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Image de la semaine | 01/05/2023

Une carte géologique unifiée de la Lune, compilation numérisée des interprétations de l'époque Apollo

01/05/2023

Patrick Thollot

ENS de Lyon - Laboratoire de Géologie de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Mise à niveau technique et uniformisation de la carte de la Lune pour une utilisation “moderne”.


Figure 1. Carte géologique unifiée de la Lune, version 2020

Des images de diverses résolutions et tout le nécessaire pour utilisation par SIG sont disponibles sur le site de l'USGS.


En mars 2020, le monde s'est trouvé confronté à la pandémie de Covid-19, éclipsant les autres sujets d'actualité dont une nouveauté intéressant le petit monde de la planétologie : la publication d'une carte géologique globale uniformisée et numérisée de la Lune (Unified Geologic Map of the Moon, 1:5M, 2020). Ce travail, et quelques corrections apportées en 2021, fait suite à une première publication, en 2013, de versions numérisées des cartes de la génération Apollo, couvrant la surface de la Lune par portions (6 cartes) (Lunar 1:5M Geologic Map Renovation, 2013). Les cartes “Apollo” de la Lune à 1/5M sont disponibles sur la page Geologic Atlas of the Moon du Lunar and Planetary Institute (LPI).

Figure 2. Extrait de la carte “Apollo” de la face visible de la Lune (Near Side of the Moon)

Découpage correspondant approximativement au secteur de la carte de 2020 publié pour illustration (figure suivante) par l’USGS.


Figure 3. Extrait de la carte géologique unifiée 2020 de la Lune

On peut comparer à la figure précédente, datant de 1971, à partir de laquelle la carte de 2020 a été redessinée.


Tout ce qui y avait été cartographié dans les années 1960 et 1970 a été redessiné quasiment à l'identique mais en utilisant comme « fond de carte » les données d'imagerie et de topographie modernes (années 1990 et 2000), qui sont plus précises dans leur positionnement grâce à une résolution spatiale supérieure, notamment.

En effet, les images des sondes spatiales des années 1960, et des missions Apollo ensuite, couvrant une surface importante de la Lune (presque 100 % par les missions Lunar Orbiter I à V), avaient des résolutions exploitables courantes de l'ordre de la centaine de mètres, même si des images de détails pouvaient être plus fines. On comprend bien que la position du contour d'une formation ou d'une structure géologique (bord de cratère, d'une “mer”, faille, etc.) ne pouvait en aucun cas être indiquée à mieux que 100 mètres près sur une image dont les pixels font cette taille. Le plus limitant, cependant, quant à la position géographique précise n'était pas la résolution des images, mais la (mé)connaissance de la position précise de celles-ci à la surface de la Lune, de l'ordre du kilomètre pour les images Lunar Orbiter. Enfin, dans les années 1960 et 1970, les cartographes n'ont pu au mieux que travailler sur des tirages papier des photographies des sondes spatiales de l'époque, et ont probablement dû jongler entre les images à faible résolution mais grande couverture spatiale et celles à résolution plus fine mais couverture spatiale plus réduite, avant de passer sur la planche à dessin.

Les supports de travail pour le dessin final étaient probablement bien plus frustres encore que les images des sondes spatiales. D'après la légende de la première feuille publiée, celle de la face visible, le fond de carte ayant servi de base au dessin était basé sur des photographies prises au télescope depuis la Terre, complémentées par des dessins d'observation à l'oculaire des télescopes ! De toute manière, d'un point de vue pratique pour les cartographes, il faut considérer que les 6 cartes globales de la Lune des années Apollo qui ont servi de base aux travaux de 2013 et 2020 avaient une échelle finale de 1 cm pour 50 km (1/5 000–000 ou 1/5M). À la main, même dessinées le plus finement possible au “Rotring” sous une loupe, les contours ne pouvaient être plus précis que à 1 km près environ (0,2 mm sur la carte !). On peut faire bien mieux aujourd'hui, et c'est donc ce qui a été entrepris, sous la direction d'un géologue du groupe de cartographie planétaire de l'institut de cartographie géologique américain, l'USGS (United States Geological Survey).

Avec les images modernes, atteignant une résolution plus fine que 1 mètre, et positionnées aussi finement grâce à la mesure très précise de la trajectoire et de l'orientation des sondes spatiales les ayant prises, on peut potentiellement être beaucoup plus précis et donc bien mieux “géoréférencer” (c'est-à-dire positionner en latitude et longitude) les “objets” naturels à la surface de la Lune.

Surtout, si dans les années 1960 on travaillait sur papier, l'usage moderne est de travailler sur des logiciels informatiques de cartographie qui permettent de numériser les cartes : au lieu de dessiner les contours à l'encre sur papier, on dessine sur un logiciel de dessin vectoriel ce qu'on nomme des “polygones” qui sont automatiquement enregistrés dans un fichier numérique qui contient précisément, par construction grâce au logiciel, les positions de latitude et longitude de chaque point du contour ! Par exemple, le logiciel grand public Google Earth permet de faire cela, de façon très élémentaire : toute ligne, tout polygone ou cercle tracé et enregistré dans un fichier d'extension kml est en fait géoréférencé précisément.

