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Article | 29/12/2012

Lusi, volcan de boue de Sidoarjo (Indonésie) : naissance, controverses et impacts

29/12/2012

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Un volcan de boue urbain sur l'île de Java : débats d'experts à portée scientifique, économique, sociétale et environnementale.


Un événement inédit dans l'île de Java

Le 29 mai 2006, plusieurs petits cratères apparaissent à proximité (200 m) du puits de prospection pétrolière Banjar Panji 1 (BJP1) de la société Lapindo Brantas, puits ayant connu plusieurs incidents techniques les jours précédents et certains quelques heures seulement avant le début de l'éruption de boue. Le volcan de boue prend également naissance deux jours après un puissant séisme à Yogyarkarta, d'une magnitude de 6,3 dont l'épicentre était à 250 kilomètres (voir carte de localisation). Ces cratères rejettent boue, eau chaude voire bouillante, et gaz (principalement méthane et CO2). Rapidement, un cratère principal englobe les autres et est par la suite nommé Lusi : lu- pour lumpur (boue), et -si pour le district de Sidoarjo, dans la province de Java-Est (Jawa Timur). Six ans et demi plus tard, Lusi est toujours actif et le caractère naturel (séisme) ou humain (accident de forage) de son déclenchement reste débattu, même si de nombreux experts s'accordent à reconnaître que le rôle de l'homme a été prépondérant.

Localisation de Sidoarjo sur l'île de Java, Indonésie

Figure 1. Localisation de Sidoarjo sur l'île de Java, Indonésie

Java se trouve environ 200 km au Nord de la zone de subduction de la plaque indo-australienne sous la plaque eurasiatique. Les volcans actifs sont indiqués ("volcans fumants). Sidoarjo (punaise jaune) se situe à l'arrière (ici, au Nord) de la ligne volcanique liée à la subduction.


Cet événement est très rare du point de vue scientifique. C'est en effet la première fois que l'on peut suivre, observer et échantillonner la naissance d'un volcan de boue. Il s'agit aussi d'un événement à fort impact socio-économique car il touche une zone urbaine. Il a, de fait, causé des dégâts matériels importants, même s'il a provoqué peu de victimes vu la relative lenteur du phénomène. Il nécessite encore aujourd'hui des moyens financiers et techniques considérables pour indemniser les personnes et les entreprises touchées, poursuivre l'endiguement de la zone recouverte de boue et assurer le suivi du phénomène pour parer toute éventualité.

La thèse de l'accident de forage étant avancée, la détermination des responsabilités a fait débat. Un accord original a été obtenu et validé par décrets présidentiels : la société de forage a accepté d'indemniser les victimes mais n'est pas officiellement reconnue comme "responsable".

Jaillissement de boue et vapeur à Sidoarjo, septembre 2006

Figure 2. Jaillissement de boue et vapeur à Sidoarjo, septembre 2006

Des levées de terre ont rapidement été édifiées pour contenir les épanchements de boue.



Une mosquée indonésienne partiellement ensevelie sous la boue, Sidoarjo, mai 2008

Figure 4. Une mosquée indonésienne partiellement ensevelie sous la boue, Sidoarjo, mai 2008

La boue, par endroit, s'assèche et se compacte... avant d'être parfois recouverte par de nouvelles coulées.


Les volcans de boue

Des fluides et de la boue

Les volcans de boue sont l'expression en surface d'une association de facteurs géologiques en profondeur : niveaux sédimentaires meubles (de type argiles) et fluides sous pression.

Les fluides profonds, moins denses que le milieu dans lequel ils se trouvent, ont naturellement tendance à remonter vers la surface tant qu'ils ont la possibilité de migrer vers la surface via la perméabilité interconnectée et les fissures traversant les niveaux sédimentaires. Le fluide est très souvent de l'eau, parfois accompagnée de CO2 et/ou d'hydrocarbures liquides ou gazeux. Les hydrocarbures peuvent aussi être seuls, sans eau. La remontée peut atteindre « tranquillement » la surface où l'on observe des suintements ou flaques d'hydrocarbures (cf. Puy de la Poix), ou des émanations gazeuses de CO2 (cf. sources thermo-minérales d'Auvergne), qui peuvent prendre feu et former de petites torchères naturelles (cf Fontaine Ardente du Dauphiné) dans le cas de gaz riche en méthane. S'ils traversent des terrains meubles lors de leur remontée, ces fluides peuvent mobiliser au passage argiles ou sables qui constitueront tout ou partie de la fraction solide de la boue. Comme pour les volcans de lave, la quantité, le débit et la viscosité des boues induit une morphologie allant de l'épanchement de coulées à la formation de dômes pouvant atteindre quelques dizaines de mètres de hauteur (cf. les volcans de boue de Nirano, cratères et coulées).

