Article | 17/02/2011
Il ne faut pas confondre granite et granite
17/02/2011
Résumé
Les granites : classification, chimie, minéralogie, processus pétrogénétiques, contexte géodynamique et exemples français.
Table des matières
- Alumineux, peralumineux, etc : le lien entre la chimie et la minéralogie
- Les types de granites de la carte de France au 1/1 000 000
- Les granites au cours du cycle de Wilson
- Retour sur l'alphabet des granites
- Conclusion : comment former des granites ?
- Références bibliographiques
Par définition, les granites sont des roches plutoniques riches en quartz, qui comportent plus de feldspath alcalin que de plagioclase. En réalité, on s'intéresse le plus souvent aux granitoïdes, c'est-à-dire aux roches plutoniques avec plus de 20% de quartz, indépendamment de la nature du ou des feldspaths qu'on y trouve.
Au-delà de cette définition simple, le groupe des granitoïdes comporte une grande variété de roches. On peut les distinguer du point de vue de leur origine, de leur composition, ou encore de la nature des minéraux autres que ceux qui rentrent dans la définition (les minéraux « cardinaux », quartz et feldspaths) : si la biotite (mica noir) est quasiment systématique, on peut en revanche (ou pas) rencontrer de la muscovite (mica blanc), de l'amphibole, parfois du pyroxène, du grenat ou de la tourmaline.
De très (trop ?) nombreuses classifications ont été proposées pour décrire les granitoïdes. Mais en réalité, la plupart des terminologies sont plus ou moins superposables. Dans cet article, on se bornera à en présenter deux : d'une part, le classique « alphabet des granites », S, I, M et A, qui est la classification la plus utilisée par les chercheurs qui travaillent sur la question (la plus critiquée aussi…) ; d'autre part celle qui est utilisée dans la légende de la carte de France au 1/ 1 000 000, qui est en fait, avec d'autre noms, similaire à celle qui a été proposée par Barbarin (1999).
Alumineux, peralumineux, etc : le lien entre la chimie et la minéralogie
Un des éléments clefs de toute classification des granites est la nature « peralumineuse », « métalumineuse » ou « peralcaline » des magmas. C'est une notion centrale, qui permet de lier la composition chimique (en éléments majeurs) des granites, et leur minéralogie.
L'observation centrale est que la formule d'un feldspath est (K,Na)AlSi3O8 pour un feldspath alcalin (ou un plagioclase sodique); CaAl2Si2O8 pour un plagioclase calcique. Dans les feldspaths, qui sont le composant majeur des granitoïdes, on a donc, en nombre d'atomes, une relation simple entre Al et Na, K et Ca : Al = Na+K pour un feldspath alcalin ; Al = 2 Ca pour un plagioclase calcique. De façon générale, on a donc pour tout les feldspaths une relation Al = 2 Ca + Na + K (en nombre d'atomes).
Si un magma est riche en aluminium (type peralumineux), comparé à ses autres éléments, alors Al > 2Ca + Na +K. Autrement dit, après avoir formé les feldspaths à partir des éléments disponibles dans le magma, il reste de l'aluminium "en excès", qui "doit" donc former des minéraux riches en aluminium (ce sera la muscovite le plus souvent, parfois la cordiérite, la tourmaline ou le grenat).
À l'inverse, si il y a un « déficit » d'aluminium, on peut être dans l'un des deux (sous-)cas suivants. Soit, premier cas, Al < 2Ca + Na + K, mais Al > Na + K (type métalumineux). On peut alors former avec l'aluminium des feldspaths alcalins pour utiliser tout Na et K ; mais il reste du Ca, non neutralisable dans des plagioclases calciques, qui va former des minéraux comme par exemple l'amphibole. Soit, second cas, Al < 2Ca + Na + K et Al < Na + K (type peralcalin). Il n'y a alors même pas assez d'aluminium pour neutraliser tous les alcalins dans les feldspaths alcalins, on est "obligé" de former des minéraux riches en Na et K, qui seront des pyroxènes et des amphiboles assez particuliers puisque ce sont (par exemple) des amphiboles ou des pyroxènes sodiques, comme l'aegyrine, NaFe3+Si2O6 (un pyroxène).
