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Image de la semaine | 30/11/2015

Le bois de Païolive (Ardèche), un exemple de méga-lapiaz dolomitique

30/11/2015

Matthias Schultz

Professeur de SVT, Lycée H. de Chardonnet, Chalon sur Saône

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Relief ruiniforme dans un lapiaz évolué, morphologies variées et sculptures naturelles.


Le méga-lapiaz du Bois de Païolive, en Ardèche

Figure 1. Le méga-lapiaz du Bois de Païolive, en Ardèche

Les reliefs ruiniformes sont développés dans des calcaires gris, en bancs épais (2 à 3 m) mal délimités, bioturbés, partiellement dolomitisés, d'une épaisseur totale de 15 à 20 m. L'érosion karstique a ici enlevé la majorité du calcaire, qui ne subsiste que sous forme de blocs, pans et autres pinacles décamétriques. Une chênaie occupe tout le plateau calcaire, mêlée d'autres espèces.


Nous avons vu les deux semaines précédentes des lapiaz "jeunes", car situés en montagne et postérieurs à la dernière glaciation qui avait dû éroder-polir leurs morphologies superficielles préexistantes (cf. Un exemple de petit lapiaz : le lapiaz de Loulle (Jura), et Le lapiaz de la Pierre Saint Martin (Pyrénées Atlantiques), l'un des plus grands lapiaz de France). Lorsque le karst et son lapiaz superficiel évolue, les diaclases et autres rigoles sont considérablement élargies par la dissolution, et le calcaire non encore dissous commence à se trouver sous forme de panneaux, pseudo-murs ou pinacles isolés les uns des autres. On peut alors parler de relief "ruiniforme", à cause de la ressemblance d'un tel relief avec un champ de ruines.

Rappelons une fois encore l'équation de la dissolution des carbonates, et insistons une fois encore sur le fait que le CO2 à l'origine de cette dissolution provient pour partie de l'atmosphère et pour partie du CO2 respiratoire dégagé par les racines et les organismes du sol : CO2 + H2O + CaCO3 → 2 HCO3- + Ca2+.

Cette morphologie ruiniforme se développe d'autant mieux que le calcaire est compact et résistant à l'érosion mécanique, à la désagrégation par le gel… Les monticules, "murs" et pinacles soumis aux seuls aléas climatiques sont moins affectés que le fond des rigoles ne l'est par la dissolution, et auront ainsi une longue durée d'existence. Une dolomitisation irrégulière est un second facteur favorisant ce type d'évolution karstique "ruiniforme". En effet, les parties du calcaire très dolomitisées sont moins solubles (dans les eaux riches en CO2) que le calcaire peu ou pas dolomitisé.

Le bois de Païolive, en Ardèche, est un superbe exemple de "méga-lapiaz" dolomitique. Ce lapiaz est beaucoup plus vieux que ceux de Loulle ou de la Pierre Saint Martin, car la karstification superficielle qui a dû commencer il y a des centaines de milliers (voire des millions) d'années n'a pas été "effacée" par l'érosion glaciaire, cette bordure Sud-Est du Massif Central n'ayant jamais été recouverte par les glaciers quaternaires. La zone se présente comme un labyrinthe complexe formé par dissolution d'un plateau calcaire en partie dolomitisé. Ce lapiaz se fait dans les carbonates du Kimméridgien supérieur (Jurassique supérieur).

La notice de la carte géologique 1/50 000 de Bessèges décrit ainsi ce niveau.

« J7-8(c). Kimméridgien (partie terminale). Calcaires ruiniformes de Païolive (épaisseur : 15 à 20 m). Calcaires gris, mouchetés de taches centimétriques plus sombres, à patine blanchâtre ou jaunâtre, très compacts contenant souvent des silex dans la partie inférieure. Les bancs, épais (2 à 3 m) sont mal délimités. La dolomitisation est irrégulière. Cette formation livre des faunes de la partie supérieure des zones à Eudoxus et à Beckeri (Atrops, 1984). Le microfaciès est de type intrabiomicrite à filaments. Les grumeaux ou intraclastes dérivent de l'action de la bioturbation ; cette dernière peut-être intense et les cavités présentent des remplissages géotropes. Les grumeaux résiduels sont généralement revêtus d'un encroûtement dû aux bactéries et aux foraminifères. Microfaune : rares Saccocoma, nombreux Globochaete, radiolaires, abondants filaments. Quelques aptychus. »

