Article | 02/03/2021
La chaine varisque en France, un édifice multi-collisionnel et poly-cyclique / La branche varisque orientale
02/03/2021
Résumé
Les massifs des Maures et du Tanneron, la Corse et la Sardaigne, le socle varisque des Alpes.
Table des matières
- L'épine dorsale du continent européen
- Les quatre domaines varisques
- La branche varisque orientale
- Les massifs exempts de surimposition alpine : ensemble Maures-Tanneron et Corse-Sardaigne
- Le socle varisque des Alpes
- L'évolution géodynamique de la chaine varisque
- Conclusion
Ce qui est trop simple est sûrement faux,
ce qui est trop compliqué est incompréhensible.
Avant-propos
Cette synthèse est le fruit de près de 40 ans de recherches menées directement par l'auteur ou dans le cadre de thèses et de masters soutenus à l'ISTO (UMR 7327, Université d'Orléans-CNRS-BRGM). Elle n'aurait pas été possible sans les nombreuses contributions de collègues et d'étudiants qui m'ont fait confiance. Un grand nombre de collègues, chercheurs et enseignants-chercheurs du monde académique universitaire, CNRS et BRGM sont également remerciés pour leur soutien scientifique et matériel et les discussions enrichissantes. Outre les nombreuses publications, les cartes géologiques à 1/50 000 constituent une source d'information inestimable. Bien évidemment, les interprétations sont de la responsabilité de l'auteur.
Jean-Paul Passeron et Anne-Marie Bouvier sont remerciés pour la lecture attentive du fond et de la forme, leurs conseils constructifs et leur grande patience à corriger les fautes de grammaire ou de syntaxe.
Échelles chronostratigraphiques
Cette synthèse utilise les noms des étages de l'échelle chronostratigraphique internationale, échelle qui a évolué au fil du temps lorsque de meilleurs stratotypes ont été trouvés et décrits (avec parfois de nouveaux découpages). Ainsi, par exemple, les étages du Carbonifère n'ont pas les mêmes noms sur la carte géologique de la France (noms “anciens” et, surtout, liés à des stratotypes européens) que dans la charte chronostratigraphique internationale.
Source - © 2021 Pierre Thomas, d'après BRGM
Domaines varisques / régions actuelles
Les descriptions des ensembles géologiques et l'histoire de la chaine varisque suivent un “découpage” suivant les grands domaines ayant joué les uns par rapport aux autres lors de l'orogenèse hercynienne. Le territoire métropolitain actuel étant issu de collisions multiples entre blocs et micro-blocs d'origines variées, il est généralement nécessaire de parcourir l'ensemble de cette synthèse “orogénique” pour rassembler les éléments nécessaires à une synthèse concernant une région géographique actuelle (Bretagne, Vosges, par exemple). Des cartes synthétiques et des renvois dans le texte aident le lecteur à visualiser les différents événements / domaines affectant ”sa” région.
L'épine dorsale du continent européen
Les quatre domaines varisques
Les domaines rhéno-hercynien, saxo-thuringien et de l'Armorica.
Le domaine moldanubien (marge Nord-gondwanienne) et l'architecture générale de la chaine varisque.
La branche varisque orientale
Dans l'Est de la France, la chaine varisque est exposée dans un certain nombre de massifs regroupés ici sous le nom de “branche orientale” qui se développe dans le socle des Alpes et près de la Méditerranée (Fig. 1, Fig. 2). Les corrélations avec les différentes unités de la branche principale n'étant pas encore bien établies, cet ensemble est traité séparément. On distinguera deux parties : 1) le massif des Maures-Tanneron et l'ensemble corso-sarde dans lesquels la surimposition alpine est faible ou nulle, et 2) le socle varisque des Alpes : massifs cristallins externes et internes et zone briançonnaise dans lesquels la déformation et le métamorphisme alpin se superposent à des degrés divers aux évènements paléozoïques.
Les massifs exempts de surimposition alpine : ensemble Maures-Tanneron et Corse-Sardaigne
Le Massif des Maures-Tanneron
Comme de nombreux autres massifs varisques, cet ensemble est constitué de roches polymétamorphiques, de migmatites et de granitoïdes présentant de fortes analogies avec les formations connues dans le Massif Central. On identifie notamment des complexes leptyno-amphiboliques comparables à ceux décrits dans le domaine moldanubien du Massif Central ou du Sud du Massif Armoricain.
