Article | 18/11/2021
Découverte dans un diamant du cinquième minéral le plus abondant sur Terre, la davemaoïte
18/11/2021
Résumé
Un silicate de calcium (CaSiO3) de haute pression préservé en inclusion dans un diamant provenant du manteau inférieur.
Le 11 novembre 2021, la revue Science (Vol. 374, n° 6569) publie les deux articles suivants :
- Perovskite retrieved from the lower mantle, Yingwei Fei, pp. 820-821 ;
- Discovery of davemaoïte, CaSiO3-perovskite, as a mineral from the lower mantle, Oliver Tschauner et al., pp. 891-894.
Dès le lendemain, on a pu trouver des résumés, des précisions et des commentaires sur des sites spécialisés, comme le site New Scientist, le site du Carnegie Institute for Science, le site Trust My Science… Nous allons rapidement résumer ce que disent ces articles et ces commentaires.
Ces deux articles et ces résumés-commentaires décrivent la découverte de la phase d'ultra-haute pression du silicate de calcium (CaSiO3), phase stable dans les conditions du manteau inférieur et remontée de ce manteau inférieur en inclusion dans un diamant.
Source - © 2021 Aaron Celestian, Natural History Museum of Los Angeles County / New Scientist
Le silicate de calcium est un minéral classique du métamorphisme de haute température (en particulier dans les cornéennes carbonatées), sous la forme de wollastonite (cf. Les sphérolites de wollastonite de l'ile d'Elbe (Italie), témoins métamorphiques de la mise en place d'un granitoïde pendant une extension lithosphérique). Sa phase d'ultra-haute pression avait déjà été synthétisée en laboratoire (cellule à enclumes de diamant, cf. La cellule à enclumes de diamant et Une cellule à enclumes de diamant) mais n'avait jamais été trouvée dans la nature et, de ce fait, n'avait pas de nom “officiel” ; on l'appelait « pérovskite calcique ». Venant d'être découverte dans un échantillon naturel (un diamant), cette phase s'est vue attribuer un nom par l'International Mineralogical Association (IMA) : la davemaoïte, en l'honneur de Dave Mao, scientifique sino-américain spécialiste des cellules à enclumes de diamant. D'après ce que disent ces publications et les résumés et commentaires ayant suivi, cette davemaoïte représenterait 5 % du volume du manteau inférieur (qui représente lui-même 55 % du volume de la Terre). Un rapide calcul de coin de table montre donc que la davemaoïte représenterait environ 2,5 % du volume de la Terre, ce qui en ferait le cinquième minéral le plus abondant de notre planète après la bridgmanite, la magnésiowustite, l'olivine α (l'olivine "normale” de basse pression) et l'olivine γ (la ringwoodite), et juste avant l'olive β (la wadsleyite).
La sismologie a mis en évidence une organisation en couches concentriques de la Terre. Les discontinuités sismiques croute/manteau et manteau/noyau sont imputables à de forts contrastes chimiques induisant de forts contrastes physiques. La chimie globale du manteau étant à priori relativement homogène à quelques pourcents près, l'origine des discontinuités observées vers 410, 520 et 670 km de profondeur a été recherchée par des expériences en laboratoire dans conditions de hautes pressions afin de suivre l'évolution minéralogique d'une roche de composition péridotitique ou de ses phases minérales majeures, dont le comportement a été "testé" lors d'expérience en laboratoire à hautes températures et pressions (cf. Les discontinuités dans le manteau terrestre). Dans le manteau supérieur, la phase majeure observée dans les péridotites échantillonnées (en enclaves dans des basaltes par exemple, cf. Les nodules péridotitiques "ordinaires" de la coulée basaltique du Ray Pic, Burzet (Ardèche)) est l'olivine, (Mg90%,Fe10%)2SiO4. Des transitions de l'olivine vers des formes de haute pression plus compactes, observées en laboratoire à des pressions compatibles avec les profondeurs des discontinuités physiques mises en évidence, expliquent les discontinuités de 410 et 520 km de profondeur. Pour l'olivine du manteau supérieur, le minéral le plus fréquent du manteau, on différencia alors trois phases et on nommait « olivine de phase spinelle » les phases profondes dans les années 1960. Puis, on les nomma, par ordre de pression croissante, olivine α (alpha, l'olivine “normale” stable en surface), olivine β (bêta) et olivine γ (gamma). Dans le manteau inférieur, l'olivine γ se dissocie en deux phases, la première que l'on appelait « pérovskite ferro-magnésienne » [(Mg,Fe)SiO3] ou, par abus de langage, simplement « pérovskite », et la deuxième magnésio-wüstite [(Mg,Fe)O] (on trouve aussi la dénomination ferro-périclase, qui insiste sur le fait que c'est un oxyde essentiellement de magnésium – la périclase – contenant un peu de fer plutôt qu'un oxyde de fer – la wüstite – avec un peu de magnésium).