La migration peut aussi être stoppée par un niveau imperméable et/ou par la fermeture des fissures, quand la pression des fluides est insuffisante pour les maintenir ouvertes. Les fluides s'accumulent alors dans ce piège, leur migration postérieure nécessitant une modification du rapport de forces piège/ pression de fluides.

La pression peut augmenter de manière progressive sous l'action de forces tectoniques (déformations à l'échelle du bassin sédimentaire) ou du fait de l'arrivée de nouveaux fluides. Si la pression devient suffisante, elle peut réactiver ou créer des échappatoires à travers les niveaux imperméables.

En cas de séisme, le système peut être perturbé par la propagation d'ondes de pression. Une première conséquence est la possible liquéfaction de niveaux gorgés de fluides (phénomène de thixotropie, comme le sable humide de la plage se liquéfie sous nos tapotements, analogues des trains d'ondes sismiques). D'autre part, un séisme peut réactiver des fractures ou fissurer le couvercle imperméable. Le piège étant alors ouvert, les fluides retenus, voire les niveaux liquéfiés, peuvent s'échapper et atteindre la surface.

Lorsque les fluides sont des hydrocarbures piégés dans une poche circonscrite, leur libération peut être d'origine humaine dans le cas d'une exploitation pétrolière ou gazière.

Contextes favorables, cas de Java

La présence de niveaux riches en fluides sous pression est favorisée dans les milieux connaissant, ou ayant connu, de forts taux de sédimentation. En effet, une sédimentation « classique » voit les dépôts sédimentaires enfouis sous les sédiments qui s'accumulent, mais à un rythme permettant une compaction « lente », qui libère généralement la phase aqueuse (eau, eau de mer et éléments dissouts). En cas de forte sédimentation, des passées sédimentaires plus compactes vont pouvoir piéger des sédiments sous-jacents peu compactés, gorgés d'eau, voire de matière organique non dégradée.

Ces conditions se retrouvent dans de nombreux bassins sédimentaires anciens, comme le bassin flexural de la plaine du Pô pour les volcans de boue de Nirano), ou comme certains bassins pétrolifères. Une forte sédimentation est aussi observée à l'embouchure de grands fleuves (delta du Niger, golfe du Mexique par exemple). De telles accumulations ont aussi lieu à l'avant de certaines zones de subduction où les sédiments de la plaque qui entre en subduction sont, en quelques sorte, raclés et entassés sur le bord de la plaque supérieure et forment ce qu'on appelle des prismes d'accrétion. Dans ce contexte particulier, de fortes contraintes tectoniques liées à la subduction induisent une mise sous pression accrue des sédiments et donc des fluides incorporés.

Des conditions favorables à l'émergence de volcans de boue se retrouvent ainsi en de nombreux endroits. Les volcans de boues les plus spectaculaires sont certainement en Azerbaïdjan (avec parfois des bouffées de méthane qui s'enflamment naturellement... et des circuits touristiques pour les admirer). On en trouve aussi au Pakistan, au Japon, en Mongolie, en Nouvelle-Zélande et, plus près de chez nous, en Roumanie (Berca) ou en Italie (Nirano, Aragona)... liste non exhaustive.

Localisation du volcan de boue Lusi, district de Sidoarjo, sur l'île de Java

Figure 5. Localisation du volcan de boue Lusi, district de Sidoarjo, sur l'île de Java

Les principaux complexes volcaniques sont représentés en gris clair. Le point de coordonnées 7°S-11°E est proposé comme repère. Lusi se situe sur la partie orientale de l'île de Java, au N-E du complexe Arjuno-Welirang (A-W), sur la faille de Watukosek (f.W, en blanc).

À 200 km au Sud de la côte se trouve une fosse océanique marquant la subduction de la plaque indo-australienne sous la plaque eurasiatique portant Java. Cette subduction et la tectonique associée sont à l'origine de la sismicité et du volcanisme dans la région.


