Article | 04/03/2004
Des sulfates sur Mars : analyses et indications de présence passée d'eau liquide
04/03/2004
Résumé
De probables évaporites sur Mars indiquant que de l'eau liquide a existé pendant une longue période dans le passé à la surface de Mars. La question des sphérules reste ouverte.
Table des matières
Le 4 janvier, Spirit se pose au milieu d'un cratère de 100 km de diamètre, le cratère Gusev. Le 25 janvier, Opportunity se pose dans un tout petit cratère de Meridiani Planum. Les régions de Gusef et de Méridiani planum ont été choisies car leur observation depuis les sondes en orbite suggérait très fortement que de l'eau liquide y avait séjourné pendant une longue période.
Les instruments équipant les deux robots, dits "robots géologues"
Les "robots géologues" disposent de 5 caméras et de aussi de spectrographes-spectromètres. Ces spectromètres donnent et vont donner des résultats géologiques.
Le "alpha particle X-ray spectrometer". Une source radioactive (Curium 244) émet des rayons alpha. Ceux-ci interagissent avec les atomes d'une cible (un sol ou une roche en l'occurrence), atomes qui re-émettent alors des rayons X. La longueur d'onde des rayons X émis dépend des éléments présents dans la cible ; l'intensité des rayons X dépend de l'abondance des éléments. (Figure 1)
Source - © 2004 NASA/JPL/Max-Planck-Institute for Chemistry
Le spectromètre Moessbauer a une toute autre fonction . Une source radioactive excite les atomes de Fer de la cible, ce qui fait "vibrer" le cortège électronique de ces atomes. L'analyse de ces vibrations permet de distinguer Fe2+ de Fe3+ et de déterminer la nature des liaison Fe-X. Par comparaison avec des étalons, on peut identifier de nombreux minéraux contenant du fer (Olivine,…). (Figure 2)
Source - © 2004 NASA/JPL/University of Mainz
Un spectromètre Infra-Rouge ou mini TES ("miniature thermal émission spectrometer" ) qui analyse les rayons Infra-rouges réfléchis et/ou re-émis par la surface. Dans le spectre IR réflechi-re-émis par la surface (réflexion des IR solaires et émission thermique), le spectromètre peut à la fois mesurer la température et identifier des raies d'absorptions, caractéristique de telle ou telle molécule. (Figure 3).
Source - © 2004 NASA/JPL/Arizona State University
En réglant le spectromètre sur une longueur d'onde précise correspondant à tel ou tel minéral, en analysant les IR venus de nombreux points d'un paysage et en superposant ces données à une image photographique classique, on peut obtenir l'image de l'abondance de ce minéral sur un paysage (ceci ne peut, hélas, être fait que sur quelques minéraux bien particuliers comme l'hématite) (Figure 4).
La caméra panoramique des robots peut également obtenir des spectre IR dans le proche infrarouge (réflexion du spectre solaire par le sol et les roches). Là encore, des minéraux possèdent des raies d'absorption caractéristiques que les scientifiques et les robots vont essayer d'identifier.(Figure 5)
Source - © 2004 NASA/JPL/Arizona State University/Cornell | Source - © 2004 NASA/JPL/USGS |
Pour les images, toutes sont mises en lignes chaque jour sur :
et sont donc consultables en direct. Pour les données d'analyse, remarquons qu'il est extraordinaire qu'autant de données soient disponibles en si peu de temps. Cependant la NASA ne livre que ce qu'elle veut bien diffuser (http://www.jpl.nasa.gov/index.html) et il faut attendre les premières publications scientifiques.
Principaux résultats (hors images) fournis par la NASA à ce jour (4 mars)
Pour le robot Spirit, peu de "nouvelles sensationnelles et imprévues" ont été annoncées. Les roches (blocs isolés, et non affleurement) semblent être des basaltes à olivine (Figure 6) avec beaucoup d'hématite (altération de l'olivine par l'eau ?). Le sol semble contenir des carbonates (Figure 7).
Source - © 2004 NASA/JPL/University of Mainz | Source - © 2004 NASA/JPL/Arizona State University |
Pour le robot Opportunity, les nouvelles sont beaucoup plus excitantes. Dès le lendemain de l'atterrissage, on s'est aperçu que le site est bien différent des quatre sites d'atterrissage précédents, puisqu'enfin on était proche de véritables affleurements. Le 9 février, le robot atteint les premières roches, les trouve stratifiées, avec parfois des stratifications obliques. Le 9 février, Opportunity a trouvé ces "croûtes mamelonnées" et ces fameuses "berries" (sphérules). La Nasa n'en a encore donné aucune explication "claire" ; elle les a attribuées soit à des phénomènes volcaniques, soit à des impacts, soit à des concrétions (sous entendues faites en présence d'eau). Aucune analyse de ces structures n'a encore été publiée.
Le 2 mars, nous avons publié un article pour discuter des origines possibles de ces structures en les comparant avec des structures terrestres semblables.
