Article | 04/03/2010
La tempête Xynthia du 28 février 2010 : comment météorologie, astronomie et géologie auraient pu et dû permettre d'en prévoir la gravité
04/03/2010
Résumé
Conjonction vent, dépression, vives eaux, équinoxe, hausse du niveau des océans... et anthropisation inconsciente sur des terres inondables : caractère hautement prévisible des inondations et de la gravité des dégâts liés à la tempête des 27-28 février 2010.
Table des matières
La tempête , nommée Xynthia, du 28 février 2010 a provoqué d'importants dégâts liés à la force du vent, mais aussi des inondations importantes liées à des dépassements de digues. Voyons la conjonction d'événements prévisibles qui ont engendré ces inondations et surtout la gravité de leurs conséquences humaines.
La tempête : vent et dépression
La tempête de samedi/dimanche 27/28 février était annoncée. Les départements côtiers étaient en vigilance rouge pour Météo-France. Elle a été comparée à la tempête du 26 décembre 1999 : vents du même ordre de grandeur, mais un peu plus faibles, on n'attendait "que" des vitesses de 160 km/h et non pas 180-200.
Remarquons que les vents d'Ouest "poussent" la mer vers les terres sur les côtes Sud-atlantiques françaises et occasionnent un niveau de l'océan supérieur à ce qu'il serait avec des vents d'Est qui "chasseraient" l'océan au large (voir les phénomènes d'upwelling et les conséquences des phénomènes El Niňo).
Autre phénomène favorable à des inondations, une tempête est associée à une dépression atmosphérique. Rappelons qu'une atmosphère "normale" ou "moyenne" est à une pression de 1013 hPa au niveau de la mer et que cette pression correspond à une hauteur d'environ 10,33 m d'eau (hauteur maximale à laquelle on peut remonter de l'eau avec une simple pompe à vide), ou 760 mm de mercure. Ainsi, si 1013 hPa correspondent à environ 10,33 m d'eau, 1hPa correspond à environ 1 cm d'eau. On retrouve cette équivalence en reprenant la définition du Pascal. En effet, 1 Pa = 1 N/m2, 1 N correspond environ au poids de 0,1 dm3 d'eau (ou 0,1L) soit 10-4m3 d'eau. Ainsi, 1 Pa correspond à 10-4m3/m2 d'eau, soit à la pression exercée par 0,1 mm d'eau. D'où la correspondance précédente de 1 cm d'eau pour 1 hPa.
Ainsi, lors d'une dépression de 970 hPa (dimanche à 1h du matin sur les Pays de la Loire), il y a un déficit d'environ 40 hPa par rapport à une atmosphère moyenne. Cela correspond à la création d'un "pompage" de 40 hPa, c'est-à-dire à une montée du niveau de l'eau de l'ordre de 40 cm.
Une dépression sur l'océan correspond à la colonne sur le récipient d'eau de la figure ci-dessus.
La dépression annoncée amenait donc à une élévation "connue" du niveau de l'eau d'environ 40 cm (par rapport à un niveau sous pression atmosphérique moyenne) par simple effet de pression. Cette élévation a été largement augmentée par les forts vents d'Ouest, eux aussi annoncés.
Les marées : vives eaux et équinoxes.
Au rythme semi-diurne des marées ("2 marées hautes et 2 marées basses par jour" environ) s'ajoutent d'autres rythmes dont un rythme "mensuel" lié aux phases de la Lune et un rythme annuel lié à la déclinaison du Soleil (position du Soleil à midi à l'équateur).
Les deux "astres" ayant des effets de marée significatifs sur Terre sont la Lune et le Soleil. La Lune est moins massive que le Soleil mais beaucoup plus proche de nous. En conséquence, les effets de marée liés à la Lune sont environ trois fois supérieurs à ceux engendrés par le Soleil. Les plus fortes marées (hautes ou basses) ont lieu lorsque les effets lunaire et solaire se cumulent,ce qui a lieu lors des alignements Terre-Lune-Soleil (nouvelle Lune) et Lune-Terre-Soleil (pleine Lune)... à quelques heures près, du fait d'un effet de retard lié à l'obstacle des continents, effet plus ou moins important selon le lieu considéré.
De même, les effets de marée solaires sont plus importants lorsque la force d'attraction solaire est perpendiculaire à l'axe de rotation de la Terre, ce qui a lieu lors des équinoxes (~21 septembre et ~21 mars).