À part l'olivine α et la magnésio-wüstite, aucun de ces minéraux n'avaient de nom officiel, car pour avoir un nom, selon l'International Mineralogical Association (IMA), il faut avoir été trouvé dans la nature. Les phases β et γ de l'olivine et la « pérovskite » ne furent découvertes dans des échantillons naturels respectivement qu'en 1982, 1969 et 2014. On leur donna respectivement les noms de ringwoodite, wadsleyite et bridgmanite.
Ces phases de haute pression de l'olivine, si elles furent découvertes dans des échantillons naturels, ne le furent que dans des échantillons extraterrestres : des météorites (cf. Le minéral le plus abondant sur Terre a enfin un nom officiel : la bridgmanite (ex-"MgSiO3-pérovskite")). En effet, les météorites proviennent de chocs dans la ceinture des astéroïdes. Elles sont issues de puissants impacts entre deux astéroïdes, chocs en ayant extrait les météorites qui arrivent sur Terre en venant de leur astéroïde parent. Ces puissants chocs ont engendré dans les astéroïdes parents des phases de hautes pressions que l'on retrouve dans les météorites qui sont des éjectas de ces collisions.
Ce qui est vrai pour l'olivine l'est aussi pour les silicates calciques du manteau supérieur, principalement les pyroxènes, grenats et majorite. En théorie et expérimentalement, dans les conditions du manteau inférieur, le calcium se trouve majoritairement dans une phase de type pérovskite, la pérovskite calcique, de formule CaSiO3. Cette phase d'ultra-haute pression a pu être synthétisée et caractérisée en cellules à enclumes de diamant. C'est cette phase qui vient d'être découverte dans un échantillon naturel et qui a officiellement été nommée davemaoïte.
Mais contrairement à la ringwoodite, à la wadsleyite et à la bridgmanite, la davemaoïte n'a pas été découverte dans une météorite, mais en inclusion dans un minéral bien terrestre, un diamant. Il existe en effet une autre “source” de minéraux stables uniquement à très haute pression : des inclusions dans des minéraux pouvant croitre à très haute pression, mais restant métastable à basse pression. C'est par exemple le cas des grenats de haute pression (attention, tous les grenats ne sont pas de haute pression, et il existe des grenats de basse pression, par exemple dans des cornéennes), des pyroxènes sodiques comme l'omphacite et la jadéite (les pyroxènes des éclogites)… Ces minéraux en croissant en profondeur peuvent englober par exemple de la silice qui est sous forme de coésite pour des profondeurs supérieures à 60 km. Si ces grenats ou ces omphacites remontent vers la surface, ils se comportent comme des “coffres-forts” très résistants qui empêchent l'augmentation de volume de la silice et donc empêche la coésite de se rétromorphoser en quartz.
C'est ce qui est arrivé avec les désormais classiques grenats de la Dora Maira dans les Massifs cristallins internes des Alpes, ou encore avec de l'omphacite dans l'Himalaya (cf. La coésite du Kaghan (Himalaya)).
