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Article | 27/11/2024

Les yardangs, sur Terre et sur d'autres corps du système solaire : des structures géomorphologiques modelées par l'érosion éolienne

27/11/2024

Nelson Pain

UFR des Sciences, Univ. de Picardie Jules Verne (Amiens)

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Des structures géomorphologiques modelées par l'érosion éolienne.


Introduction

Le désert de Lout (Dasht-e Lut en perse, qui se traduit par « plaine du vide ») se situe au Sud-Est de l'Iran, et s'étend sur environ 50 000 km2 – soit à peu près autant que la région Bourgogne-Franche-Comté. Deux parties de ce désert sont particulièrement remarquables d'un point de vue géomorphologique : la première, d'environ 7000 km², la plus occidentale, est principalement formée de yardangs plurikilométriques, crêtes allongées objets de cet article ; l'autre, plus orientale, est composée de dunes de sable (rig-e Yalan en perse, ce qui signifie « le grand erg »). Cet article présente les yardangs du désert de Lout (Iran), pour ensuite évoquer d'autres yardangs dans le monde et examiner les conditions de formation de ces structures. Enfin, les yardangs sur d'autres corps du système solaire (planètes, satellites) est abordée.

Localisation du Désert de Lout (province de Kerman, Iran) au sein du Moyen-Orient

Figure 1. Localisation du Désert de Lout (province de Kerman, Iran) au sein du Moyen-Orient

La cadre noir correspond au zoom de la figure 2.


Vue satellitaire du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Figure 2. Vue satellitaire du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

La zone occidentale du désert de Lout montre en vue satellitaire des structures parallèles, orientées Nord-Nord-Ouest/Sud-Sud-Est : ce sont des yardangs, appelés kaluts en langue perse. Plus à l'Est, de grandes rides sont visibles depuis l'espace : il s'agit d'un erg (champ de dunes de sable), nommé Rig-e Yalan. Le cadre noir correspond à la zone approximative où les clichés des figures 4 à 10 ont été pris.

On peut noter que les yardangs du désert de Lout sont approximativement perpendiculaires à la direction dominante des dunes du grand erg, à l’Est. Si on regarde attentivement la morphologie des dunes (flancs à pente douce / pente raide), on voit que la direction des vents dominants est perpendiculaire aux cordons de dunes, vents venants du Sud-Sud-Est et se dirigeant vers le Nord-Nord-Ouest. Les yardangs sont donc parallèles à la direction des vents dominant dans le grand erg, une centaine de kilomètres à l’Est du désert de Lout.

Localisation par fichier kmz du désert de Lout (Iran) et des autres sites à yardangs présentés ci-après.


Les yardangs du désert de Lout (Iran)

Description géomorphologique des yardangs du désert de Lout

Voici tout d'abord quelques clichés qui permettent de présenter des yardangs avant de s’intéresser à leur origine.

Vue aéri4nne sur une partie des yardangs du désert de Lout (Iran)

Figure 3. Vue aéri4nne sur une partie des yardangs du désert de Lout (Iran)

Vue sur le Nord du désert de Lout, les images suivantes sont des photographies prises du sol.


Vue panoramique sur les yardangs du désert de Lout (Iran)

Figure 4. Vue panoramique sur les yardangs du désert de Lout (Iran)

Le cliché est pris quelque part sur la bordure Nord-Ouest des kaluts (voir cadre noir de la figure 2), sur un point haut. La photographie montre de longs couloirs délimités par des crêtes plurimétriques à pluridécamétriques. Le côté “au vent” des crêtes est abrupt, tandis que le côté “sous le vent” montre une pente plus douce. Des surfaces blanches sont visibles, il s'agit de dépôts de sel.


Vue rapprochée sur les yardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Figure 5. Vue rapprochée sur les yardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Le cliché est pris quelque part sur la bordure Nord-Ouest des kaluts (voir cadre noir de la figure 2). La photographie montre de longs couloirs délimités par des crêtes plurimétriques à pluridécamétriques. Le côté “au vent” des crêtes est abrupt, tandis que le côté “sous le vent” montre une pente plus douce. Un petit piton s'aperçoit au milieu de la photographie. Des surfaces blanches sont visibles, il s'agit de dépôts de sel.


Vue sur les yardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Figure 6. Vue sur les yardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Le cliché est pris quelque part sur la bordure Nord-Ouest des kaluts (voir cadre noir de la figure 2). La photographie montre de longs couloirs délimités par des crêtes plurmétriques à pluridécamétriques. Des surfaces blanches sont visibles, il s'agit de dépôts de sel. Un pilier se distingue à droite de l'image.


Vue sur les yardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Figure 7. Vue sur les yardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Le cliché est pris quelque part sur la bordure Nord-Ouest des kaluts (voir cadre noir de la figure 2), au sein d'un “couloir”. La photographie montre des parois rocheuses abruptes (par exemple celle de droite, éclairée par le Soleil). Des surfaces blanches sont visibles, il s'agit de dépôts de sel.


Vue sur les yardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Figure 8. Vue sur les yardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Le cliché est pris quelque part sur la bordure Nord-Ouest des kaluts (voir cadre noir de la figure 2). Cette photographie montre la diversité morphologique des yardangs : mésoyardang en “mamelon” (à gauche, sur laquelle le sujet se trouve), et mégayardangs à l'arrière plan (un au centre, et un autre en forme de coque de bateau inversée – inverted hull shape dans la littérature anglophone – à droite).


Vue sur les yardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Figure 9. Vue sur les yardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Le cliché est pris quelque part sur la bordure Nord-Ouest des kaluts (voir cadre noir de la figure 2). Cette photographie est prise sur un point haut, au sein d'un yardang. On aperçoit le fin litage du sédiment sur la paroi à gauche de l'image.


