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Image de la semaine | 06/01/2025

La région volcanique de Tvashtar (Io, satellite de Jupiter) et ses éruptions de 2007 et 1999-2000

06/01/2025

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Observations d’éruptions à panache et coulées de lave incandescente sur Io, depuis la Terre et depuis plusieurs sondes spatiales.


Figure 1. Panache éruptif dans la région de Tvashtar sur Io, satellite de Jupiter, vu par la sonde New Horizons en mars 2007

Montage animé de 5 photographies prises toutes les deux minutes le 1er mars 2007 entre 23h50 et 23h58 TU.

En passant ces 5 images en accéléré, on obtient un film montrant les mouvements dans le panache éruptif jaillissant de la région volcanique de Tvashtar située près du pôle Nord d’Io (satellite de Jupiter). Ces photos ont été prises à une distance de 3 800 000 km. Le panache jaillit à une hauteur égale à approximativement 1/7 du rayon de Io (R = 1816 km, un peu plus grand que le rayon de la Lune), soit à une hauteur de 250 à 300 km. Les panaches de Io sont majoritairement composés d'aérosols de composés soufrés.


En 1979, les sondes Voyager 1 et 2 ont découvert que Io, le satellite galiléen le plus proche de Jupiter, avait une activité volcanique exubérante. L'énergie permettant le volcanisme de ce “petit” corps (R = 1816 km) est fournie par les déformations dues aux importantes marées causées par la proximité du “gros” Jupiter et par l'ellipticité forcée de son orbite, cf. Le volcanisme dans le système solaire. Depuis cette date, Io a été survolé 7 fois par la mission Galileo (1995-2003), deux fois d'assez loin par les missions Cassini (2000) en route vers Saturne puis New Horizons (2007) en route vers Pluton, et, plus récemment, d'assez loin par la mission Juno (2017 à …) et de près par cette même mission en 2023 et 2024. La sonde New Horizons, en 2007, et la sonde Galileo (1993 à 2003) ont étudié des éruptions volcaniques “spectaculaires” au-dessus de la région volcanique de Tvashtar, également connue sous le nom de Tvashtar paterae de Tvashtar catena.

Nous allons voir quelques photographies (en lumière visible et en infrarouge) de l'éruption de 2007 observée par New Horizons et de celle de 1999-2000 observée par Galileo. Les images montrent deux types de manifestations de volcans en éruption : (1) les panaches éruptifs sont constitués majoritairement d'aérosols de particules solides de composés soufrés, dont du SO2 (le SO2 qui doit être le gaz majoritaire sortant du volcan à grande vitesse se solidifie à −90°C dans le vide spatial, et la température externe au-dessus de Io est inférieure à −150°C), et (2) des coulées de lave incandescente dont la température peut atteindre 1320°C. Les panaches, constitués d'aérosols de fines particules diffusent très bien la lumière et se voient bien mieux “vus de côté” (en particulier sur les bords de Io) que “vus de face”.

Sur Io, les centres éruptifs portent le nom de divinités et héros ayant un rapport avec feu et la foudre dans diverses mythologies. Tvashtar est la forme ancienne du Feu divin indo-iranien, qui a été reprise ultérieurement par l'hindouisme.

Figure 2. Image globale d’Io, satellite de Jupiter, prise le 28 février 2007 à 11h TU à une distance de 2 500 000 km

On voit très bien le panache de Tvashtar près du pôle Nord, panache qui mesure 290 km de haut sur cette image. Deux autres panaches plus petits (flèches blanches, environ 60 km de haut) sont visibles, l'un sur le limbe gauche (volcan Prometheus) et l'autre à droite du terminateur (volcan Masubi, son centre éruptif est localisé dans la nuit, mais le Soleil éclaire le haut de son panache). La présence d'au moins trois éruptions volcaniques actives simultanées sur la même moitié de Io montre l'importance du volcanisme sur ce satellite de Jupiter.


Figure 3. Images d'Io prises le 1er mars 2007 par trois instruments différents de la sonde New Horizons

À gauche (photo 1), image prise par la caméra N&B haute résolution LORRI (Long Range Reconnaissance Imager). Près du pôle Nord (en haut), on voit bien le panache éruptif de Tvashtar éclairé par le Soleil. Le point blanc sur la face nocturne à la base du panache correspond à la lumière émise par de la lave très chaude.

Les deux images en haut à droite (photos 2 et 3) ont été prises par la caméra couleur moyenne résolution MVIC (Multispectral Visible Imaging Camera). Le panache apparait bleuté et la tache rouge à sa base correspond à la lumière émise par de la lave incandescente vue à travers le panache. Rappelons qu'un corps chaud ne rayonne en lumière visible que si sa température est supérieure à 680°C.

La photo 4 provient de la caméra infrarouge LEISA (Linear Etalon Imaging Spectral Array) qui montre les zones à haute température sur la partie nocturne d’Io, principalement Tvashtar particulièrement “brillant” et d'autres centres éruptifs moins chauds.