Les grands traits lithologiques et structuraux
Le massif des Maures-Tanneron est formé d'un ensemble d'unités métamorphiques (Fig. 66). D'Ouest en Est, on identifie les Maures occidentales, centrales et orientales. Les Maures occidentales sont composées de roches peu métamorphiques : phyllades, épischistes à chlorite et biotite. Au Nord d'Hyères, les phyllades du mont Fenouillet ont livré des graptolites du Silurien. Les niveaux de quartzites blancs évoquent ceux connus dans les Cévennes. Les amphibolites de Collobrières dérivent de protolithes basiques (basaltes, gabbros alcalins) mais ne sont pas métamorphisées dans des conditions de haute pression. Les Maures centrales sont formées de micaschistes, gneiss, et amphibolites dont certaines résultent de la rétromorphose d'éclogites. L'orthogneiss de Bormes-les-Mimosas résulte de la déformation syn-métamorphe d'un granite ordovicien. Les Maures orientales sont séparées des Maures centrales par le décrochement de Grimaud-Joyeuse qui limite vers l'Est un bassin houiller intra-montagneux du Carbonifère supérieur (Gzhélien). L'unité orientale est essentiellement constituée de migmatites issues de la fusion partielle d'orthogneiss et de paragneiss, et on y connait aussi des éclogites rétromorphosées en amphibolites.
L'évolution tectono-métamorphique du massif des Maures
L'évolution du massif des Maures peut être subdivisée en trois grandes étapes : i) un stade précoce de HP/MT responsable de l'épaississement crustal, ii) un stade barrowien de MP/MT, et iii) un stade tardif contemporain d'une importante fusion crustale, associée à la mise en place de dômes migmatitiques et de plutons granitiques. On se limitera ici à la présentation des différents évènements métamorphiques et structuraux du stade précoce.
i) L'évènement de HP/MT (−450 à −360 Ma)
Des roches basiques de HP, issues de protolithes variés : laves basiques, métagabbros, métagranites et péridotites, se rencontrent dans les Maures centrales (unités de la Croix Valmer, de Cavalaire ou de la Garde-Freinet) et sont connues depuis longtemps. Par comparaison avec les roches de HP de Sardaigne septentrionale, des conditions thermo-barométriques de 600-700°C et 1,5-2 GPa sont proposées. On connait également des petites masses de péridotites serpentinisées. La péridotite à grenat-spinelle de la Croix Valmer est un cumulat ultrabasique magmatique cristallisé à basse pression et métamorphisé dans des conditions de HP comprises entre 1,6 et 1,8 GPa et 850°C, voire de ultra-haute pression allant jusqu'à 2 à 2,8 GPa. Il est difficile de voir dans ces roches des méta-ophiolites. Comme pour le domaine moldanubien, une interprétation en termes de croute continentale amincie et injectée par des magmas basiques semble plus probable.
Dans les Maures orientales, des éclogites à disthène-saphirine-hypersthène, fréquemment rétromorphosées en granulites de HP et en amphibolites, forment des blocs (restites) au sein de migmatites. Des zircons extraits d'éclogites des Maures orientales donnent des âges U-Pb à 452 ±8 Ma et 431 ±4 Ma dont l'interprétation en terme d'âge de protolithe, de métamorphisme ou de mélange entre les deux phénomènes est délicate.
Par ailleurs, des orthogneiss métamorphisées dans le faciès granulite de HP sont reconnus dans les Maures centrales (granite de Barral dans l'orthogneiss de Bormes et dans le massif du Tanneron (granite du Bois-de-Bagnols). Dans ce dernier, des monazites d'un orthogneiss granulitique ont un âge compris entre 441 ±1 Ma et 410 Ma. Un âge chimique U-Th-Pb sur monazite à 410 ±10 Ma a également été obtenu pour un orthogneiss migmatitique du Tanneron qui pourrait correspondre à l'âge du métamorphisme de HP. Un paragneiss migmatitique des Maures orientales fournit un âge U-Th-Pb sur monazite à 382 ±11 Ma.
