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Article | 13/04/2005

Sur Mars, Spirit voit des tornades, Opportunity fonce vers le Sud et de nouveaux cratères

13/04/2005

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire des Sciences de la Terre

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Les robots martiens continuent. Spirit s'achemine vers le sommet de l'une des collines des Columbia Hills et photographie des mini-tornades. Opportunity continue sa progression vers le Sud vers de nouveaux cratères. Les missions des robots martiens sont prolongées de 18 mois.


Qu'ont fait nos deux robots depuis mi février, date de notre dernier dossier les concernant ?

Spirit

Spirit continue de monter lentement vers le sommet de sa colline, Husband Hill, l'une des collines des Columbia Hills. Pour cela, il suit plus ou moins la Cummberland Ridge. La NASA n'a publié la carte de son trajet que jusqu'au 20 février 2005, et on ne connaît pas son trajet exact depuis. Il monte doucement, car la pente est raide et monter consomme beaucoup d'énergie, il doit passer la majorité de son temps à recharger ses batteries grâce à ces panneaux solaires. De plus, la progression n'est pas facile, à cause des nombreux cailloux qui parsèment le trajet.


Carte du trajet de Sprit le sol 404 (20 février 2005)

Carte publiée le 25 février 2005.


Le 1er mars, la NASA a publié un panorama complet sur 360°, qui montre le paysage martien le plus étendu jamais obtenu à ce jour. Voici ce panorama, coupé en trois images pour faciliter sa visibilité.

Panorama martien circulaire sur 360° (partie gauche)

Spirit, 20 février 2005.


Panorama martien circulaire sur 360° (partie centrale)

Spirit, 20 février 2005.


Panorama martien circulaire sur 360° (partie droite)

Spirit, 20 février 2005.


Le 7 mars 2005, la NASA indique qu'elle a analysé la roche la plus riche en soufre jamais trouvée par Spirit, le rcoher Peace.


On peut noter que la structure de cette roche n'est pas sans rappeler les roches "inhabituelles" déjà rencontrées par Spirit (fig. 8 à 10 de l'artcile de février 2005).

Début avril, Spirit est passé à côté de deux affleurements montrant des strates inclinées, faisant "saillie" car dégagées par l'érosion. Le pendage de ces strates semble constant sur des distances d'au moins une dizaine de mètres. Comme depuis les quelques mois que Spirit grimpe sur les Columbia Hills, la nature de ces strates est énigmatique : dépots pyroclastiques comme le suggèrent les cristaux automorphes du rocher Wishstone (fig. 31 et suivantes de l'article de janvier 2005), sédiments volcanogènes déposés en states inclinées (paléo-delta) comme le suggèrent les éléments arrondis du rocher Lutefisk (fig. 26 de l'article de janvier 2005, voire strates initialement horizontales basculées...

Strates inclinées mises en relief par l'érosion

À gauche, vue générale sur les deux affleurements ; à droite, détail de l'affleurement de droite.


Le 10 mars 2005, Spirit a capté un phénomène météorologique intéressant : deux mini-tornades (appelées dust devil en anglais), photographiées par hasard pendant que la navigation camera de Spirit faisait un panorama global (figure 9). Les mini tornades sont fréquentes sur Terre, comme celle de la figure suivante photographiée dans l'Arizona par une équipe de la NASA qui étudiait ce phénomène.

Une mini-tornade (dust devil) en Arizona

Source : LIDAR/JPL


Mosaique de trois photos montrant deux mini-tornades (flèches rouges) sur Mars

Les flèches rouges localisent les mini-tornades martiennes.


La figure ci-dessous montre deux images de la tornade de gauche de la figure précédente, prises à 155 secondes d'intervalle par deux caméras différentes. L'image de gauche a été prise par la navigation camera, et celle de droite par la rear hazcam camera. Ces deux vues prises par deux caméras séparées de plusieurs décimètres ont permis de faire de la stéréoscopie, et d'évaluer la distance et la vitesse de cette tornade : cette tornade était située à 1.110 m de Spirit, et se déplaçait à 11 km/h.

Déplacement de la mini-tornade martienne

Ces images prises par la navigation camera (à gauche) et par la rear hazcam camera (à droite) à 155 secondes d'intervalle, permettent de noter un déplacement de la mini-tornade.


