Article | 08/04/2016
La discordance Crétacé–Miocène du plateau de Sèze, Chaine des Costes (Bouches du Rhône)
08/04/2016
Résumé
Discordance angulaire entre le Miocène reposant sur le Crétacé (et l'Oligocène) dans la Chaine des Costes, commune de Lambesc.
Dans l'enseignement secondaire français, les SVT sont, comme d'autres matières, basées sur deux grandes disciplines dont la grande majorité des enseignants (~80%) sont des biologistes de formation et de cœur. Longtemps les échanges entre biologistes et géologues ont été un peu difficiles du fait, entre autres, d'une approche naturaliste plus longuement considérée comme prépondérante en biologie. Mais aujourd'hui, la recherche en biologie comme en géologie nécessite, outre une approche descriptive essentielle, des connaissances en physique, chimie, statistiques... pour comprendre et quantifier les phénomènes observés. En biologie comme en géologie, il ne faut pas non plus oublier l'observation qui reste la base des questionnements.
Le présent article est donc un prétexte pour montrer qu'un biologiste curieux peut organiser de manière presque autonome une sortie géologique à la journée avec des élèves/étudiants et donc partager sa découverte grâce à son sens de l'observation et à ce qu'il a retenu de ses cours de géologie.
Ainsi donc, le biologiste (géologue amateur) se promène dans la Chaine des Costes près de Lambesc (autrement célèbre pour son tremblement de terre de 1909, cf . Le séisme de Lambesc du 11 juin 1909 : contexte géologique et structural du dernier "gros" séisme de France métropolitaine) avec en tête un objectif botanique (la garrigue) ou ornithologique (l'aigle de Bonelli, par exemple). Au détour d'un chemin, il tombe nez à nez (face à face !) avec un plateau subhorizontal reposant sur des roches aux strates fortement pentées : une discordance angulaire ! Le biologiste sait que la discordance est l'élément pédagogique essentiel à la compréhension par tout un chacun de la dynamique de sédimentation/érosion, de la tectonique affectant les roches, et de la chronologie relative. Avec un peu de chance et de travail, il trouvera quelques fossiles "trois étoiles" et de la documentation dans les livres ou sur internet pour parfaire sa compréhension du paysage... et le tour sera joué.
Voyons d'abord le paysage et sa première interprétation, avant de compléter la recherche par l'observation de points choisis.
Commençons l'étude des différents affleurements repérés avec les couches redressées sur lesquelles repose le plateau de Sèze. Il s'agit de strates calcaires qu'un épisode tectonique a vraisemblablement basculées de 40° vers l'Ouest-Nord-Ouest. On peut aisément y trouver des fossiles d'oursins (Toxaster ?) et de rudistes. D'après ces fossiles, il s'agit donc de calcaires du Jurassique ou du Crétacé. L'identification précise des fossiles requérant un œil de spécialiste, le biologiste se réfèrera à la carte géologique pour déterminer l'âge de ces roches calcaires au Crétacé Inférieur (Hauterivien). Elles témoignent qu'à l'époque, l'environnement était un milieu marin assez peu profond.
Ensuite, entre ces roches crétacées et le plateau, on remarque, au Sud-Ouest du plateau, un conglomérat de calcaires grossiers plus ou moins roulés. Ce conglomérat est le témoin d'une période d'érosion des roches avoisinantes du Crétacé inférieur.
