Image de la semaine | 20/11/2017
Le Mont Rushmore (Dakota du Sud, USA) : la base d'une intrusion granitique, des filons de pegmatites et quatre présidents
20/11/2017
Résumé
Contact magmatique entre un granite et son encaissant, falaise de granite sculptée et parsemée de filons de pegmatites.
Le Mont Rushmore est un haut lieu du tourisme aux USA. En effet, le sculpteur américain d'origine danoise Gutzon Borglum (1867-1941), y a conçu (et dirigé les travaux faits par 400 ouvriers) quatre sculptures géantes (18 m de haut) représentant les visages de quatre présidents des USA : George Washington (1732-1799), Thomas Jefferson (1743-1826), Théodore Roosevelt (1858-1919) et Abraham Lincoln (1809-1865). Les travaux débutèrent en 1927 et se terminèrent en 1941. Mais, outre ces sculptures, ce site mériterait aussi d'être connu pour sa géologie. On y voit en effet, ce qui est relativement rare, le substratum sur/dans lequel s'est mise en place une intrusion granitique, le granite de Black Elk Peak. Ce granite est daté de la fin du Protérozoïque inférieur (1,6 Ga). Il est intrusif dans une série de roches métamorphiques préexistantes (principalement des micaschistes), encore plus vieilles.
Il est maintenant bien connu et largement représenté dans des figures schématiques (comme celles représentant le magmatisme des zones de subduction) que les granitoïdes forment souvent des intrusions en forme de montgolfières quand elles sont de petites tailles et isodiamétriques, et en forme de lentilles (laccolites) quand leur diamètre est largement supérieur à leur épaisseur. Sauf au niveau de sa zone d'alimentation, à sa base, une intrusion granitique repose donc sur son encaissant. C'est très souvent schématisé sur les figures, très peu souvent montré en photograhie, et relativement rarement visible sur le terrain. Planet-Terre vous a déjà montré quelques exemples : en Bretagne (Le contact Sud du granite de Ploumanac'h sur l'île Milliau, Trébeurden (Côtes d'Armor)), en Algérie (figure 15 de Le contact Sud du granite de Ploumanac'h sur l'île Milliau, Trébeurden (Côtes d'Armor)), en Patagonie (Un pluton granitique vu globalement en 3D, région du lac Général Carrera-Buenos Aires, Chili et L'intrusion granitique de Torres del Paine (Chili) : un exemple de laccolite…). Mais, avec ses 2 500 000 visiteurs annuels, la base du granite de Black Elk Peak est potentiellement la plus visitée de toutes les bases d'intrusion granitique du monde. Mais quel pourcentage de ces visiteurs annuels du Mont Rushmore a remarqué cette limite et l'a apprécié à sa juste valeur ? Si le Mount Rushmore National Memorial en parle dans ses documents et panneaux explicatifs, c'est alors suffisamment bien "caché" pour que je ne l'aie pas vu pendant mes 2 heures de visite rapide. C'est dommage, car c'est la présence de cette base micaschisteuse qui, avec des raisons financières, a empêché la sculpture des bustes sous les visages (et non pas des simples visages) contrairement à ce qui avait été prévu à l'origine.
Enfin, les micaschistes de l'encaissant et surtout le granite lui-même sont parcourus de très beaux filons de pegmatite qui "balafrent" les visages des présidents, celui de Lincoln en particulier.
Nous vous montrons par la suite une figure montrant très schématiquement la géométrie théorique d'une intrusion granitique et la position du Mont Rushmore dans cette intrusion théorique, puis des photographies dans le paysage et en affleurement vu de près du contact granite/micaschistes, et, pour finir, des images de filons de pegmatites.
Il est interdit (et ce serait de toute façon très difficile) d'atteindre la limite granite/micaschistes au milieu de la falaise. Mais cette limite n'est pas horizontale et pend vers le Sud. Elle affleure juste entre Centre d'Information près de l'entrée et l'Avenue des drapeaux dans un "bloc" épargné par les aménageurs. Et le Presidential Trail recoupe plusieurs fois cette limite.
Les micaschistes et surtout le granite sont recoupés de filons de pegmatites. Rappelons que les pegmatites sont des roches magmatiques filoniennes abondantes dans et en périphérie des granites, caractérisées par des cristaux de taille anormalement grande. Elles correspondent la plupart du temps à des liquides résiduels subsistant en fin cristallisation du granite, liquides saturés en eau. L'abondance de l'eau dissoute dans le magma favorise la diffusion des ions dans le magma et provoque cette "anomalie" de cristallisation. On peut voir ces pegmatites sous forme de "trainées" blanches sur les parois granitiques des sculptures, et aussi le long du Presidential Trail.
Une question a été posée suite à publication de cet article : « Pourquoi voit-on une nette auréole de métamorphisme dans l'encaissant d'une intrusion granitique dans certains cas (Flamanville) et pas dans d'autres (Mont Rushmore ou Torres Del Paine) » ? Cette question mérite une double réponse.
1/ C'est d'abord une question d'échelle d'observation. Le métamorphisme de contact, souvent, ne modifie pas trop l'allure de la roche. Si, par exemple, elle est stratifiée, les strates demeurent. Certes elles changent de minéralogie, mais pas forcément l'allure de la roche "vue de loin". Par exemple, au contact du granite de Ploumanac'h, vu de loin, on voit un encaissant stratifié, identique près du granite ou 1000 m plus loin, sans que le métamorphisme se voit cf. Le contact Sud du granite de Ploumanac'h sur l'île Milliau, Trébeurden (Côtes d'Armor)). Mais, vu de près, et a fortiori en lame mince, le métamorphisme saute aux yeux avec des andalousites visibles à l'œil nu (cf. Métamorphisme et tectonique dans l'encaissant du granite de Ploumanac'h, île Milliau, Trébeurden, Côtes d'Armor). Il peut aussi y avoir recristallisation sans changement majeur de minéralogie (passage d'un grès à une quartzite, par exemple). On pourrait alors noter un changement de résistance à l'érosion. C'est sans doute le cas à Torres del Paine ou l'encaissant sédimentaire doit avoir une minéralogie modifiée au contact du granite, mais cela ne se voit pas de loin (cf. L'intrusion granitique de Torres del Paine (Chili) : un exemple de laccolite). Et aller toucher ce contact pour le voir de près n'est pas facile (je ne l'ai pas fait).
2/ Il y a aussi le rôle de le nature de l'encaissant. Si l'encaissant est sédimentaire, donc constitué de minéraux stables à basse température comme des argiles, son métamorphisme de contact a engendré de nouveaux minéraux comme de l'andalousite, et ça se voit. Mais si l'encaissant est constitué de roches métamorphiques (ou plutoniques) constituées de minéraux stables à haute température, il n'y aura pas (ou peu) de synthèse de nouveaux minéraux, et un examen rapide à l'œil nu ne révèlera rien. C'est sans doute le cas au Mont Rushmore. Il faudrait faire une lame mince dans les micaschistes juste au contact du granite et la comparer avec une lame faite dans les mêmes micaschistes prélevés loin de ce contact. Un spécialiste du métamorphisme verrait sans doute de subtiles différences entre ces lames, mais celles-ci ne sautent pas aux yeux quand on ne fait que se promener dans ce site.