Pendant cette période, il ne semble pas que le robot ait été pris dans une de ces mini-tornades. Mais le temps était "venteux", ce qui est une bonne chose puisque ce vent a dépoussiéré le robot, en particulier ses panneaux solaires qui avaient bien besoin d'être nettoyés pour fournir de la puissance électrique. La figure 11 montre deux vues de la mire colorée (8 cm de diamètre) qui sert au calibrage des caméras, avant et après cet épisode venteux.

La mire colorée de Spirit (diamètre de 8 cm), le 5 mars 2005 (à gauche) et le 15 mars (à droite)

Le 5 mars, le robot Spirit (et donc la mire) était complètement recouvert de poussière ocre. Le soir de ce 15 mars, il était bien dépoussiéré.


On savait qu'il y avait des tornades sur Mars, car leur effets sont visibles depuis les sondes en orbites pour les plus grandes d'entre elles ; mais c'est la première fois qu'on en voit depuis le sol.

En effet, des "traces étranges", ressemblant à des rubans flexueux sombres, ont été repérées depuis des années par la sonde Mars Global Surveyor. De telles traces se retrouvent au niveau du site d'atterrissage et d'exploration de Spirit.


Trace sombres (trace de tornades) au niveau du site d'atterrissage de Spirit

La croix (X) représente le site d'atterrissage, E.C. le cratère Endurance et l'indication Columbia Hills situe les collines sur lesquelles monte Spirit.


Une image prise par Mars Global Surveyor le 11 décembre 1999 dans Promethei Terra (ci-dessous) a permis de comprendre l'origine de ces traces sombres : des couloirs de passage de tornades. Le vent a enlevé une fine couche de poussières claires, ce qui laisse apparaître un substratum plus sombre. Ces traces peuvent mesurer jusqu'à 150 m de large, ce qui montre qu'il existe des tornades beaucoup plus importantes que celles vues du sol par Spirit ce 10 mars 2005. Espérons qu'aucun de nos deux robots ne sera pris un jour dans une telle tornade !

Une tornade "active" photographiée en orbite par MGS le 11 décembre 1999

Sur cette image, le soleil est situé "en haut à gauche". On voit très bien ces étroites traces sombres , parfois flexueuses (en haut à gauche). L'une de ces traces (fléchée dark streak) est nettement plus large que les autres, mais montre cette géométrie sinueuse. À l'extrémité gauche de cette dark streak, on voit une tache plus claire. Partant de cette tache claire, et dans la direction exactement opposée à la direction du soleil, on voit une bande plus sombre, indiquée shadow. La tache claire représente le nuage de poussière d'une tornade vue de dessus. La bande sombre fléchée shadow représente l'ombre portée de cette tornade sur le sol. La trace sinueuse fléchée dark streak représente la marque (d'environ 70 m de large) laissée au sol par le passage de la tornade, qui a balayé la fine pellicule de poussières claires recouvrant le sol, en laissant apparaître ce dernier, plus sombre.


Opportunity

Si Spirit progresse très lentement à cause de la pente et de la difficulté du terrain, Opportunity, lui, fonce vers le Sud. Nous l'avons laissé mi-février un peu au Sud du bouclier thermique (Heat Shield). La figure suivante montre son trajet effectué le sol 413 (23 mars 2005).


Il "fonce" vers le Sud à grande vitesse : le 20 mars 2005, il a parcouru 220 m d'une seule traite, ce qui est un nouveau record. Pourquoi se dirige-t-il vers le Sud ?

Opportunity se trouve depuis 15 mois dans une plaine sombre, qui couvre toute la partie supérieure droite de la figure ci-dessus. Cette plaine est constituée de sable et de myrtilles remaniés par le vent. En général, le substratum de ce sable myrtilleux ne se voit pas, sauf dans et au voisinage des cratères, comme Eagle où Opportunity s'est posé, ou Endurance dans lequel Opportunity a passé 6 mois, ou en quelques endroits particuliers où le vent a bien soufflé et enlevé le sable. Les figures suivantes montrent cette plaine "sans affleurement", un gros plan sur l'accumulation de myrtilles, et une zone où le substratum rocheux affleure au creux des mini-dunes.



A priori, ce substratum affleure largement au Sud de la région, dans des terrains appelés etched terrains (littéralement, to etch signifie graver à l'eau forte). Opportunity pourra étudier ces terrains sur une vaste surface, et même sur une grande épaisseur s'il atteint le cratère Victoria, 4 fois plus grand qu'Endurance (voir le trajet ci-avant), qui donc devrait livrer des "coupes" sur 4 fois plus d'épaisseur.