Il n'existe aucune donnée structurale permettant de caractériser l'évolution tectonique contemporaine du métamorphisme de HP. Selon la plupart des auteurs, il serait associé à une subduction océanique puis continentale vers l'Est d'un bloc comprenant les unités des Maures centrales et occidentales sous le bloc des Maures orientales.
ii) L'évènement barrowien de MP/MT (−360 à −340 Ma)
Il s'agit de la phase tectono-métamorphique majeure du massif des Maures-Tanneron (D1-M1 de Schneider et al., 2014). Depuis la région de Toulon-Hyères jusqu'à la faille de Grimaud-Joyeuse, on reconnait d'Ouest en Est la succession des isogrades chlorite, biotite, grenat, staurotide, disthène, sillimanite. La géométrie actuelle de la foliation et des isogrades à pendage Ouest (Fig. 67) indique une structure en dôme migmatitique et granitique. Dans le centre du dôme, le granite de l'Hermitan est daté à 338 ±6 Ma. Mais cette géométrie résulte de deux déformations syn-métamorphes. La structure en antiforme est postérieure ou contemporaine de chevauchements et de plissements post-foliaux à vergence Est, attribués au Carbonifère supérieur (vers 330 et 310 Ma).
Des amphibolites des Maures centrales donnent des contraintes thermo-barométriques de 700-750°C et 0,7-0,8 GPa. La foliation synchrone du métamorphisme barrowien porte des linéations d'allongement et minérales Nord-Sud et NNO-SSE, associées à un cisaillement vers l'Ouest ou le Nord-Ouest. Cet évènement majeur est daté vers 360 Ma par des monazites syn-métamorphes dans des paragneiss et des micaschistes des Maures centrales et orientales. L'orthogneiss de Bormes donne des âges U-Pb compris entre 345 et 339 Ma interprétés comme ceux du métamorphisme syntectonique. Par ailleurs la datation Rb-Sr d'une amphibolite donne un âge à 348 ±7 Ma interprété comme l'âge du métamorphisme.
iii) L'évènement tardif associé à l'anatexie régionale et probablement au “désépaississement”
La linéation minérale associée, appelée D2, est orientée Nord-Sud (Fig. 66). Cet épisode ne sera pas décrit ici.
L'ensemble Corso-Sarde
Le Nord de la Sardaigne présente de grandes analogies avec l'ensemble Maures-Tanneron car ces deux régions étaient proches avant l'ouverture du bassin algéro-provençal (Fig. 68). En particulier, les Maures centrales sont lithologiquement et structuralement comparables avec le domaine interne métamorphique de la zone des nappes dans la partie Nord-Ouest de la Sardaigne. La faille de Grimaud-Joyeuse se prolonge par la zone de cisaillement de Posada-Asinara, et le Nord-Est de la Sardaigne est un domaine migmatitique, avec des reliques éclogitiques, comparable aux Maures Orientales. Ainsi, le segment varisque de Corse représente la prolongation orientale du segment Maures-Tanneron.
En Corse, les ensembles varisques sont dispersés sous forme de septa de 1 à 20 km de long inclus au sein du batholite corso-sarde (Fig. 69). Ces méga-enclaves, peuvent être regroupées en quatre ensembles : i) les domaines de l'Argentella et des Agriates caractérisés par un socle néoprotérozoïque cadomien recouvert en discordance par une série sédimentaire paléozoïque allant de l'Ordovicien au Carbonifère, ii) un domaine situé au Sud de l'Argentella et à l'Ouest d'Ajaccio, formé de petits septa migmatitiques, iii) les septa de Zicavo, Solenzara, Fautea et Porto Vecchio dans lesquels les roches métamorphiques sont bien développées, iv) le domaine de Belgodère au Nord-Est de la Corse varisque caractérisé également par des roches métamorphiques partiellement migmatisées.
