Article | 05/09/2005
Mars Express voit de la glace d'eau, Spirit trouve des brèches à éléments anguleux et arrondis, Opportunity parcourt dunes et etched terrains à fentes de dessiccation
05/09/2005
Résumé
Mars Express a photographié un lac gelé. Spirit a récolté de nombreuses images d'affleurements stratifiés sur lesquels des brèches ont pu être identifiées. Il continue l'ascension de Husband Hill et a obtenu des vues panoramiques des régions environnantes. Opportunity a surmonté son problème d'enlisement et s'est rendu sur les etched terrains qu'il étudie de plus près. C'est l'occasion d'analyser plus précisément les fentes de dessiccation.
Table des matières
Mars Express
Notre dernier article traitant des résultats de Mars Express date de fin mars 2005. Qu'a publié l'ESA depuis cette date ?
Elle a publié des images (verticales et 3D) d'une dizaine de régions, images très esthétiques, mais n'apportant pas de données franchement nouvelles sur la géologie martienne. Une seule région apporte une belle nouveauté : un "lac" gelé, avec encore de la glace visible à l'affleurement.
La figure ci-dessous est une carte de la localisation de ce cratère sans nom, de 35 km de diamètre et de 2 km de profondeur, cratère dont le fond est occupé par une couche de glace. Les figures suivantes montrent une vue verticale et une vue oblique de ce cratère, avec des couleurs quasi naturelles (un peu renforcées) et un relief exagéré 3 fois dans la vue 3D.
Source - © 2005 FU Berlin/MOLA | |
Source - © 2005 ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum) | Source - © 2005 ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum) |
Il y a a priori 200 m d'écart entre la surface de la glace et le fond du cratère si celui-ci a une forme standard. Mais la glace ne fait sans doute pas 200 m d'épaisseur, car une partie du cratère est vraisemblablement remplie de dunes, que l'on voit "sortir" de la glace en haut à gauche.
Cette glace qui occupe le fond du cratère est de la glace d'eau, car la température en cette fin d'été martien, par 70° lat. Nord, est trop forte pour qu'il s'agisse de glace carbonique. Et bien que l'on soit en fin d'été et que la température recommence à peine baisser, il reste de la glace "éternelle" piégée au fond du cratère. On voit également du givre (d'H2O) recouvrir les faces Nord du cratère et de ses lèvres. Ces faces sont très souvent à l'ombre même en plein jour à ces hautes latitudes.
L'ESA a publié une autre bonne nouvelle : les antennes (deux de 20 mètres et une de 7 mètres) du radar MARSIS ont été enfin déployées avec succès.
Source - © 2005 ESA
Le but de ce radar est d'étudier l'ionosphère, et surtout, pour nous géologues, de sonder le sous-sol martien jusqu'à une profondeur de quelques kilomètres. On devrait pouvoir déterminer la profondeur du toit (le haut) de la couche glacée en fonction des régions, peut-être la proportion de glace dans ce sous-sol gelé, voire la profondeur de la transition sous-sol gelé/sous-sol imbibé d'eau liquide, si cette limite glace/eau liquide n'est pas trop profonde. Attendons les résultats !
Spirit
Nous avions laissé Spirit près d'affleurements bien stratifiés en avril 2005.
La figure suivante montre une vue de ces affleurements stratifiés.
Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell, modifié
Qu'a fait Spirit pendant ces 5 derniers mois ? Il est resté 3 mois à parcourir et ausculter ces affleurements stratifiés et leurs environs immédiats, dont la figure ci-dessous montre une vue générale et les noms donnés par les chercheurs de la NASA aux principaux affleurements.
Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell - NASA/JPL/Cornell
La figure suivante montre la carte du trajet effectué pendant ces 80 jours où Spirit a photographié, analysé… Le fait que Spirit soit resté 3 mois sur seulement 50m x 50m montre qu'il y avait du travail intéressant à faire. La NASA a, selon sa politique, publié toutes les photos prises, mais n'a publié jusqu'à présent (30 août 2005) aucun résultat d'analyse, ce qui est très frustrant.
Source - © 2005 NASA/JPL/MSSS/NMMNH - NASA/JPL/MSSS/NMMNH
Voici pour information quelques images des affleurements de ce site. Fautes d'analyses chimiques et minéralogiques publiées, nous ne commenterons que peu ces images, qui montrent l'extraordinaire variété des roches de ce site. Il semblerait malgré tout qu'il s'agisse surtout de strates pyroclastiques variées. La grande question reste de savoir si ces strates de cendres et dépôts volcaniques sont des retombées aériennes, ou s'il s'agit d'éléments volcaniques remaniés par l'eau, voire déposés sous l'eau. L'extraordinaire variété d'aspect est sans doute due pour partie à la variété des roches, et pour partie à leur réponse différentielle à l'érosion éolienne.
Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell
Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell | Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell/USGS |
Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell | Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell/USGS |
Source - © 2005 NASA/JPL | Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell - NASA/JPL/Cornell |
Source - © 2005 NASA/JPL | Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell | Source - © 2005 NASA/JPL//Cornell/USGS |
Pendant ces mois de travail intense, Spirit a assisté à de très nombreuses tornades. En avril, nous avions déjà entrevu des tornades pas très spectaculaires (fig. 9 et 10). Cette fois, les tornades sont particulièrement impressionnantes.
Source - © 2005 NASA/JPL
La NASA a publié de nombreux films de ces tornades, en fait des images prises toutes les 20 secondes et passées en accéléré. Voir par exemple les pages de la NASA, tornades 1, tornades 2, tornades 3, tornades 4.
Puis Spirit reprend sa montée et on découvre de plus en plus l'horizon lointain.
Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell - NASA/JPL/Cornell
Et Spirit grimpe, grimpe… en direction du sommet de Husband Hill. Ci-dessous deux mosaïques "artisanales" d'images qui illustrent cette montée vers le sommet.
Fin juillet, alors qu'il arrive à moins de 200 m du sommet, on devine des strates sur le sol. Les figures suivantes montrent ces strates de plus en plus près, strates qui se révèlent être des strates de brèches. Sur les premières images, les éléments sont anguleux, et ne semblent pas avoir été roulés ou avoir subi un transport ou une érosion notable avant leur dépôt. Par contre, quelques jours plus tard, Spirit a trouvé des brèches aux éléments nettement plus arrondis, ce qui suggère un transport ou une érosion non négligeable (par de l'eau, en roulant sur une pente, inclus dans des coulée de boues type lahar...) avant leur dépôts.
Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell - NASA/JPL/Cornell | |
Source - © 2005 NASA/JPL//Cornell, modifié | Source - © 2005 NASA/JPL//Cornell/USGS |
Source - © 2005 NASA/JPL//Cornell, modifié | Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell |
Si on voulait chercher des analogie terrestres, et vu le contexte volcanique de la région des Columbia Hills, on irait chercher des analogies dans les brèches volcaniques, comme celle de la figure ci-dessous, brèches issues du Tungurahua (volcan équatorien). Il n'est pas exclu cependant que ces brèches puissent être des brèches purement gravitaires (éboulis de pieds de pentes, maintenant disparues), des brèches torrentielles (au moins pour les brèches à éléments arrondis), voire des brèches d'impact, encore que la juxtaposition des strates à éléments anguleux et d'autres strates à éléments arrondis rende bien peu probable cette dernière hypothèse.
Source - © 2005 Pierre Thomas - NASA/JPL/Cornell
Et Spirit monte encore. Le panorama devient somptueux. Le sommet semble atteint ce 30 août 2005, car les images "brutes" de la NASA montrent des paysages inconnus jusqu'à présent, ce qui suggère que Spirit découvre d'autres versants que celui emprunté pendant la montée. Dans les jours qui viennent la NASA publiera certainement de superbes mosaïques montrant le paysage sur 360°. En attendant, voici quelques mosaïques "artisanales", comme chacun d'entre vous peut le faire en allant chercher les images brutes de Spirit sur le site de la NASA (sol 581 et 583). Comme ce sont des images brutes (raw images), que la NASA les met sur son site sans aucun commentaire, il n'est pas possible de donner l'orientation de la prise de vue, ni la position du rover pendant qu'il faisait les photographies.
Voici, pour nous faire rêver, 4 de ces mosaïques artisanales, faites avec des images d'août 2005.
Source - © 2005 NASA/JPL, sol 581
Source - © 2005 NASA/JPL, sol 581
Source - © 2005 NASA/JPL, sol 583
Source - © 2005 NASA/JPL, sol 583
C'est avec toutes ces images que la NASA va devoir choisir les prochaines destinations du rover. Attendons la suite !
Dernière nouvelle : cet article a été rédigé le 30 août 2005. Le 2 septembre au matin (heure française), la NASA publiait les mosaïques annoncées, les commentait, notait l'étrange figure circulaire du dernier panorama qu'elle a nommée Home Plate. Elle montrait et commentait aussi des photos de détails des affleurements de brèches, affleurement qu'elle a nommés par le nom du rues parisiennes, comme par exemple Haussmann, Voltaire, Rue Legendre ; sans doute un scientifique de la NASA revenait-il de vacances à Paris. Elle indiquait avoir fait des analyses, mais ne communiquait, hélas, aucun résultat (voir le communiqué du 01/09/2005 et les photos commentées du 01/09/2005 ). Pour publier cet article au plus vite, nous avons choisi de laisser nos mosaïques artisanales et nos commentaires antérieurs (et non contradictoires) à ceux de la NASA.
Opportunity
Nous avions laissé Opportunity mi-avril, fonçant vers le Sud en direction des etched terrains. Le trajet effectué de janvier 2004 au début avril 2005 est montré ci-dessous.
Source - © 2005 NASA/JPL/OSU/MSSS
Depuis qu'il a quitté le cratère Endurance, Opportunity traverse un champ de mini-dunes dont la figure ci-dessous montre un aspect "classique".