Cette formation des etched terrains, dont on ne connaît que le haut grâce aux cratères Eagle et Endurance, couvre des milliers de kilomètres carrés. On sait qu'elle est principalement constituée d'argiles riches en sulfates là où elle a été analysée, et Mars Express a montré que la présence des sulfates était générale dans toute la plaine. Les photographies des sondes en orbite montrent que cette formation est stratifiée sur au moins 100 m d'épaisseur (cf figures 18 et 19). Et il en a fallu de l'eau pour déposer plus de 100 m d'épaisseur d'argiles évaporitiques sur plusieurs milliers de kilomètres carrés !

Vue orbitale détaillée d'une zone de Meridiani Planum, 150 km à l'Ouest du site d'atterrissage d'Opportunity

L'image couvre 3x2,5 km. On y voit un relief en "mesa" (ou encore butte témoin), collines à sommet plat formé d'une couche horizontale ayant résisté de façon différentielle à l'érosion. Les mesa mesurent plusieurs dizaines de mètres de haut.


Vue orbitale détaillée de Meridiani Planum, 150 km à l'Ouest du site d'atterrissage d'Opportunity

Vue 10 km au Nord de la figure précédente (même échelle).

En plus des mesa de plusieurs dizaines de mètres de hauteur (moins belles que sur la figure précédente), un cratère d'1,5 km de diamètre et 150 m de profondeur (si on enlevait les dunes) montre que les terrains stratifiés se poursuivent sous la surface actuelle de la plaine. En ajoutant la hauteur des mesa et l'épaisseur des strates visible dans les flancs de ce cratère, on trouve une épaisseur d'au moins une centaine de mètres pour la etched terrain formation".


Image d'une mesa (butte témoin) terrestre

Aller étudier ces terrains sur de vastes surfaces (et non ponctuellement à l'occasion de cratères) et sur une grande épaisseur est donc capital dans la problématique de nos robots, dont le but principal est, ne l'oublions pas, d'étudier et de reconstituer les milieux et les périodes où l'eau liquide existait sur Mars.

Qu'a vu Opportunity dans sa course vers ces etched terrains" ? À part des dunes, et encore des dunes, il a vu des cratères qui permettent au substratum d'affleurer, cratère d'origine météoritique, ou effondrement d'origine énigmatique  ?

Le cratère Naturaliste, atteint le 24 février 2005 par Opportunity

On voit une belle dépression au premier plan, avec affleurement des roches "habituelles". Ce cratère est accompagné de 2 autres petites dépressions alignées en haut à gauche. Au fond, une 2ème dépression (voir figure suivante). Cette juxtaposition de dépressions fait penser à une origine autre que météoritique.


Gros plan sur une dépression proche du cratère martien Naturaliste

Détail de la figure précédente.


Le 8 mars 2005, Opportunity atteint Vostok, vieux cratère (météoritique ?) complètement rempli de dépôts éoliens, et dont seule dépasse la crête périphérique surélevée.

Le cratère Vostok, Mars

Le substratum rocheux bien visible sur ce bord de cratère remblayé montre comme dans Eagle et Endurance des fentes (de dessiccation ?) et des myrtilles.


Le 31 mars 2005, Opportunity atteint le cratère Viking qui, lui, ressemble beaucoup à un cratère d'impact.

Le cratère Viking, Mars

À ce jour (12 avril 2005), Opportunity n'a pas encore atteint ces etched terrains, comme en témoignent les images de la caméra de navigation d'Opportunity prises la veille, sol 431 (11 avril 2005).

Prolongation de la mission des robots

La durée de vie et de fonctionnement nominale des deux robots était de 100 jours et/ou 600 m. Ils devaient donc fonctionner jusqu'en avril 2004, puis devaient "logiquement" tomber en panne. Comme en avril 2004 ils fonctionnaient encore, la NASA a prolongé de 6 mois le travail (et le financement) des équipes de scientifiques, ingénieurs et techniciens chargées de piloter les robots, d'en choisir les destinations, les cibles d'analyses… , puis encore de 6 mois, jusqu'en avril 2005 donc. Et comme les robots sont toujours en pleine forme, la NASA vient encore de prolonger la mission, et cette fois de 18 mois d'un coup, jusqu'en septembre 2006. Une belle promesse de nouveaux résultats...