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Image de la semaine | 08/04/2024

Faire de la géologie en visitant les monuments romains de Lyon (Rhône). 3/ Les porphyres et autres “marbres” de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière

08/04/2024

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Pierres décoratives colorées, d’origine magmatique, métamorphique ou sédimentaire, et de provenances variées constituant le pavage d’une scène de théâtre romain.



La colline de Fourvière de Lyon abrite un ensemble de monuments romains qui comprend deux théâtres, le petit, appelé « Odéon », et le grand, appelé « théâtre antique de Lyon ». C'est à cet Odéon que nous consacrerons cette semaine, après avoir vu lors des deux semaines précédentes les voies romaines conduisant à ces théâtres puis les colonnes du grand théâtre). Cet ensemble a été construit au début de l'Empire romain, sous Auguste ou Tibère, puis agrandi, modifié… Complètement abandonné à la fin de l'empire, cet ensemble a été très dégradé et a servi de carrière de pierres au Moyen-Âge. En particulier, les murs de scène de ces deux théâtres ont complètement disparu. On retrouve d'ailleurs des pierres issues de ces monuments dans la cathédrale Saint Jean, située juste en bas de la colline de Fourvière. Puis ces ruines ont été ensevelies par des éboulements et des glissements de terrains venant du haut de la colline de Fourvière. Ce passé antique est alors tombé dans l'oubli et l'emplacement des théâtres était recouvert de vergers et de vignes (voir figure 26). Redécouverts à la fin du XIXe siècle, théâtres et voies ont été dégagés et restaurés au milieu du XXe siècle et sont maintenant accessibles gratuitement aux promeneurs lyonnais et aux touristes. Ils hébergent en été les Nuits de Fourvière.

Le but de cet article, et de ceux des deux dernières semaines n'est pas de détailler l'histoire de ces monuments, ni de reconstituer son état initial, ni d'en décrire et interpréter tel ou tel élément architectural. Notre but est géologique. Il est, pour citer Maurice Mattauer, de déchiffrer et de comprendre « ce que nous disent les pierres » qui ont servi à construire ces monuments. Les deux dernières semaines, nous avons fait parler les granites de la voie romaine (cf. 1/ Les dalles de granite des voies romaines de Fourvière) puis les colonnes du grand théâtre (cf. 2/ La tectonique dans les colonnes de marbre du théâtre antique de Fourvière). Cette semaine, nous ferons “parler” les marbres et porphyres décorant l'Odéon. La scène de ce “petit” théâtre romain est pavée de petites plaquettes de pierres de couleur assemblées de façon jointive pour constituer un dessin géométrique. Un panneau explicatif placé devant cette scène dit qu'il s'agit de plaquettes de « marbres ».

Ce panneau indique cinq types de « marbres », en donne une fois le nom géologique (roche granitique) et 4 fois des noms de “tailleurs de pierre” et autres “marbriers” (“marbre” et “porphyre”), sans que ces termes aient une signification géologique. Le mot “marbre” est utilisé par les géologues pour nommer des calcaires métamorphiques ; le mot porphyre n'est pas utilisé par les géologues rigoureux. Pour les “marbriers”, le mot “marbre” désigne n'importe quelle pierre dure et capable de prendre un beau poli ; le terme “porphyre” désigne une roche qui présente une texture caractérisée par de grands cristaux noyés dans une pâte homogène. Le panneau explicatif indique aussi la provenance de ces cinq roches : Égypte (porphyre rouge et granite), Grèce (porphyre vert), Tunisie (marbre jaune) et Turquie (marbre violet et vert). D'autres “marbres”, plus blancs, ne sont ni nommés ni géolocalisés. La balustrade entourant cette scène et les couloirs y menant étaient, eux, plaqués de marbre blanc, marbre de Carrare dit le panneau. Dans la suite, le “marbre” au sens marbrier sera encadré de guillemets. Le marbre au sens géologique n'aura pas de guillemets.