On peut résumer ces relations dans un tableau et une figure (diagramme de Shand), en observant que la relation Al = 2Ca + Na + K peut se réécrire Al/(2Ca + Na + K) =1 (ce rapport est souvent noté A/CNK) ; de la même façon on note A/NK le rapport Al/(Na+K).
Tableau 1. Lien entre caractéristiques chimiques et minéraux typiques des granites
A/CNK | A/NK | Type chimique | Minéraux typiques |
> 1 | > 1 | peralumineux | Biotite / Muscovite / Cordiérite / Grenat / Tourmaline |
< 1 | > 1 | métalumineux | Biotite /Amphibole / Clino-pyroxène |
< 1 | < 1 | peralcalin | Amphibole sodique (rare) / Pyroxène sodique (aegyrine) / Biotite (parfois) |
Notez que, dans tout les cas, la biotite est présente en plus des minéraux indiqués. |
En réalité, le tableau est un peu théorique. Dans le raisonnement ci-dessus on ne prend pas en compte, par exemple, le rôle de la biotite, qui est présente dans presque tous les granites. Les minéraux « typiques » ne sont donc pas toujours exprimés, et le granite typique est un granite à biotite, qu'on peut trouver associée (ou pas) aux minéraux de la colonne de droite du tableau.
Les types de granites de la carte de France au 1/1 000 000
On oublie souvent d'exploiter toute la richesse de la légende de la carte de France au 1/1 000 000. En particulier, pour les granites on dispose de trois informations :
- leur âge, qui est donné par un chiffre et une couleur (dans des teintes oranges à rouges) ; ces âges sont donnés dans une échelle stratigraphique absolue (en millions d'années), qui est alignée sur l'échelle relative (étages, etc.) sur la gauche ;
- leur nature chimique, qui est l'objet de cet article, représentée par des symboles (blancs) surchargeant les zones colorées ;
- éventuellement, leur déformation, marquée par un étirement des symboles (triangles marqués « 1 » dans la partie basse de chacun des cartons).
D'après cette carte, on a donc 6 types de granites (plus un type « indifférencié »), qui recouvrent ceux proposés par Barbarin (1999).
Les 7 types de granites de la classification de Barbarin (1999) :
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Les trois classifications discutées ici sont légèrement différentes.
D'une part, on voit que la carte au 1/1 000 000 utilise, sans le dire, la terminologie de Barbarin, à deux petites différences près :
- les granites du type « RTG » de Barbarin, c'est-à-dire les granitoïdes des dorsales océaniques (« plagiogranites »), connus par exemple au Chenaillet, forment des massifs trop petits pour être représentés au 1/1 000 000 et manquent donc sur la carte ;
- il y a sur la carte au 1/1 000 000 un groupe « fourre-tout », celui des granites « indifférenciés » des zones de collision : en gros, les roches sur lesquelles il n'y a pas assez d'information pour les classer dans l'un ou l'autre type. Par exemple des roches trop déformées ou altérées pour reconnaître leur affinité, ou des roches mal étudiées, ou souvent des petits massifs de granite à biotite seule, sans aucun des minéraux caractéristiques qu'on peut utiliser pour trancher.
D'autre part, la classification S-I-M-A est un peu moins détaillée et pas totalement superposable à celle utilisée ici :
- les granites de type A ("Anorogéniques") sont identiques aux « PAG » ;
- les granites S ("Sédiments", granites peralumineux des zones de collision) sont subdivisés en deux sous-espèces, à cordiérite (CPG) et à muscovite (MPG) ;
- les granites M ("Manteau") peuvent correspondre à deux choses assez différentes, et surtout formées dans des contextes très différents : RTG (dorsale océanique) et ATG (subduction) ; même si ces deux types, on va le voir, sont pétrologiquement assez voisins, leurs contextes de formation différents justifient de faire un effort pour les distinguer ;
- les granites I ("Ignés") enfin regroupent des roches KCG ou ACG, qui peuvent se former n'importe quand dans une phase orogénique (de la subduction à la période post- collision). KCG et ACG sont pétrologiquement assez différents et leur regroupement dans le type « I » n'est donc pas tellement justifié.
