Article | 22/07/2004
Subsidence initiale, subsidence thermique et déformations au cours du rifting continental
22/07/2004
Résumé
Réaction isostatique de la lithosphère à un amincissement, exemple du rifting continental.
Table des matières
- Question
- Réponse
- Distinction subsidence initiale (ou tectonique) et subsidence thermique
- Origines de l'amincissement initial
- De l'amincissement à la subsidence initiale
- La subsidence initiale et maintien de l'équilibre isostatique à la suite d'un amincissement lithosphérique
- Déformations associées et autres modèles
- Le modèle de Mc Kenzie, un modèle d'extension uniforme de la lithosphère
- Bibliographie et sites utiles
Question
« Pourriez-vous m'aider à comprendre les causes de la subsidence initiale lors du rifting continental ? »
Réponse
Distinction subsidence initiale (ou tectonique) et subsidence thermique
La dénomination de subsidence initiale (ou subsidence tectonique) suivie de subsidence thermique dérive des idées de Mc Kenzie (1978), qui a proposé un « modèle thermique d'amincissement uniforme de la lithosphère ». Même si d'autres modèles plus précis et plus complexes lui ont succédé, celui de McKenzie reste toujours une représentation valide et simple de l'extension.
Ce modèle repose sur deux phases successives :
- un amincissement instantané de la lithosphère induisant la subsidence initiale (ou tectonique) (phase 2 de la figure 1) ;
- une évolution postérieure, liée au refroidissement et à l'épaississement de la lithosphère après l'extension et correspondant à la subsidence thermique (phase 3 de la figure 1).
La subsidence finale totale est la somme de la subsidence initiale (ou tectonique) et de la subsidence thermique.
Voir plus loin, pour en savoir plus sur les hypothèses du modèle de McKenzie.
Origines de l'amincissement initial
Deux phénomènes, souvent mis en opposition, peuvent être à l'origine de l'amincissement initial et donc de la subsidence :
- d'une part un phénomène dynamique mettant en jeu des contraintes surtout horizontales (contrainte : force par unité de surface) au sein de la lithosphère, qui trouvent leur origine aux limites de plaques (traction effectuée à partir des zone de subduction par exemple) : c'est le rifting passif.
- d'autre part un phénomène thermo-mécanique mettant en jeu l'apparition d'une anomalie thermique (point chaud avec l'arrivée d'un panache de matériel profond chaud). Les anomalies de densité associées à ces anomalies thermiques induisent des mouvements verticaux (le matériel chaud donc moins dense a tendance à remonter) et peuvent créer un bombement régional et étirer la lithosphère : c'est le rifting actif.
Poser la question des causes de cette extension est très délicat. Est-ce que la déformation de la lithosphère (à cause du champ de contrainte régional ou local) induit la remontée de l'asthénosphère ou est-ce que l'apparition d'une anomalie thermo-mécanique (due à des causes internes, panache...) induit un bombement puis la déformation de la lithosphère et la fracturation de la croûte ? Même si, théoriquement, il est possible d'analyser en surface les flux de sédimentation pour savoir si le bombement thermique précède ou suit la fracturation de la croûte, la réponse n'est pas toujours évidente.
Voir l'exemple d'une étude sur le terrain : le cas du rift de Limagne (Excursion d'une journée en Limagne ou Découvrir et comprendre le rift de la Limagne). Quoiqu'il en soit l'extension de la lithosphère et en particulier la fracturation de la croûte est l'expression des contraintes présentes dans la lithosphère.
De l'amincissement à la subsidence initiale
Lorsque l'épaisseur de la lithosphère diminue de façon instantanée à l'échelle des temps géologiques, l'équilibre isostatique est rompu. L'équilibre isostatique correspond à l'équilibre hydrostatique des physiciens. La Terre se comportant comme un fluide sur des échelles de temps géologiques, elle est en équilibre hydrostatique (tel un fluide). Chaque colonne verticale depuis la surface jusqu'à un niveau de compensation (généralement situé dans le manteau) doit avoir le même poids. La méthode consiste à comparer deux colonnes de section unité avant et après déformation. Maintenir l'équilibre isostatique revient donc à compenser la perte de masse (liée à l'amincissement) par des apports d'asthénosphère de masse équivalente. Comme l'asthénosphère (densité de 3,25) est plus dense que la lithosphère (densité "pondérée" prenant en compte les densités de 3,3 - densité du manteau lithosphérique - et de 2,7 - densité de la croûte continentale), le volume d'asthénosphère qui compense la perte de masse lithosphérique est plus faible que le volume de lithosphère disparu. Il en résulte une subsidence de la surface (voir les exemples de quantification de la subsidence initiale).