Vue d'ensemble sur la scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon, Rhône)

Figure 2. Vue d'ensemble sur la scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon, Rhône)

Cette scène est pavée de petites plaques de différentes roches de différentes couleurs, regroupées en motifs géométriques circulaires, rectangulaires…


Panneau explicatif placé en avant de la scène de l'Odéon de Fourvière localisant et désignant les différents motifs de différentes couleurs

Vue d'un motif rectangulaire composé de très nombreuses mini-dalles de ce que le panneau explicatif appelle « porphyre rouge (Égypte) », sur la scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon, Rhône)

Figure 4. Vue d'un motif rectangulaire composé de très nombreuses mini-dalles de ce que le panneau explicatif appelle « porphyre rouge (Égypte) », sur la scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon, Rhône)

On voit très bien que ce porphyre rouge est constituée de cristaux blancs automorphes, des feldspaths, pris dans une matrice rouge foncé.


Vue rapprochée sur quelques mini-dalles de « porphyre rouge (Égypte) », sur la scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon, Rhône)

Figure 5. Vue rapprochée sur quelques mini-dalles de « porphyre rouge (Égypte) », sur la scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon, Rhône)

On voit très bien que ce porphyre rouge est constituée de cristaux blancs automorphes, des feldspaths, pris dans une matrice rouge foncé.


Détail d'une mini-dalle de « porphyre rouge (Égypte) », sur la scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon, Rhône)

Figure 6. Détail d'une mini-dalle de « porphyre rouge (Égypte) », sur la scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon, Rhône)

On voit très bien que ce porphyre rouge est constituée de cristaux blancs automorphes, des feldspaths, pris dans une matrice rouge foncé.


Le porphyre rouge égyptien a été exploité depuis l'Antiquité, et en particulier par les Romains. Wikipédia décrit ce porphyre comme suit (texte légèrement modifié et “géologisé”).

Le porphyre rouge antique (lapis porphyrites, pierre pourpre) qui est une andésite ancienne (d'âge panafricain, = Protérozoïque, environ 600 Ma) dont les feldspaths et la pâte sont colorés par de l'épidote rose, appelée « piedmontite » (épidote manganésifère). Les carrières se trouvent sur le djebel Dokhan (nom ancien : Mons Porphyrites ou Mons Igneus), une chaine montagneuse située à l'Ouest de Hurghada, en plein désert oriental égyptien, entre le Nil et la Mer Rouge. Il fut essentiellement connu et exploité durant la période romaine où il était une roche très prestigieuse ; on en fit de grandes vasques, des sculptures, des colonnes monumentales, des sarcophages impériaux et des décors de placage.

Le nom “porphyre” vient du grec ancien πορφύρα (= porphýra), terme désignant un colorant rouge-violacé que l'on tire de gastéropodes marins, principalement des murex. On retrouve cette étymologie dans les molécules appelées “porphyrines”, composants essentiels de l'hémoglobine qui a une couleur rouge, dans le nom d'une maladie (la porphyrie)… Ce porphyre antique, outre sa couleur, se caractérise par ses “gros” cristaux (de feldspath) noyés dans cette “pâte” rouge. Par extension, les anciens ont appelé “porphyre” toute roche caractérisée par ses “gros” cristaux (de feldspath) noyés dans une “pâte”, quelle que soit la couleur de la roche.

Avec le porphyre rouge antique (égyptien), un autre porphyre avait les faveurs des anciens Grecs et Romains, le porphyre vert antique (linguistiquement, parler de « porphyre vert », ce serait comme parler de nos jours de « verdure rouge »). Wikipédia décrit ce porphyre vert comme suit (texte légèrement modifié et “géologisé”.

Le porphyre vert antique ou serpentin (lapis lacedaemonius, pierre de Lacédémone), est une ancienne roche volcanique d'âge triasique à pâte vert foncé, avec de nombreux grands cristaux de plagioclases pseudomorphosés par de l'épidote vert (pistachite), et de rares pyroxènes noirs. Il est issu des carrières de Lacédémone (ville plus connue en France sous le nom de Sparte, dans le Péloponnèse en Grèce) ; il était déjà exploité aux époques minoenne et mycénienne. Il connut une grande diffusion à Rome et il était recherché au Moyen-Âge et à la Renaissance. Sa disponibilité en petits blocs le destinait plutôt vers de petites colonnes, vases, plaques de revêtement (opus sectile) et mosaïques.