Source - © 2005 NASA/JPL
Sur son trajet vers le Sud, le seul point géologique digne d'être noté fut la rencontre avec deux micro-cratères de météorites (de quelques centimètres de diamètre), et qui sont très récents car postérieurs aux dunes, qui doivent se déplacer d'une année sur l'autre.
Mais à force de foncer (100 à 200 m/jour) dans ce champ de mini-dunes, ce qui devait arriver arriva : il s'enlisa dans une dune le 26 avril 2005 (sol 446).
Une fois que les rainures des roues se sont remplies d'un sable bien cohérent, les roues sont lisses, et le rover patine, ne pouvant ni avancer ni reculer. Est-ce la fin de la mission d'Opportunity ? Pour le sortir de là, la NASA utilise dans ses locaux une réplique exacte, grandeur nature, mais allégée pour tenir compte de la faible gravité martienne, qu'elle enlise dans une dune reconstituée. La NASA essaye de faire tourner et braquer, ensemble ou séparément, chacune des 6 roues motrices pour essayer de sortir le rover de sa dune.
Source - © 2005 NASA/JPL
Et cela fonctionne. Lentement, mais sûrement, le rover recule et quitte sa dune. Les figures suivantes montrent cinq étapes de cette sortie du 13 mai au 3 juin 2005 ; puis deux images prises vers l'arrière les 10 et 11 juin 2005. La mission est sauvée !
Puis pendant un mois, la NASA effectue de nombreux essais de roulement pour que cet enlisement ne se reproduise plus. Au bout de ce mois d'essais, le rover reprend lentement et prudemment sa progression vers le Sud et les etched terrains. Cette formation est quasiment atteinte le 5 août 2005 (sol 542). Elle correspond en fait à l'amincissement de la couche de sable dunaire, qui laisse affleurer son substratum sédimentaire, substratum que l'on ne connaissait auparavant qu'au niveau des cratères (Eagle, Endurance…).
Ces terrains vont pouvoir maintenant être étudiés sur une grande surface, et aussi sur une grande épaisseur si le cratère Victoria situé 2 km au Sud devient un objectif de la NaASA et s'il peut être atteint.
Source - © 2005 NASA/JPL/OSU/MSSS, modifié
Trois résultats/interprétations peuvent être dégagées de ces premières semaines dans les etched terrains.
- Ces etched terrains semblent être composés des mêmes roches sédimentaires qu'"habituellement", à savoir, très vraisemblablement des argiles riches en sulfates et en myrtilles (composées d'oxydes de fer). On retrouve les vugs" (vraisemblables pseudomorphoses de sulfates) et les myrtilles ont une plus grandes gammes de forme et de taille qu'auparavant.
- Ces etched terrains semblent parfois recouverts d'une espèce de "croûte" résistant à l'érosion (flèche sur la figure ci-dessous).
- Ces etched terrains semblent partout affectés d'un réseau polygonal de fentes et fractures.
Source - © 2005 NASA/JPL/Cornell, modifié
Parcourir cesetched terrains sera l'occasion d'étudier ce réseau polygonal de fentes, et peut-être d'en comprendre l'origine. Ce réseau correspond, morphologiquement parlant, à un réseau de fentes de rétraction. Sur Terre, l'immense majorité des fentes de rétraction en pays sédimentaire sont des fentes de dessiccation. Cela pourrait aussi être le cas sur Mars, mais cela pourrait aussi être des fentes dues à une sublimation (argiles imbibées de glace se sublimant) ou à d'autres phénomènes.
Et quelle que soit l'origine de ces fentes, il faudra étudier leur chronologie : ces fentes se sont elles faites au moment du dépôt sédimentaire (ou juste après), ou au contraire ces fentes se sont-elles faites bien après, quand les strates ont été amenées à l'affleurement par l'érosion des couches sus-jacentes ? Nous avions déjà discuté de ce problème en octobre 2004 (fig. 20 à 23 des rochers Wopmay et Escher de l'article d'octobre 2004).
La figure suivante montre un exemple terrestre de chacune de ces deux possibilités : à gauche, des fentes de dessiccation contemporaines du dépôt, en l'occurrence des fentes faites au Permien juste après le dépôt d'argiles permiennes ; à droite, des fentes de dessiccation actuelles (postérieures au dernier orage) affectant des badlands constitués d'argiles oligocènes.
La figure ci-dessous suggère que ces fentes (ou du moins certaines d'entre elles) ne soient pas contemporaines du dépôt des couches, mais qu'elles se forment à partir de la surface actuelle en fracturant les couches sous-jacentes. On voit nettement qu'une surface d'érosion, qui recoupe plusieurs strates sédimentaire est fracturée ; ce n'est pas telle ou telle couche qui est fracturée, mais la topographie actuelle. Les fentes de rétraction (de dessiccation ou d'autre origine) seraient donc géologiquement très récentes.
Source - © 2005 NASA/JPL, modifié
Tout cela nous promet des mois à venir riches d'enseignements.