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Image de la semaine | 13/05/2019

Les pegmatites et le kaolin de Marcognac, Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), matières premières historiques de la porcelaine de Limoges

13/05/2019

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Exploitation de filons de pegmatite kaolinitisée pour le kaolin nécessaire à l'industrie de la porcelaine.


Carrière et séchoir à kaolin, Marcognac, commune de Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne)

Figure 1. Carrière et séchoir à kaolin, Marcognac, commune de Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne)

En haut, gouache de Jean Charles Develly (1783 – 1862), peintre et décorateur à la Manufacture de Sèvres, représentant l'une des carrières de kaolin de Marcognac (commune de Saint-Yrieix, Haute-Vienne) dans son état du début du XIXe siècle.

En bas, séchoir à kaolin dans son état actuel, au sein du site de Marcognac, site classé monument historique en archéologie industrielle.


Figure 2. Recto du dépliant de l'association "Marcognac Terre de Porcelaine"

Ce dépliant donne des renseignements pratiques sur le site et sa visite, et surtout raconte son histoire et les débuts de l’histoire de la porcelaine en Limousin.


Figure 3. Verso du dépliant de l'association "Marcognac Terre de Porcelaine"

Ce dépliant donne des renseignements pratiques sur le site et sa visite, et surtout raconte son histoire et les débuts de l’histoire de la porcelaine en Limousin.


Nous avons vu les deux dernières semaines d'anciennes exploitations de pegmatites au Nord de Limoges (cf. Les pegmatites du Limousin : d'anciens gisements exploités pour l'industrie électrique, les porcelaines et autres céramiques, la verrerie… et des curiosités géologiques et Les pegmatites du Limousin : des minéraux et des métaux rares, une mise en place plus complexe qu'imaginée et des modèles pour aider à comprendre la genèse des gisements des métaux “ du futur”), pegmatites surtout exploitées pour leurs feldspaths, minéraux utilisés dans l‘industrie de la porcelaine. Nous vous montrons aujourd'hui ce qu'il reste d'anciennes carrières de pegmatites altérées et des installations industrielles associées, carrières situées au Sud de Limoges et exploitées pour le kaolin. Comme leurs consœurs du Nord, ces pegmatites du Sud sont hercyniennes. Les carrières sont actuellement inondées, mais les anciennes installations industrielles sont conservées et se visitent (cf. figures ci-dessus).

Ce sont les Chinois qui ont inventé la porcelaine dès le XIIe siècle avant notre ère. Elle est connue en Europe depuis Marco Polo, où elle était appréciée pour sa blancheur, sa dureté, sa translucidité, sa sonorité. Mais, jusqu'au XVIIIe siècle, les Européens n'en maitrisaient pas la fabrication. Ces techniques de fabrication furent introduites en Allemagne au début du XVIIIe, et en France dans la deuxième moitié de ce même XVIIIe siècle. La fabrication de la porcelaine a pu se développer en France grâce à la découverte du kaolin, au lieu-dit Clos de Barre à Saint-Yrieix-la-Perche sur les terres de Madame du Montet en 1768. Cette terre blanche découverte par le médecin militaire en retraite Jean-Baptiste Darnet fut identifiée par l'apothicaire bordelais Marc-Hilaire Villaris, et c'est ce dernier qui, au nom du roi Louis XV, fit l'achat des terrains. Cette carrière alimentait la Manufacture de Sèvres. Cette découverte à Saint-Yrieix allait révolutionner toute l'histoire de la porcelaine en Europe et permettre le développement d'une économie nouvelle en France, et notamment dans la région de Limoges. La première exploitation des carrières de Marcognac date de 1786 et l'exploitation du kaolin sera terminée en 1935. Cependant, la qualité des pegmatites non altérées permettra de continuer l'exploitation des feldspaths jusqu'en 1976.