Les principales caractéristiques des différents types sont résumées dans les tableaux suivants :
Tableau 3. Principales caractéristiques pétrographiques des différents types de granites (Barbarin, 1999)
Tableau 4. Principales caractéristiques minéralogiques des différents types de granites (Barbarin, 1999)
On constate, enfin, qu'il y a un lien au moins général entre les types de granites et leur contexte géodynamique de formation. Le seul problème ici apparaît pour les granites de type ACG, qui peuvent correspondre soit à une subduction, soit à une collision ; les autres types sont nettement moins ambigus. Ce lien entre géodynamique et composition des roches n'est pas « magique » : il traduit simplement le fait que, dans différents contextes, les sources susceptibles de fondre pour donner des magmas ne sont pas les mêmes, ce qui résulte en des magmas en général, des granites en particulier, assez différents.
Dans la suite de cet article, on décrira 6 types de granites, ceux proposés par Barbarin (1999) ; c'est-à-dire ceux de la carte au 1/1 000 000, pour l'essentiel.
Les granites au cours du cycle de Wilson
Le cycle de Wilson (ou cycle des super-continents) permet de rendre compte de la plupart des phénomènes tectoniques qui se déroulent dans la lithosphère. On considère une évolution depuis un continent stable, continent qui se fissure pour donner naissance à un rift, puis un océan. Cet océan entre en subduction dans une marge active, puis, si le bassin océanique disparaît totalement, on a une collision continent-continent. La chaîne de collision, à son tour, va être aplanie, donnant naissance à un nouveau continent stable.
Source - © 2010 Lynn S. Fichter, JMU
À toutes les étapes du cycle, on forme des granites ; des magmas se forment dans des conditions différentes et à partir de sources différentes, ils ont donc des caractéristiques contrastées, qui recouvrent assez exactement les 6 types décrits plus haut.
À vrai dire, c'est dans les phases de convergence (subduction, mais surtout collision et fin de collision) que se forment, en volume, la majorité des granites. Les autres contextes sont un peu anecdotiques.
Contexte intraplaque et fracturation continentale
Lors de la fracturation d'un continent, le magmatisme est lié à l'amincissement lithosphérique et éventuellement à l'effet de panaches mantelliques profonds (« points chauds »). Dans ce contexte, on forme essentiellement des basaltes, alcalins ou tholéitiques. Les basaltes alcalins peuvent se différencier par fractionnement de minéraux, et finir par former de petits volumes de magmas acides, appartenant à la série alcaline : ce sont des granites de type « PAG » (Peralkaline and Alkaline Granites, Barbarin), « A 1 » (alphabet des granites ; A pour « alcalin » ou « anorogénique »), ou « plutonisme tholéitique à peralcalin des zones d'extension continentale » (carte au 1/1 000 000).
Pour être complet, on peut préciser que (1) l'origine des granites de ce type est assez controversée et mal comprise encore, et qu'il est aussi proposé que ces roches se forment par fusion partielle de la croûte inférieure, donnant directement naissance à des magmas granitiques ; (2) quand on regarde dans les détails la littérature, on s'aperçoit que tout les granites « de type A » ne sont pas forcément peralcalins comme ceux décrits ici, ce qui explique peut_être en partie la remarque précédente...
Caractéristiques principales
Les granites anorogéniques sont des granites alcalins, particulièrement pauvres en plagioclase (ce sont des granites s.s. dans la classification de Streckeisen, qui se retrouvent dans la partie la plus à gauche du diagramme). Sur le terrain, ils peuvent être associés à d'autres roches des séries alcalines : des roches basiques comme des gabbros, mais aussi, souvent, des roches comme des syénites (ou dans les deux cas, leurs équivalents volcaniques : basaltes et phonolites).