Le 22 février, le robot à trouvé d'autres structures "étranges", La NASA a mis ces images sur le net, mais n'en a fait aucun commentaire immédiat, et ne les a même pas nommées. Le 2 mars, nous avons discuté de ces structures dans un article sur les berries et autres sphérules martiennes et nous avons proposé qu'elles soient dues à des cristallisations de gypse.
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/US Geological Survey |
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/USGS |
Dans la nuit du 2 au 3 mars, la NASA a publié des analyses de ces étranges roches, et a communiqué urbi et orbi qu'elle détenait la preuve que de l'eau liquide avait existé durant une longue période dans Meridaini planum : « Opportunity Rover Finds Strong Evidence Meridiani Planum Was Wet ». Les médias français du 3 mars ont immédiatement et largement repris cette information, souvent dans des termes très approximatifs et peu compréhensibles, en affirmant par exemple qu'on avait la preuve de la présence d'H2O sur Mars, preuve que l'on détient depuis… 1964.
Qu'a réellement découvert et communiqué la NASA ? Elle a fait bien sûr l'analogie entre ces structures (qu'elle a appelées vug = cavités) et les empreintes de cristaux d'évaporite, mais surtout elle confirme que ces roches sont très riches en sulfates. Les analyses publiées ci-dessous concerne des surfaces assez grandes, une vingtaine de cm2 (cercle de 4,5 cm de diamètre). il s'agit donc d'une analyse moyenne incluant matrice, cristaux, berries...
Les spectres X indiquent la présence "abondante" de 6 éléments : silicium, soufre, fer, aluminium, magnésium et calcium, plus beaucoup d'autres largement moins abondants. Le spectre Moessbauer indique la présence d'un sulfate ferrique (Fe3+) hydraté (la jarosite), d'autres sels ferriques, et aussi la présence de Fe2+ inclus dans une maille silicatée, ainsi que d'une phase " magnétique " (vraisemblablement un oxyde ferrique). Les spectres IR confirment la présence de sulfates et d'oxyde ferrique.
Source - © 2004 NASA/JPL | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/ASU |
Source - © 2004 NASA/JPL/University of Mainz |
Si on synthétise tous ces résultats, il semble bien que le site d'atterrissage d'Opportunity, riche en silicium, aluminium, soufre, fer, calcium … soit constitué (en partie au moins) d'argiles et d'évaporites. Rappelons que les les évaporites se déposent par évaporation de l'eau et que les argiles sont des silicates d'alumine hydratés pouvant contenir du fer ou du magnésium comme la céladonite, nontronite; elles résultent de l'altération par l'eau de silicates (elles peuvent aussi dans certains cas se former directement à partir des ions d'une solution).
Comme l'altération, l'évaporation, la sédimentation ...sont des phénomènes durant un certain temps, on a bien là la preuve que de l'eau liquide a existé durant une longue période dans Meridiani planum. Il s'agit là d'une découverte-confirmation extrêmement importante. On sait depuis des dizaines d'années que H2O a existé (et existe encore sous forme de glace et de vapeur) sur Mars, et qu'elle avait coulé dans un passé lointain. Mais s'agissait -il d'écoulements temporaires, ou cette eau a- t-elle perduré à l'état liquide durant une longue période? On n'avait pas de certitude (voir l'article sur l'eau sur Mars). Il semble bien là que l'on tienne la preuve d'une permanence de l'eau liquide durant une longue période, avec toutes les implications que cela a sur la possibilité de l'existence ancienne d'une vie sur Mars.
Les sphérules, suite (et non fin)
Si la NASA n'a pour l'instant donné aucune analyse ou conclusion certaine sur les sphérules et autres surfaces mamelonnées prises isolément, elle a communiqué ce 2 mars au soir deux observations intéressantes, que tout un chacun aurait pu faire dès le 22 février, s'il avait étudié avec attention les images publiées sur le web.
Sur l'image figure 11, on voit dans le coin supérieur droit que l'environnement immédiat de la sphérule est différent du reste de la matrice. La NASA en a conclu : « This change in grain size might represent a "reaction rim," a feature produced by fluid interaction with the matrix material adjacent to the spherule during the growth of the spherule ».
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/USGS
Sur l'image ci-dessous (Figure 12), la NASA fait remarquer que la sphérule du coin supérieur gauche semble recouper le vug ( la cavité) et conclut que « the spherule appears to "invade" the vug, and therefore likely post-dates the vug ».
Source - © 2004 NASA/JPL/US Geological Survey
Ces deux observations, couplées avec les analyses chimiques, la nature stratifiée de l'affleurement …, semblent donc permettre une chronologie relative : dans un sédiment de nature vraisemblablement argileuse, encore mou, se sont développés des cristaux de sulfates. Puis, dans ce sédiment contenant ces cristaux, se sont développées ces sphérules et ces croûtes mamelonnées ; la nature chimique et le processus géologique à l'origine de ces sphérules et croûtes demeurent inconnus. Les écart de temps entre (1) le dépôt du sédiment, (2) la cristallisation (par évaporation) des sulfates, et (3) le développement des sphérules et croûtes mamelonnées sont inconnus.
Attendons la suite !