Sur l'île de Java, une forte sédimentation paléogène en contexte extensif de bassin d'arrière-arc (lié à la subduction de la plaque indo-australienne sous la plaque eurasiatique), suivie d'une forte sédimentation miocène à actuelle dans ce bassin repris en contexte compressif (jeu local de micro-blocs tectoniques), aboutit à la formation d'une importante pile sédimentaire composée de bans carbonatés, de sédiments liés à l'activité volcaniques (sables volcano-clastiques) et d'argiles. Des volcans de boue éteints et actifs sont répertoriés et connus. À l'aplomb de Sidoarjo, la formation carbonatée miocène est surmontée d'une formation de sables volcano-clastiques, puis d'une puissante formation argileuse d'environ 1000 m d'épaisseur appelée « bluish grey clay » (argiles grises bleutées), puis d'encore environ 1000 m d'une alternance de bancs argileux et sableux. Des niveaux à fluides sous pression sont présents dans la partie inférieure des « argiles grises bleutées » ainsi qu'à la base de l'alternance argilites-sables. La présence plus en profondeur, d'hydrocarbures, exploités sur l'île de Java d'où le forage BJP1, contribue à l'existence, au moins localement, de niveaux ou poches sous pression. Une dernière particularité locale est la proximité d'un complexe volcanique actif (Arjuno-Welirang) qui peut induire en profondeur des intrusions magmatiques conduisant au réchauffement, à la mise sous pression et à la possible migration de fluides dans le réseau de fractures du bassin.

Lusi, événement naturel ou accidentel ?

La naissance d'un volcan de boue en zone urbanisée posant de nombreux problèmes techniques et sociaux, elle a un coût économique qui amène une recherche de responsabilité. Le caractère naturel (catastrophe naturelle) ou accidentel (origine humaine... avec responsables solvables et/ou assurés) a été étudié et débattu dans de nombreux travaux dont les protagonistes majeurs, sont Mazzini et Sawolo pour la thèse "naturelle", et Davies et Manga pour la thèse "accidentelle". Passons en revue les principaux arguments des uns et des autres.

Un puissant séisme en contexte favorable

Deux faits principaux sont retenus pour étayer l'hypothèse du déclenchement naturel de Lusi. Tout d'abord, l'éruption a eu lieu deux jours seulement après le séisme de Yogyarkarta en 2006, à 250 kilomètres, séisme d'une magnitude de 6,3 sur l'échelle de Richter qui a pu générer des surpressions voire la liquéfaction de niveaux profonds. De plus, la zone impactée par Lusi est aussi à l'aplomb de la faille dite de Watukosek, faille réactivée après ce séisme comme l'attestent, par exemple, des décalages affectant réseaux ferrés et conduites d'eau ayant nécessité des réparations à plusieurs reprises. Selon Mazzini, et d'autres chercheurs, le séisme de Yogyarkarta aurait engendré surpression et liquéfaction en profondeur et permis la réactivation de la faille de Watukosek, conjonction de facteurs à l'origine de l'éruption du volcan de boue de Sidoarjo.

Dans une étude statistique contradictoire sur le rôle supposé des séismes dans le déclenchement ou la réactivation de phénomènes naturels, Manga et al. ont collecté les données disponibles reliant séismes et volcans de boue. Dans un diagramme "magnitude du séisme / distance épicentre-volcan de boue", ils ont déterminé une limite séparant deux domaines, l'un pour lequel les séismes ont engendrés ou réactivé un volcan de boue (séismes puissants et/ou proches du cratère), et l'autre pour lequel aucune corrélation n'a été observée (séismes peu puissants et/ou trop éloignés du cratère). En replaçant les données du 27 mai 2006 (magnitude 6,3 et distance de 250 km) dans ce diagramme, il apparaît que le séisme de Yogyakarta aurait été trop faible et/ou trop éloigné du site de Lusi pour pouvoir être considéré comme événement déclencheur de Lusi. Les auteurs de cette étude statistiques signalent aussi qu'au cours des années précédentes, plusieurs séismes plus proches et/ou plus intenses que celui de 2006 ont eu lieu, sans provoquer pour autant la naissance d'un volcan de boue à Sidoarjo.