Leur principale caractéristique chimique est d'être peralcalins : rapport A/NK < 1, ce qui veut dire qu'il n'y a « pas assez » d'aluminium (par comparaison à la quantité d'alcalins) pour former des feldspaths. Se forment donc d'autres minéraux contentant Na et K, par exemple des amphiboles sodiques ou des pyroxènes sodiques (aegyrine : NaFe(3+)Si2O6). Ce sont donc des roches dont la minéralogie est très particulière, et qui contiennent des minéraux rares !
Fréquemment (mais ce n'est pas obligatoire), ce sont de petits massifs, mis en place près de la surface et associés à des édifices volcaniques de composition semblable, plus ou moins bien préservés.
Exemples français
En France, les exemples les plus typiques de ce magmatisme sont les granites permiens de Corse. Ce sont en l'occurrence des granites mis en place très haut dans la croûte, près de la surface, sous forme de petits massifs ou parfois de grands filons circulaires qui alimentaient des édifices voclaniques rhyolitiques (c'est-à-dire, formés par le même magma, mais qui est parvenu à atteindre la surface). Un tel lien entre granites et rhyolites est observables dans les formations permiennes de Corse. De même, les rhyolites de l'Esterel sont probablement en relation avec des granites de ce type que l'érosion n'a pas encore mis à l'affleurement.
Dorsale océanique
Caractéristiques principales
Les « granites » des dorsales océaniques forment de toutes petites poches, n'excédant que rarement quelques dizaines de mètres de diamètre. Ce sont des roches dominées par le plagioclase (on les appelle aussi « plagiogranites »), qui sont donc des tonalites ou des trondhjémites dans la classification de Streckeisen ; ce ne sont pas des granites au sens strict. En dehors de ce point, ces granites ne présentent pas de minéraux particuliers.
Ces magmas se forment par ultra-différentiation des tholéites du plancher océanique, ce sont donc des roches correspondant aux termes acides de cette série.
Ces granites appartiennent au type « M », ou RTG (Ridge Tholeitic Granites) de Barbarin.
Exemples français
Ces granites forment de tout petits massifs, en fait de gros filons ; ils ne sont donc pas représentés à l'échelle de la carte au 1/1 000 000. On en trouve des fragments de taille allant du mètre à la centaine de mètres dans les complexes ophiolitiques. Le plus connu est certainement celui qui affleure dans le complexe ophiolitique du Chenaillet, au lieu dit « Cabane des douaniers » au col, au pied de l'arête Sud-Ouest du sommet.
Subduction
Les subductions sont des zones où se forment des roches magmatiques très variées. Dans les arcs océaniques, ce sont les roches basiques (basaltes à andésites), formées dans le manteau, qui dominent. Dans les arcs continentaux, la présence d'une croûte continentale épaisse permet la différenciation des magmas et/ou la fusion de la croûte, ce qui aboutit aussi à des magmas intermédiaires ou acides abondants.
Les magmas basiques des zones de subduction sont de compositions variables. Si les roches de la série calco-alcaline sont les plus typiques, on connaît aussi des magmas alcalins et, surtout dans les arcs océaniques, tholéitiques.
Caractéristiques principales
Du point de vue des granites, on trouve deux types principaux dans les zones de subduction.
- Dans les arcs océaniques, il n'y a pas de croûte continentale pré-existante ; les seuls granites qui se forment sont des granites liés à la différenciation (ou peut-être à la re-fusion) de basaltes tholéitiques. Ce sont donc des plagiogranites, ou granites de type M, très similaires à ceux que l'on a décrit pour les dorsales puisqu'ils se forment de la même façon ; ils sont appelés « ATG » (Arc Tholeitic Granites) dans la classification de Barbarin. Les TTG (Tonalites- Trondhjémites-Granodiorites) de l'Archéen sont des granites similaires, bien que d'un volume nettement plus considérable ; dans ce cas, on pense plutôt à des processus de fusion des basaltes.