Trois “ingrédients” sont en effet nécessaires pour faire de la porcelaine : environ 25 % de quartz, 25 % de feldspath et 50 % de kaolin pur. Les proportions exactes de ces trois composants dépendent des usages que l'on veut faire de la porcelaine, des procédés de fabrication des différentes manufactures… Rappelons que le mot “kaolin” vient du chinois “gaoling” (高岭), mot signifiant “collines hautes” et qui désigne une carrière ou un hameau situé à Jingdezhen dans la province du Jiangxi au Sud-Est de la Chine. Le kaolin est une argile exclusivement constituée de kaolinite (Al2Si2O5(OH)4). Il a pour origine l'altération des feldspaths par de l'eau. Il y a eu longtemps un débat pour savoir si cette eau était de l'eau météorique ou de l’eau dite “juvénile” car libérée par la cristallisation des magmas pegmatitiques. Les analyses géochimiques privilégient une altération par l'eau météorique. Le kaolin pur fond à une température voisine de 1800°C. Pour faire de la porcelaine, on commence par mélanger le kaolin et de très fines poudres de quartz et de feldspath très finement broyés. On mélange ces poudres (avec plus de 50 % de kaolin) à de l'eau pour en faire une pâte, pâte que l'on moule pour faire des objets de forme voulue. Après séchage, on cuit ces objets à une température de 1000 à 1200°C, température inférieure à la température de fusion du mélange et on obtient une céramique poreuse, nommée le “dégourdi” (ou le “biscuit” selon son degré de porosité). Cette cuisson déshydrate le kaolin qui réagit avec quartz et feldspath et se transforme notamment en mullite, silicate d'alumine de formule 2(SiO2),3(Al2O3).La transformation “kaolin + quartz + feldspath → dégourdi” se fait sans fusion et peut s'apparenter à du métamorphisme. On recouvre ensuite le dégourdi d'une suspension aqueuse faite des trois ingrédients classiques, poudres extrêmement fines, mais avec plus de feldspath et moins de kaolin que pour faire le dégourdi. C'est ce qu'on appelle l'émaillage ou le vernissage. L'abondance du feldspath dans l'émail fait diminuer la température de fusion du mélange. On chauffe alors le dégourdi émaillé à une température voisine de 1300 à 1400°C. L'émail fond, et devenu liquide, envahit la porosité du dégourdi, et se vitrifie lors du refroidissement post-cuisson. L'émail solidifié (qu'on appelle alors glaçure) imprègne alors complètement et irréversiblement le dégourdi qui devient alors translucide et imperméable : la porcelaine. La transformation “dégourdi + émail → porcelaine” est donc une fusion partielle, et s'apparente à du magmatisme.

Les pegmatites de la région de Saint-Yrieix-la-Perche sont riches en feldspath et totalement dépourvues de biotite, donc de fer. Et l'absence de fer est nécessaire pour avoir une porcelaine blanche. Il y eu donc dès la fin du XVIIIe siècle une “ruée vers l'or blanc” (le kaolin) dans toutes la région de Saint-Yrieix-la-Perche. Les carrières de Marcognac furent les principales carrières du district.

Le district à kaolin s'étend depuis la commune du Chalard à l'Ouest jusqu'à Mongibaud à l'Est, sur une distance de 25 km. Les carrières pour l'exploitation se répartissent en 5 secteurs principaux, Le Chalard, Saint-Yrieix-la-Perche, Marcognac au centre, Bois-Vicomte et Marsac. Au total, il y aurait eu une quarantaine de carrières ouvertes sur l’ensemble du district. La dernière carrière ferma en 1978.

D'un point de vue géologique, toutes les exploitations se localisent dans la formation des gneiss micaschisteux de l’Unité Inférieure des Gneiss, à proximité du contact avec la formation des orthogneiss de cette même unité (figure 28). Ce contact lithologique est globalement de direction Est-Ouest. Il est décalé par des failles d'orientation N20-30° et N60-70°. Les gneiss micaschisteux peuvent renfermer des intercalations d'amphibolites comme à Marcognac. Au Chalard, les gneiss micaschisteux sont recoupés par des granites (massif de granite leucocrate du Chalard).

Le kaolin est associé à des filons et dykes très irréguliers de pegmatites intrusives. Ces filons sont tous localisés dans la formation de gneiss micaschisteux et montrent une orientation préférentielle Est-Ouest. Les pegmatites sont leucocrates avec muscovite largement dominante sur la biotite, très peu abondante et souvent absente.

En 2019,en France,on n'exploite plus de pegmatites pour le kaolin, mais des leucogranites altérés en Bretagne (cf., par exemple, Altération de leucogranites et kaolin) et dans le Nord du Massif Central.

Les carrières de Marcognac sont maintenant noyées. Mais à partir de 1990, la commune racheta une partie des anciens lieux d'extraction et de traitement, et les restaura. Le site fut classé aux Monuments historiques au titre de l'archéologie industrielle. Son exploitation touristique est sous la responsabilité de l'association “Marcognac Terre de Porcelaine”.