Des incidents techniques à l'origine d'un accident de forage

La proximité (200 mètres) entre le forage BJP1 et le point initial de sortie du volcan Lusi est un fort argument en faveur d'un lien de causalité entre les travaux de prospection et la naissance du volcan de boue. Pour Davies, l'étude des données du forage BJP1 plaide en faveur d'un accident de type « blowout » (« éruption incontrôlée »), suite aux problèmes techniques survenus les 27 et 28 mai 2006.

Lors d'un forage, il est important de surveiller la pression dans le puits. La tête de forage, supportée par une tige creuse au centre de laquelle est extraite la matière remontée en surface, engendre un puits de section supérieure à celle de la tige. Il existe donc un espace entre les flancs du puits et la tige centrale. Dans cet espace périphérique sont injectées des boues denses (suspension dans de l'eau de barytine, BaSO4 de densité 4,48) pour maintenir une pression proche de la pression avant forage. En effet, si les flancs du puits ne sont pas tubés ou cimentées, cela évite l'éboulement des flancs mais aussi la remontée de fluides sous pression présents dans les niveaux traversés trouvant là un exutoire vers la surface. D'autre part, des tests de pression de fuite (leak off test) sont effectués afin de déterminer une pression maximale à ne pas dépasser dans le puits pour éviter, cette fois, la fuite de fluides de forage de l'intérieur du puits vers les terrains traversés.

Selon Davies, les relevés techniques pendant les heures précédant et suivant l'éruption de Lusi montrent qu'une mauvaise gestion de la pression est à l'origine de cet évènement. Quelques temps avant l'éruption, la tête de forage a été remontée. Une compensation insuffisante de la décompression résultante a entraîné une arrivée massive de fluide dans le puits alors en dépression relative par rapport aux terrains traversés, comme l'attestent les relevés. L'injection de boues de forages a bloqué cette augmentation rapide de pression mais à un niveau apparemment supérieur à la pression de fuite (LOP, Leak Off Pressure). Cette fuite (du puits vers l'encaissant) semble confirmée par la baisse de pression observée dans le puits en dehors de toute manipulation des boues de forage. Il y aurait eu à ce moment ouverture et/ou réactivation de fractures dans les terrains traversés permettant ensuite la remontée vers la surface de fluides profonds qui ont emporté au passage des argiles.

Une relation directe entre l'activité du puits de forage et l'épanchement de boues a été observée lors de tentatives de colmatage. En effet, des périodes d'arrêt ou de baisse temporaire de l'éruption ont coïncidé avec l'injection de boues de forage dans le puits BJP1. L'échec du contrôle de la situation découle certainement d'une prise en compte tardive de la gravité de la situation. Le contrôle a en outre été rendu plus difficile par un éboulement partiel du puits, non consolidé en profondeur, ainsi que par le développement rapide d'un réseau complexe de fractures rendant inopérante toute tentative de colmatage depuis le seul point d'action possible, le puits BJP 1.

Sawolo, entre autres, conteste, la possibilité qu'il y ait eu dans le puits une pression dépassant la pression de fuite en recalculant une valeur de LOP à partir de données de suivi du puits. Ces estimations sont toutefois remises en cause par Davies qui remarque qu'elles découlent de l'utilisation de données très partielles par rapport aux séries temporelles bien plus longues utilisées par les pétroliers, cette utilisation de données « tronquées » aboutissant à une surestimation de la pression de sécurité.

Un argument utilisé par les défenseurs de l'hypothèse d'un déclenchement naturel est que l'évolution de Lusi met en évidence une géométrie de la zone impactée superposable à la faille de Watukosek semblant montrer l'intervention de ce réseau de fractures réactivé dans la collecte des boues émises. Mais cette observation ne constitue pas une preuve et peut même être utilisée en sens inverse. En effet, le forage BJP1 a pu permettre la fuite de fluides de forage qui auraient non seulement créé de nouvelles fractures mais aussi réactivé certaines, pré-existantes, du réseau de Watukosek.

La question reste alors posée : le réseau de faille de Watukosek a-t-il été réactivé par le séisme de Yogyakarta, par l'injection de fluides dans cette dernière, suite aux problèmes de forage du puits BJP1, ou bien par l'injection de ces fluides dans un réseau perturbé par le séisme ?

