Image de la semaine | 15/01/2018
Welwitschia mirabilis, une Gnétale unique du désert de Namibie
15/01/2018
Résumé
De Welwitschia mirabilis, espèce endémique de Namibie et d'Angola, au clade des Gnétales, discussion sur les classifications morphologique et phylogénétique des Spermatophytes et caractère paraphylétique des Gymnospermes.
Welwitschia mirabilis est réputée pour être l'une des plantes endémiques les plus étranges au monde. Ses pieds poussent au milieu du désert côtier de Namibie et d'Angola, ainsi que dans des secteurs désertiques arbustifs plus à l'intérieur des terres (non illustrés dans le présent article), où ils forment des amoncellements verts pouvant atteindre de très grandes tailles.
Lorsqu'on les observe de près, on constate que ces amoncellements sont en fait constitués de seulement deux feuilles en ruban produites par un méristème basal. Ces feuilles sont insérées sur un tronc très court et souterrain. Elles ont une croissance continue et peuvent pousser jusqu'à atteindre des très grandes tailles (entre 2 et 4 m). La croissance est lente. On estime que certains plants ont plus de 1000 ans. Au cours de cette croissance, ces deux feuilles sont dilacérées en lanières plus étroites, ce qui conduit à l'aspect final des plantes qui semblent avoir plusieurs feuilles étroites et longues.
Les organes reproducteurs de Welwitschia mirabilis sont organisés en strobiles (des cônes regroupant les structures reproductrices) situés sur des tiges fertiles. L'espèce est dioïque, un plant donné produisant soit des cônes mâles, soit des cônes femelles.
Source - © 2011 KLEIN Benjamin , CC BY-SA-4.0 |
Welwitschia mirabilis est la seule espèce du genre Welwitschia. Ce genre appartient à un clade, les Gnétales, dont les trois seuls genres actuels sont Welwitschia, Gnetum et Ephedra.
Les Ephedra constituent un genre d'espèces xérophytes (adaptées aux conditions de sécheresse). Elles ont un port de genêt, avec une hauteur variable selon les espèces et les conditions de croissance (de quelques centimètres à quelques décimètres de haut). En France, on en trouve sur la côte Atlantique avec Ephedra distachya (aussi appelée raisin de mer). Cette espèce est présente du Portugal à l'Asie centrale, toujours en conditions de sécheresse relative. Ephedra gerardiana est une espèce qui pousse dans l'Himalaya. Les Ephedra font partie de la pharmacopée traditionnelle indienne. On en extrait aujourd'hui l'éphédrine, un vasoconstricteur qui a un effet similaire à l'adrénaline.
Les Gnetum sont des lianes qui poussent en milieu tropical.
Source - © 2005 BotBln, CC BY-SA-3.0
Les Gnétales possèdent un certain nombre de caractères dérivés (caractères "nouveaux" issus de la modification de caractères ancestraux au cours de l'évolution aboutissant au taxon considéré). Parmi eux, certains sont particulièrement intéressants car les Angiospermes présentent des caractères dérivés avec des ressemblances importantes :
- Le bois. Le bois est hétéroxylé (il possède des vaisseaux vrais, et pas seulement des trachéides comme les Pinophytes) et sa lignine donne une couleur rouge intense après actions successives du permanganate de potassium et de l'ammoniac.
- La fécondation est double. Deux spermatozoïdes produits par le grain de pollen sont conduits par le tube pollinique et fusionnent avec des noyaux du gamétophyte femelle. Contrairement aux Angiospermes, un seul des zygotes formés se développe tandis que l'autre dégénère (chez les Angiospermes, le deuxième zygote donne le périsperme, un tissu nourricier pour l'embryon).
L'ovule est entouré d'une enveloppe charnue. Cela ressemble à première vue à un fruit charnu.
Rappelons que le fruit est une structure propre aux Angiospermes. Sa partie charnue dérive alors d'un ou plusieurs carpelles. Elle contient une ou plusieurs graines, qui dérivent d'un ou plusieurs ovules. Chaque graine est enveloppée par deux téguments (comme chez les Conifères). Un carpelle est parfaitement clos. Par conséquent, au moment de la fécondation, les grains de pollen ne peuvent être déposés directement au niveau de l'ovule et la croissance du tube pollinique commence dès le stigmate.
Chez les Gnétales, l'enveloppe charnue n'est séparée du reste de la graine que par un seul tégument. De plus, elle est discontinue. Elle laisse en effet passer un micropyle allongé. Cela permet le dépôt des grains de pollen directement au contact de l'ovule où le tube pollinique peut croître. Ces arguments montrent que d'un point de vue structural, l'enveloppe charnue des Gnétales est le tégument externe de la graine !
Source - © 2007 Marco Schmidt, CC BY-SA-2.5
Les premières classifications des Gnétales s'appuyaient sur les caractères morphologiques. Comme les caractères évoqués dans la partie précédente ressemblaient beaucoup à ceux des Angiospermes, on a supposé leur homologie pour former le groupe des Anthophytes. Ce groupe comprenait aussi les Bennettitales, des plantes fossiles (cf. Feuilles de Ptéridospermales et de Bennettitales du Kimméridgien, Cerin (Ain)). Selon cette hypothèse, les Gymnospermes actuelles (plantes à graines et ovules nus comprenant les Cycadales, les Gingkoales, des Conifères et les Gnétales) formaient un groupe paraphylétique.
Cependant, les classifications moléculaires récentes ont complètement bouleversé les classifications des plantes. Les nouvelles données montrent que les ancêtres des Angiospermes ont divergé des ancêtres des Gymnospermes actuelles de façon précoce. C'est probablement aussi le cas des Bennettitales, fossiles pour lesquels on ne dispose pas de données moléculaires. Les Gymnospermes actuelles forment donc un groupe qui est monophylétique ! On l'a appelé Acrogymnospermes. Si on inclut les taxons fossiles (et donc les Bennettitales), les Gymnospermes restent cependant un groupe paraphylétique.
Ces classifications sont très robustes. On peut en conclure que les nombreux caractères morphologiques similaires entre les Gnétales et les Angiospermes sont analogues plutôt qu'homologues ! Cela illustre la difficulté inhérente à l'utilisation des caractères morphologiques dans les classifications de la Lignée verte du fait des nombreuses convergences.
Aujourd'hui, la relation entre les Gnétales et les Conifères est encore discutée. Il est en effet possible que les Gnétales forment un groupe ayant divergé au sein de celui des Conifères plutôt qu'un groupe qui en aurait divergé précocement.
Toutes les photographies de P. Thomas de cet article ont été prises lors d'une excursion géologique organisée par le CBGA (Centre briançonnais de géologie alpine) et encadrée par Olivier Dauteuil (Université de Rennes).