Figure 4. Images de Tvashtar, sur Io, prises dans différentes longueurs d'onde par Hubble et LORRI

(A), en haut à gauche  : image prise par le Télescope Spatial Hubble (HST, en orbite autour de la Terre) en lumière ultraviolette le 14 février 2007. Le petit losange rouge indique l'emplacement du point chaud de Tvashtar vu deux semaines plus tard par New Horizons. Un vague halo se voit au-dessus de ce point.

(B) : une image HST d’Io et du panache de Tvashtar vu avec la surface de Jupiter en arrière-plan, image prise une semaine plus tard. Le gaz sulfureux présent dans le panache absorbe la lumière ultraviolette, ce qui donne au panache un aspect rougeâtre dans cette composition colorée.

Les autres images de cette figure ont été prises en lumière visible par l'imageur LORRI (sonde New Horizons). La barre d'échelle mesure 200 km de long et l'étoile jaune indique l'emplacement projeté de la source du panache de Tvashtar qui se trouve “derrière” le limbe.

(C) : vue à haute résolution du panache complet, avec une résolution de 12,4 km par pixel, montrant la structure filamentaire complexe du panache. La ligne sombre au bord du disque est un artéfact de traitement d'image.

(D) : image la variabilité temporelle des détails de la structure du panache et de son sommet brillant persistant.

(F à J) : séquence d'images prises à 2 minutes d'intervalle montrant la dynamique dans la partie supérieure du panache (la source est de l'autre côté d’Io). Les losanges colorés suivent des zones caractéristiques du panache constitué de particules solides retombant vers le sol. Les vitesses des structures du panache, mesurées par rapport au fond du ciel, sont indiquées en (E). La vitesse élevée de chute de ces particules (jusqu'à 1/4 de la vitesse de libération sur Io) ne doit pas étonner, car il n'y a aucun frottement dans le vide spatial.


Figure 5. Image N&B, prise en lumière visible par New Horizons, du globe d'Io entièrement plongé dans l'ombre de Jupiter (Io est en position d'éclipse de Soleil)

Les taches blanches sur le globe correspondent à la lumière émise par des coulées, des fontaines ou des lacs de laves incandescentes, donc à une température supérieure à 680°C. Le panache de Tvashtar (flèche rouge) n'est pas éclairé par le Soleil (on est dans l'ombre de Jupiter) mais est rendu luminescent par les particules accélérées par le puissant champ magnétique de Jupiter. Les deux taches lumineuses de part et d'autre de l'équateur vient de l'intersection entre les traces de gaz constituant la très très faible atmosphère de Io (10−11 fois la pression terrestre) et des courants électriques connectés à la magnétosphère de Jupiter particulièrement intense dans le plan équatorial du système jovien.


Figure 6. Image en couleurs de New Horizons montrant à la fois Europe (en bas à gauche) et Io (en haut à droite) avec le panache de Tvashtar

La face “nuit” de Io est visible, car éclairée par le “clair de Jupiter”, qui est beaucoup plus faible sur Europe, plus loin de Jupiter.


Quatre à quatorze ans avant l'unique survol de Io par la sonde New Horizons en route pour Pluton, Io a été survolé “de près” sept fois par la sonde Galileo en orbite autour de Jupiter. Tvashtar a été étudié plusieurs fois et une importante éruption, ou plutôt deux phases éruptives successives voisines ont été étudiées, avec des données acquises avant, pendant et après les phases éruptives. Les photographies des éruptions ont été acquises en novembre 1999 et en février 2000. Nous vous montrons des données obtenues entre juillet 1999 et décembre 2001 par la mission Galileo.

La région volcanique de Tvashtar sur Io, satellite de Jupiter, vue par Galileo en juillet 1999

Figure 7. La région volcanique de Tvashtar sur Io, satellite de Jupiter, vue par Galileo en juillet 1999

On voit trois caldeiras (paterae). Les phases éruptives de novembre 1999 / février 2000 ont eu lieu respectivement dans la caldeira 1, puis dans la caldeira 2.


Figure 8. Éruption sur Io, à proximité de son pôle Nord, détectée par le télescope infrarouge de la NASA installé à Hawaï

Image prise le 26 novembre 1999, quelques heures après un survol programmé du satellite Io par la sonde Galileo. Les images et interprétations terrestres ont pu être confirmées par les images du même évènement prises par Galileo : ces points si brillants visibles assez rarement depuis la Terre sont bien liés à des fontaines de laves.


Montage illustrant les phases éruptives de 1999-2000 dans la région de Tvashtar sur Io, satellite de Jupiter

Figure 9. Montage illustrant les phases éruptives de 1999-2000 dans la région de Tvashtar sur Io, satellite de Jupiter

C'est au niveau de ce secteur qu'a eu lieu l'éruption de 2007 (figures 1 à 6). C'est également au niveau de ce secteur qu'un télescope terrestre a diagnostiqué une éruption en cours en novembre 1999 (figure 8).