Le domaine de l'Argentella
Le domaine de l'Argentella est remarquable par la présence de la discordance ordovicienne sur un socle métamorphique néoprotérozoïque formé de micaschistes et d'amphibolites. Bien que ces roches métamorphiques ne soient pas datées, leur position sous les conglomérats ordoviciens conduit à les attribuer à l'orogenèse cadomienne. Le domaine de l'Argentella ne contient pas de roches métamorphiques varisques. Au Sud de cet ensemble, le petit massif de Topiti présente la particularité d'être formé de harzburgites serpentinisées et d'amphibolites.
Le septum de Zicavo
Le septum de Zicavo contient des lithologies variées : orthogneiss œillés, alternances leptyno-amphiboliques avec quelques blocs de serpentinites, micaschistes à biotite-grenat-staurotide ±disthène, métaconglomérats, micaschistes à biotite-muscovite-grenat-staurotide, micaschistes quartzeux noirs à séricite-chlorite ±graphite. Les différences paragénétiques conduisent à distinguer trois unités séparées par des contacts tectoniques : 1) un ensemble para- et orthogneissique inférieur, 2) un complexe leptyno-amphibolique intermédiaire, et 3) un ensemble métapélitique supérieur (Fig. 70). Les données structurales indiquent que le septum de Zicavo a été déformé par au moins deux phases tectono-métamorphiques. La première, caractérisée par des linéations d'allongement NE-SO et une cinématique vers le Sud-Ouest, est responsable de l'empilement tectonique. La seconde déformation, observée uniquement dans l'ensemble supérieur se caractérise par une linéation minérale et d'allongement orientée NO-SE et une cinématique vers le Sud-Est. Il n'existe pas de données thermo-barométriques précises, mais la paragenèse à biotite-grenat-staurotide ±disthène présente dans les métapélites de l'unité leptyno-amphibolique indique un métamorphisme dans le faciès des amphibolites (vers 0,8 GPa et 600°C, Fig. 71). La seconde déformation, contemporaine de conditions du faciès des schistes verts, se développe dans un contexte rétrograde pouvant correspondre à l'exhumation des séries métamorphiques. La monazite d'un micaschiste à biotite-grenat portant la linéation NO-SE donne un âge chimique U-Th-Pb à 336 ±5 Ma, interprété comme l'âge de la seconde phase de déformation.
Le septum de Porto Vecchio
Le septum de Porto Vecchio est constitué d'un ensemble inférieur orthogneissique surmonté tectoniquement par un complexe leptyno-amphibolique et des paragneiss à biotite-muscovite-grenat-sillimanite contenant des reliques de disthène et des couronnes réactionnelles à cordiérite-spinelle (Fig. 72). Ce septum présente de grandes analogies structurales avec celui de Zicavo. Une première déformation ductile cisaillante vers le Sud-Ouest contemporaine d'un métamorphisme de MP/MT, est suivie par un cisaillement ductile vers l'Est ou le Sud-Est. Mais contrairement au septum de Zicavo, celui de Porto Vecchio montre un métamorphisme de HT associé à une migmatisation débutante, contemporaine du second évènement. La foliation des paragneiss de l'unité supérieure porte une linéation d'allongement orientée NO-SE avec un pendage de 30 à 45° vers le Sud-Est, indiquant une cinématique dextre à composante normale.
Le septum de Solenzara-Fautea
Le septum de Solenzara-Fautea est essentiellement formé de migmatites datées vers 345 ±3 Ma (Fig. 73). La foliation migmatitique définit une structure en dôme recoupée par des intrusions granitiques. Ces anatexites renferment des blocs de pyrigarnite (roche métamorphique de haut degré à plagioclase-grenat-pyroxène), souvent rétromorphosée en amphibolites, de granulite de HP à disthène-grenat, également rétromorphosée en amphibolite, de gneiss et de marbre, mais on n'y reconnait aucune structure précoce. Les éclogites contiennent des zircons dont le cœur est daté entre 484 et 440 Ma, interprété comme l'âge du protolithe. En revanche, les couronnes des zircons donnent des âges à 418 ±6 Ma et 407 ±6 Ma, interprétés comme proche de l'âge du métamorphisme de HP. En outre, les zircons des granulites de HP donnent un âge de 361 ±3 Ma, considéré comme celui du métamorphisme de HP. Cependant, cet âge pourrait aussi correspondre à celui du métamorphisme de MP-MT qui rétromorphose les roches de HP.