- Dans les arcs continentaux, on peut former des granites soit par différenciation de laves calco-alcalines, soit par fusion de la croûte déjà existante. Dans les deux cas, on forme des granites métalumineux, souvent à biotite et hornblende, parfois pyroxène (augite). Ces granites appartiennent au type « I » et sont classés comme « ACG » par Barbarin (Amphibole Calc-alkaline Granites) ; ils sont regroupés avec les « granites calco-alcalins des zones de convergence » dans la carte au 1/1 000 000. Lorsque le processus pétrogénétique est la différenciation de magmas basiques, ces granites sont associés à des diorites et des granodiorites, et sont riches en amphibole. Lorsqu'il s'agit de fusion de la croûte de la plaque chevauchante, on a des granites sans roches associées et plus pauvres en amphibole2.
Il y a donc une ambiguïté dans la définition du type ACG, qui peut correspondre à deux modes de formation, avec des roches un peu différentes dans les deux cas ; ce type regroupe sans doute deux sous-types de roches.
Exemples français
Le type « ATG » est présent, par exemple, dans les paléo-arcs formés lors de l'orogénèse cadomienne, en Bretagne Nord ; il y est associé à des granites d'arc calco-alcalins (ACG).
Le type « ACG » peut recouvrir des roches de subduction ou de collision, et il n'est pas forcément évident de faire la distinction d'après la carte. Dans la chaîne hercynienne par exemple, la majeure partie de ces granites apparaît longtemps après la fin de la subduction (au Carbonifère ou au Permien), et sont ici des roches de collision.
Collision
Les zones de collision sont des zones de fortes perturbations thermiques de la lithosphère. On y trouve d'abondants magmas, générés pour l'essentiel dans la croûte continentale. Celle-ci est dominée par des granitoïdes, avec une composante sédimentaire mineure mais d'autant plus significative qu'elle peut fondre à basse température et donner facilement naissance à des liquides granitiques (contrairement aux anciens granites, moins fusibles).
Caractéristiques principales
Les granites les plus typiques des zones de collision sont issus de la fusion de sédiments, riches en argiles. Les liquides produits conservent certaines des caractéristiques de leur source, dont la richesse en aluminium. Ce sont donc des granites peralumineux, avec des minéraux comme la muscovite ou la cordiérite. Il s'agit des granites de type S.
Les granites à muscovite (MPG, Muscovite Peraluminous Granites) sont des leucogranites (moins de 5% de minéraux ferro-magnésiens) à deux micas (biotite et muscovite). Ils forment en général de petits massifs de quelques kilomètres au maximum ; ce sont des magmas de relativement basse température, formés par fusion en présence d'eau de roches sédimentaires.
Les granites à cordiérite (CPG, Cordierite Peraluminous Granites) sont plus riches en ferro- magnésiens, et peuvent facilement être des granodiorites. Ils forment de plus grands massifs (plusieurs dizaines de kilomètres) et se sont formés par fusion à plus haute température, par déstabilisation de la biotite.
Si d'anciens granitoïdes fondent, on forme alors des roches qui ressemblent tout à fait à certains des granites ACG d'arc continentaux (formés par fusion de croûte déjà existante). Les différences sont subtiles avec les vrais « ACG » d'arc, les roches formées par fusion de croûte (et pas par différenciation de laves calco-alcalines) ayant, tout au plus, tendance à être plus pauvres en amphibole et en pyroxène, et à ne pas tellement être associées à des roches basiques. Ce sont, évidemment, des granites de type I.
Exemples français
Les granites hercyniens du Massif Central sont, dans leur grande majorité, des granites des deux types peralumineux. Ce sont des granites carbonifères à permiens en général ; ils peuvent former des intrusions bien délimitées (comme le granite de la Margeride), plus ou moins grandes comme le complexe du Velay, qui sont des dômes de migmatites où le liquide s'est mal, voire pas du tout, séparé du résidu solide, on a donc des zones complexes avec des associations de roches diversement fondues.
