Article | 20/12/2018
Les plages de l'ile de Groix (Morbihan) : diversité des roches métamorphiques associées à la subduction de l'océan Galice – Massif Central
20/12/2018
Résumé
Diversité pétrologique des roches métamorphiques de l'ile de Groix : schistes verts, schistes bleus et éclogites varisques.
Table des matières
Qui voit Ouessant, voit son sang
Qui voit Molène, voit sa peine
Qui voit Sein, voit sa fin
Qui voit Groix, voit sa croix.
L'ile de Groix
Ouessant, Molène, Sein et Groix, quatre iles bretonnes, redoutées des marins. Redoutées des marins certes, mais aussi, et surtout pour Groix, réputée des géologues et des enseignants de SVT.
L'ile de Groix, dans le département du Morbihan, est accessible par bateau depuis le port de Lorient.
Nous nous intéresserons principalement, ici, à une zone de l'ile de Groix : la Pointe des Chats et alentours où affleurent des roches métamorphiques témoins de la subduction de l'océan Galice - Massif Central (ou océan Centralien) lors de l'orogenèse varisque.
Dans ce premier article consacré au métamorphisme, nous allons détailler la diversité des roches métamorphiques varisques de l'ile de Groix.
Les roches métamorphiques de l'ile de Groix, aperçu de leur diversité
Les roches métamorphiques de l'ile de Groix et leurs datations ont déjà fait l'objet d'un article par Valérie Bosse de l'Université de Clermont-Ferrand : Les glaucophanites de l'île de Groix. Nous vous proposons ici de revoir la diversité des roches en place (sur le terrain et en lames minces) ainsi que de mettre en évidence, à l'aide de ces roches, quelques paramètres qui influencent le métamorphisme.
L'ile de Groix représente 10 % d'une unité métamorphique d'environ 50 km de longueur pour environ 10 km de largeur. Cette unité a été transportée (elle est allochtone) sur les terrains en place (dits autochtones) du domaine Sud-armoricain. L'ile de Groix est célèbre pour ses schistes bleus décrits pour la première fois en 1883 par le géologue Charles Barrois.
Nous allons observer les principales lithologies de l'ile de Groix et quelques-unes de leurs particularités sans pour autant être exhaustif. Le lecteur qui souhaiterait trouver un travail complet pourra se reporter au remarquable livret-guide de la conférence Variscan 2015 réalisé par Ballèvre et al. [2].
Les métabasites faciès schistes bleus :les glaucophanites
Les roches métamorphiques du faciès schistes bleus à protolithes basiques, ou métabasites, qui représentent 20 % des roches métamorphiques de l'ile, affleurent en lentilles décimétriques à métriques ou en couches dans les micaschistes. Elles peuvent être plissées.
Les métabasites, portant toutes une amphibole bleue, le (ou la) glaucophane, sont appelées glaucophanites. La couleur du glaucophane varie du bleu (quand il est riche en magnésium) au noir (quand il est riche en fer). Ces roches sont principalement de trois types pétrographiques.
Le premier type est formé par des glaucophanites à alternances millimétriques de lits d'épidote [de formule Ca2(Fe,Al)Al2(SiO4)(Si2O7)O(OH)] ou de glaucophane [de formule Na2(Mg,Fe)3Al2Si8O22(OH)2], avec éventuellement du grenat (silicate d'aluminium contenant principalement Fe, Mg, Ca et Mg, avec parfois du chrome).
Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon |
Le second type est constitué de glaucophanites massives à grenat, épidote et glaucophane sans le litage millimétrique du premier type.
Le troisième et dernier type est constitué de glaucophanites à grenat et omphacite, un clinopyroxène sodique de couleur verte et de formule (Ca,Na)(Mg,Fe,Al)Si2O6. La présence de ces deux minéraux qui sont les minéraux index du faciès éclogites a conduit à placer ces roches dans le faciès métamorphique des éclogites. Cependant des modélisations thermodynamiques plus précises placent ces roches à la transition entre les faciès éclogites et schistes bleus.
Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon
Parmi les autres minéraux présents dans ces roches, il est possible de trouver de la phengite (mica blanc de haute pression). Ce mica blanc à l'aspect brillant peut aussi apparaitre sous forme de pseudomorphoses de lawsonite, un sorosilicate de formule CaAl2Si2O7(OH)2,H2O. La lawsonite de forme prismatique à base losangique est déstabilisée en mica blanc sans que la forme de celle-ci soit effacée par la réaction métamorphique de déstabilisation.
Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon |
Observons maintenant quelques lames minces de glaucophanites.
Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon |
Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon |
Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon |
Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon |
Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon |
Les ombres de pression (ou queues de recristallisation) autour des grenats marquent une croissance syn-cinématique des minéraux lors d'un cisaillement simple (déformation rotationnelle non coaxiale) (cf. Plan d'aplatissement, plans de schistosité (plans S) et plans de cisaillement (plans C)). De même, l'analyse de la géométrie des inclusions du grenat et de leurs relations avec la schistosité permettent de mettre en évidence une cristallisation syn-cinématique du grenat englobant la foliation au cours de sa croissance, croissance en même temps que le grenat tourne.
Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon |
Ces roches sont interprétées comme résultant du métamorphisme et de la déformation ductile d'unités volcano-sédimentaires ou de fines coulées interstratifiées dans les sédiments pour les lentilles métriques et de coulées plus massives ou de sills pour les couches de métabasites.
