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Article | 10/05/2023

Énergie, rendement… Comprendre pour comparer

10/05/2023

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Quelques bases utiles sur l’énergie avant de considérer des choix énergétiques à moyen ou long terme.


Énergie et rendement, quelques bases

Conversions d'énergie, pertes inévitables et types d’énergie

On peut calculer l’énergie que représente un déplacement donné [par exemple 2 personnes dans un véhicule à moteur parcourant 50 km], c’est, physiquement parlant, le travail associé à ce déplacement. Mais l’énergie consommée pour effectuer ce déplacement est supérieure à l’énergie du service rendu. Le moteur a des frottements mécaniques et une partie de l’énergie fournie “part” sous forme de chaleur, en plus de l’énergie nécessaire à vaincre les frottements mécaniques du véhicule, de l’air et de la route. Ainsi, l’énergie consommée pour ce déplacement (l’énergie chimique des molécules d’essence, pour un moteur à essence) correspond à la somme du “travail” fourni et des pertes énergétiques diverses. On appelle “rendement” le rapport entre l’énergie du service rendu, énergie dite utile, et l’énergie consommée pour obtenir ce service. Cette énergie peut être déterminée, par exemple, en mesurant la chaleur (forme d’énergie) libérée lors de la combustion d’une quantité d’essence donnée. Étant donné l’existence de “pertes”, le rendement est toujours inférieur à 1 (ou 100 %).

Le rendement d’un moteur thermique est d’environ 35 (essence) à 42  % (diesel).

De même quand on se chauffe au bois, les bûches utilisées possèdent une énergie “initiale” dont seule une partie servira à réchauffer notre habitat. Des pertes classiques sont celles liées à une combustion incomplète (on ne “libère” pas toute l’énergie potentiellement disponible du fait d’une combustion parfois incomplète – charbon résiduel, manque d’oxygène…) mais aussi aux pertes de chaleur évacuée par la cheminée avec les fumées, chaleur qui ne chauffe pas le local ou le bâtiment.

Le rendement d’une cheminée à foyer ouvert est de l’ordre de 10-15 % ; pour un foyer fermé (poêle, insert) il monte à 70 %.

S’il existe diverses “natures” d’énergie (chaleur, énergie (électro-)chimique, énergie potentielle, énergie cinétique, énergie lumineuse…), il existe aussi trois grandes “catégories” importantes à distinguer pour la suite : énergie de stock, énergie de flux, et vecteur énergétique. Une énergie de stock, comme son nom l’indique partiellement, est une énergie disponible en quantité limitée (stock “connu”) et non renouvelable à l’échelle humaine (typiquement, les hydrocarbures et le nucléaire fissile). Une énergie de flux est une énergie que l’on peut intercepter et convertir en une autre forme mais dont on ne maitrise pas la disponibilité naturelle (énergie cinétique du vent ou de l’eau, énergie lumineuse, géothermie) ni en lieu ni en temps (même si des barrages permettent de retenir temporairement de l’eau pour l’utiliser au moment désiré… si elle est préalablement disponible pour être stockée), énergie généralement renouvelable à l’échelle humaine. Enfin un vecteur énergétique est une forme d’“énergie” produite à la demande mais non stockable sous cette forme, c’est le cas de l’électricité, parfois appelée “énergie électrique” : on l’obtient par conversion d’une autre forme d’énergie, on l’utilise “instantanément” mais le “surplus” de production est perdu ou doit être stocké sous une autre forme, par exemple sous forme d’énergie électrochimique dans une batterie.

Autre distinction importante : “énergie primaire” / “énergie finale”. On appelle énergie primaire toute énergie sous sa forme brute, disponible et exploitée (charbon, pétrole, énergie solaire, uranium, eau, bois…) alors que l’énergie finale est la forme sous laquelle on l’utilise réellement (combustible solide [pellets], liquide [carburant] ou gazeux, électricité) pour rendre le service attendu (déplacement, lumière, chauffage…).

