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Conférence | 15/05/2002

La position de l'Homme dans l'Univers après la révolution des concepts scientifiques du siècle dernier

15/05/2002

Danièle Léon

Observatoire CRAL - École Normale Supérieure de Lyon

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Compte-rendu d'une conférence d'Albert Jacquard à l'ENS de Lyon.


Compte-rendu de la conférence d'Albert Jacquard du 26 février 2002 à l'ENS de Lyon.

Résumé

Albert Jacquart a présenté l'apport de la théorie de la relativité et du Big Bang sur les concepts de temps et d'espace, l'apport de la découverte de l'ADN sur la définition du Vivant et de son unité, l'apport de la découverte de la position de la Terre et de l'Homme, « poussière d'étoiles », dans le cosmos. Aujourd'hui, l'homme apparaît comme le seul être vivant capable de transmettre des émotions, de se projeter dans l'avenir et de tisser des liens avec ces semblables.

À propos du rôle de notre système éducatif, Jacquard estime qu'il occupe une position fondamentale dans le développement de l'Homme, dans l'apprentissage de la communication, du dialogue, de l'écoute, de l'échange entre tous les hommes et dans le dépassement de soi (sans compétition ni élitisme, mais simplement par émulation personnelle).

Sans hiérarchie entre les individus et sans sélection élitiste, l'éducation doit contribuer à la création d'une société nouvelle pour tous les peuples, centrée sur la recherche d'un bien Commun. Chacun pourrait y apporter sa part stimulante, à force d'affirmations et de remises en questions. Cette révolution, après celle des concepts scientifiques du siècle dernier, est celle de la pensée.

Compte-rendu de l'intervention

Quelques minutes avant de prendre place devant son auditoire, Albert Jacquard confie à ses voisins du premier rang où il est assis : L'homme et la science à l'aube du XXIème siècle… On peut dire tout et n'importe quoi avec un tel titre ! . Étant juste derrière lui, je me permets d'exprimer ce que je pense être la promesse contenue dans ce titre : « Ah non, pas n'importe quoi, l'orientation et l'enjeu du thème sont déjà suggérés : comment l'homme voit-il le futur ? ». Ce qui suscite de la part de notre conférencier une réponse qui d'emblée nous livre le fond de sa pensée : « Eh bien justement, c'est ainsi que je caractérise ce que seul l'homme sait faire : penser et faire le futur ».

La première partie de son exposé traite des multiples inventions conceptuelles du XXème siècle, qui ont fait évoluer les références « de base » de l'expérience humaine telles que le concept de Temps (que voudrait dire un « avant » Big-Bang ?), de la Vie (est-ce que la vie n'est plus « que de l'ADN » ?), du Vrai et Faux (n' y a-t-il pas entre les deux un « indécidable » irréductible ?), de l'Infini (les deux infinis ne sont pas équivalents). Notre biologiste polytechnicien est visiblement dans son élément, jonglant avec les paradoxes, enveloppés dans quelques bonnes histoires qui nous coupent le souffle, de sorte que, dans cet équilibre de funambule, le temps et l'espace ne puissent être saisis que dans une pensée prête à toutes les métamorphoses.

Ayant ainsi dressé le tableau des concepts qui ont révolutionné notre vision du monde, Albert Jacquard, changeant de registre, y fait alors apparaître François d'Assise, le plus grand poète, nous dit-il, celui qui ayant nommé l'oiseau son frère, l'eau sa sœur, révèle poétiquement la réalité d'un arbre généalogique commun entre l'homme et tous les êtres terrestres. Et maintenant vient la question : « l'homme, cette « poussière d'étoile » est-il un être particulier au sein du cosmos ? », à laquelle Albert répond : « il sait qu'il a une histoire, que le monde a une histoire, donc aussi un avenir, et qu'il dépend de lui de savoir l'envisager, afin d'en être créateur ». Mais que l'homme ait cette faculté d'être créateur d'avenir, ne veut pas dire qu'il va s'en servir, et de façon bénéfique, pour le progrès de tous. Car l'homme « refermé sur lui-même », concrétisant des principes d'éducation où l'on doit à tout prix être meilleur que l'autre, chercher son intérêt avant ceux des autres, ne trouve pas de vraie fécondité, dans un noyau qui s'isole de son milieu.

L'avenir du monde se joue finalement dans la capacité des humains à se rencontrer, se considérer les uns les autres, afin d'arriver à se comprendre mutuellement, en apprenant à écouter le point de vue de l'autre, et ceci afin de composer le « nous » de l'humanité. Ce Nous n'est pas fait à priori, il doit être l'œuvre des hommes. La nature, elle, n'a fait que le cadre, elle a posé les éléments, sans intention. C'est à l'homme de faire des projets d'avenir, pour transformer cette nature, l'améliorer, l'adapter à des buts qu'il se donne, les ayant pensés au préalable. Mais pour que ces buts soient conformes à l'intérêt commun des êtres peuplant la planète et son univers, dans l'esprit de cette fraternité invoquée par François d'Assise, l'homme doit apprendre à composer avec le point de vue de l'autre. Et cela devrait être le but central du système éducatif : apprendre à rencontrer l'autre, à aider l'autre dans son évolution. Si je rencontrais Marie-José Pérec, imagine Albert, et qu'elle m'invite sur la piste de course, mon but ne serait pas, bien sûr, de vouloir courir plus vite qu'elle, mais, stimulé de la voir devant moi, qu'elle m'aide à courir plus vite que moi !

Ce que je suis réellement, conclut Albert Jacquard, ce n'est pas mon support, ce n'est même pas non plus mon intelligence personnelle. Ce que je suis, ce sont les liens que je tisse avec les autres.

Et pour que nous ayons bien compris que ce qui le soucie avant tout c'est l'avenir du monde, il nous fait part de son expérience, lors d'un récent voyage en Palestine, d'un regard partagé avec Yasser Arafat, regard en lequel, silencieusement, vivait la force d'une pensée formant l'espoir de pouvoir un jour se comprendre les uns les autres.

Au moment des questions un étudiant fait la remarque suivante : « Dans un échange, où est le « nous », si c'est simplement le plus fort qui exprime son avis et monopolise la parole ? », ce à quoi, dans l'esprit voulu par Albert Jacquard des pensées qui s'écoutent, se complètent et s'enrichissent mutuellement, je proposai d'apporter la précision suivante : le « nous » authentique ne se forme pas dans un mélange indistinct de « je » se fondant dans une masse, où c'est de fait le plus fort qui dirige, mais par un travail social progressif où alternent dans le rythme parole-écoute le point de vue exprimé par un « je » à un « toi », enrichi et transformé par ce que le « toi » exprimera à son tour. Albert approuva et je me permettrai de dire, en conclusion, que cette deuxième révolution qu'il propose, après celle des concepts, est celle de la pensée qui n'a pas à être revendiquée comme une possession personnelle mais vue comme une recherche d'un Bien commun, accessible seulement si chacun y met sa part individuelle et en cela stimulante, s'il est autant capable d'affirmer ce qu'il pense être vrai, que de se remettre en question lorsqu'il voit qu'il se trompe, qu'il a mal vu.

Bibliographie

A. Jacquard, À toi qui n'es pas encore né(e), Éditions Le Livre de Poche, Janvier 2002.