La subsidence initiale est donc directement liée au maintien de l'équilibre isostatique à la suite d'un amincissement lithosphérique.
La subsidence initiale et maintien de l'équilibre isostatique à la suite d'un amincissement lithosphérique
On note : h les épaisseurs, ρ les masses volumiques considérées comme constantes pour une couche donnée. Les indices a, sup, inf correspondent respectivement à l'air, à la couche supérieure et la couche inférieure. ha est donc la profondeur de la dépression formée à la suite de l'étirement de lithosphère. hinf correspond à la remontée de la couche inférieure. Surface de compensation : toutes les pressions exercées sur cette surface sont égales.
On écrit l'égalité des pressions lithostatiques sur la surface de compensation : Pi = Pf soit ρsupgh0 = ρinfghinf + ρsupghsup + ρagha avec g l'accélération de pesanteur. On tient compte de ρa = 0 (attention, dans le cas d'un remplissage par l'eau et/ou les sédiments, il faudrait tenir compte de leur densité). On simplifie par g. On obtient alors :
- hinf = (ρsup(h0 - hsup)) / ρinf
Connaissant l'amincissement β, c'est-à-dire le rapport h0/ hsup, on calcule aisément hinf en fonction de h0 :
- hinf = h0(1 -1/β).ρsup/ ρinf
Connaissant alors hsup, h0 (ou β et h0), on en déduit :
- ha = h0 - hsup - hinf = h0(1-1/β)- hinf,
- soit : ha = h0.(1-1/β).(1 -ρsup/ρinf).
Cas d'un remplissage par de l'eau et/ou des sédiments
Dans un cas plus réel, il faut prendre en compte le remplissage du bassin par l'eau et/ou les sédiments. Prenons le cas d'un remplissage total du bassin par l'eau.
ρsupgh0 = ρinfghinf + ρsupghsup + ρeaugheau, avec g l'accélération de pesanteur.
Or heau = h0 - hinf - hsup.
Soit (ρsup -ρeau)h0 = (ρinf-ρeau)hinf + (ρsup-ρeau)hsup
hinf = (ρsup - ρeau)(h0 - hsup) / (ρinf - ρeau)
Ou encore avec l'amincissement β = h0/hsup
hinf = (ρsup - ρeau)hsup(β-1) / (ρinf - ρeau)
Applications numériques
Cas 1 : amincissement de la croûte seule, calcul de la subsidence induite
Ce premier cas (figure 3) est très simplifié car on ne considère qu'un modèle à deux couches de densité différentes (croûte continentale ρ = 2,7 g/cm3 et manteau ρ = 3,3 g/cm3) en négligeant donc la différence entre lithosphère et asthénosphère. C'est le genre de calcul réalisé par Airy dès le milieu du 19ème siècle. C'est une bonne approximation de premier ordre puisque la différence de densité entre la croûte et le manteau (0,6) est en gros dix fois supérieure à la différence de densité entre le manteau asthénosphérique et le manteau lithosphérique (0,05). La couche inférieure est le manteau ρinf = 3,3 g/cm3, la couche supérieure est la croûte continentale ρsup = 2,7 g/cm3.
Dans le cas d'un amincissement de h0 - hsup = 1 km, on trouve une remontée du manteau hinf = 818 m et une subsidence ha = 181 m.
Dans le cas d'un amincissement de 50% d'une croûte de 30 km d'épaisseur (h0 = 30 km et hsup = 15 km, on trouve une remontée du manteau hinf = 12,27 km et une subsidence ha = 2727 m.
Cas 2 : amincissement de la lithosphère seule, cas des dorsales
Ce deuxième cas (figure 4) est aussi une approximation, puisqu'il ne fait varier que l'épaisseur du manteau lithosphérique ( ρ = 3,3 g/cm3) reposant sur un manteau asthénosphérique (ρ = 3,25 g/cm3) et néglige la présence de croûte ou suppose qu'elle ne varie pas d'épaisseur. Cela ne représente que le cas d'une dorsale, où il y a effectivement variation d'épaisseur de la lithosphère sans variation d'épaisseur de le croûte (épaisseur très faible, toujours de 6 à 8 km).
La couche inférieure est le manteau asthénosphérique ρinf = 3,25 g/cm3. La couche supérieure est le manteau lithosphérique ρsup = 3,3 g/cm3.
Dans le cas d'un amincissement de 1 km de ce manteau lithosphérique soit h0 - hsup = 1 km. On trouve une remontée du manteau hinf = 1,0154 km, on a donc un bombement d'environ 15,4 m par rapport à la situation avant amincissement.