On trouve, par endroits, des granites de collision de type ACG, comme par exemple dans le massif de la Maladetta (cf. "Subduction" ci-dessus), massif composite avec des roches peralumineuses et des roches ACG.
Post-collision et retour à l'équilibre
Les périodes post-orogéniques de retour à une lithosphère « normale » sont marquées par une activité magmatique très hétérogène, qui reflète la fusion simultanée de nombreuses sources : manteau enrichi lors des épisodes de subduction précédents, croûte, etc. Du point de vue des granites, ces périodes présentent un type très caractéristique de roches.
Caractéristiques principales
Les granites des périodes post-orogéniques sont des granites « de type I », KCG ((K)potassic Calc- alkaline Granites). Sur le terrain, ils ont une apparence souvent très reconaissable, avec de gros phénocristaux de feldspath potassique (souvent rosé) dans une matrice de quartz, plagioclase, biotite, parfois amphibole.
En lames minces, on constate que ces roches présentent en plus une grande abondance de minéraux accessoires comme l'épidote et le sphène (ou titanite).
La formation de ces granites reste encore assez énigmatique. La plupart des auteurs s'accordent sur le fait qu'ils ont un lien génétique avec des diorites potassiques (qu'on retrouve d'ailleurs en enclaves de toutes tailles, du centimètre au kilomètre, dans ces plutons) ; mais la nature de ce lien (différenciation ? mélange ?) ainsi que l'origine de ces diorites (sans doute un manteau enrichi par les épisodes de subduction précédents) restent mal comprises. Sur les cartes géologiques, ces diorites potassiques sont souvent appelées vaugnérites, parfois gabbros…
Exemples français
En France, ce type de granite se trouve surtout dans l'Est du Massif Central – Forez, Lyonnais et Cévennes. Ce sont dans tous les cas des granites hercyniens (du Carbonifère en majorité), en général un peu plus récents que les granitoïdes peralumineux discutés plus haut.
Retour sur l'alphabet des granites
Au vu de la discussion précédente, on voit que la classification de la carte au 1/1 000 000 (donc celle de Barbarin, à des nuances près) est essentiellement une classification géodynamique (à part pour le type ACG, un peu ambigu). C'est aussi une classification homogène (tous les types sont définis de la même façon), utilisable sur le terrain à partir de critères minéralogiques. Par contraste, la classification S-I-M-A semble plus ambiguë ; en particulier, elle regroupe dans un même type des roches formées dans des contextes différents, ou pétrologiquement différentes.
À l'origine, la classification « par lettres » se limitait à deux termes : S et I (Chappell and White 1974). Il s'agissait alors de décrire les granites présents dans une région bien spécifique, la Lachlan Fold Belt du Sud-Est australien, où l'on trouve effectivement surtout deux types de roches : des granites à cordiérite (CPG) et des granites à biotite et rare amphibole (ACG, de la variété pauvre en hornblende des zones de collision) ; l'ensemble correspondant à la fusion d'une croûte différenciée, socle granito-métamorphique et sédiments, sans doute dans un contexte de type collision. Les lettres « S » et « I » font référence à la source supposée des granites, « sédimentaire » pour les granites à cordiérite et « ignée » (au sens « roches magmatiques pré-existantes ») pour les granites à amphibole.
Bien que cette terminologie ne soit pas la première qui ait été proposée, elle a eu un grand succès et a été adaptée par les pétrologues du monde entier. Mais il a très vite été évident qu'elle ne permettait pas de décrire tout les types de granites et, dès 1979, Chappell proposait d'introduire un nouveau type de granite, le type « M » (pour « granite avec une source issue du manteau »), décrivant certains des granites des zones de subduction (ATG). En même temps, d'autres groupes identifiaient la nature particulière de certains granites anorogéniques, appelés pour cette raison type « A » (Loiselle and Wones 1979).