Vue sur les yardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Figure 10. Vue sur les yardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Le cliché est pris quelque part sur la bordure Nord-Ouest des kaluts (voir cadre noir de la figure 2). L'image est prise perpendiculairement à la direction d'allongement des yardangs, et montre la largeur d'un couloir séparant deux yardangs.


Les yardangs sont des crêtes allongées, constituées des roches du substratum (et non de sable), disposées de manière parallèle entre elles, séparées par de longs sillons (ou couloirs). Le mot est emprunté au turkmène yar qui signifie “flanc abrupt” ; en perse, le terme pour désigner les yardangs est kalut.

Les yardangs se distinguent par leur longueur : les microyardangs sont des crêtes centimétriques, les mésoyardangs sont de l'ordre du mètre (longueur et hauteur), et les mégayardangs sont des crêtes de plusieurs dizaines de mètres de haut et peuvent s'allonger sur plusieurs kilomètres de long. Les photographies présentées ici montrent principalement des mégayardangs et quelques mésoyardangs. Le désert de Lout est inscrit à la Liste du patrimoine mondial de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) [w2], car « le site présente certains des exemples les plus spectaculaires de [...] yardangs (crêtes ondulées massives) ». En effet, c'est dans ce désert que se rencontrent les plus hauts yardangs au monde, avec un maximum de 240 mètres de haut à l'Ouest du désert de Lout.

Examinons à présent les conditions de formation de ces structures géomorphologiques si particulières.

Les processus à l'origine de la formation des mégayardangs du désert de Lout

Les roches à l'affleurement dans le désert de Lout sont majoritairement des dépôts lacustres plio-pléistocènes tabulaires, amalgamés dans la Lut Formation : argilites, siltstones, sables et évaporites. Cette formation a une puissance de plusieurs centaines de mètres. Dans le cas du désert de Lout, l'érosion des sédiments lacustres a été initiée par des processus hydrauliques, à la faveur d'intenses précipitations qui ont creusé des rigoles d'écoulement. En effet, le désert de Lout se situe dans une dépression topographique (voir figure 11), bordée à l'Ouest par les monts de Kerman et à l'Est par la chaine Est-iranienne (orogène baloutche). Les eaux météoriques se sont déversées lors d'épisodes pluvieux extrêmes dans ce bassin endoréique (qui l'est depuis le Miocène), et le réseau de ruisseaux temporaires a pu amorcer l'érosion dans la zone.

La dynamique atmosphérique a accru cette érosion, pour former les structures que l'on peut aujourd'hui constater dans le désert de Lout. La région est une zone très aride : elle reçoit actuellement moins de 50 millimètres de précipitations par an. Les maximas de précipitations surviennent en hiver, entre décembre et février, et peuvent amplifier seulement localement l'érosion dans le secteur. L'autre processus qui est susceptible d'avoir une action significative sur les roches à l'affleurement est le vent. Les roses des vents (représentation graphique de la fréquence des directions du vent et de son intensité pour chaque direction – figure 13) dans la zone des kaluts montrent que les vents soufflent statistiquement du Nord-Nord-Ouest vers le Sud-Sud-Est.

La distribution annuelle et journalière des vents dans le désert de Lout (figure 13) révèle que les vents venant du Nord-Nord-Ouest et qui balayent les kaluts sont plus fréquents en journée entre juillet et septembre. En effet, il se met en place une zone de haute pression au Nord de l'Iran, tandis qu'une zone de basse pression occupe l'Ouest du Pakistan et de l'Afghanistan (figure 14). Ce gradient de pression voit les vents de surface se déplacer du Nord-Nord-Ouest (zone de relative haute pression) vers le Sud-Sud-Est (zone de relative basse pression) dans le secteur du désert de Lout. De manière générale, plus le gradient de pression est élevé, plus les vents de surface sont intenses. Entre mai et septembre, la vitesse des vents les plus fréquents est en moyenne de 8 à 11 m.s-1 (approximativement de 30 à 45 km.h-1), avec des pics qui dépassent occasionnellement les 20 m.s-1 (> 70 km.h-1).

Le flux sédimentaire est orienté dans la même direction et le même sens que les vents dominants. Les particules sédimentaires sont alors entrainées statistiquement vers le Sud-Sud-Est au sein des kaluts. L'analyse granulométrique d'une fraction de sédiment ramassé à la surface d'un sillon au sein des kaluts montre que le tri granulométrique n'est pas très bon (présence d'argiles, de limons et sables –  figure 15). Les grains grossiers sont vraisemblablement d'origine magmatique (quelques quartz, feldspaths et grains de minéraux ferro-magnésiens – figure 16), la région entourant le désert de Lout présentant de nombreuses roches magmatiques (figure 16). Les surfaces blanches visibles sur les premières photographies des yardangs sont des évaporites : un exemple est montré en figure 18 (il s'agit de halite).

La déflation, processus de prise en charge des particules sédimentaires par le vent, s'exprime de manière différentielle selon la taille des particules et la vitesse du vent. Les particules les plus fines (argiles et limons de taille inférieure à 60 µm) sont susceptibles d'être transportées en suspension car elles présentent une vitesse de chute peu élevée (figure 19). Les sables fins et moyens (0,05 à 0,5 mm) se déplacent essentiellement par saltation, c'est-à-dire par sauts successifs de quelques dizaines de centimètres de haut maximum ; les sables plus grossiers et les graviers (dont la taille dépasse 1 mm) se déplacent au sol sur de courtes distances en glissant ou en roulant (reptation – peut-être comme les sliding stones ou gliding stones [22], bien que dans cet exemple le processus majeur ne soit pas clairement identifié – vent ou glace). Les blocs et galets sont peu voire pas déplacés par le vent, mais subissent la corrasion, qui correspond à l'abrasion mécanique liée aux chocs des particules sédimentaires sur les éléments grossiers.