Sous une dorsale, on a 0 km de manteau lithosphérique alors que sous une plaine abyssale, il est de 100 km. Une dorsale est donc 1.500 m plus haute qu'une plaine abyssale (sans compter l'effet de la dilatation due à la fusion partielle).
Cas 3 : amincissement simultané du manteau lithosphérique et de la croûte
Le troisième cas (figure 5) représente mieux la réalité continentale, avec une lithosphère composée de 30 km de croûte (ρ = 2,7 g/cm3) et de 70 km de manteau lithosphérique (ρ = 3,3 g/cm3), ce qui fait une lithosphère de densité moyenne de 3,12 g/cm3 ((30 x 2,7 + 70 x 3,3) / 100 = 3,12) surmontant une asthénosphère (ρ = 3,25 g/cm3).
La couche inférieure est le manteau asthénosphérique ρinf = 3,25 g/cm3. La couche supérieure est l'ensemble croûte + manteau lithosphérique ρinf = 3,12 g/cm3.
Prenons un amincissement de 50% de l'ensemble soit h0 = 100 km et h0 - hsup = 50 km. On trouve une remontée du manteau hinf = 48 km et une subsidence d'environ 2 km.
Cette subsidence de 2 km résulte en fait :
- d'un effet crustal : -2.538,5 m (voir le cas 1 en prenant ρ = 3,25 g/cm3 pour le manteau sous-jacent avec un amincissement de 15 km de la croûte (ρ = 2,7 g/cm3) provoquant une subsidence de 2.538,5 m) ;
- d'un effet manteau lithosphérique : +539 m (voir le cas 2 : un amincissement de 35 km de manteau lithosphérique (ρ = 3,3 g/cm3) sur un manteau (ρ = 3,25 g/cm3) provoquant une remontée de 539 m).
En laissant le temps s'écouler, la partie supérieure de l'asthénosphère refroidira et deviendra lithosphère. En quelques dizaines de millions d'années, la lithosphère retrouvera son épaisseur standard de 100 km avec 15 km de croûte et 100 - 1 = 85 km de manteau. En effet, l'épaisseur de la croûte restera de 15 km car le Moho, la limite entre croûte et manteau, est une limite pétrographique. Par contre, la limite asthénosphère/lithosphère n'est qu'une limite thermique dans les péridotites mantelliques et le refroidissement de l'asthénosphère implique la migration de cette limite en profondeur, jusqu'à retrouver la situation initiale. Donc 50 km (85 km - 35 km) d'asthénosphère seront donc redevenus manteau lithosphérique, ce qui entraînera une subsidence thermique (très lente) de 770 m.
Déformations associées et autres modèles
Le modèle de McKenzie insiste davantage sur l'évolution thermique d'une lithosphère soumise à une extension que sur les types de déformation engendrés. Faisons rapidement le point sur les conséquences d'un étirement sur l'évolution structurale de la lithosphère.
Au cours du rifting continental, la lithosphère est étirée et amincie. Cet étirement s'accompagne de déformations de la lithosphère. Le type de déformation dépend des propriétés rhéologiques de la roche. La roche peut se comporter de manière ductile (la déformation est continue) ou de manière cassante (la déformation est discontinue, par exemples des failles apparaissent). Pour une roche donnée, ses propriétés rhéologiques dépendent de la température et de la pression (donc de la profondeur). Si on considère une colonne de lithosphère, la profondeur limite entre le comportement ductile et le comportement cassant dépend du type de roche et du profil de température.
Ce graphique est tracé en choisissant plusieurs paramètres.
- La composition minéralogique des roches de la croûte et du manteau (on simplifie en général en choisissant le quartz ou le feldspath pour la croûte continentale et l'olivine pour le manteau).
Des lois (relations mathématiques) déduites d'expérimentations qui prédisent le comportement d'un matériau soumis à des contraintes (on reporte sur l'axe horizontal la différence de entre la contrainte maximale et minimale) :
on utilise la loi de Byerlee pour le comportement fragile.
Cette loi indique à partir de quelle contrainte appliquée il y a glissement sur un plan de rupture préexistant (le rejeu d'un plan de rupture préexistant nécessite une contrainte moins élevée que la création d'une nouvelle fracture, c'est pour cela qu'est utilisée la loi de Byerlee pour tracer le profil de résistance). Dans le cas le plus simple où la masse volumique est constante avec la profondeur, la loi de Byerlee indique l'augmentation de la résistance fragile avec la profondeur. Cela s'explique par le fait que le glissement le long d'une faille soit empêché par la pression qui appuie de part et d'autre de la faille. La résistance à la déformation est donc fortement dépendante de la pression, elle augmente donc avec la profondeur (effet pression) mais elle ne dépend que très peu de la température T.
on utilise des lois de fluage pour le comportement ductile.