Le septum de Belgodère
Le septum de Belgodère est le plus vaste du domaine varisque corse (Fig. 74A). Il est également constitué de métatexites datées entre 345 ±1 et 338 ±1 Ma. Ce septum est structuré en antiforme de foliation déversé vers l'Est (Fig. 74B). Il contient des blocs variés d'orthogneiss, paragneiss, micaschistes à biotite-muscovite-grenat-staurotide, métaconglomérats, amphibolites dont certaines sont associées à des gneiss acides pour constituer un complexe leptyno-amphibolique. Des amphibolites à grenat montrent des textures de symplectite de plagioclase-amphibole-épidote autour de grenat indiquant que ces roches ont connu un stade éclogitique précoce. Mais il n'existe aucune donnée thermo-barométrique, structurale, ou géochronologique détaillée sur les roches métamorphiques pré-migmatitiques.
L'ensemble migmatitique d'Ajaccio
L'ensemble migmatitique d'Ajaccio (Fig. 69) ne contient pas de reliques remarquables. Les zircons extraits des leucosomes donnent des âges à environ 345 Ma (Viséen).
L'architecture générale du segment varisque corso-sarde représenté sur la figure 75 présente de fortes analogies avec celle observée dans le segment varisque principal (Fig. 65). La Corse renferme deux sutures ophiolitiques, occidentale et orientale, corrélables avec les sutures éo-varisques et du Conquet du Massif Armoricain. La partie méridionale de la Corse correspond donc au domaine moldanubien. Les septa de Zicavo et de Porto Vecchio montrent des contacts chevauchants vers le Sud ou le Sud-Est entre une unité orthogneissique inférieure et un ensemble supérieur contenant un complexe leptyno-amphibolique. Il est ainsi raisonnable de proposer que l'ensemble inférieur pourrait correspondre à l'Unité Inférieure des Gneiss et l'ensemble supérieur à l'Unité Supérieure des Gneiss. Malgré l'importance de la fusion crustale, on retrouve dans les unités varisques de Sardaigne des équivalences avec celles du Sud du Massif Central et des Pyrénées. La similarité des turbidites de l'avant-pays sarde avec les flyschs du Sud de la Montagne Noire, des Pyrénées et l'ile de Minorque aux Baléares est reconnue depuis longtemps. La pile de nappes de l'unité des Plis-et-Chevauchements, de l'unité Para-Autochtone et de l'Unité Inférieure des Gneiss se retrouve clairement en Sardaigne. La corrélation des unités moldanubiennes se poursuit si l'on considère également la rotation anti-horaire d'environ 30°de l'ensemble corso-sarde par rapport au Massif des Maures (Fig. 68). La discordance du Paléozoïque sur des roches métamorphiques néoprotérozoïques de l'Argentella suggère que le Nord de la Corse appartient au microcontinent Armorica. Cependant, on ne peut pas exclure que le domaine cadomien de l'Argentella et de sa couverture paléozoïque représente une nappe charriée vers le Sud sur des roches métamorphiques varisques qui serait comparable à la nappe des Mauges dans le Sud du Massif Armoricain. Enfin, compte tenu des déformations syn-métamorphes dirigées vers le Nord-Est, l'ensemble de Belgodère serait ainsi corrélable avec le domaine du Léon et plus généralement avec le domaine saxo-thuringien.
Le socle varisque des Alpes
Le socle varisque est bien représenté dans les massifs cristallins externes et internes des Alpes, ainsi que dans les nappes austro-alpines de la Dent Blanche et de Sesia (Fig. 76).
Les massif cristallins externes
Ces massifs sont essentiellement formés de migmatites et de nombreux plutons granitiques d'âge carbonifère supérieur qui ne seront pas présentés ici. En outre, on identifie aussi des séries métamorphiques de MP/MT ou de BP/BT dont certains éléments sont inclus dans les migmatites. On reconnait notamment des blocs d'orthogneiss, et d'éclogite ou de granulite de HP, souvent rétromorphosées en amphibolites.