Profil topographique à travers le désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Figure 11. Profil topographique à travers le désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Le désert de Lout est une dépression topographique : les monts de Kerman le bordent dans la partie occidentale, tandis que la chaine Est-iranienne marque sa frontière naturelle orientale.


Vitesse des vents et flux sédimentaire dans le désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Figure 12. Vitesse des vents et flux sédimentaire dans le désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Pour chaque station de mesure, les roses des vents sont représentées en multicolore (l'échelle de vitesse étant légendée en bas à gauche de l'image) et la direction et l'intensité du flux sédimentaire en vert (l'unité n'étant pas précisée). On voit que les dunes du grand erg sont, elles, perpendiculaires à la direction des vents dominants. Le jeu de données utilisé provient du projet ERA-Interim et correspond à l'intervalle de temps 1970-2013.


Distribution journalière et annuelle des vents de forte intensité venant du Nord-Nord-Ouest au sein du champ de mégayardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Figure 13. Distribution journalière et annuelle des vents de forte intensité venant du Nord-Nord-Ouest au sein du champ de mégayardangs du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Les vents venant du Nord-Nord-Ouest sont les plus fréquents en journée, entre 7h et 17h. Ils sont dominants entre le 170e jour de l'année (mi-juin) et le 250e jour de l'année (début septembre). Le nom de ce vent estival est le Levar, et est surnommé localement « le vent des 120 jours ».


Carte des anomalies de la pression au niveau de la mer (hPa) pour les mois de mai à septembre entre 1991 et 2017, pour les 5 % des vents les plus forts, par rapport à la moyenne de la même période

Figure 14. Carte des anomalies de la pression au niveau de la mer (hPa) pour les mois de mai à septembre entre 1991 et 2017, pour les 5 % des vents les plus forts, par rapport à la moyenne de la même période

La figure témoigne du fait que les vents les plus forts sont générés par des conditions telles qu'une zone de basse pression se situe à proximité de la frontière entre Iran, Pakistan (P) et Afghanistan (A), et qu'une zone de haute pression se trouve au Nord de l'Iran. La zone du désert de Lout est repérée par le rectangle noir.


Analyse granulométrique d'une fraction de sédiments prélevés à la surface du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Figure 15. Analyse granulométrique d'une fraction de sédiments prélevés à la surface du désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Cette analyse granulométrique a été réalisée grâce à un granulolaser (granulomètre laser, appareil mesurant la taille des particules d’un échantillon en voie humide – échantillon introduit dans un circuit d’eau – par diffraction du rayon laser incident – angle de diffraction plus grand pour les particules plus fines). La fraction supérieure à 2 mm (graviers) a été préalablement tamisée et écartée de l'analyse (le granulolaser ne pouvant analyser que des particules de taille inférieure à 3 mm). L'histogramme des fréquences de la taille des particules montre trois pics, qui correspondent à trois classes granulométriques différentes : argiles (environ 1,5 µm), limons (30 µm) et sables grossiers (1 mm). Ces trois classes granulométriques sont approximativement représentées de manière égale. Le sédiment à la surface des kaluts est donc mal trié. La courbe correspond à la fréquence cumulée des tailles de particules.


Échantillon de sédiment prélevé à la surface du sol, au sein d'un sillon du Nord-Ouest du désert de Lout (province de Kerman, Iran), vu à la loupe binoculaire (×20)

Figure 16. Échantillon de sédiment prélevé à la surface du sol, au sein d'un sillon du Nord-Ouest du désert de Lout (province de Kerman, Iran), vu à la loupe binoculaire (×20)

Les fragments lithiques d'une taille d'environ 1 mm (= sables grossiers de la figure précédente) sont majoritairement d'origine magmatique. On reconnait un grain de quartz au-dessus de la barre d'échelle, à gauche ; le grain à droite et au-dessus de la barre d'échelle est peut-être un feldspath. Les grains plus foncés sont potentiellement des minéraux ferro-magnésiens. Le contour de ces particules est sub-arrondi à arrondi, ce qui témoigne d'un transport depuis la source jusqu’au lieu de prélèvement. Les particules plus fines sont plutôt d'origine sédimentaire (argiles et limons, provenant probablement du remaniement des formations lacustres plio-pléistocènes).


Échantillon de sel (halite) prélevé à la surface du sol, au sein d'un sillon du Nord-Ouest du désert de Lout (province de Kerman, Iran), vu à la loupe binoculaire (×8)

Figure 17. Échantillon de sel (halite) prélevé à la surface du sol, au sein d'un sillon du Nord-Ouest du désert de Lout (province de Kerman, Iran), vu à la loupe binoculaire (×8)

Les surfaces blanches des figures 4, 5, 6, 7, 9 et 10 correspondent à des dépôts de sel. Il s'agit de halite et de gypse. Ce cliché montre des fragments de halite récoltés au sein d'un sillon du désert de Lout. Il provient probablement de l'évaporation d'une petite masse d'eau temporaire formée lors de la période de précipitations maximales (hiver), évaporation favorisée par l'aridité du climat au printemps et en été dans la région. L'échelle est donnée par la règle en arrière-plan (la graduation entre chaque petit trait est de 1 mm).


Carte géologique du bloc de Lout (Iran)

Figure 18. Carte géologique du bloc de Lout (Iran)

Le bloc de Lout, avec les blocs plus occidentaux de Tabas et de Yazd, fait partie de l'ensemble géologique du Central-East Iranian Microcontinent (CEIM). Ce “microcontinent” a été pris dans la collision fini-triasique entre les terranes cimériennes (dont font partie les 3 blocs cités précédemment) détachés de la marge du Gondwana, et la marge Sud Eurasie, suite à la fermeture de la paléo-Thétys. Le bloc de Lout présente de nombreuses formations magmatiques méso- et cénozoïques (dacites, andésites et basaltes se retrouvent au Nord des yardangs), qui sont probablement à l'origine de certaines particules sédimentaires charriées par les vents au sein du désert de Lout.