Enfin, le plateau de Sèze est constitué d'un calcaire bioclastique formé d'une multitude de coquilles de bivalves agglomérées par un ciment calcaire. Il ressemble au calcaire coquiller que l'on trouve dans le Gard, vers Uzès, appelé « molasse du Gard » et exploité pour construire le Pont du Gard et des cheminées partout en France. Il s'agit d'un dépôt miocène dans un milieu marin peu profond. Ce plateau miocène est discordant sur les strates pentées du Crétacé inférieur. Cette discordance indique deux choses. (1) La tectonique qui a affecté le Crétacé inférieur est anté-Miocène puisqu'elle n'a pas affecté les dépôts miocènes ; il s'agit vraisemblablement de la tectonique pyrénéo-provençale. (2) Entre le Crétacé inférieur et le Miocène, cette tectonique a fait émerger des reliefs qui ont été érodés en formant localement, entre autres, des conglomérats (dépôt post-Crétacé et anté-Miocène) dans des bassins continentaux. Ensuite, une nouvelle transgression marine (remontée de la mer ou enfoncement du continent) a déposé au Miocène le plateau de Sèze à l'horizontal sur les roches érodées du Crétacé "basculé". Parfois, avant que ne se déposent de nouveaux sédiments, des mollusques perforaient les roches nouvellement immergées.
Ce dispositif avec un plateau miocène horizontal reposant sur de l'anté-miocène plissé et/ou basculé se retrouve un peu partout en Provence et Languedoc. C'est, par exemple, sur un tel plateau qu'est bâtie la célèbre citadelle des Baux-de-Provence. Ce calcaire miocène révèle aussi parfois des fossiles assez extraordinaires tels que les Les balanes miocènes du Languedoc et de la Provence, île Sainte Lucie (Aude).
Le Miocène du plateau de Sèze date du Burdigalien, étage défini à Bordeaux. Les habitants de cette région pourront en voir de très beaux faciès très riches en fossiles comme Le « banc à Huîtres » de Sainte Croix du Mont (Gironde).
Et voilà une petite histoire géologique que le biologiste curieux peut reconstituer par sa seule lecture du paysage... et le recours à quelques données complémentaires.
Néanmoins, pour aller plus loin et préparer des questions plus pointues de la part des élèves/étudiants, l'enseignant biologiste pourra consulter en détail la carte géologique de la région, ainsi que les explications détaillées et illustrées réalisées par des enseignants géologues de Salon de Provence et mises à disposition sur le site de la lithothèque de l'académie d'Aix-Marseille (cf. Autour de la Chaîne des Costes).
À partir des différents compléments d'information consultés, il est possible d'établir un résumé simplifié de l'histoire géologique locale.
- Crétacé inférieur (-130 Ma) : dépôt calcaire en milieu marin peu profond, riche en oursins et en bivalves.
- Fin de l'Éocène (-35 Ma) : des déformations "pyrénéennes" (plis, failles) de direction Est-Ouest affectent le domaine provençal (Chaine des Costes, Massif de l'Étoile, Sainte Baume) et entrainent l'émersion des roches, soumises à l'érosion.
- Oligocène : l'Europe connait une phase distensive de direction NO-SE. Il en résulte un alignement de fossés d'effondrement d'axe NE-SO (fossé rhénan, Limagne... et aussi ceux de la Chaine des Costes). Dans ces fossés, se sont déposés des sédiments continentaux d'abord grossiers (conglomérats datés de l'Oligocène) puis plus fins.
- Fin Oligocène : poursuite de l'extension, vers le Sud, qui forme un "mini-océan", Méditerranée occidentale, et début d'une transgression marine qui est maximale au Miocène (-15 Ma). Cette transgression vient recouvrir les reliefs érodés et les bassins continentaux, et est marquée par le dépôt d'un calcaire marin (calcaire miocène du plateau de Sèze). Outre des variations eustatiques globales relativement faibles à cette époque, il y a régionalement deux causes tectoniques possibles pouvant expliquer une hausse relative du niveau marin. Au Miocène, on trouve de nombreux bassins flexuraux péri-alpins (comme le bassin molassique qui va de la vallée du Rhône à l'Est de la Suisse), et on observe aussi un enfoncement des bords de la marge méditerranéenne sur tout le pourtour du Golfe du Lion. Affaissement de marges et flexuration de socle peuvent donc expliquer des transgressions plus ou moins locales et d’ampleurs variables géographiquement.
- Fin Miocène : la formation des Alpes met en place le cadre montagneux actuel déformant le domaine provençal et soulevant les formations miocènes du plateau de Sèze alors soumises à l'érosion.