secondes que durent la chute de souris lâchées d'un avion.

On peut rappeler que cet argument, non recevable au XXIème siècle, avait posé de sérieux problèmes au début du XIXème siècle, âge des débuts de la géologie.

Au début du XIXème siècle, à l'époque de la naissance de Darwin (1809) et 50 ans avant la parution de son livre majeur (l'Origine des Espèces, en 1859), les géologues avaient constaté une variation des faunes et flores fossiles en fonction de leur position dans ce que l'on commençait à appeler l'échelle stratigraphique. Dans des terrains sédimentaires, sur une même verticale (ce qui signifie en un même lieu mais à des époques différentes), il y avait « apparition » et/ou « disparition » d'espèces fossiles. Indépendamment de la cause de ces variations sujettes elles aussi à polémiques, les géologues en cherchaient les modalités. Deux hypothèses extrêmes étaient alors proposées, avec tous les intermédiaires. Lamarck (1744 - 1829) était, avec Lyell, le chef de file des « gradualistes », géologues et/ou biologistes qui proposaient un changement graduel et progressif d'une espèce se transformant en une autre. À l'opposé, Cuvier (1769 – 1832) était le « leader » des « catastrophistes », qui proposaient qu'en temps « normal », les espèces ne changent pas, mais qu'il y avait eu dans l'histoire de la Terre de brèves périodes avec de profonds bouleversements géologiques accompagnés d'un bouleversement des faunes et des flores.

Page de garde du livre de Georges Cuvier « Discours sur les révolutions du globe et les changements qu'elles ont produits dans le règne animal »

Figure 2. Page de garde du livre de Georges Cuvier « Discours sur les révolutions du globe et les changements qu'elles ont produits dans le règne animal »

Il s'agit ici de la 6ème édition (1830) d'un livre publié en 1822. Le titre du livre se suffit à lui-même pour montrer l'opinion de Cuvier.


L'argument principal de cette école catastrophiste était le suivant : puisqu'on observe un changement des espèces fossiles au cours des âges géologiques, et puisqu'on n'observe actuellement aucun changement chez les espèces vivantes, c'est bien que ces changements sont brutaux et rapides, changements entrecoupant de longues périodes où les espèces ne subissent aucune variation. Pour « prouver » cette hypothèse, Cuvier et ses collègues ont très largement étendu la durée des observations, bien au-delà de la durée d'une vie humaine. Ils sont allés chercher les animaux les « plus vieux possibles », les ont comparés aux animaux actuels et ont constaté l'absence de changement. Et quels étaient les animaux les « plus vieux possibles » ? C'étaient les animaux sacrés momifiés par les anciens Égyptiens, âgés d'environ 4 000 ans. Rappelons qu'en ce début du XIXème siècle, l'Égypte était « à la mode » (cf. expédition de Bonaparte) et que Buffon en 1780 estimait l'âge de la Terre à environ 80 000 ans. L'âge des momies égyptiennes (4 000 ans) représentait donc 1/20ème de l'âge de la Terre, ce qui était loin d'être négligeable.

Cuvier avait à sa disposition de nombreuses momies de chats et d'oiseaux sacrés, souvent appelés « ibis » par les égyptologues. C'est cette dernière catégorie d'oiseaux qu'il a choisi d'étudier. Il n'a trouvé aucun changement entre les momies d'ibis sacrés et une espèce actuelle égyptienne qu'il a nommé Ibis Numénius.

Planche hors texte montrant (1) une figure d'ibis copiée sur un temple de la Haute Égypte et (2) le dessin du bec d'une momie d'ibis

Figure 3. Planche hors texte montrant (1) une figure d'ibis copiée sur un temple de la Haute Égypte et (2) le dessin du bec d'une momie d'ibis

Planche III extraite de la 6ème édition (1830) du livre de Georges Cuvier, « Discours sur les révolutions du globe et les changements qu'elles ont produits dans le règne animal »


Dessin du squelette d'un ibis tiré d'une momie de Thèbes en Égypte

Figure 4. Dessin du squelette d'un ibis tiré d'une momie de Thèbes en Égypte

Planche I extraite de la 6ème édition (1830) du livre de Georges Cuvier, « Discours sur les révolutions du globe et les changements qu'elles ont produits dans le règne animal »


Dessin de l'Ibis numenius, oiseau actuel que Cuvier a trouvé en tout point semblable aux squelettes d'ibis des momies égyptiennes

Figure 5. Dessin de l'Ibis numenius, oiseau actuel que Cuvier a trouvé en tout point semblable aux squelettes d'ibis des momies égyptiennes

Planche II extraite de la 6ème édition (1830) du livre de Georges Cuvier, « Discours sur les révolutions du globe et les changements qu'elles ont produits dans le règne animal »


Le principe de la méthode de Cuvier était intellectuellement parfaitement correct. Mais cette méthode (du début du XIXème siècle, rappelons le) péchait par un point majeur (qu'on ne peut en aucun cas reprocher à Cuvier) : la Terre n'a pas 80 000 ans, mais 4 500 000 000 ans. Les 4 000 ans de non changement des ibis d'Égypte ne représentent pas 1/20 mais 1/1 000 000 de l'âge de la Terre, et 1/100 000 de la durée d'évolution des seuls vertébrés. Ce n'est donc pas étonnant qu'aucun changement perceptible n'ait pu être constaté.

Rappelons que si on n'a jamais constaté d'évolution aussi majeure et rapide que la transformation d'une patte avant en aile en quelques dizaines de secondes (!), des évolutions sous la pression de la sélection naturelle sont constatées en quelques années chez les micro-organismes et même des vertébrés.

Rappelons, enfin, que si depuis 1822 et la parution du livre de Cuvier, la découverte de très nombreux fossiles « intermédiaires » a permis de confirmer le « gradualisme » au dépend du « catastrophisme », cette confirmation est maintenant « nuancée ». En effet, l'abondance de plus en plus grandes des témoignages fossiles montre que l'Évolution n'est pas un long fleuve tranquille mais qu'elle a souvent été sujette à des à-coups. La théorie des équilibres ponctués et la découverte d'évènements majeurs comme des grands impacts, des crises volcaniques ou climatiques majeures, des réunions ou des isolements d'îles et de continents… expliquent ces à-coups de l'Évolution.