Vitesse de chute des particules sédimentaires dans l'air selon leur taille

Figure 19. Vitesse de chute des particules sédimentaires dans l'air selon leur taille

Les particules fines (argiles et limons) ont une faible vitesse de chute, et sont sensibles à de faibles variations de la vitesse du vent. Elles sont généralement transportées en suspension dans l'air. Les particules plus grossières (sables) nécessitent une vitesse de vent supérieure à 0,25 m.s-1 pour être mobilisées, et sont déplacées par suspension (pour les sables fins) et/ou saltation (petits “sauts” successifs – pour les sables plus grossiers) et/ou reptation (glissement sur la surface).


Érosion et dépôt sédimentaire à long-terme dans le désert de Lout (province de Kerman, Iran)

Figure 20. Érosion et dépôt sédimentaire à long-terme dans le désert de Lout (province de Kerman, Iran)

(a) Coupe de la topographie actuelle et de la reconstruction des paléosurfaces pré-érosion et pré-dépôt. Qs désigne le flux transporté depuis la zone des yardangs vers le grand erg.

(b) Carte de l'épaisseur de sédiment excavée de la zone des kaluts (yardangs et sillons) et accumulée dans les dunes du grand erg.


Transport éolien des sables dans de désert de Lout

Figure 21. Transport éolien des sables dans de désert de Lout

Le transport éolien se fait depuis le NNO vers SSE dans la zone des yardansg (Ouest du désert de Lout). Dans le Sud des kaluts, les vents dominants changent de direction et s’orientent vers le NNO, vraisemblablement à cause d’un “vortex” au milieu du désert qui conduit à la rotation anti-horaire des vents –  la direction ENE des crêtest des dunes atteste bien d’une direction des vents vers le NNO dans ce secteur. Ainsi les sédiments sableux érodés dans la zone des yardangs sont susceptibles d’être transportés vers le secteur du grand erg : le résultat global est donc un transport depuis la zone des yardangs vers le grand erg, donc un transport de direction ENE. De façon sporadique, des particules sédimentaires fines sont susceptibles de s’échapper de la dépression que constitue le désert de Lout, par exemple vers le Sud (figure 22).


Figure 22. Un nuage de poussière au Sud de l'Iran

Le cliché montre le Sud de l'Iran, et le golfe d'Oman. La frontière entre l'Iran et le Pakistan a été tracée par un trait fin à droite de l'image. Le désert de Lout (non visible sur ce cliché) est situé à environ 150 kilomètres au Nord du centre du bord haut de l'image. Le nuage de poussière fait environ 300 kilomètres de long pour 150 kilomètres de large.


Si la zone des kaluts apparait comme une zone d'érosion, on peut se demander où se déposent les particules mobilisées par le vent, et à quelle vitesse cette érosion et ce dépôt se réalisent. Chanteloube et al. (2022) [6] fixent la zone du grand erg, qui occupe l'Est du désert de Lout, comme zone d'accumulation des sédiments érodés dans les yardangs (figure 20). Ces auteurs proposent également une quantification pour ces deux phénomènes : durant les 2,35 derniers millions d'années, 0,6.106 m³.an−1 de sédiments a été érodé dans les kaluts et 0,38.106 m³.an−1 a été accumulé dans le grand erg. La différence entre les deux chiffres (0,22.106 m³.an−1) est imputable aux poussières transportées en suspension qui quittent la région grâce aux circulations atmosphériques (figure 22).

D'autres exemples de mégayardangs dans le monde

Première description historique des yardangs

Les structures géomorphologiques visibles dans le désert de Lout sont de remarquables exemples de mégayardangs. Il en existe également sur d'autres continents. D'ailleurs, la première mention bibliographique du terme yardang se trouve dans la publication du journal de l'explorateur suédois Sven Hedin, lors de son expédition en Asie centrale. Il couche par écrit la première description des yardangs lors de son périple dans le bassin du Tarim (Ouest de la Chine, dans la région actuelle du Xinjiang). Cette description fait référence à la fois à la forme des structures qu'il rencontre (et traverse difficilement) et aux processus qui les modèlent.

 

Après cela, nous arrivâmes dans une région extrêmement ardue, à savoir un véritable labyrinthe de terrasses argileuses, avec des arêtes pointues, que les locaux appellent yardang […]. Elles ont été initialement formées par l'action de l'écoulement de l'eau, mais ont été par la suite sculptées par les vents avec les contours les plus fantastiques et irréguliers imaginables.

 
 --Traduit de Sven Hedin, Central Asia and Tibet – Towards the holy city of Lassa, 1903

Ainsi, outre les mégayardangs présents à l'Ouest de la Chine décrits originellement par Hedin, et ceux du désert de Lout (Est de l'Iran), on en retrouve dans le centre du Sahara (par exemple à la frontière entre le Tchad et le Niger), sur la côte namibienne (à la fois au Nord et au Sud du pays), et en Amérique du Sud (Argentine, Pérou) (figure 23).

Les facteurs de contrôle du développement des mégayardangs et les différents stades d'évolution

Quels sont les facteurs qui contrôlent le développement de mégayardangs à travers le monde ? Ils sont vraisemblablement au nombre de 3.