En haut, l'ensemble de la région sans manifestation éruptive visible. On voit les caldeiras où vont avoir lieu les sorties de lave. La figure 7 localise ce secteur sur l'ensemble de Io. Le cadre blanc montre (approximativement) le champ des deux images du bas.

En bas à gauche, la phase éruptive de novembre 1999. En bas à droite, la phase éruptive de février 2000.

On peut noter qu'aucun panache n'est visible (trop ténu pour être visible avec cet éclairage ?). La figure suivante (figure 10) explique le mode d'obtention de ces images d'éruption.


Jupiter et ses satellites sont à environ 5 u.a. (1 unité astronomique = 1 u.a. = rayon de l'orbite de la Terre = 150 000 000 km). La lumière issue du Soleil et la luminosité sont donc 25 fois plus faibles que sur Terre (décroissance avec le carré de la distance). Les caméras de Galileo étaient “prévues” pour fonctionner dans un relatif “clair obscur”. Quand la sonde survolait une coulée de basalte (la température d'une coulée de basalte est voisine de 1050 à 1100°C), voire une coulée de lave ultra-basique (des températures de 1350°C ont été mesurées, suggérant que certaines coulées doivent avoir une composition de komatiite, cf. Les komatiites, des laves ultrabasiques archéennes, témoins d'une Terre interne très chaude), elle survolait des zones très lumineuses. En effet, à ces températures, les laves émettent beaucoup de lumière, dans des longueurs d'onde du rouge-orangé ; elles sont si lumineuses qu'elles saturent les diverses caméras de Galileo. Dans les images brutes, les coulées de lave incandescente saturent les capteurs et paraissent blanches. Les belles images de coulées, fontaines de lave… oranges et rouges publiées par la NASA sont dues à la “colorisation” (par des scientifiques de la NASA) des “taches blanches saturées”. Une fois refroidies, les coulées (ou lacs) de laves sont de couleur noire (comme les coulées terrestres, cf., par exemple, Géométrie des coulées de laves fluides : île de La Réunion et Chaîne des Puys), tant qu'elles ne sont pas recouvertes de composés soufrés (ou végétalisées dans le cas de la Terre).

Figure 10. Méthode d'obtention des images d'éruption “colorisées”

L'image N&B du bas correspond à la zone entourée de bleu dans l'image du haut, où les zones à la luminosité “saturée” ont été colorées en rouge-orangé.


Figure 11. Dix mois après les phases éruptives de 1999-2000, l'éruption semble arrêtée dans la région de Tvashtar (Io, satellite de Jupiter)

On voit que la région émissive (paraissant noire sur cette composition colorée) est entourée de trois auréoles colorées concentriques, grise, jaune et rougeâtre. Ces auréoles, qui ne se voient pas sur les images prises antérieurement (figures 7 et 13), seraient les conséquences des dépôts de composés soufrés émis par les panaches des éruptions de 1999-2000.


La région de Tvashtar, sur Io, en février 2000 où aucune manifestation d'éruption n'est visible, et mesure de température de surface en 2001

Figure 12. La région de Tvashtar, sur Io, en février 2000 où aucune manifestation d'éruption n'est visible, et mesure de température de surface en 2001

A et B localisent les points de sortie de lave visibles sur la figure 9. Les anciennes coulées, “rouges” en 1999-2000, sont devenues noires. L'image du bas montre la température du même secteur mesurée en août 2001, plus d'un an après la fin des éruptions de 1999-2000. Malgré la température extérieure inférieures à −150°C, les coulées émises un an plus tôt ont encore une température pouvant dépasser 200°C. En haut du secteur analysé par les caméras infrarouge, une zone chaude apparait (“x” sur l'image du haut) où aucune éruption n'avait été identifiée.


Pour terminer ce “reportage” sur le système volcanique de la région de Tvashtar, nous vous montrons deux images globales de Io resituant Tvashtar (sans manifestation éruptive visible) et surtout illustrant la petite taille relative de Io par rapport à Jupiter, et leur proximité, source des déformations internes à l'origine de la production d'énergie cause du volcanisme.

Représentation de Tvashtar-Vishvakarma

Figure 15. Représentation de Tvashtar-Vishvakarma

Tvashtar est une forme ancienne du Feu divin indo-iranien. Il peut être considéré comme l'équivalent du dieu Hephaïstos dans la mythologie grecque (Vulcain chez les Romains). Plus tard, en Inde, Tvashtar fut identifié à une autre divinité nommée Vishvakarma. Tvashtar-Vishvakarma est considéré comme un habile artisan qui a créé de nombreux instruments, notamment la hache de Brahmanaspati et une tasse pour la nourriture et la boisson divines. On le prend souvent comme l'artisan des êtres vivants et des utérus. Comme nous le verrons la semaine prochaine, sur Io, les centres éruptifs actifs ou endormis portent le nom de divinités et héros ayant un rapport avec feu et la foudre dans diverses mythologies.