Lusi, un forage mal contrôlé, au mauvais endroit, au mauvais moment

Au fil des articles qui se répondent, on comprend vite que l'on est en présence de deux manières très différentes d'aborder le problème. Certains s'appuient sur la compréhension du contexte géologique et des événements naturels successifs, et aboutissent à la conclusion que cela a pu suffire à déclencher la naissance d'un volcan de boue. D'autres utilisent une approche de géologie appliquée et industrielle, qui décortique les informations de forage et s'efforce de reconstituer pas à pas les processus ayant conduit à une éruption, qui est analysée comme un accident de forage classique, à cet endroit, à cet instant ; le but étant de déterminer les possibles erreurs techniques à l'origine de l'éruption.

Selon la première approche, tout était en place pour l'éruption d'un volcan de boue et c'est à Sidoarjo qu'il est sorti suite au séisme de Yogyarkarta. Selon la deuxième approche, on est en présence d'un accident de forage, ce qui implique la responsabilité de la société pétrolière, le risque étant connu. Financièrement parlant, la deuxième approche s'est imposée puisque la société Lapindo Brantas, bien que niant toujours sa responsabilité dans ce qu'elle appelle une « catastrophe naturelle », participe néanmoins largement aux travaux d'endiguement et aux dédommagements des victimes.

De fait, il est fort probable que le forage du puits BJP1 soit à l'origine de l'éruption de Lusi. Il ne s'agit cependant pas d'un accident de forage classique. Généralement de tels accidents aboutissent à la perte d'une partie de la poche de gaz ou de pétrole convoitée et ne dure qu'un temps, celui nécessaire à la reprise de contrôle, au colmatage du puits, voire à la baisse naturelle de pression. À Sidorajo, en 2006, l'événement a affecté des terrains particulièrement propices à l'expression de volcans de boues, situés au-dessus de la couche cible d'exploitation des hydrocarbures. L'influence du séisme de Yogyakarta ne peut être exclue, mais ce dernier ne semble pas avoir été en mesure de provoquer l'éruption à lui seul.

Impacts actuels et évolution attendue

Effets observés et dédommagements

En 2012, en surface, la partie visible de Lusi est une zone de plus de 7 km2 (environ mille terrains de foot) entourée de digues d'une dizaine de mètres de hauteur retenant une partie des boues émises depuis plus de six ans. Dans les premiers mois, ont été observés des débits moyens de 80.000 m3/jour avec des pics allant jusqu'à 180.000 m3/jour (une piscine olympique remplie toutes les 30 minutes). Cette surface a été évacuée, vingt-cinq usines ont été déplacées et plus de 40.000 personnes ont été relogées dans cette région densément peuplées (environ 2.500 habitants/km2).

Figure 6. Sidoarjo, le 06 octobre 2005

Le site, 6 mois avant le début de l'éruption de Lusi.


Figure 7. Lusi, le 29 août 2006

Le volcan de boue Lusi après 3 mois d'activité.


Figure 8. Lusi, le 5 juin 2007

Le volcan de boue Lusi après 1 an d'activité.


Figure 9. Lusi, le 7 juin 2009

Le volcan de boue Lusi après 3 ans d'activité.


Figure 10. Lusi, le 23 juin 2010

Le volcan de boue Lusi après 4 ans d'activité.


Figure 11. Lusi, le 20 septembre 2012

Le volcan de boue Lusi après plus de 6 ans d'activité.


Suivi de l'expansion du volcan de boue Lusi de sa naissance à septembre 2012.

En bas de chaque image, la rivière Porong.

Images des satellites Ikonos (2005 à 2010) et GEOEYE-1 (2012).

Traitement et mise à disposition : Centre for Remote Imaging, Sensing and Processing, National University of Singapore.

Plus largement, une zone elliptique de plus de 20 km2 est affectée. Le sol s'y affaisse du fait de l'éruption ininterrompue qui a extrait plus de 140 millions de mètres cube de boues (plus de cinquante-cinq fois le volume de la pyramide de Gizeh, soit un débit moyen de plus de 50.000 m3/jour pendant six ans). Cet enfoncement n'est pas régulier, variant de quelques centimètres par mois, à quelques centimètres par jour... avec des événements locaux plus brutaux.