« L'altération des calcaires ruiniformes donne les beaux modelés karstiques du Bois de Banne (au pied Nord de la crête de Bonne-Vieille) et du Bois de Païolive (païo liva = la pierre levée). La karstification intense est facilitée par l'intense diaclasage récemment analysé par Vergely et Zadeh-Kabir (1988). Les figures de lapiaz sont très développées et diversifiées : rigoles, méandres, cannelures, cupules, vasques. Les dolines sont en forme d'auge, plus ou moins anastomosées (Bois de Païolive). Des poljés peuvent se développer (les Filgères au Sud de Sauvas) sur l'ensemble des Calcaires de la Beaume et des Calcaires de Païolive J7-8(b-c). Le chêne pubescent est l'élément dominant de la forêt. »

Le visiteur chemine dans ce Bois de Païolive au fond des rigoles géantes de dissolution (de profondeur décamétrique) et admire les formes fantasques adoptées par les pinacles calcaires et dolomitiques. Autres caractéristiques karstiques : diverses grottes et résurgences sont présentes dans le secteur, et le Chassezac, cours d'eau local, a creusé d'importantes gorges en bordure du plateau calcaire du Bois de Païolive (voir à ce sujet Le karst jurassique supérieur de la vallée du Chassezac).

Une forêt de chênes (surtout des chênes pubescents, avec quelques chênes verts) occupe tout le plateau calcaire, empêchant le géologue d'avoir une vue d'ensemble du plateau car les arbres ont (actuellement) une taille légèrement supérieure à celle des pinacles, et il est impossible de se rendre compte que le Bois de Païolive est une « forêt de pinacles de pierre ». Mais les arbres ne masquent pas (encore) les rochers quand on est à leur pied. Par contre, ce bois de Païolive réjouit l'écologue : le site comprend de nombreuses espèces d'intérêt, notamment des chiroptères qui trouvent de nombreux abris dans les orifices des calcaires. La chênaie est elle-même assez belle. Caractéristique d'une végétation péri-méditerranéenne peu dégradée, par opposition aux sols nus, aux garrigues, aux maquis, et dans une moindre mesure aux taillis, elle présente un aspect sauvage qui séduit le visiteur. Cette forêt porte cependant aussi la trace de l'Homme : des traces de murets en pierres sèches et de terrasses cultivées autrefois subsistent d'ailleurs çà et là dans le bois. Cette chênaie en effet ne se réinstalle massivement en Ardèche (comme partout en France) que suite à la déprise agricole et au recul de l'agro-pastoralisme. Amorcée depuis le XIXème siècle et radicalement accélérée depuis la fin de la seconde guerre mondiale, cette déprise se traduit par une réduction du pâturage et des coupes forestières, et est associée à un usage massif des combustibles fossiles en lieu et place de la carbonisation du bois. La pression humaine sur la forêt diminue donc, en particulier dans les campagnes isolées et ayant peu de potentiel productif dans un contexte où la volonté politique est de favoriser l'agriculture intensive : cas évident du méga-lapiaz aux sols pauvres, impossible à mécaniser, qu'est le Bois de Païolive. Le couvert forestier y progresse donc, et certaines espèces reviennent, comme le chêne pubescent qui a presque totalement remplacé le chêne vert bien présent au milieu du XXème siècle. Profitez de la (relative) petite taille des chênes pubescent pour visiter ce site. D'ici quelques dizaines d'années (à moins que le réchauffement climatique ne change l'évolution de la chênaie ou qu'un incendie ne rase la forêt), les arbres et leurs sous-bois auront tellement poussé que visiter ce site sera beaucoup moins spectaculaire, géologiquement parlant.

Les deux premières figures suivantes (une image prise du sommet d'un relief calcaire et une vue aérienne) illustrent cet envahissement du lapiaz par la forêt.

La chênaie du Bois de Païolive (Ardèche) vue du sommet d'un monticule de calcaire dolomitique

Figure 2. La chênaie du Bois de Païolive (Ardèche) vue du sommet d'un monticule de calcaire dolomitique

Les chênes, ayant en moyenne une taille légèrement supérieure à celles des blocs, panneaux et pinacles dolomitiques, masquent presque complètement le relief ruiniforme du secteur.


Vue aérienne du secteur NO du Bois de Païolive sur la rive droite (au Sud) du Chassezac dont on voit les gorges traverser l'image d'Ouest en Est

Figure 3. Vue aérienne du secteur NO du Bois de Païolive sur la rive droite (au Sud) du Chassezac dont on voit les gorges traverser l'image d'Ouest en Est

On se rend compte que la majorité de la surface est boisée. Mais quelques dalles, panneaux et pinacles calcaires sont encore épargnés par la végétation. On devine bien des "lignes" souvent N-S, lignes vertes correspondant à des diaclases arborées, et "lignes" claires correspondant à des "murs" et alignements de pinacles non encore colonisés pas le couvert végétal.