Les massifs de Belledonne-Pelvoux
Les massifs de Belledonne-Pelvoux présentent la plus grande diversité lithologique. Ils ont fait l'objet de nombreuses études. Le massif de Belledonne (Fig. 77) est subdivisé en trois parties : i) le domaine occidental (ou « série satinée ») formé d'alternances gréso-pélitiques flyschoïdes d'âge ordovicien, déformées par des plis droits d'axe NE-SO et métamorphisées dans le faciès des schistes verts, ii) le domaine central structuré en plusieurs unités métamorphiques détaillées ci-dessous, et iii) le domaine oriental qui inclut aussi les massifs des Grandes Rousses et du Pelvoux, essentiellement constitué de gneiss et de migmatites. Les limites entre ces trois domaines sont des failles ductiles ou fragiles à jeux décrochants et chevauchants actifs du tardi-varisque à l'alpin. Ces failles sont parfois appelées la « zone de cisaillement Est-varisque » (ou East Variscan Shear Zone), mais l'ampleur du mouvement dextre n'est pas connu.
Le domaine central de Belledonne est constitué de trois unités tectono-métamorphiques superposées, de haut en bas (Fig. 77, Fig. 78).
1) La nappe ophiolitique de Chamrousse est composée de serpentinites, gabbros, dolérites et roches volcano-sédimentaires basiques. Les protolithes gabbroïques sont datés vers 500-496 Ma. Cette nappe ophiolitique est faiblement métamorphique, mais les gabbros ont préservé un métamorphisme océanique pré-orogénique.
2) L'unité de Rioupéroux-Livet est un ensemble volcano-sédimentaire et plutonique bimodal dont la partie la plus profonde est partiellement migmatitique.
3) La série volcano-sédimentaire du Taillefer, datée paléontologiquement du Viséen supérieur, et exempte du métamorphisme de MP/MT, semble reposer en discordance sur les deux unités sous-jacentes, mais le contact a pu rejouer lors des évènements tardi- à post-varisques voire alpins.
Les études pétrologiques et structurales de l'unité de Rioupéroux-Livet ont montré son caractère polymétamorphique et polyphasé. Un métamorphisme précoce Dx de MP/MT à biotite-grenat-disthène caractérisé par des conditions thermo-barométriques de 427 ±16°C et 0,68 ±0,1 GPa est contemporain de la mise en place des ophiolites de Chamrousse sur l'unité de Rioupéroux-Livet (Fig. 78). Une amphibole donne un âge Ar/Ar de 376 ±7 Ma. Un second métamorphisme, D1, à biotite-grenat-staurotide représente l'évènement majeur, contemporain d'un cisaillement ductile vers le Nord-Est. Il se développe dans des conditions de 600 ±14°C et 0,58 ±0,66 GPa. Une monazite contemporaine de ce métamorphisme barrowien donne un âge ICP-MS à 337 ±7 Ma. La déformation se poursuit dans un contexte de décompression isotherme jusqu'à des pressions de 0,7 ±0,2 GPa (Fig. 79). Les roches alumineuses de la partie inférieure de l'unité de Rioupéroux-Livet ont subi un début d'anatexie donnant naissance à des leucosomes à sillimanite-cordiérite. Dans le Nord Belledonne, les migmatites contiennent des blocs d'éclogites anciennement datées à 395 ±2 Ma. De nouvelles datations montrent une histoire plus complexe avec des cœurs datés entre 480 et 450 Ma, interprétés comme les âges des protolithes et des bordures présentant un âge Carbonifère (vers 340 Ma, J.-B. Jacob, thèse en cours). Des âges encore plus récents, entre 330 et 300 Ma, correspondent aux évènement thermiques : anatexie et plutonisme tardi-orogéniques.
Le massif du Pelvoux, est essentiellement constitué de migmatites et de granites, probablement structuré en dôme métamorphique. On reconnait dans les migmatites des blocs restitiques d'orthogneiss issus de granites ordoviciens et d'amphibolites à grenat dérivant probablement d'éclogites. Par ailleurs, la partie Sud-Est du massif, ou « enveloppe corticale du Pelvoux » expose une série volcanosédimentaire appelée « série du Chaillol » identique à celle de Rioupeyroux-Livet de Belledonne (Fig. 76).