Le terme “porphyre”, avec ses gros cristaux pris dans une matrice plus fine, a même été utilisé par les géologues pour caractériser un granite ou une granodiorite avec de gros cristaux de feldspath pris dans une “matrice” grenue faite de cristaux normaux, même si ce granite n'est ni rouge ni rose, cf., par exemple, La granodiorite porphyroïde Miocène du Monte Capanne, Capo San Andrea, ile d'Elbe (Italie).



Détail sur la limite porphyre vert / “marbre” blanc sur la scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon)

Motifs géométriques faits de plusieurs types de plaquettes de “marbres” : granite gris, porphyre vert, “marbres” jaune, blanc et gris, scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon)

Figure 10. Motifs géométriques faits de plusieurs types de plaquettes de “marbres” : granite gris, porphyre vert, “marbres” jaune, blanc et gris, scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon)

Le panneau explicatif appelle « marbre violet et vert de Turquie » le “marbre” ici gris. La figure suivante montre un détail juste au-dessus à droite du couteau suisse.


Détail du porphyre vert antique sur la scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon)

Les Romains n'ont pas utilisé que des plaquettes de roches magmatiques. Ce que le panneau explicatif appelle « marbre jaune (Tunisie) », « marbre violet et vert, Turquie » et le « marbre blanc » ni nommé ni géolocalisé par le panneau sont en fait des brèches de marbre, marbre étant pris ici dans son sens géologique (calcaire métamorphisé). Il existe plusieurs sortes de brèches, que ce soient des brèches de calcaires métamorphiques comme ici, ou d'autres types de roche : (1) des brèches sédimentaires, cf. par exemple Promenade géologique dans la vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales – 1/ Écailles tectoniques, brèches, serpentines et autres silicates de magnésium ou des brèches tectoniques et/ou hydrothermales (par fracturation hydraulique), cf., par exemple, Barytine stratoïde dans le Jurassique basal des Causses, région de Millau, Aveyron ou les figures 12 à 14 de Les filons de calcite associés à la Faille Nord-pyrénéenne, Sournia, Pyrénées-Orientales.

Vue d'ensemble sur un cercle composé de ce que le panneau explicatif appelle « marbre jaune (Tunisie) », scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon)

Figure 14. Vue d'ensemble sur un cercle composé de ce que le panneau explicatif appelle « marbre jaune (Tunisie) », scène de l'Odéon, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon)

Ce “marbre” jaune est en fait constitué de brèches. Ces brèches seront détaillées dans les deux figures suivantes. Ce “marbre” vient probablement des carrières de Chemtou.


Détail sur le “marbre” jaune antique, en fait une brèche de marbre, provenant de Tunisie d'après le panneau, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon)

Figure 15. Détail sur le “marbre” jaune antique, en fait une brèche de marbre, provenant de Tunisie d'après le panneau, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon)

Ces brèches sont, de plus, affectées par des joints stylolitiques (cf. Les stylolites de la pierre de Villebois (Ain) à la Carrière des Meules) indiquant qu'elles ont subi une compression postérieurement à leur formation.


Autre détail sur le “marbre” jaune antique, en fait une brèche de marbre, provenant de Tunisie d'après le panneau, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon)

Figure 16. Autre détail sur le “marbre” jaune antique, en fait une brèche de marbre, provenant de Tunisie d'après le panneau, petit théâtre romain de Fourvière (Lyon)

Ces brèches sont, de plus, affectées par des joints stylolitiques (cf. Les stylolites de la pierre de Villebois (Ain) à la Carrière des Meules) indiquant qu'elles ont subi une compression postérieurement à leur formation.