Pour l'utilisateur de la carte finie, un géoréférencement précis permet de générer en temps réel à l'écran une carte à l'échelle désirée, sur le secteur désiré, typiquement pour réaliser une cartographie d'interprétation géologique précise sur un secteur de taille réduite. C'est beaucoup plus souple à l'usage qu'une carte papier. Il est aussi très facile de sélectionner dans une carte numérique le type d'élément qu'on souhaite visualiser ou au contraire masquer en fonction de ce qu'on étudie, sans parler des opérations de tri, sélection, recoupement, que l'on peut opérer sur les éléments en fonction de leurs positions géographiques. Pour le cartographe qui construit une carte, ce type d'outil apporte un confort unique par rapport à l'imagerie papier : on peut dans un même logiciel afficher le fond de carte photographique et topographique en zoomant jusqu'à la résolution maximale si nécessaire pour définir un tracé extrêmement précis, puis revenir à l'échelle ciblée pour la publication finale. Les auteurs de cette carte de la Lune affirment qu'il ont travaillé avec des images à 60 mètres de résolution, et qu'ils ont typiquement tracé des contours en positionnant des points tous les 3 km en moyenne (moins d'un millimètre sur la carte finale imprimée à son échelle nominale de 1/5M), avant d'appliquer un lissage automatique. In fine, les tracés sont donc de l'ordre de 10 fois plus précis que le dessin des cartes papier de l'époque Apollo.

Le travail publié en 2020 a consisté à combiner les 6 fichiers “modernes” issus du nouveau dessin numérique et du géoréférencement plus fin de 2013 pour générer une carte numérique globale de la Lune, homogène quant à la nature des objets représentés et à la façon dont ils sont représentés.

C'est donc un travail remarquable, nécessaire, quoique probablement ingrat, de “curation”, comme diraient des muséographes, du produit du travail réalisé par les géologues de l'époque Apollo afin de le rendre accessible aux géologues modernes dans l'un de leurs outils de travail : le logiciel de système d'information géographique (SIG).

Par contre, il n'y a pas eu d'effort nouveau d'interprétation de la géologie de la Lune. Les documents associés à cette carte indiquent bien que les seuls changements sont ceux qu'a imposé la meilleure résolution spatiale, modifiant donc légèrement le tracé des contours sur la carte. Cette carte montre donc des formations géologiques, structures (failles…), qui avaient déjà été interprétées par les chercheurs de l'époque Apollo. Cela ne les rend pas moins intéressantes, mais il faut bien comprendre que c'est l'aspect technique qui est un progrès ici, pas l'interprétation scientifique !

Pour conclure, que montrent cette « bonne vieille » carte de la Lune, quoique rafraichie par une numérisation moderne ?

On compte dans la légende 48 types de formations cartographiées. Comme pour toute carte géologique, l'ordre des éléments de la légende respecte l'ordre stratigraphique. Tout en haut de la première colonne, on trouve les formations qui ne peuvent se trouver que par-dessus toutes les autres, et sont donc les plus récentes (ici les cratères dits "coperniciens", du nom du cratère le plus remarquable de ce type, Copernic). Inversement, tout en bas de la deuxième colonne, on a la formation qui se trouve sous toutes les autres, et est donc la plus ancienne (les terra dites pré-nectariennes, Nectaris – la mer des nectars – étant l'un des cratères d'impact manifestement les plus anciens, lui-même et ses éjectas étant recoupés par à peu près tout ce qu'on trouve sur la Lune... sauf par ce qui est pré-nectarien, justement).

Image annotée de la face visible de la Lune

Figure 4. Image annotée de la face visible de la Lune

On retrouve les 4 grands cratères servant de repères stratigraphiques et chronologiques pour la géologie lunaire, avec, du plus ancien au plus récent : Mare Nectaris, Mare Imbrium, Erastothenes, Copernicus.

Carte à retrouver sur la page Nearside Spectacular! (ou dans un version francisée, en figure 9 de Observation de la Lune depuis la Terre, orbite et phases de la Lune).


Chacune des 48 couleurs ne renvoie pas vraiment à une formation unique géographiquement, mais potentiellement à plusieurs, du moment qu'elles ont la même position stratigraphique, donc à priori le même âge, et un aspect similaire (lisse, en creux, en bosse, rugueux, etc.).

Un exemple : les formations roses correspondent aux “mers” visibles à l'œil nu, et sont légendées “Im2”, pour “Mers de l'Imbrien supérieur”. Mare Imbrium, la mer des pluies, est un cratère majeur sur la Lune, dont la formation marque le début d'une époque géologique lunaire à laquelle on a donné ce nom : Imbrien. Tout ce qui est par-dessus cet impact, mais sous le cratère Érathosthène, est par définition Imbrien, et c'est le cas de toutes les “mers”. Les mers sont constituées d'empilements de coulées de laves typiquement sur 1, 2 à 3 km. Elles ont en majorité 3 à 4 milliards d'années. Pour mettre cela en perspective, rappelons que c'est plus vieux que l'immense majorité des roches des continents terrestres, que les rares roches sédimentaires terrestres de cette époque n'ont pu fossiliser que de très rares traces de colonies bactériennes, et que, d'après la chimie de ces sédiments, il n'y avait pas d'oxygène dans l'atmosphère !

On le comprendra au passage en revue systématique des noms des 48 unités, sur la Lune, 4 grands cratères servent de marqueurs stratigraphiques. En effet, il se sont manifestement formés dans le temps à des moments différents : Mare Nectaris est le plus ancien, puis Mare Imbrium, puis Érathosthène, puis Copernic. Tout ce qu'on voit par-dessus Nectaris mais sous Imbrium est Nectarien, et ainsi de suite. C'est ce qui sert de base à la nomenclature de la carte, à la fois stratigraphique (formations empilées de bas en haut), et chronologique (du plus vieux au plus récent), comme les cartes géologiques dont on a l'habitude sur Terre, telle que la carte géologique de la France au millionième.