Le massif du Mont Blanc-Aiguilles Rouges
Le massif du Mont Blanc-Aiguilles Rouges présente des analogies avec celui de Belledonne (Fig. 80A). Des formations volcano-sédimentaires d'âge viséen, métamorphisées dans le faciès des schistes verts, sont comparables à la série du Taillefer, mais du fait de la tectonique alpine, les foliations sont verticalisées et les limites lithologiques sont déformées, de sorte qu'il n'est pas possible de caractériser la nature, discordante ou tectonique du contact. Toutefois, ces séries surmontent un ensemble de micaschistes, gneiss, et migmatites recoupés par des granites datés du Carbonifère supérieur : 303 ±2 Ma pour le granite du Mont-Blanc, 307 ±2 Ma pour le granite de Vallorcine. Les migmatites et granites d'anatexie associés sont respectivement datés à 320 ±1 et 332 ±2 Ma pour le granite de Pormenaz, et 331 ±2 Ma pour le granite des Montées Pélissier. Les migmatites renferment des blocs d'orthogneiss, marbres, ultrabasites, amphibolites à grenat et éclogites. Les conditions de formation des éclogites du Lac Cornu sont estimées à 780°C et 1,1 GPa. Un âge U-Pb sur zircon de ces éclogites à 453 ±3 Ma est interprété comme celui du magmatisme basique du protolithe. Les métapélites à biotite-grenat-staurotide ±disthène (ou sillimanite) ont cristallisé dans des conditions de 650°C et 0,4 à 0,6 GPa. Les monazites contemporaines de ce métamorphisme barrowien donnent des âges U/Pb ICP-MS de 327 ±2 Ma. Par ailleurs, d'autres monazites sont datées par la méthode chimique U-Th-Pb à 440 Ma. L'analyse structurale de la partie Sud-Est du massif des Aiguilles Rouges montre l'existence de chevauchements ductiles syn-métamorphes dirigés d'Ouest en Est, accompagnés d'une composante décrochante dextre (Fig. 80B).
Le massif cristallin externe de l'Argentera
Le massif cristallin externe de l'Argentera (Fig. 81) est formé de deux complexes de gneiss et de migmatites, séparés par le décrochement ductile dextre de Ferrières-Molières dans lequel des muscovites de mylonites donnent des âges Ar/Ar compris entre 315 et 305 Ma. Plusieurs décrochements ductiles sont réactivés par des déformations de plus basse température lors de l'orogenèse alpine entre 34 et 22 Ma.
Le complexe métamorphique oriental de Gesso-Strura-Vésubie est composé de granite d'anatexie et de migmatites contenant de nombreux septa de lithologies variées : paragneiss, orthogneiss, amphibolites, marbres. Les amphibolites proviennent de la rétromorphose de granulites et d'éclogites. Les conditions thermo-barométriques de l'éclogitisation sont estimées à 1,4 GPa et 735°C. Des âges U-Pb sur les zircons des éclogites à 486 ±7 et 459 ±4 Ma sont interprétés comme ceux du protolithe. Les âges dévono-carbonifères à 424 ±4, 351 ±1 et 327 ±1 Ma sont interprétés en terme de polymétamorphisme. Les granulites de HP contiennent des zircons datés par la méthode U-Pb par ICP-MS, à 341 ±4 et 336 ±4 Ma.
Le complexe occidental de la Tinée ne diffère guère du complexe oriental. Des migmatites, dérivées de l'anatexie de paragneiss, d'orthogneiss et de grauwackes, renferment des blocs d'amphibolites elles-mêmes formées par la rétromorphoses de gabbro éclogitiques ou granulitiques.
Dans l'ensemble du massif, la foliation orientée NO-SE présente un fort pendage vers le Nord-Est, mais cette géométrie n'est sans doute pas primaire, elle résulte en grande partie de la tectonique alpine. Très schématiquement, le massif de l'Argentera peut être considéré comme un dôme migmatitique de grand axe NO-SE. Les déformations ductiles varisques syn-métamorphes, antérieures à la migmatisation, ne sont pas élucidées.