Cette loi donne σ1-σ3 en fonction de la vitesse de déformation, de la température et de paramètres rhéologiques de la roche. Cette loi de comportement ductile ne dépend très peu de la pression. Connaissant le gradient géothermique (variation de T avec la profondeur), on obtient la courbe σ1-σ3 en fonction de la profondeur pour une roche donnée.
- Un profil de température (le géotherme). C'est important pour tracer les courbes correspondant au comportement ductile (pour traduire le paramètre température des lois de fluage en terme de pression).
- une fois tous ces paramètres choisis, on trace les différentes courbes correspondant aux lois de fluage et à la loi de Byerlee pour les différents matériaux constituant la lithosphère. On ne conserve que les portions de courbe qui correspondent à des contraintes déviatoriques les plus faibles en valeur absolue. La nature "choisit" toujours le comportement le plus facile, c'est-à-dire nécessitant le moins d'énergie. En surface, la pression étant faible, le comportement cassant est facile et la température étant faible, le comportement ductile est difficile ; la nature "choisit" donc le comportement cassant.
Pour en savoir plus, voir le dossier CNRS sur les principes de la modélisation.
Comme il l'a été signalé au début, le modèle de McKenzie est un modèle simple basé sur un étirement symétrique et homogène dans la lithosphère. Certains modèles proches de celui de McKenzie font intervenir des déformations cassantes dans la croûte supérieure (avec apparition de failles et blocs basculés), la croûte inférieure s'étirant, elle, de manière ductile, tout comme le manteau lithosphérique. D'autres modèles, dérivés de ce premier placent des fractures dans la partie supérieure du manteau lithosphèrique, ce qui est le plus fidèle au profil rhéologique de la figure 6.
Mais il faut savoir qu'il existe également d'autres séries de modèles comme ceux de Wernicke ou de Lister qui font intervenir des failles de détachement (faille à pendage faible) traversant soit la lithosphère dans sa totalité, soit uniquement la croûte continentale supérieure. Ces modèles peuvent expliquer une asymétrie du rift et un décalage des zones d'amincissement maximal de la croûte et du manteau.(voir la figure 8 où le manteau asthénosphérique ne remonte pas à l'aplomb de la zone d'amincissement maximal de la croûte).
Le modèle de Mc Kenzie, un modèle d'extension uniforme de la lithosphère
Le modèle de Mc Kenzie est un modèle vertical à deux dimensions. L'asthénosphère est supposée à une température constante Ta. La lithosphère est définie comme la couche située entre la surface de température T = 0°C et l'isotherme T = Ta. Le gradient thermique dans la lithosphère est supposé constant, c'est-à-dire : T(z) = zTa / L où z est la profondeur (figure 9).
Les densités de la croûte et du manteau sont données par : ρc(z) = ρc0[1 - αT(z)] et ρm(z) = ρm0[1 - αT(z)] où α est le coefficient d'expansion thermique ; ρc0 et ρm0 sont les masses volumiques de la croûte et du manteau à 0°C. La masse volumique de l'asthénosphère est donnée par : ρa = ρm0(1 - αTa).
La lithosphère s'amincit instantanément d'un facteur β. Chaque couche remonte vers la surface, sans changer de température (figure 10 et 11). Ceci implique que :
- la densité à n'importe quelle profondeur ne change pas ;
- la densité moyenne de la lithosphère ne change pas ;
- la conservation des masses implique la conservation des volumes ;
- la lithosphère s'amincit d'un facteur β et la nouvelle épaisseur de la lithosphère est donc L/β ;
- la croûte s'amincit d'un facteur β et la nouvelle épaisseur de la croûte est donc L/β ;
- le gradient géothermique (en °/km) est multiplié par β, il était Ta/L et il devient βTa/L.
Après étirement, la lithosphère est plus chaude qu'avant étirement. Elle va ensuite progressivement se refroidir jusqu'à ce que le gradient géothermique retrouve sa valeur initiale (figure 11).
Bibliographie et sites utiles
Boillot et C. Coulomb, La déchirure continentale et l'ouverture océanique, géologie des marges passives, Gordon and Breach Science Publishers
Dossier site CNRS sur l'extension (exemple d'expériences, observations de terrain, travail du géologue expérimentateur...).