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Article | 10/04/2024

Un site brésilien exceptionnel associant, à plus de 125 millions d'années d'intervalle, pétroglyphes et traces de pas de dinosaures

10/04/2024

Matthias Schultz

Professeur de SVT, Lycée H. de Chardonnet, Chalon sur Saône

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Dalles de grès montrant des empreintes tridactyles de théropodes crétacés et des gravures préhistoriques.


Dans un article scientifique publié le 19 mars 2024 dans Scientific Reports, et intégralement consultable en ligne (quelle belle chose que les sciences ouvertes !), Leonardo Troiano et ses collègues [5] décrivent un site paléontologique et archéologique associant traces de pas de dinosaures et pétroglyphes humains : A remarkable assemblage of petroglyphs and dinosaur footprints in Northeast Brazil.

Ce site nommé Serrote do Letreiro est situé au Nord du bassin sédimentaire de Sousa, dans l'État de Paraíba, au Brésil. Il comprend plusieurs larges affleurements rocheux, totalisant plus de 15 000 m2, attribués à la formation Antenor Navarro et datés du Berriasien-Hauterivien (Crétacé inférieur). Ces affleurements sont principalement constitués de dalles subhorizontales de grès conglomératiques typiques d'un dépôt de cône alluvial. La surface des grès présente à Serrote do Letreiro une juxtaposition remarquable d'empreintes de dinosaures théropodes, sauropodes et ornithopodes, et de nombreux pétroglyphes principalement constitués de cercles remplis de lignes radiales et d'autres motifs géométriques difficilement interprétables de nos jours.


Est-ce la preuve que les humains et les dinosaures foulaient autrefois les mêmes sédiments fraichement déposés ? La coexistence des genres Homo et Iguanodon, un rêve de créationniste américain ? Évidemment non, il s'en faut de plus de 125 millions d'années ! Mais Serrote do Letreiro constitue une preuve indiscutable de l'intérêt persistant de l'humanité pour les traces laissées par des animaux préhistoriques éteints longtemps avant son passage… Bien avant que le mot « dinosaure » ne soit créé (par le paléontologue anglais Richard Owen en 1842), bien avant que la mode du « T. rex superstar » (telle que décrit par Jean Le Loeuff) [1] ne déferle depuis les États-Unis, avant même que les découvertes d'ossements fossiles gigantesques n'aient pu inspirer d'antiques mythes de dragons (en Chine par exemple), il semble que des Homo aient été fascinés par ces « terribles lézards » qui avaient marqué les roches de leurs empreintes. Mais de quand datent au juste les pétroglyphes gravés à proximité des traces de pas de dinosaures brésiliens ?

La datation des pétroglyphes du site de Serrote do Letreiro demeure complexe, en l'absence d'artefacts ou d'ossements associés, mais les auteurs de l'article, grâce à des hypothèses iconographiques et des extrapolations basées sur d'autres pétroglyphes datés dans la région, suggèrent une origine précolombienne, remontant peut-être à 10 000 ans BP. Ainsi, ce seraient des Homo sapiens de la préhistoire qui auraient célébré à leur façon ces témoignages paléontologiques.


L'association étroite entre les empreintes de sauropodes et l'expression graphique humaine pose bien entendu la question de l'intentionnalité des créations, et du sens que leurs auteurs y attribuaient. Certes, ces humains n'avaient pas connaissance des dinosaures à l'époque, mais il est probable que des chasseurs-cueilleurs, experts dans la lecture des empreintes dans leur milieu naturel, ont pu y reconnaitre des traces de grands animaux jamais rencontrés. C'est d'autant plus crédible que des dinosaures théropodes modernes continuent d'occuper la région : les nandous d'Amérique (Rhea americana), oiseaux coureurs de 1,50 m et pesant 25 kg à l'âge adulte. Certains pétroglyphes de Serrote do Letreiro semblent d'ailleurs imiter la forme tridactyle des empreintes de théropodes…


Y avait-il une connexion symbolique plus profonde entre les gravures humaines et le registre fossilisé ; et cette association se retrouve-t-elle en d'autres lieux ? Il est difficile d'en dire plus aujourd'hui.

Les auteurs de l'article rappellent par ailleurs que de nombreuses empreintes de pas de dinosaures du Crétacé inférieur sont connues dans le bassin de Sousa, notamment le Monument National de la « vallée des dinosaures » (Vale dos Dinossauros). Les premières mentions de ces ichnofossiles dans la région remontent au début du XXe siècle, même si les recherches scientifiques n'ont véritablement commencé qu'en 1975.

De même, de très nombreux autres sites à pétroglyphes sont recensés à travers les états du Rio Grande do Norte et du Paraíba. On peut penser qu'ils sont l'œuvre d'un groupe social homogène qui occupa cette région pendant plusieurs milliers d'années.