Les domaines alpins internes : massifs cristallins internes et briançonnais
Dans ces massifs, la très forte empreinte alpine masque largement les évènements varisques. Néanmoins, diverses traces reliques de métamorphisme précoce anté-alpin sont reconnues (pour une revue récente bien documentée voir Ballèvre et al., 2018). Seuls quelques points marquants sont résumés ci-dessous.
Dans le Grand Paradis (Fig. 76), le cœur de grenats varisques en équilibre avec un assemblage à biotite-staurotide-muscovite donne des conditions thermo-barométriques de 620°C et 0,6 GPa. Des micaschistes varisques à biotite-grenat-sillimanite cristallisés à 650-700°C et 0,4-0,7 GPa sont reconnus dans le Nord du massif de Dora Maira. On trouve des roches comparables dans le massif d'Ambin où des micas donnent des âges Ar/Ar compris entre 350 et 340 Ma.
Dans la zone briançonnaise, les micaschistes de l'encaissant de l'orthogneiss du Sapey (Fig. 76), contiennent des reliques de grenat, staurotide et disthène considérés comme varisques. Ainsi, il semble que le socle varisque de la zone briançonnaise et des massifs cristallins internes ait subi au moins un épisode métamorphique de MP/MT au Carbonifère inférieur (vers 350-340 Ma), antérieurement aux phénomènes de fusion crustale et de mise en place des plutons à la fin du Carbonifère. Compte tenu de l'importance des déformations et des métamorphismes alpins, il n'existe aucune donnée structurale détaillée concernant les évènements syn-métamorphes varisques.
Les hypothétiques corrélations entre le socle alpin et les domaines varisques principaux
Ainsi en dépit des évènements tectoniques et métamorphiques alpins, quelques corrélations raisonnables peuvent être proposées. Par son âge et la position structurale au sommet de l'édifice de nappes, l'unité du Taillefer est similaire à la formation des « Tufs Anthracifères » du Massif Central. L'unité de Rioupéroux-Livet avec son caractère magmatique bimodal est comparable mais un peu plus récent que l'Unité de la Brévenne. Nonobstant, ces analogies ne démontrent pas l'appartenance du massif de Belledonne au domaine moldanubien car des formations identiques se retrouvent également dans le domaine saxo-thuringien.
À l'échelle de la chaine varisque toute entière, les corrélations du socle des Alpes avec les différents domaines de la chaine hors du domaine alpin, dépendent essentiellement de la place attribuée aux ophiolites de Chamrousse dans le schéma structural. Les ensembles métamorphiques des massifs cristallins alpins sont souvent attribués au domaine moldanubien et les ophiolites de Chamrousse seraient charriées vers l'Ouest. Cependant, cette hypothèse pose plusieurs problèmes. i) Il semble difficile de considérer que la nappe ophiolitique de Chamrousse ait chevauché les séries turbiditiques du rameau externe de Belledonne compte tenu du faible degré de déformation et de métamorphisme de ces séries turbiditiques. En outre, les cinématiques dirigées d'Ouest vers l'Est ne s'accordent pas avec un tel chevauchement. ii) Il est également difficile d'envisager que la place des ophiolites de Chamrousse à l'Est du rameau externe soit due au mouvement décrochant senestre tardif de la zone de cisaillement Est-varisque. Dans l'hypothèse d'une mise en place vers l'Est de la nappe ophiolitique, il faut admettre que la zone de suture ophiolitique dans laquelle s'enracine la nappe se situait à l'emplacement de l'actuelle limite entre les domaines occidentaux et orientaux de Belledonne.
La question est alors de savoir à quelle suture attribuer les ophiolites de Chamrousse sachant que l'âge du magmatisme ophiolitique n'apporte aucun élément de décision puisque les océans varisques Médio-Européen, Rhéique méridional et Rhéique principal se sont tous ouverts à la même époque entre la fin du Cambrien et l'Ordovicien inférieur (vers 500 et 470 Ma).
Pour ces raisons, nous proposons donc que les ophiolites de Chamrousse représentent un fragment de l'océan Rhéique méridional. Dans cette interprétation, la « série satinée » de Belledonne externe appartiendrait à l'Armorica et les massifs alpins situés sous les ophiolites appartiendraient au domaine saxothuringien.