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Image de la semaine | 29/09/2008

Glaciers : crevasses et séracs

29/09/2008

Pierre Thomas

Laboratoire de Sciences de la Terre / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Chutes de séracs au front de glaciers, exemple de la côte du Groenland, de la Vallée Blanche (Mont Blanc) et du Briksdalen (Norvège).


« Petit » glacier se jetant dans la mer, côte orientale du Groenland

Figure 1. « Petit » glacier se jetant dans la mer, côte orientale du Groenland

Juste avant d'arriver dans la mer, du fait de la géométrie du substratum, le glacier subit une rupture de pente. En amont de cette rupture de pente, il y a relativement peu de crevasses, et le glacier semble relativement lisse. Le glacier franchit cette rupture de pente en se « crevassant » à l'extrême : une chute (ou cascade) de séracs.

Vue aérienne prise en juin 2007 de 10 000 m d'altitude.


Quand un glacier arrive sur une rupture de pente, la quantité de crevasse superficielles augmente, et l'on obtient des séracs. Dans ce cas, le mouvement du glacier se fait plus par fracturation et chute de blocs que par simple fluage. Les séracs découpent le glaciers en blocs, qui avancent inexorablement et finissent par tomber sous forme d'avalanches. Ces avalanches de séracs sont indépendantes de la météo, et tout à fait imprévisibles. Cette « imprévisibilité » en fait une des causes principales des accidents de montagne affectant les montagnards expérimentés, comme pour les 8 morts du 20 août 2008 dans le Massif du Mont Blanc. À défaut d'une avalanche de séracs photographiée en train d'avoir lieu, nous vous présentons quelques exemples de ruptures de pente occasionnant des séracs qui vont certainement donner lieu à une avalanche dans les jours ou mois suivants : deux exemples de glaciers groenlandais se jetant dans la mer (images 1 à 5), des séracs de la Vallée Blanche (Chamonix, 74 - image 6 et 7), et le cas d'un glacier norvégien (le glacier Briksdalen) se jetant dans un lac (image 8).

Détail de la chute terminale du glacier de l'image 1, côte orientale du Groenland

Figure 2. Détail de la chute terminale du glacier de l'image 1, côte orientale du Groenland

On note bien la rupture de pente, ce qui occasionne la formation de très nombreuses crevasses (des séracs) qui vont persister jusqu'à la mer. De son front s'échappent quelques petits icebergs.

Vue aérienne prise en juin 2007 de 10 000 m d'altitude.


Vue plus éloignée du même « petit » glacier se jetant dans la mer, côte orientale du Groenland.

Figure 3. Vue plus éloignée du même « petit » glacier se jetant dans la mer, côte orientale du Groenland.

Vue aérienne prise en juin 2007 de 10 000 m d'altitude.


Un autre glacier se jette dans la mer (encore prise par les glaces) par l'intermédiaire d'une zone de séracs, côte orientale du Groenland

Vue plus détaillée de la zone de séracs du glacier précédent, côte orientale du Groenland

Figure 5. Vue plus détaillée de la zone de séracs du glacier précédent, côte orientale du Groenland

Vue aérienne prise en juin 2007 de 10 000 m d'altitude.


Il est très difficile au commun des mortels d'aller voir « sur place » (autrement que par le hublot d'un avion) une « cascade » de séracs arrivant dans la mer sur la côte orientale du Groenland. D'autre part, la majorité des amateurs de nature n'a pas forcément l'occasion de faire un trajet Paris-Los Angeles (en plus par beau temps). Dans les avions de ligne, il est difficile de demander au pilote de faire du rase-motte au dessus des séracs ; et ces avions n'étant pas des hydravions, se poser au pieds des glaciers se jetant dans la mer par l'intermédiaire d'une cascade de séracs n'est pas une pratique courante.

Par contre, prendre la télécabine de la Vallée Blanche à Chamonix peut permettre à tout un chacun de « survoler » de tels séracs. Et un voyage en Norvège permet, en restant en Europe, d'accéder sans problème puis d'admirer une « cascade » de séracs arrivant dans l'eau comme au Groenland, en tout petit il est vrai, la mer étant remplacée par un lac. Il s'agit du glacier de Briksdalen, petite langue glaciaire issue de la calotte du Jostedalsbreen.

Une zone de formation de séracs vue de l'aval vers l'amont depuis la télécabine de la Vallée Blanche (74)

Figure 6. Une zone de formation de séracs vue de l'aval vers l'amont depuis la télécabine de la Vallée Blanche (74)

Le glacier de la Vallée Blanche est peu penté dans sa partie amont. Au niveau d'une rupture de pente qui commence au milieu de la photo, débute une zone de séracs. Au fond, le Mont-Blanc.


Une autre zone de séracs vue de l'amont vers l'aval depuis la télécabine de la Vallée Blanche (74)

Figure 7.  Une autre zone de séracs vue de l'amont vers l'aval depuis la télécabine de la Vallée Blanche (74)

Le glacier de la Vallée Blanche est peu penté dans la partie gauche de la photo juste sous la télécabine. Au niveau d'une rupture de pente débute une « cascade » de séracs. Ces crevasses permettent de voir l'intérieur du glacier, avec en particulier des alternances métriques claires-sombres. Chaque doublet clair-sombre matérialise une année de chute de neige compactée et transformée en glace.


Le glacier Briksdalen (Norvège, 61° 39' 48'' N, 6° 52' 31'' E) se jetant dans un lac, en 1973

Figure 8. Le glacier Briksdalen (Norvège, 61° 39' 48'' N, 6° 52' 31'' E) se jetant dans un lac, en 1973

On ne voit que la partie du glacier située en aval d'une rupture de pente située en haut de la photo. Être au pied de ce glacier doit donner une impression comparable à celle d'un navigateur juste au front des glaciers des images 1 à 6.

Cette photo a été prise en 1973. Noter que le front du glacier n'atteint le lac que sur la partie droite de la photo. Deux points de répère que l'on retrouve sur la la photo suivante : la "falaise" au tiers inférieur gauche et le surplomb (barre noire) au tiers supérieur droit.


Le glacier Briksdalen (Norvège, 61° 39' 48'' N, 6° 52' 31'' E) se jetant dans un lac, en 2006

Figure 9. Le glacier Briksdalen (Norvège, 61° 39' 48'' N, 6° 52' 31'' E) se jetant dans un lac, en 2006

Noter que le front a avancé par rapport à 1973, et que le glacier atteint le lac sur toute la longueur de son front et commence même à en réduire la surface.


En naviguant sur le web, on peut donc comparer une photographie de jeunesse montrant l'état du glacier Briksdalen en 1973 avec son état en 2006 (33 plus tard). On voit que le glacier n'a pas décru contrairement à la majorité des glaciers mondiaux, mais qu'au contraire son front à légèrement avancé. Les glaciers de Norvège sont en effet parmi les rares glaciers du monde à ne pas reculer. Le volume et la dimension d'un glacier résultent d'un équilibre entre les chutes de neige hivernales et la fonte estivale. Dans la plupart des régions, le réchauffement climatique entraîne un recul des glaciers. Sur la très humide et très septentrionale côte norvégienne, la hausse des températures moyennes entraîne une forte hausse des précipitations neigeuses d'hiver (il neige plus quand il fait –10°C que –20°C). Et l'effet de cette augmentation des précipitations d'hiver fait plus que compenser l'augmentation de la température d'été et de la fonte associée. Mieux alimentés en neige hivernale, de nombreux glaciers norvégiens ne diminuent pas, voire augmentent légèrement de dimensions, malgré la hausse des températures estivales.