Dès les premiers jours, il a fallu reloger les habitants touchés et se préoccuper des usines submergées. Les moyens du gouvernement central étant à l'époque fortement mobilisés dans les interventions de secours liées au terrible tremblement de terre du 27 mai 2006 (6000 morts, des centaines de milliers de personnes sans abri), les quelques milliers d'habitants de Sidoarjo impactés par Lusi ne sont pas apparus comme prioritaires. Ces derniers se sont sentis délaissés et se sont retournés contre la société Lapindo Brantas, la proximité forage/volcan en faisant un responsable "évident". Dans un premier temps, la société a exclu toute responsabilité et tout dédommagement. Le gouvernement central a alors doublement été mis en cause. D'une part, il ne pouvait pas, faute de moyens suffisants à déployer, intervenir directement sur ce problème. D'autre part, la population considérait qu'il n'obligeait pas la société de forage à assumer ses responsabilités, société dont les liens avec le gouvernement ont alors été mis en avant. En effet, Lapindo Brantas est un puissant groupe économique et industriel indonésien, en partie contrôlé par la famille Bakrie à laquelle appartenait le ministre de l'économie et des affaires sociales.

Afin de juguler cet amalgame politico-financier qui gênait le gouvernement comme les milieux économiques, un accord a été négocié puis officialisé par deux décrets présidentiels en décembre 2006 puis avril 2007, afin d'apporter une aide rapide et complète aux personnes impactées par l'éruption et l'expansion du volcan de boue. Lapindo Brantas et la famille Bakrie ont accepté de financer un plan d'aide d'urgence et de dédommagement des victimes non pas en tant que "responsables » de la catastrophe", mais en tant que grand groupe national devant "montrer l'exemple" face à l'adversité.

La délimitation de la zone sinistrée, les procédures et niveaux d'indemnisation ainsi qu'un calendrier ont été définis[1]. Différentes actions ont été menées : aide sanitaire d'urgence, déplacement et aide temporaire au relogement (indemnisation équivalant à deux ans de loyer, dans un premier temps), compensation de perte d'emploi (ouvriers) et de perte d'outil de travail (industriels et riziculteurs), mais aussi construction et suivi de la digue de confinement, puis déplacement, reconstruction, indemnisation des usines détruites, offres de logements neufs... L'engagement financier de la société et de la famille Bakrie se montait à environ 480 millions d'euros (5.700 milliards de roupies indonésiennes) en mai 2001, dont 230 millions d'euros pour l'indemnisation des biens, terres et bâtiments, et 180 millions d'euros pour la gestion de l'éruption (digue, suivi sanitaire des émissions gazeuses...).

Une évolution incertaine

Plusieurs estimations ont été proposées à propos de la durée et des conséquences de l'activité de Lusi. Elles reposent sur des modèles géologiques peu contraints basés sur le fonctionnement de volcans de boue « classiques ». La zone touchée pourrait atteindre une centaine de kilomètres carrés en produisant une cuvette de 90 à 450 mètres de profondeur, partiellement remplie de boue. Les marges d'erreurs sont larges et les scénarios restent variés, la durée de l'activité principale allant de 26 à 80 ans, voire plus dans certains scénarios.

Au cours de ses derniers travaux, Mazzini a collecté et analysé les boues et les gaz émis depuis six ans. Selon lui, les signatures géochimiques indiquent l'implication de fluides circulant dans un large système hydrothermal au sein du bassin sédimentaire, qui est localement réchauffé par des intrusions magmatiques liées au complexe volcanique Arjuno-Welirang. Dans le cas d'un système hydrothermal, les eaux de surface s'insinuent en profondeur et rechargent le système. Lusi ne serait donc plus un simple volcan de boue, mais une structure plus complexe dont la recharge pourrait impliquer une durée de fonctionnement et une intensité plus importantes que ce que prévoient les scénarios précédents.

En plus des conséquences matérielles et géologiques, l'éruption de Lusi émet des eaux chaudes chargées en sédiments et en hydrocarbures divers, dont une partie atteint la rivière Porong qui passe à proximité, rivière qui se déverse vingt kilomètres en aval dans le détroit de Madura. L'apport de matières en suspension dans une rivière rend cette dernière plus opaque et limite son oxygénation, même si la richesse naturelle de la rivière Porong en sédiments d'origine volcanique limite sans doute l'impact de déversements de boue sur son écosystème déjà « adapté ».

En revanche, la présence attestée de méthane dans ces rejets, et donc la très probable présence d'hydrocarbures variés dans les fluides rejetés dans la rivière Porong, constituent un réel problème de santé publique. En effet, les hydrocarbures poly-aromatiques ont des effets cancérigènes avérés. Ceci peut affecter directement la faune de la rivière et de l'estuaire de la rivière, mais aussi indirectement, par l'intermédiaire de la pêche, les populations locales consommant les produits de la mer. Des études sanitaires et écologiques devront mesurer plus précisément cet impact potentiel, afin, si nécessaire, d'avertir les populations et de préconiser des interdictions locales, partielles et/ou temporaires de pêche.

