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Article | 14/01/2004

Pourquoi qualifie-t-on l'Himalaya de pompe à CO2 ?

14/01/2004

Thomas Pierre

Laboratoire des Sciences de la Terre, ENS-Lyon

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Altération des silicates et puits de carbone atmosphérique.


Question

« Il est indiqué que l'Himalaya est une pompe à CO2. Comment est ce possible ? Que signifie cette phrase ? Quel phénomène justifie cette phrase ? »

Question posée par B.O. le 12 janvier 2004, par courrier électronique.

Réponse

Himalaya, altération et pompe à CO2

  • D'une part, l'altération des silicates permet le pompage de CO2 dans l'atmosphère.

    Par exemple l'altération de l'anorthite, silicate calcique s'écrit :

    CaAl2Si2O8 + 3 H2O + 2 CO2 ⇄ Al2Si2O5(OH)4 (kaolinite) +Ca2+ + 2 HCO3-

    On observe donc la consommation de 2 moles de CO2 par altération d'une mole d'anorthite.

    Lorsque HCO3- arrive en mer, la précipitation de calcite CaCO3 selon la réaction

    Ca2+ + 2 HCO3-⇄ CO2 + H2O + CaCO3

    libère 1 mole de CO2. Donc finalement l'altération d'une mole d'anorthite a pompé une mole de CO2 dans l'atmosphère.

    Dans le cas du calcaire pur, la réaction de la dissolution est exactement l'inverse de la réaction de précipitation. Le CO2 prélevé dans l'atmosphère par dissolution du calcaire est intégralement libéré par précipitation de la calcite dans les océans. Si la quantité de Ca était constante (calcium des calcaires et calcium des océans), le calcaire ne serait qu'une forme de stockage du carbone à long terme et la quantite totale de CaCO3 ne varierait pas beaucoup au cours des temps géologiques (ce qui serait dissous serait compensé par ce qui serait précipité). En revanche, l'altération des silicates, amenant du nouveau calcium en circulation permet de pomper du CO2 dans l'atmosphère en augmentant la quantité de CaCO3.

    Voir plus bas la quantification de l'absorption de CO2 par l'Himalaya.

  • D'autre part, les chaînes de montagne sont des régions très efficaces en terme d'altération des roches.

    Les facteurs agissant sur l'altération sont les suivants : les précipitations (plus précisément le runoff : précipitation-évapotranspiration) augmentent le taux d'altération, la température (l'augmentation de température augmente le taux d'altération chimique), l'érosion mécanique.

    Dans les chaînes de montagne, la température diminue avec l'altitude, mais l'augmentation des précipitations (précipitations orographiques en particulier) domine sur l'effet négatif de la baisse des températures avec l'altitude et favorise l'altération chimique. D'autre part, sur un relief, l'érosion mécanique est importante (glissement de terrain, alternance gel-dégel, faible couvert végétal en haute altitude...) et favorise également l'altération chimique. L'Himalaya, par sa position à la surface de la Terre, son étendue, son relief élevé et la nature des roches qui la composent est une région très efficace en terme de consommation de CO2 et peut donc être qualifiée de pompe à CO2.

Quantification de l'absorption de CO2 par l'Himalaya

Reprenons par exemple l'altération de l'anorthite, silicate calcique, qui s'écrit :

CaAl2Si2O8 + 3H2O + 2 CO2 ⇄ Al2Si2O5(OH)4 (kaolinite) +Ca2+ + 2 HCO3-

On observe donc la consommation de deux moles de CO2 par altération d'une mole d'anorthite. Lorsque HCO3- arrive en mer, la précipitation de calcite CaCO3 selon la réaction

Ca2+ +2 HCO3- ⇄ CO2 + H2O + CaCO3

libère 1 mole de CO2. Donc finalement l'altération d'une mole d'anorthite a pompé une mole de CO2 dans l'atmosphère.

Que ce soit en altérant de la wollastonite (le plus simple des silicate calcique, CaSiO3 = SiO2+CaO), du plagioclase calcique (le plus fréquent des silicates calciques, Si2Al2O8Ca = 2 SiO2 + Al2O3 + CaO), ou tout autre silicate calcique, quand on altère un silicate calcique par de l'eau chargée de CO2, le bilan (vis à vis du Ca et du CO2) est toujours le même : chaque CaO contenu dans le silicate s'associe avec un CO2 pour donner un CaCO3. L'altération totale d'un certain volume de roche contenant 1 mole de CaO (56 g) dans ses silicates calciques consommera 1 mole de CO2 (44 g) pour donner 1 mole de CaCO3 (100 g). La masse de CO2 consommé correspond donc à 44/56 =78 % de la masse du CaO altéré.

Considérons l'altération - érosion de l'Himalaya. Supposons que depuis sa formation, il ait été altéré (altération totale), puis érodé 10 km d'épaisseur, et ce sur les 2.000 km de long et les 100 km de large de l'Himalaya. On a donc altéré-érodé 2.106 km3 de roche de la croûte continentale himalayenne, soit 2.1015 m3.

La densité des roches usuelles étant approximativement de 3.000 kg/m3, la masse altéré correspond à 6.1018 kg.

La croûte continentale normale contient 5,5% de CaO, dont 2% dans les silicates (plagioclases, amphiboles …) et le reste dans des calcaires. La masse de CaO venant de silicates altérés est donc de : 6.1018 kg x 0,02 = 1,2.1017 kg. Son altération a donc consommé 1,2.1017 x 0,78 = 0,94 .1017 kg de CO2.

L'atmosphère actuelle de la Terre contient 750 Gt (109t) de C, soit 2.750 Gt de CO2 soit 2,75.1015 kg. Le rapport entre le CO2 consommé et le CO2 atmosphérique est donc de : 0,94 .1017 / 2,75.1015 = 34.

L'altération-érosion de l'Himalaya, selon cette quantification extrêmement simplifiée, a donc consommé 34 fois la quantité de CO2 atmosphérique actuelle.

Dans la réalité, l'altération des silicates n'a certainement pas été totale ; le Gange et l'Indus ne charrient pas à la mer que de l'argile (résultat de l'altération totale de silicates), mais aussi sables et galets qui contiennent encore des silicates calciques non altérés. Mais même si seulement 10% des silicates sont altérés (et les 90 autres % transportés intacts vers les zones de sédimentation), cela correspond quand même à une absorption de 3,4 fois la quantité actuelle du CO2 atmosphérique.

L'Himalaya, et toutes les autres zones de forte altération continentale, correspondent bien à une colossale pompe à CO2 atmosphérique.

Pour de plus amples explications de ces phénomènes et pour d'autres données quantitatives, vous pouvez consulter le TD sur le cycle géologique du carbone.