Vue sur une partie de la bordure de la scène de l'Odéon composée de ce que le panneau explicatif appelle « marbre violet et vert (Turquie) », Fourvière (Lyon, Rhône)

Figure 17. Vue sur une partie de la bordure de la scène de l'Odéon composée de ce que le panneau explicatif appelle « marbre violet et vert (Turquie) », Fourvière (Lyon, Rhône)

Comme pour le “marbre jaune” des figures précédentes, ce “marbre violet et vert” est lui aussi fait d'une brèche de marbre.


Détail de la bordure de la scène de l'Odéon composée de ce que le panneau explicatif appelle « marbre violet et vert (Turquie) », Fourvière (Lyon, Rhône)

Figure 18. Détail de la bordure de la scène de l'Odéon composée de ce que le panneau explicatif appelle « marbre violet et vert (Turquie) », Fourvière (Lyon, Rhône)

Comme le “marbre jaune”, ce “marbre violet et vert” est lui aussi fait d'une brèche de marbre.


Gros plan sur le centre de la photo précédente, dans le « marbre violet et vert (Turquie) », scène de l'Odéon, Fourvière (Lyon, Rhône)

Figure 19. Gros plan sur le centre de la photo précédente, dans le « marbre violet et vert (Turquie) », scène de l'Odéon, Fourvière (Lyon, Rhône)

Comme le “marbre jaune”, ce “marbre violet et vert” est lui aussi fait d'une brèche de marbre.

On devine un aplatissement / une schistosité autour du gros élément central blanc, qui semble le mouler. Si ce débit est une réalité et non pas une illusion due à une disposition aléatoire, cela signifierait que la roche a subi une déformation à haute température, plus haute que la déformation subie par la brèche des figures 14, 15 et 16 où les déformations n'ont engendré “que” des stylolites.


Une balustrade séparait la scène et les premiers gradins. Cette balustrade était plaquée de marbre blanc, sculpté de motifs végétaux. Il en était de même des couloirs amenant aux gradins, mais sans motifs végétaux. Le panneau explicatif dit que ce marbre blanc est du marbre de Carrare (Italie). Cela y ressemble en effet ; mais rien ne ressemble plus à un marbre blanc qu'un autre marbre blanc. Des études géochimiques ou autres, non destructrices, seraient nécessaires pour confirmer (ou infirmer) cette attribution. La semaine prochaine, nous verrons comment ces méthodes modernes ont permis de retrouver l'origine de colonnes romaines lyonnaises. Et pour en savoir plus sur le marbre de Carrare, on peut revoir Le marbre de Carrare et ses carrières (Toscane, Italie).

Vue aérienne de l'ensemble de l'Odéon, le petit théâtre de la colline de Fourvière (Lyon, Rhône)

Figure 24. Vue aérienne de l'ensemble de l'Odéon, le petit théâtre de la colline de Fourvière (Lyon, Rhône)

On voit très bien la scène et sa décoration de “marbres” multicolores.


Vue aérienne de l'ensemble du site archéologique de Fourvière (Lyon, Rhône)

Figure 25. Vue aérienne de l'ensemble du site archéologique de Fourvière (Lyon, Rhône)

À gauche, l'Odéon. À droite, le grand théâtre antique, dont on a étudié les colonnes la semaine dernière. Au centre, la voie romaine dont on a étudié les dalles de granites il y a deux semaines. La maison marquée par l'astérisque rouge correspond la “maison repère” sur les photos historiques qui suivent.


Photographies historiques montrant la colline de Fourvière avant et après les fouilles du milieu du XXe siècle

Figure 26. Photographies historiques montrant la colline de Fourvière avant et après les fouilles du milieu du XXe siècle

En haut, la colline de Fourvière en 1933, avant le début des fouilles. Les ruines avaient complètement disparu sous les vergers et les vignes. En bas, vue sur le même secteur en 1946, après le dégagement presque complet des deux théâtres. La maison indiquée par l'astérisque rouge sert de repère et la flèche bleue localise l'Odéon, le plus petit des deux théâtres.

Photos tirées d'un panneau explicatif situé entre les deux théâtres. Images d'archive numérisées de la Bibliothèque municipale de Lyon semblables, datant de 1933 et 1946.