Les images qui suivent sont caractéristiques de ce qu'on peut voir quand on se promène, soit dans le Bois de Païolive lui-même sur la rive droite du Chassezac, soit sur les sommets du cirque d'Endieu en rive gauche, juste en face.

Partie du Bois de Païolive relativement épargnée par l'érosion-dissolution

Figure 8. Partie du Bois de Païolive relativement épargnée par l'érosion-dissolution

On peut voir une diaclase encore relativement longue et étroite, et comprendre comment des "inter-diaclases" peuvent devenir pinacles ou murs.







Chemin du Bois de Païolive (Ardèche) avec arche naturelle

Figure 14. Chemin du Bois de Païolive (Ardèche) avec arche naturelle

Les chemins empruntent les fissures de dissolution très élargies, franchissant parfois, comme ici, des arches naturelles ou traversant d'anciennes cavités karstiques, peut-être d'anciennes rivières souterraines aujourd'hui hors d'eau à cause de la baisse relative du cours du Chassezac par rapport au plateau de Païolive.


Chemin du Bois de Païolive (Ardèche) avec arche naturelle

Figure 15. Chemin du Bois de Païolive (Ardèche) avec arche naturelle

Les chemins empruntent les fissures de dissolution très élargies, franchissant parfois, comme ici, des arches naturelles ou traversant d'anciennes cavités karstiques, peut-être d'anciennes rivières souterraines aujourd'hui hors d'eau à cause de la baisse relative du cours du Chassezac par rapport au plateau de Païolive.


Vue aérienne du Bois de Païolive (Ardèche)

Figure 16. Vue aérienne du Bois de Païolive (Ardèche)

Le Bois de Païolive sensu stricto correspond au trapèze ABCD. La croix blanche (centre droit de l'image) à l'Ouest de Toul correspond à la localisation de la photo ci-dessous.


Carte géologique du Bois de Païolive (Ardèche)

Figure 17. Carte géologique du Bois de Païolive (Ardèche)

Extrait de la carte géologique couvrant le même secteur que la figure précédente.


La topographie régionale étant ce qu'elle est, on ne peut pas prendre de hauteur pour voir le Bois de Païolive dans son ensemble, ni pour voir "de haut" les relations entre murs, pinacles et canyons, même quand la végétation a perdu ses feuilles. On peut en avoir un petit aperçu en allant 1 km plus au Nord. Une colline domine un "petit" méga-lapiaz parfaitement équivalent et permet de se rendre compte de ce que verrait un oiseau survolant Païolive.

Un équivalent miniature du Bois de Païolive vu de haut et dominant le Chassezac

On peut également avoir une idée de ce que sera (sans doute) le bois de Païolive quand l'agrandissement et l'approfondissement des creux et des rigoles aura engendré des murs et des pinacles beaucoup plus grands que les arbres. Pour cela, il suffit de se rendre dans un lapiaz dolomitique encore plus évolué que le Bois de Païolive, par exemplecelui de Montpellier le Vieux, en Lozère.

Méga-lapiaz sur calcaire dolomitique du Jurassique moyen, Montpellier le Vieux (Lozère)

Figure 19. Méga-lapiaz sur calcaire dolomitique du Jurassique moyen, Montpellier le Vieux (Lozère)

Ce lapiaz est encore plus évolué que celui du Bois de Païolive, et les rochers, murs et pinacles calcaires et dolomitiques dépassent nettement des arbres (des pins dans ce cas). Une image de ce que sera le Bois de Païolive dans quelques millions d'années ?

Retrouvez ce site dans Le relief ruiniforme de Montpellier le Vieux.


Méga-lapiaz sur calcaire dolomitique du Jurassique moyen, Montpellier le Vieux (Lozère)

Figure 20. Méga-lapiaz sur calcaire dolomitique du Jurassique moyen, Montpellier le Vieux (Lozère)

Ce lapiaz est encore plus évolué que celui du Bois de Païolive, et les rochers, murs et pinacles calcaires et dolomitiques dépassent nettement des arbres (des pins dans ce cas). Une image de ce que sera le Bois de Païolive dans quelques millions d'années ?

Retrouvez ce site dans Le relief ruiniforme de Montpellier le Vieux.