  1. Les mégayardangs se trouvent dans des régions balayées par des vents généralement unidirectionnels. Ils se développent parallèlement à la direction principale des vents, car ces derniers sont à l'origine de l'arrachement des particules sédimentaires de leur surface et de leur déplacement (déflation), ce qui entraine la corrasion des roches exposées. De plus, l'effet Venturi produit par la réduction de la largeur d'écoulement du vent lors de son arrivée dans un couloir induit une augmentation de sa vitesse, et donc une augmentation locale de la déflation.
  2. Les mégayardangs se situent dans des secteurs du monde où le climat est très aride (figure 24), c'est-à-dire où les précipitations annuelles ne dépassent pas 50 mm (par comparaison, les précipitations annuelles à Paris sont de l'ordre de 700 mm). Ce type de climat est peu propice au développement d'une couverture végétale qui diminuerait l'impact de l'abrasion des roches par les particules sédimentaires (cf., par exemple, Langlois et Thomas, 2016 [15]). Par ailleurs, un sédiment sec présente une vitesse d'arrachement des grains inférieure à un sédiment humidifié (au sein duquel les forces de cohésion – notamment la tension superficielle – sont plus grandes que pour un sédiment sec).
  3. Les mégayardangs se rencontrent dans des zones où la lithologie est relativement homogène. En effet, une seule et même lithologie empêche une érosion différentielle des roches (pour constater l'effet de l'érosion sur deux lithologies différentes, se référer par exemple à l’article d’A. Aubray, 2021 [3]).

Un modèle de formation des mégayardangs a été proposé par Dong et al. en 2012 [10], et affiné par Ding et al. en 2020 [9] (figure 25). Le stade embryonnaire correspond aux premières incisions réalisées par un ou plusieurs agents parmi les vents, l'eau, des fissures et/ou des failles. Le stade juvénile voit l'apparition d'un motif récurent de couloirs et de crêtes (le relief s'accentue), parallèlement à la direction des vents dominants. Les structures sont majoritairement continues. Au cours du stade mature, le relief diminue progressivement, et les yardangs (dont la hauteur et la largeur diminuent) prennent grossièrement la forme d'une goutte eau (whaleback ou “dos de baleine” dans la littérature anglophone), et deviennent longitudinalement discontinus. Enfin, au stade de disparition, une surface aplatie et lissée se développe, présentant éventuellement quelques dunes et des restes de yardangs.

Les mégayardangs du Nord-Ouest désert de Lout, visibles sur les figures 4 à 10, correspondent vraisemblablement au stade juvénile, puisqu'on y observe de hautes crêtes décamétriques en alternance avec des couloirs.

Quelques mégayardangs à travers le monde vus depuis l'espace

Figure 23. Quelques mégayardangs à travers le monde vus depuis l'espace

Les mégayardangs présentés ici sont tous modelés par les vents dominants, à l'instar de ceux du désert de Lout en Iran. Les yardangs présents dans le bassin du Tarim (Chine occidentale) ont été formés dans des sédiments analogues à ceux qu'on trouve dans le désert de Lout (anciens dépôts lacustres et alluviaux). Cependant, on peut noter que la lithologie des trois autres exemples choisis ici est différente des argilites/siltstones/sables du désert de Lout. Les mégayardangs du Sahara central sont sculptés dans des grès paléozoïques ; ceux d'Amérique du Sud sont taillés dans des roches volcaniques (ignimbrites ou laves). Dans le sud de la Namibie, ils sont façonnés dans des roches magmatiques et métamorphiques paléozoïques du Gariep Complex (schistes, rhyolites).

Pour visualiser à la fois yardangs et cratère de météorite, on ira observer le secteur du cratère d’Aorounga (Nord du Tchad).


Localisation des méga- et mésoyardangs à la surface du globe

Figure 24. Localisation des méga- et mésoyardangs à la surface du globe

Les champs de mégayardangs sont localisés à la surface des continents. Ils se développent majoritairement dans des zones hyperarides. Remarque : la zone hyperaride du désert de Lout n'est pas représentée sur cette carte d'échelle mondiale, sans doute car elle est très réduite au regard des autres secteurs hyperarides mondiaux.

2 : bassin du Tarim et du Qaidam (Ouest de la Chine) – 3 : désert de Lout (Iran) – 4 : Nord-Ouest de l'Arabie Saoudite – 5 et 6 : respectivement Nord et Sud de la Namibie –  : Ouest de l'Égypte – 8 : centre du Sahara (Nord du Niger et du Tchad/ Sud de la Libye) – 11 : plateau andin (Ouest de l'Argentine) – 12 : côte du Pérou.


Modèle de formation des mégayardangs

Figure 25. Modèle de formation des mégayardangs

(A) Stade embryonnaire, un ou une conjonction d'agents peuvent amorcer l'incision. Cette incision peut être provoquée. (A1) par les vents dominants, (A2) par un cours d'eau, (A3) par des fissures du sol, (A4) par une faille.

(B) Stade juvénile, où les crêtes sont topographiquement les plus hautes.

(C) Stade mature, au cours duquel la hauteur des crêtes diminue ; les yardangs prennent la forme grossière de gouttes d'eau allongées (whaleback dans la littérature anglophone).

(D) Stade de disparition, au cours duquel la topographie est relativement plane. Quelques restes de yardangs se distinguent, et éventuellement quelques dunes et rides de courant au sein des sédiments de surface.


Des yardangs à la surface d'autres corps du système solaire

Grâce aux missions d'exploration spatiale lancées à partir des années 1970, des yardangs ont été observés sur d'autres corps du système solaire. Ils ont été repérés d'abord sur Mars, puis sur Vénus et plus récemment sur Titan.