Ces effets sont bien connus et bien calculés. D'autres paramètres locaux entrent en jeu pour expliquer les amplitudes des marées en un point donné. L'amplitude des marées est exprimé sous forme d'un coefficient de marée (variant de 20 à 120, une marée moyenne étant affectée d'un coefficient de 70, une marée de vive eau de 95 à 120 selon qu'elle est moyenne ou exceptionnelle). Ces coefficients sont calculés et largement diffusés longtemps à l'avance. Ils sont par exemple disponibles sur le site du Service Hydrographique et Océanographique de la Marine (SHOM), en utilisant l'outil prédiction des marées.
Source - © 2010 SHOM
Il était clairement prévu une marée haute de vive eau au-delà de la "moyenne" le dimanche 28 février vers 4h00 du matin.
Les digues et la montée du niveau des océans
Les digues submergées n'étaient pas récentes, certaines dataient de la fin du XIXème siècle. Si l'on regarde les enregistrements disponibles depuis 1870 (marégraphes et altimétrie satellitaire pour les dernières décennies) on constate que le niveau moyen des océans a monté d'environ 20 cm de 1870 à 2005. Ainsi, toute marge de sécurité prévue à l'époque de la construction des digues a été amputée de 20 cm pour les plus anciennes.
Source - © 2007 GIEC, Rapport de synthèse, fig. RID1, modifié | Source - © 2007 GIEC, Rapport de synthèse 2007,, FAQ5.1, fig. 1, modifié |
Remarquons que les digues endommagées devront non seulement être reconstruites, mais aussi, être surélevées afin de prendre en compte l'élévation du niveau moyen de l'océan depuis leur construction et l'augmentation future de ce niveau. Les estimations futures vont de 20 à 50 cm d'élévation au cours de ce siècle, selon les scénarios et modèles climatiques utilisés.
Le message des photographies aériennes et des cartes topographiques et géologiques
Les deux communes où il y a eu le plus de décès sont celles de la Faute sur Mer et de l'Aiguillon sur Mer. La photographie aérienne suivante montre le contexte géomorphologique de ces deux communes, bâties sur polders et sur cordons littoraux ou dunaires.
Comparons les cartes IGN actuelles aux cartes de Cassini du XVIIIème siècle grâce au Géoportail sur lequel ces deux cartes sont disponibles.
La carte géologique disponible sur Google earth et sa notice sont aussi riches d'enseignements.
Voici quelques extraits intéressants de la notice (p. 8 et 9) de cette carte géologique à propos de la formation du « bri récent ».
« MFyb. Alluvions argileuses à Scrobiculaires, brunes (bri récent). [...] Le bri récent semble s'être mis en place depuis le IIIème siècle avant Jésus-Christ [...] La chronologie des dernières étapes de la mise en place du bri récent est facile à établir puisque l'Homme a établi des séquences de polders, appelés localement prises [...] Les endiguements se sont succédés à un rythme relativement rapide de la période des Physiocrates à nos jours. »
En plus de la construction récente d'habitations en dehors des dunes, des préoccupations sont clairement énoncées dans la partie hydrologie de la notice de la carte géologique du BRGM de 1975 (p. 11). Phrases riches en enseignement, pour ne pas dire prémonitoires.
« La défense contre la mer est préoccupante, surtout dans la région de l'Aiguillon,et a nécessité la construction d'une digue en maçonnerie en direction de la pointe de l'Aiguillon. Celle-ci est actuellement en mauvais état et chaque année les tempêtes ouvrent de dangereuses brèches. [...] L'étroitesse du cordon littoral [...] rend la situation précaire à tout assaut de la mer. [...] (L)'envasement de l'estuaire [...] empêche le bon écoulement des eaux en hiver. »
Conclusion
Les conséquences des tempêtes sur le niveau de la mer sont connues, les marées sont prévues, l'augmentation du niveau des océans est connue, l'existence de digues mal entretenues est connue, la construction d'habitations en zone initialement réservée à des fins agricoles car inondables est connue. Les conséquences dramatiques de la tempêtes du 28 février 2010 étaient donc très largement envisageables. D'ailleurs, les populations ont été alertées dans de très nombreux endroits, même si les risques majeurs les plus souvent signalés étaient ceux liés aux forts vents. C'est la conjonction spatiale et temporelle de tous les éléments connus séparément qui était peut-être la plus difficile à prévoir à long terme : à quelques heures près, les inondations n'auraient pas eu lieu (à marée basse par exemple). Par contre, dès le samedi 27 février au soir, Météo-France avait prévu l'heure d'arrivée du maximum de la dépression en fin de nuit, pendant la grande marée !