Conclusion

L'éruption de Lusi est une curiosité scientifique unique en son genre. Quel que soit le processus physique déclencheur dans un contexte naturellement favorable, c'est aussi un défi technique et humain. En effet, contrairement aux autres volcans de boue classiques actifs, celui-ci touche une zone initialement urbanisée et son ampleur nécessite des moyens 1) pour endiguer, même au sens propre, ses conséquences actuelles, 2) pour maintenir un suivi à long terme du fait d'impacts attendus qui affecteront une zone plus étendue et nécessiteront des interventions répétées de génie civil, et 3) pour entreprendre des études environnementales évaluant le risque sanitaire à moyen et long terme. Le mode de financement de toutes ces actions est, lui, le résultat original de négociations au plus haut niveau de l'État qui ont abouti à la contribution technique et financière majeure d'une grande société privée nationale déclarée « non responsable » mais qui se veut « exemplaire » et grâce à laquelle les victimes ont été prises en charge, même si tous les processus de relogement et d'indemnisation ne sont pas encore réglé six ans après.

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A. Mazzini, G. Etiope, H. Svensen, 2012. A new hydrothermal scenario for the 2006 Lusi eruption, Indonesia. Insights from gas geochemistry, Earth and Planetary Science Letters, 317–318, 305–318. [doi:10.1016/j.epsl.2011.11.016]

A. Un article pour la revue Le Banian

Cet article résulte du travail de recherche et de mise en forme pour Le Banian, revue de l'association franco-indonésienne Pasar Malam, dont le numéro 14, de décembre 2012, est consacré, comme son nom l'indique, à La question de l'environnement en Indonésie. Pour ce numéro thématique, la directrice de publication, Johanna Lederer, a fait appel à un rédacteur en chef, Frédéric Durand, géographe à l'Université Toulouse II - Le Mirail et spécialiste des thématiques "environnement" et "Asie du Sud-Est".

Du fait de contraintes éditoriales moins importantes, la version numérique présentée ci-dessus développe un peu plus les aspects géologiques et techniques, alors que la version papier, elle, bénéficie d'un entourage très varié pour qui s'intéresse à l'Indonésie et/ou à l'environnement sous tous ses aspects (voir le sommaire ci-après).

  • Johanna Lederer > Avant-propos
  • Frédéric Durand > Édito
  • Anne-Marie et François Sémah > L'environnement des Homo erectus de Java
  • Daniel Perret > L'exploitation traditionnelle des ressources naturelles et agricoles dans la province de Sumatra Nord
  • Frédéric Durand > Des forêts indonésiennes prétendues « inépuisables » au moratoire d'exploitation de 2011
  • Bernard Sellato (entretien) > Les Dayaks de Bornéo à l'heure de la mondialisation
  • Antonio Guerreiro > Conservation de la biodiversité et gestion des ressources forestières : le dilemme de la croissance à Kalimantan
  • Cédric Gouverneur > Palmiers à huile contre forêt
  • Jean-Marc de Grave > Environement et ascèse : l'exemple de Ndara Hari et d'autres maîtres javanais
  • Olivier Dequincey > Lusi, le volcan de boue de Sidoarjo
  • Anne-Fleur Delaistre > Citarum, le fleuve le plus pollué du monde
  • Cécile Renouard & Anda Djoehana Wiradikarta > Les collecteurs de déchets en Indonésie : des « damnés de la terre » ?
  • ...


[1] Un rapport de la société Lapindo Brantas daté d'avril 2011 reprend tous ces aspects. Les dédommagements par mètre carré se montent à 1 million de roupies pour les terrains, 1,5 million pour les constructions et 120 000 pour les surfaces rizicoles. Un paiement en deux temps est prévu : une avance de 20% puis le règlement des 80% restants dans les deux ans. Pour le relogement, en plus d'une aide d'urgence, le dédommagement est soit purement financier, soit partiellement foncier avec l'attribution d'une maison neuve. En mai 2011, l'avance de 20% a été versée à la quasi-totalité des dossiers soumis. Quant à l'indemnisation finale, elle était encore en cours à cette date.