Les yardangs à la surface de Mars

Un des objectifs des missions spatiales Mariner 9 (1971) et Viking (1976) était d'obtenir des clichés de haute résolution de la surface de Mars. Les premières publications témoignant de structures géomorphologiques façonnées par les vents de surface de la planète rouge datent de 1973 (Cutts et Smith [7] [8]). En 1979, Ward [27] observe, à partir de photographies prises par la mission Viking, des alternances de crêtes qu'il assimile aux yardangs terrestres (figure 24). Depuis, les yardangs ont été repérés majoritairement au sein des plaines équatoriales de Mars (voir figures 27 à 34). La Medusae Fossae Formation, qui fait partir de la région d'Amazonis, regroupe le plus grand nombre de yardangs (voir figure 34).

Par analogie avec les yardangs étudiés sur Terre, ceux observés à la surface de Mars sont très probablement le résultat géomorphologique d'une conjonction de facteurs, dont l’un des principaux est l'abrasion par le vent.

Identification historique des yardangs dans la région d'Aeolis grâce à Viking

Figure 26. Identification historique des yardangs dans la région d'Aeolis grâce à Viking

Le cliché provient de la mission Viking (1976), et montre une partie de la surface de la région d'Aeolis. Deux champs de yardangs sont visibles et repérés par la lettre Y ; les crêtes sont globalement orientées Sud-Ouest/Nord-Est. Les yardangs sont plurikilométriques, et les couloirs sont de l'ordre de la centaine de mètres voire d'un kilomètre de large. La lettre D désigne une forme de dune. Le bord inférieur de la photographie mesure 18 km.


Yardangs près du Gordii Dorsum (Medusae Fossae Formation, région d'Amazonis) à la surface de Mars

Figure 27. Yardangs près du Gordii Dorsum (Medusae Fossae Formation, région d'Amazonis) à la surface de Mars

Le cliché a été pris en 2014 par la caméra HiRISE du Mars Reconnaissance Orbiter. On distingue de très longues crêtes kilométriques, séparées par des couloirs. L'échelle est située en haut à droite.


Zoom sur les yardangs près du Gordii Dorsum (Medusae Fossae Formation, région d'Amazonis) à la surface de Mars

Figure 28. Zoom sur les yardangs près du Gordii Dorsum (Medusae Fossae Formation, région d'Amazonis) à la surface de Mars

Le cliché a été pris en 2014 par la caméra HiRISE du Mars Reconnaissance Orbiter. On distingue de très longues crêtes kilométriques, séparées par des couloirs.


Yardangs au sein d'un cratère de la région Arabia Terra, à la surface de Mars

Figure 29. Yardangs au sein d'un cratère de la région Arabia Terra, à la surface de Mars

Le cliché a été pris en 2019 par la caméra HiRISE du Mars Reconnaissance Orbiter. On distingue des yardangs en forme de coque de bateau inversée (inverted hull shape). La barre d'échelle est située en haut à droite et mesure 500 m. L’éclairage vient de la gauche.


Zoom sur les yardangs au sein d'un cratère de la région Arabia Terra, à la surface de Mars

Figure 30. Zoom sur les yardangs au sein d'un cratère de la région Arabia Terra, à la surface de Mars

Le cliché a été pris en 2019 par la caméra HiRISE du Mars Reconnaissance Orbiter. On distingue des yardangs en forme de coque de bateau inversée (inverted hull shape). L’éclairage vient de la gauche.


Détail sur les yardangs au sein d'un cratère de la région Arabia Terra, à la surface de Mars

Figure 31. Détail sur les yardangs au sein d'un cratère de la région Arabia Terra, à la surface de Mars

Le cliché a été pris en 2019 par la caméra HiRISE du Mars Reconnaissance Orbiter. On distingue des yardangs en forme de coque de bateau inversée (inverted hull shape). La zone représentée ici correspond au secteur juste en haut à droite de la barre d'échelle de la figure 30. L’éclairage vient de la gauche.


Yardangs au sein du cratère Becquerel (région Arabia Terra), à la surface de Mars

Figure 32. Yardangs au sein du cratère Becquerel (région Arabia Terra), à la surface de Mars

Le cliché a été pris en 2013 par la caméra HiRISE du Mars Reconnaissance Orbiter. Le champ de yardangs présenté se trouve dans la partie Sud-Ouest du cratère. La barre d’échelle est située en haut à droite et mesure 500 m. L’éclairage vient de la droite.


Yardangs, vus en perspective, au sein du cratère Becquerel (région Arabia Terra), à la surface de Mars

Figure 33. Yardangs, vus en perspective, au sein du cratère Becquerel (région Arabia Terra), à la surface de Mars

Vue en perspective de l'“entrée” des yardangs du cratère Becquerel, au niveau du bord supérieur de la figure précédente –  la vue est vers le Sud. Le bord inférieur du cliché mesure à 4 km, et l'échelle verticale est dilatée (×3). Ces yardangs se seraient formés depuis quelques millions d'années. L’éclairage vient de la droite.


Carte de la distribution spatiale des yardangs sur Mars

Figure 34. Carte de la distribution spatiale des yardangs sur Mars

On remarque que les yardangs martiens sont compris entre 30° de latitude Nord et Sud. Les yardangs sont répertoriés en 3 catégories : les longues rides (analogues des mégayardangs du désert de Lout), les yardangs en forme de coque de bateau inversé (inverted hull shape dans la littérature anglophone) et, plus rares, ceux de forme curvilinéaire (forme de V ou de fer à cheval – non présentés jusqu'ici).

Le secteur des yardangs de la Medusae Fossae Formation (MFF) est repéré. Les yardangs martiens présentés ci-avant sont localisés par des étoiles oranges (1 = figures 27 et 28, zone de Gordii Dorsum | 2 = figures 29 à 31, zone d'Arabia Terra | 3 = figures 32 et 33, zone du cratère Becquerel).