C'est aussi le cas des diamants (cf. L'origine des diamants). Les diamants sont des cristaux de carbone pur, qui ne sont stables qu'à très forte pression, pression correspondant à une profondeur supérieure à 120-150 km (cela dépend du gradient géothermique). Ils sont donc d'origine mantellique (sauf pour quelques micro-diamants qui viennent de fragments de croute continentale subductée et remontée lors de phénomènes orogéniques, qui sont des diamants dits "métamorphiques"). La forme stable du carbone pour des profondeurs inférieures à 120-150 km (sommet du manteau supérieur et croute) est le graphite. Les morphologies observées des cristaux semblent indiquer que la majorité des diamants ont cristallisé dans des veines intra-mantelliques où ont circulé des fluides carbonés (CO2, CO, CH4…). De nombreux diamants contiennent des micro-inclusions (olivine, grenat, pyroxène, majorite, sulfures…), mini-minéraux solides préexistants et englobés par les diamants au cours de leur croissance. La chimie fine de ces minéraux “piégés” permet de connaitre la pression (donc la profondeur) de croissance des diamants. La grande majorité des diamants ont cristallisé entre 150 et 250 km de profondeur. Une petite minorité vient de beaucoup plus profond ; on les appelle « diamants super profonds ». C'est dans l'un de ces diamants super profond qu'on a trouvé quelques inclusions de silicate de calcium d'ultra-haute pression, la davemaoïte.
Source - © 2021, V. Altounian / Science
Le diamant dans lequel on a trouvé la davemaoïte provient de la mine Orapa, au Bostwana. Il mesure 4 mm dans sa plus grande dimention et pèse 81 mg (≈ 0,4 carat). Ce diamant a été acquis en 1987 par un scientifique du California Institute of Technology (ou Caltech), qui après l'avoir étudié (sans trouver de davemaoïte) le céda au Natural History Museum of Los Angeles County (Californie) où il se trouve aujourd'hui. Il fut ré-étudié récemment (avec des technologies bien plus performantes qu'en 1987) par Oliver Tschauner, qui y trouva de la davemaoïte en utilisant la diffraction X, la fluorescence X ultra-fine, la spectrographie infrarouge… En utilisant d'autres inclusions présentes dans ce diamant (wüstite, fer, glace VII, et ilménite), Oliver Tschauner et ses collaborateurs ont pu estimer les conditions de formation de ce diamant à 29 ± 5 GPa, à une température de 1400 à 1600 K, ce qui correspond à environ 900 km de profondeur. La davemaoïte était présente (et devait être stable) à cette profondeur, dans le manteau inférieur donc. Grâce à une technique d'ablation laser, ce diamant fut très localement “érodé” par micro-fracturation. De la davemaoïte se retrouva en surface, donc à la pression atmosphérique. En regardant cette mise à nu au microscope, Tschauner et al. ont vu la davemaoïte intacte pendant 1 seconde, puis son expansion, son gonflement, et sa transformation en un verre (de composition CaSiO3).
La découverte de la davemaoïte n'a pas qu'un intérêt purement minéralogique ; il est possible qu'elle change la compréhension de la dynamique mantellique. La davemaoïte analysée dans cet unique diamant s'est avérée relativement riche en potassium et autres éléments incompatibles. Si ce résultat est confirmé par d'autres découvertes de davemaoïte dans d'autres diamants d'autres provenances, cela signifierait que le manteau inférieur est plus riche en potassium qu'on ne le pensait (et probablement aussi plus riche en uranium et thorium qui ont le même comportement géochimique que le potassium). Or, K (le 40K plus précisément), U et Th sont des éléments radioactifs, et leurs abondances et répartitions sont capitales dans la production de chaleur du manteau et donc dans sa dynamique.
Affaire à suivre, donc !