Les micaschistes
La majorité des roches de l'ile de Groix sont des micaschistes issus du métamorphisme de pélites (anciennes argiles). Elles représentent 80 % des roches de l'ile de Groix (le reste étant constitué par les métabasites). Ces roches présentant une schistosité ont une minéralogie variable selon qu'elles proviennent de l'Est de l'ile (Unité supérieure) ou de l'Ouest de l'ile (Unité inférieure). Les roches contiennent principalement de la phengite, un mica blanc de haute pression, du grenat (non présent ou peu abondant dans les roches de l'Unité inférieure) et du chloritoïde. Les micaschistes de la partie Ouest sont plutôt à grain fin tandis que ceux de la partie Est sont plutôt à grain grossier. La minéralogie à phengite, grenat et chloritoïde est caractéristique du faciès schistes bleus pour les métapélites.
La chlorite peut apparaitre lors de la rétromorphose des micaschistes lors de l'exhumation de ces unités métamorphiques.
Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon
Ces roches résultent du métamorphisme d'unités sédimentaires pouvant localement avoir une contribution volcanique (notamment signalée par la présence dans ces micaschistes d'épidote et de glaucophane).
Source - © 2016 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon
Les chemins pression – température reconstitués pour les métapélites montrent deux pics de pression – température (voir l'article de Valérie Bosse Les glaucophanites de l'île de Groix) :
- 450-500°C pour 16 à 18 kbars (50 à 60 km de profondeur) pour la partie orientale de l'ile (Unité Supérieure),
- 400-450°C pour 14 à 16 kbars (45 à 50 km de profondeur) pour la partie occidentale de l'ile (Unité Inférieure).
Source - © 2002 D'après Bosse et al. [3], redessiné
Les datations de ces roches (ainsi que des métabasites) par la méthodes Ar-Ar sur phengite, ou Rb-Sr sur roches totales ou sur minéraux isolés, ont donné un âge variant de 360 à 370 Ma (Dévonien terminal – début du Carbonifère) pour le métamorphisme en faciès schistes bleus. Pour les méthodes de datation on pourra se reporter aux articles La géochronologie absolue, cas de la méthode Rb-Sr, La méthode de datation potassium-argon, La mesure du temps : la datation absolue, La géochronologie, datation absolue.
L'âge du protolithe (roche originelle qui par métamorphisme donne la roche métamorphique) est estimé entre 560 et 480 Ma soit au Cambrien ou au Précambrien.
Les métabasites faciès schistes verts
Les métabasites faciès schistes verts sont principalement localisées dans partie Ouest de l'ile (Unité inférieure) ainsi qu'au niveau de la partie Est de la Pointe des Chats. Dans cette zone, elles coexistent avec les métabasites faciès schistes bleus. Nous reviendrons dans la partie suivante sur les hypothèses permettant d'expliquer cette observation. Elles sont généralement considérées comme formées par rétromorphose de schistes bleus dans le faciès des schistes verts. Ces roches sont formées d'albite, plagioclase sodique, en relief sur la roche, et d'amphiboles vertes (de compositions variables mais proches de celles de l'actinote).
Les datations par la méthodes argon-argon sur les phengites, ou Rb-Sr sur roches totales ou sur les minéraux des roches, ont donné un âge entrede 340 à 360 Ma (Carbonifère inférieur) pour la rétromorphose dans le faciès des schistes verts.
Serpentinites
Quelques serpentinites affleurent sur la partie Nord-Ouest de l'ile. La notice de la carte géologique en donne la description suivante : « Des niveaux chloriteux riches en serpentine existent aussi intercalés dans les schistes verts. Il s'agit d'une roche de couleur gris-vert, à structure bréchique, dont les éléments ne conservent aucune relique du matériau initial. Le métamorphisme a développé serpentine (antigorite et chrysotile), chlorite, mica blanc et dolomie. Sur la carte l'affleurement apparait limité par deux failles. » Le “guide rouge” [4] précise aussi la présence de talc.
Cette description n'est pas sans rappeler les roches métasomatiques à proximité du massif de l'Agly dans les Pyrénées vues dans Chlorite, talc et serpentine dans une brèche de faille : une illustration des circulations de fluides associées à la tectonique cassante. Ce serait bien évidemment à vérifier en place.
Ces serpentinites sont datées à 490 Ma (limite Cambrien – Ordovicien).
Conclusion
Un prochain article donnera les interprétations géodynamiques des lithologies observées et de leur répartition sur le terrain.
Bibliographie
C. Audren, C. Triboulet, L. Chauris, J.P. Lefort, J.L. Vigneresse, J. Audrain, D. Thiéblemont, J. Goyallon, P. Jégouzo, P. Guennoc, C. Augris, A. Carn, 1993. Notice explicative de la feuille Ile de Groix 1/25 000, Feuille 415, BRGM, 101p.
M. Ballèvre, V. Bosse, C. Ducassou, D. Gapais, P. Pitra, 2015. The Variscan belt: correlation and plate dynamics, Field Guide, Variscan 2015, 151p.
V. Bosse, M. Ballèvre, O. Vidal, 2002. Ductile Thrusting Recorded by the Garnet Isograd from Blueschist – Facies Metapelites of the Ile de Groix, Armorican Massif, France, Journal of Petrology, 43, 3, 485-510 [pdf]
Durand et coll., 1977. Guides géologiques régionaux — Bretagne, Masson éd., 208p.