Les yardangs à la surface de Vénus

Une première communication au tout début des années 1990 (Trego, 1990 [23]) fait état d'une apparente absence de yardangs à la surface de Vénus, constatée grâce aux images radar prises par les sondes du programme soviétique Venera des années 1970-1980. Lancé en 1989 par la National Aeronautics and Space Administration (NASA), le satellite radar Magellan avait pour mission de cartographier plus précisément la surface de Vénus grâce à des outils de télédétection. Un résolution plus fine permit de révéler les premiers yardangs en 1992 (Trego, 1992 [24], figure 35) et de confirmer leur existence la même année (Greeley et al., 1992 [14]).

Identification historique des yardangs sur Vénus grâce à Magellan

Figure 35. Identification historique des yardangs sur Vénus grâce à Magellan

L'image, prise par le satellite Magellan au début des années 1990, montre de longues structures rectilignes et parallèles entre elles, interprétées comme des yardangs. Le Nord est en haut de l'image, et l'échelle est manquante. Il existe un doute concernant la localisation de cette image : elle a été prise dans le secteur d'Ovda Regio pour l'auteur de l'article (Trego) ; pour un autre auteur (Greeley [14]), elle correspond à un secteur proche du cratère Dashkova, au Nord-Ouest d'Ishtar Terra. Cette dernière hypothèse est jugée plus probable, c'est celle qui est retenue pour la carte de la figure 37.


Les yardangs à proximité du cratère Mead (Ovda Regio) à la surface de Vénus

Figure 36. Les yardangs à proximité du cratère Mead (Ovda Regio) à la surface de Vénus

Deux champs de yardangs se situent à proximité du cratère Mead dans la zone d'Ovda Regio : un premier au Nord-Est du cratère (Northern field), et un second au Sud-Est du cratère (Southern field). Les yardangs font environ 25 km de long par 0,5 km de large, et sont séparés par des couloirs d'environ 1 km.


Localisation des yardangs à la surface de Vénus

Figure 37. Localisation des yardangs à la surface de Vénus

Les yardangs vénusiens présentés ci-avant sont localisés par des étoiles rouges (1 = figure 35, à proximité d'Ishta Terra | 2 = figure 36, zone du cratère Mead, à proximité d'Aphrodite Terra).


Les yardangs à la surface de Titan

Lancée en 1997, la sonde spatiale Cassini-Huygens avait pour objet principal d'étude les satellites de Saturne, dont le plus grand : Titan. Cassini-Huygens était en orbite autour de Saturne entre 2004 (voir à ce sujet l'article de P. Thomas, 2004 [20]) jusque 2017, date à laquelle la sonde a plongé dans l'atmosphère saturnienne pour une mort programmée. Dès 2006, ce site évoquait les potentiels yardangs de Titan (se référer à l'article de P. Thomas, 2006 [21]). L'atmosphère de Titan est entièrement opaque aux longueurs d'ondes visibles à cause de son atmosphère très dense. Grâce à un radar de la bande Ku (longueur d'onde de 2,2 cm – micro-ondes) embarqué, la sonde Cassini-Huygens a pu donner des images de la surface du satellite de Saturne (voir figure 38).

Identification de yardangs à la surface de Titan grâce à des images radar

Figure 38. Identification de yardangs à la surface de Titan grâce à des images radar

Sur ces images radar relativement peu précises (d'après les auteurs du papier cité en référence – la résolution étant d'environ 3 00m), les chercheurs ont observé des alternances parallèles de couleurs claires et sombres. Par analogie avec les structures géomorphologiques observées à la surface de la Terre, il pourrait s'agir soit d'une succession de dunes, soit de mégayardangs. Pour trancher, Paillou et al. [17] ont comparé les profils de diffusion radar de yardangs terrestres, de champs de dunes terrestres, et des structures observées sur Titan. Les auteurs concluent sur le fait que les structures présentées ici sont très vraisemblablement des mégayardangs. L'image couvre environ 100×120 km ; “i” désigne l'illumination (direction par laquelle arrive la lumière à la surface).


La mise en mouvement des sédiments par le vent à la surface des corps du système solaire

Pour mettre en mouvement une particule à la surface d'un corps du système solaire, il faut que la vitesse du fluide de l'atmosphère de ce corps dépasse un certain seuil. C'est une observation empirique qu'a fait Bagnold en 1941 [o1], qui a déterminé l'équation suivante : V seuil = A . σ ρ 1. g . d , avec

  • V seuil la vitesse minimale de déplacement d'une particule par un fluide (m.s−1),
  • A une fonction dépendant des forces interparticulaires, de la portance et du nombre de Reynolds,
  • σ la masse volumique de la particule (kg.m−3),
  • ρ la masse volumique du fluide[1] (kg.m−3),
  • g l'accélération de pesanteur du corps céleste considéré (m.s−2),
  • d le diamètre de la particule considérée (m).

Ainsi, les caractéristiques de la particule considérée (masse volumique – donc nature chimique – et diamètre), du fluide de l'atmosphère (masse volumique mais aussi viscosité η à cause du nombre de Reynolds “caché” ici dans le terme A ) et du corps céleste lui-même (accélération de la pesanteur) déterminent la vitesse minimale de déplacement d'un grain. Cette vitesse seuil de déplacement d'une particule est d'autant plus élevée que la particule est grosse et de grande masse volumique, que la masse volumique du fluide atmosphérique est petite, et que la pesanteur du corps est élevée.

Les caractéristiques physiques des corps du système solaire étudiés ici sont bien contraintes (figure 39). Ces caractéristiques permettent de comparer les vitesses minimales de mise en mouvement des particules à la surface des corps du système solaire, en fonction du diamètre des grains. L'observatoire de Paris a créé une “apliquette” [w4] qui permet cette comparaison, en changeant les différents paramètres physiques intrinsèques aux objets étudiés (masse volumique des particules, masse volumique de l'atmosphère, accélération de la pesanteur). Un exemple d'utilisation de cette appliquette est présenté en figure 40.