Les affleurements doublement marqués de Serrote do Letreiro sont désormais répertoriés sur la plateforme GEOSSIT[1] du Service géologique du Brésil, en raison de cette intersection unique entre les composantes archéologiques et paléontologiques. Bien que difficile d'accès, ce site représente un défi de conservation en raison de la fragilité des formations rocheuses et de menaces telles que le vandalisme et le vol.

Cet article fort intéressant de Troiano et al. [5] nous permet de rappeler l'existence de traces tridactyles de dinosaures en plusieurs sites déjà évoqués sur Planet-Terre : dans le Jura [7], dans le Sud-Est du Massif Central (Ardèche et Lozère) [3], dans les grès Navajo du plateau du Colorado [8], ou encore en Bolivie [6]. Quelques sites à pétroglyphes ont aussi déjà été montrés dans le Mercantour et dans les grès Navajo du plateau du Colorado [8], en Argentine [4], en Ardèche [2]. Notons que l'interprétation des pétroglyphes n'est pas toujours évidente même si des propositions sont avancées. Dans la grotte Chauvet-Pont d'Arc, par exemple, certains dessins datés de 34 à 36 ka sont interprétés comme des représentations possibles d'éruptions volcaniques contemporaines du Bas Vivarais (35 à 38 ka) [2].

Notons qu'on trouve dans les grès Navajo du plateau du Colorado à la fois traces tridactyles et pétroglyphes d'âges variés [8], mais, contrairement au site exceptionnel de Serrote do Letreiro, pas sur les mêmes dalles. Pour l'instant ? Une piste à creuser ?

Empreintes tridactyles de dinosaures sur la surface de stratification de grès Navajo, plateau du Colorado (Étas-Unis d'Amérique)

Figure 4. Empreintes tridactyles de dinosaures sur la surface de stratification de grès Navajo, plateau du Colorado (Étas-Unis d'Amérique)

Deux espèces d'empreintes (ichnofossiles) sont identifiées : Eubrontes, atteignant 40 cm, vraisemblablement laissées par un assez grand dinosaure théropode carnivore (il devait mesurer environ 1,7 m du pied à la hanche), et Grallator, d'environ 7,5 cm, laissées par un petit dinosaure théropode (il devait mesurer environ 45 cm du pied à la hanche, taille comparable à celle d'une oie actuelle).


Pétroglyphes amérindiens “gravés” dans la patine du désert à la surface des grès Navajo, plateau du Colorado (Étas-Unis d'Amérique)

Figure 5. Pétroglyphes amérindiens “gravés” dans la patine du désert à la surface des grès Navajo, plateau du Colorado (Étas-Unis d'Amérique)

La datation et l'interprétation des pétroglyphes restent soumises à caution, diverses cultures et styles étant identifiables. La patine du désert a commencé à se reformer sur les plus anciennes gravures, et des chevaux et des arcs présents sur les plus récentes permettent d'affirmer que certains pétroglyphes sont postérieurs à l'arrivée des Espagnols dans la région. La raison d'une telle concentration de pétroglyphes à cet endroit demeure incertaine. Des graffitis et dégradations sub-actuelles par des visiteurs indélicats sont aussi observables.


Bibliographie

C. Langlois, 2017. T. rex superstar - L'irrésistible ascension du roi des dinosaures, Planet-Terre - ISSN 2552-9250

S. Nomade, D. Genty, R. Sasco, V. Scao, V. Féruglio, D. Baffier, H. Guillou, C. Bourdier, H. Valladas, É. Reigner, É. Debard, J.-F. Pastre, J.-M. Geneste, 2016. A 36,000-Year-Old Volcanic Eruption Depicted in the Chauvet-Pont d'Arc Cave (Ardèche, France)?, PLOS ONE, 11, 1, e0146621 (Open access) [actu]

L.P. Troiano, H.B. dos Santos, T. Aureliano, A.M. Ghilardi, 2024. A remarkable assemblage of petroglyphs and dinosaur footprints in Northeast Brazil, Scientific Reports, 14, 6528 (Open access)

B. Tymen, F. Mazel, 2014. Traces de dinosaures et ptérosaures du synclinal de Torotoro (Bolivie), Planet-Terre - ISSN 2552-9250

M. Schultz, 2015. Loulle (Jura) : sous le lapiaz, la plage et ses dinosaures, Planet-Terre - ISSN 2552-9250



[1] Une fois sur le GEOSSIT, Cadastro de sítios geológicos, on a la liste des sites et on peut rechercher un site en particulier ”Perquisar”, rechercher par coordonnée (latitude, longitude et rayon) ou thématique “Mais opções de busca”, ou afficher une carte géolocalisant les sites “Exibir mapa”.