Nous allons entreprendre une visite de ce site de Marcognac en commençant par les carrières (où on ne voit presque plus rien), puis en continuant par les anciens bâtiments d'exploitation et de traitement, puis par un petit musée et son contenu, et en finissant par des documents de la fin du XIXe – début du XXe siècle. Ces documents anciens sont visibles à l'extérieur sur le site (panneaux) ou dans le musée.

Le séchoir à kaolin, un des bâtiments emblématiques de Marcognac

Figure 7. Le séchoir à kaolin, un des bâtiments emblématiques de Marcognac

Après tris, lavage… le kaolin était entreposé dans un grenier très ventilé pour y être séché.



Voie ferrée très raide montant du fond d'une carrière (maintenant inondée) vers les bâtiments de traitement du kaolin


L'intérieur du petit musée de Marcognac, installé sur place

Figure 11. L'intérieur du petit musée de Marcognac, installé sur place

On voit différents échantillons de pegmatites plus ou moins kaolinitisées et, accrochées au plafond, la « recette «  de la porcelaine ainsi que des photos d'époque (cf figures 18 et 20).


Trois étapes montrant le passage de la pegmatite au kaolin

Figure 12. Trois étapes montrant le passage de la pegmatite au kaolin

Les deux échantillons de gauche sont des échantillons bruts provenant de carrière. L'échantillon de droite est un ”gâteau” de kaolin obtenu par séchage d'une boue kaoliniteuse après séparation de l'argile, des quartz et des feldspaths résiduels. Noter l'absence totale de biotite dans la pegmatite, absence indispensable pour avoir un kaolin blanc.





Et voici 11 documents datant de la fin du XIXe – début du XXe siècle, principalement d'anciennes cartes postales. Ces documents sont exposés sur les sites extérieurs ou dans le musée gérés par “Marcognac Terre de Porcelaine”.




Ouvriers disposant dans des cagettes du kaolin de l'une des trois variétés définies à la figure 14

Figure 19. Ouvriers disposant dans des cagettes du kaolin de l'une des trois variétés définies à la figure 14

Chaque cagette contient environ 10 kg de kaolin. Selon la variété, ce kaolin sera plus ou moins “trié”.


Ouvriers disposant dans des cagettes du kaolin de de l'une des trois variétés définies à la figure 14

Figure 20. Ouvriers disposant dans des cagettes du kaolin de de l'une des trois variétés définies à la figure 14

Chaque cagette contient environ 10 kg de kaolin. Selon la variété, ce kaolin sera plus ou moins “trié”.






Voie ferrée (très raide) remontant du fond de la carrière vers les bâtiments où s'effectuaient tri et traitement

Figure 25. Voie ferrée (très raide) remontant du fond de la carrière vers les bâtiments où s'effectuaient tri et traitement

Cette petite voie ferrée correspond à ce qu'on voit sur les figures 9 et 10.


Ouvrières triant manuellement le kaolin pour le séparer en ses trois catégories, destinées ensuite à trois traitements distincts

Figure 26. Ouvrières triant manuellement le kaolin pour le séparer en ses trois catégories, destinées ensuite à trois traitements distincts

Des enfants et un ouvrier homme (un contremaitre ?) prennent ici la pose en même temps que les ouvrières.


En 1877, il n'y a pas que les hommes et les femmes qui travaillent dans ces carrières, il y a aussi des enfants, que commencent à protéger de timides lois

Figure 27. En 1877, il n'y a pas que les hommes et les femmes qui travaillent dans ces carrières, il y a aussi des enfants, que commencent à protéger de timides lois

Ici, un permis de travail délivré par le maire en 1877 pour un mineur né en 1861. Le maire certifie que ce mineur n'a fréquenté aucune école (on était avant les lois Jules Ferry datant de 1881-1882). Pourquoi un tel certificat ? Pour permettre au patron d'encore moins payer le jeune ouvrier ?


Comparaison entre carte géologique et vue aérienne des environs de Marcognac (Haute-Vienne)

Figure 28. Comparaison entre carte géologique et vue aérienne des environs de Marcognac (Haute-Vienne)

Les terrains verts (gneiss micaschisteux) et jaunes (ortho-leptynites à biotite) correspondent aux terrains métamorphiques hercyniens, les filons légendés Q sont des filons de quartz, et les filons rouges sont des filons de pegmatites. Les anciennes carrières de kaolin sont maintenant des étangs (colorés en bleu clair pour en augmenter la visibilité). Il y a une assez bonne correspondance entre les anciennes carrières et les filons de pegmatite kaolinitisée.