Progressivement, cette classification en 4 groupes s'est imposée, même si la plupart des pétrologues s'intéressant aux granites reconnaissent qu'elle est à la fois incomplète (les types KCG ne sont pas représentés par exemple) et ambiguë (I et M regroupent des roches très différentes). On critique aussi cette classification pour ses a priori génétiques (elle est basée sur l'origine supposée des magmas, même si de nos jours on ne l'utilise plus guère dans ce sens). Pour autant, aucune autre classification n'a réussi à s'imposer dans le monde des granites, et c'était une décision assez osée des concepteurs de la 6ème édition de la carte de France au 1/1 000 000 (1996) de passer à une autre terminologie !
Conclusion : comment former des granites ?
Les processus pétrogénétiques
Après ce panorama des granites, on voit qu'on peut former ces roches de différentes façons, mais toujours par l'un de deux processus principaux suivants.
- On fait fondre une source dont la nature est telle que le liquide formé sera directement un granite. Dans ce cas le granite n'est associé à aucune série magmatique, et sa composition reflète directement celle de la source. C'est sans doute le meilleur modèle pour les granites de type S (MPG et CPG), probablement aussi pour ceux des ACG qui ne sont pas associés à des magmas basiques (les types I d'origine de Chappell et White, en fait !), ainsi que pour les granites ATG, formés par la fusion de roches basiques de la croûte océanique. Dans ce cas les granites se forment uniquement par des processus crustaux, et le rôle du manteau se limite à fournir de la chaleur.
On fait fondre une source ultrabasique (du manteau). On produit alors des basaltes, des andésites/diorites, etc. Il faut alors « différencier » ces magmas pour les tirer vers une composition granitique. Dans ce cas les granites sont associés à une série magmatique plus ou moins complète, qui s'étend du magma basique primaire au granite, et les granites sont le terme ultime de la série. Cette différenciation peut se faire par deux processus principaux.
- La cristallisation fractionnée. Par exemple, le fractionnement de basaltes alcalins donne des granites alcalins, PAG ; le fractionnement de basaltes tholéitiques donne des granites tholéitiques RTG ; le fractionnement de basaltes calco-alcalins, des granites calco-alcalins ACG. Dans ce cas ces granites sont, ultimement, des roches issues du manteau, par différentiation de magmas mantelliques sans aucune contribution crustale.
- Le mélange entre des magmas basiques, et des magmas granitiques formés par fusion de la croûte. Ce processus a été proposé pour la quasi-totalité des types de granites, que ce soit pour préciser et raffiner les modèles pétrogénétiques, ou pour remplacer totalement des modèles de cristallisation fractionnée, toujours délicats à invoquer en l'absence de cumulats, ou pour des magmas à forte viscosité comme les granites. C'est pour les granites de type KCG qu'on le mentionne le plus souvent, en tout cas comme un processus majeur. Ces magmas sont alors des hybrides, partiellement crustaux et partiellement mantelliques.
Manteau ou croûte ?
La controverse sur la source ultime des magmas granitiques (croûte ou manteau) a été le débat principal sur l'origine des granites depuis les années 1980. La figure ci-dessous résume les parts des différentes sources dans les types de granites, tels que définis par Barbarin. Elle reprend les conclusions de la discussion précédente, tout en prenant en compte le fait que différents processus peuvent contribuer à l'évolution d'un même magma. Plutôt que des granites purement crustaux et des granites purement mantelliques, on a donc une gamme de roches dont l'origine évolue progressivement.
Références bibliographiques
- B. Barbarin, 1999. A review of the relationships between granitoid types, their origins and their geodynamic environments, Lithos, 46, 3, 605-626 - doi:10.1016/S0024-4937(98)00085-1
- B.W. Chappell, A.J.R. White, 1974. Two contrasting granite types, Pacific Geology, 8, 173-174
- M.C. Loiselle, D.R. Wones, 1979. Characteristics and origin of anorogenic granites. Annual Meetings of the Geological Society of America and Associated Societies. San Diego, California. 11, 468