On y constate premièrement que peu importent les caractéristiques physiques du corps considéré, on observe une courbe “en V”, qui traduit simplement le fait que les petites particules et les grandes sont plus difficilement mises en mouvement que des grains de taille “moyenne” (et cette moyenne change en fonction des caractéristiques physiques des corps et des sédiments à leur surface). Pour les grandes particules, il est aisé de comprendre pourquoi le fluide doit avoir une vitesse élevée pour les arracher du substrat (l'équation citée ci-dessus montre qu'il existe une proportionnalité entre la vitesse seuil de déplacement et le diamètre particulaire) : la force du vent s'oppose simplement au poids de la particule. Pour les plus petites particules, ce sont les forces interparticulaires (terme A de l'équation) qui expliquent pourquoi il leur est plus difficile d'être mis en mouvement que des particules de taille “moyenne”. Finalement, le raisonnement est le même que le fluide soit de l'air ou de l'eau (pour en être convaincu, (re)voir l'article d’A. Aubray (2023 [4]) qui fait notamment un point sur le diagramme de Hjülstrom).

Enfin, on observe sur la figure 40 que la vitesse minimale nécessaire pour déplacer une particule sédimentaire dépend du corps céleste, et notamment au premier ordre de la masse volumique du fluide composant l'atmosphère (essentiellement du N2 pour la Terre et Titan, et du CO2 pour Mars et Vénus). Ainsi, les vitesses seuil de mise en mouvement d'un grain de 0,1 mm sont, dans l'ordre croissant : 3.10−2 m.s−1 pour Vénus (ρatm = 65 kg.m−3), 6.10−2 m.s−1 pour Titan (ρatm = 5 kg.m−3), 6 m.s−1 pour la Terre (ρatm = 1,2 kg.m−3), et 15 m.s−1 pour Mars (ρatm = 0,02 kg.m−3). Il est donc plus aisé de déplacer une particule sédimentaire sur Vénus que sur Mars, parce que Vénus possède une atmosphère extrêmement dense comparé à Mars, ce qui lui permet de mettre en mouvement des particules bien que les vents en surface soient très faibles.

Caractéristiques physiques de quatre corps du système solaire sur lesquels une érosion éolienne est attestée

Figure 39. Caractéristiques physiques de quatre corps du système solaire sur lesquels une érosion éolienne est attestée

Les vents enregistrés sur Mars par le rover Curiosity dans les années 2010 aux alentours du cratère de Gale et d'Aeolis Mons sont compris dans une gamme allant de 0 à 20 m.s−1 (environ 70 km.h−1 –  Viúdez-Moreiras et al., 2019 [26]). Les vents mesurés à proximité des atterrisseurs Viking (années 1970) dans les régions de Chryse Planitia (Viking 1) et Utopia Planitia (Viking 2) étaient en moyenne d'environ 20 m.s−1, avec des pics atteignant 150 m.s−1 (plus de 500 km.h−1 – Chamberlain et al., 1976 [5]).

Les vents mesurés en surface, pendant leur demi-heure de fonctionnement, par les sondes Venera qui se sont posées sur Vénus indiquent une vitesse qui ne dépasse pas les 1 m.s−1 sur cette planète (= 3,6 km.h−1 – Sánchez-Lavega, 2017 [19]).

Les vents à la surface de la Terre sont compris dans une gamme allant jusqu'à 140 m.s−1 (≈ 517 km.h−1, enregistré lors d'une tornade en Oklahoma). La moyenne à la surface de la Terre est centrée autour de 12 m.s−1.


Comparaison de la vitesse seuil de mise en mouvement en saltation d'une particule à la surface de la Terre, de Mars, de Vénus et de Titan, en fonction du diamètre de la particule

Figure 40. Comparaison de la vitesse seuil de mise en mouvement en saltation d'une particule à la surface de la Terre, de Mars, de Vénus et de Titan, en fonction du diamètre de la particule

Pour la Terre, on a considéré la masse volumique du quartz (2 650 kg.m−3), assimilable à la croute continentale de nature moyenne granitoïdique. Pour Vénus et Mars on a considéré des particules sédimentaires basaltiques (une approximation de la composition des sédiments de la surface de ces deux planètes telluriques), et pour Titan de la glace d'eau (on aurait également pu choisir des particules de matière organique).


Références et orientations bibliographiques

Ouvrages (o)

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Articles scientifiques

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Sites et documents web (w)

Yardang (Kalut) in the Lut Desert – Iran La page des kaluts sur le site de l'International Commission on Geoheritage de l'International Union of Geological Sciences (IUGS)

Désert de Lout (Iran) Le désert de Lout (Iran) dans la liste du patrimoine mondial sur le site de l'UNESCO

High Resolution Imaging Science Experiment (HiRISE) – University of Arizona, caméra embarquée dans la mission Mars Reconnaissance Orbiter. La fonction search permet de consulter les clichés de plus de 190 photographies de yardangs sur Mars

L’Appliquette Érosion de l'Observatoire de Paris, qui permet de comparer l'initiation du déplacement d'une particule en fonction de la nature des sédiments et des caractéristiques physiques du corps du Système solaire considéré



[1] La masse volumique de l’atmosphère dépend aussi de la pression. Pour une même composition, la quantité d’atmosphère et la gravité font la différence. Les atmosphères de Vénus et de Mars sont essentiellement composées de CO2, mais la quantité de gaz est environ 20 000 fois plus grande sur Vénus pour une gravité 2,4 fois plus forte… la pression au sol est d’environ 9,5 MPa (95 bar) sur Vénus et 600 Pa (6 mbar) sur Mars.