Rendement

Le terme de rendement peut être utilisé dès lors que l’on a un système simple dont on connait les entrants et les sortants. C’est, comme indiqué en début d’article, le rapport énergie récupérée-utile (Eu) / énergie fournie-consommée (Econs) que l’on peut écrire η = Eu / Econs. On trouve aussi une autre expression faisant apparaitre l’énergie perdue (Epertes), on a alors η = Eu / (Eu + Epertes).

Sachant que tout système de conversion énergétique a des pertes, on a systématiquement η < 1, ou η < 100 %.

Le rendement est le rapport entre l’énergie utile et l’énergie consommée (énergie initialement disponible dont une partie est “utile” et le reste constitue les pertes).

Des rendements supérieurs à 100 %… pour comparaison historique

L'évolution technique et la volonté d'afficher des bons résultats expliquent les présentations de chaudières à condensation présentant un rendement supérieur à 100 %. En effet, il a longtemps été considéré qu'une partie de l'énergie de combustion du gaz, par exemple, était de toute façon perdue ou irrécupérable. C'est ce qui explique les notions de pouvoir calorifique supérieur (énergie “potentielle” totale – pcs) et de pouvoir calorifique inférieur (énergie censée être théoriquement récupérable – pci). Le pcs est globalement supérieur de 10 % au pci. Ainsi, une chaudière annonçant “à l'époque” un rendement de 95 % (pci) avait en réalité un rendement de 86 % (pcs)… Le développement de chaudières récupérant, par condensation des fumées, une partie de l'énergie précédemment considérée “irrécupérable” permet donc d'améliorer le rendement. Une chaudière à condensation avec un rendement de 95 % pcs peut alors être annoncée comme ayant un rendement de 104,5 % pci… ce qui n'est pas faux si on précise “pci”, ce qui est physiquement incompréhensible sinon… et ce qui se comprend si l’on veut montrer qu'on a amélioré le rendement en annonçant être passé de 95 à 104,5 % plutôt qu’en devant expliquer que 95 % pcs est plus performant que 95 % pci.

Taux de conversion

Pour distinguer les énergies renouvelables de flux, on utilise parfois l'expression “taux de conversion” pour parler du “rendement” des convertisseurs tels que, par exemple, les modules photovoltaïques. Ce taux τ est alors le rapport entre l'énergie utile et l'énergie interceptée (Einterc – lumière solaire, vent…), τ = Eu / Einterc, et on a aussi, puisque c'est physiquement un rendement, τ < 1, ou τ < 100 %. Cette distinction permet d'insister sur le fait que l'énergie “entrante” est ici une énergie 1°) dont on n'aurait rien fait si on n'avait pas essayé de l'intercepter pour la convertir, et 2°) est une énergie renouvelable.

Dans de nombreux articles, on ne trouvera pas cette distinction car il est plus simple de parler de rendement quand ce paramètre n’est que l’un des éléments pris en compte dans des études complètes comparant l’énergie utile fournie à l’énergie totale nécessaire à la production du service (études sur cycle de vie, voir plus loin).

Coefficient de performance

Dans les publicités et présentations rapides, il est souvent expliqué qu'un chauffage avec pompe à chaleur (PAC) consomme deux à trois fois moins d'énergie qu'un chauffage électrique, pour un même service. Comme, d'autre part, le chauffage électrique est présenté comme ayant un “rendement” de quasiment 100 % (« toute l’énergie électrique est transformée en chaleur »), on devrait en conclure logiquement que le rendement d'une pompe à chaleur est donc de l'ordre de 200 à 300 %, puisque deux à trois fois moins d'énergie consommée “rend” autant de chaleur qu’un système de rendement proche de 100 %. L’erreur vient du fait que l’énergie électrique fournie à une pompe à chaleur ne sert pas à produire directement de la chaleur mais que cela met en jeu deux “systèmes”, distincts mais imbriqués.

Le premier système, celui auquel on fournit l’électricité, est un circuit dans lequel un fluide caloporteur est successivement détendu, déplacé, comprimé, déplacé, détendu… Ces circulations / compressions / détentes mettent en œuvre des pompes et des circulations qui ont des rendements inférieurs à 1 (ce qui est normal) du fait de frottements, comme dans tout “moteur” et tout déplacement.

Le deuxième système est le fluide caloporteur lui-même, qui est mis au contact d’une première source lors de sa détente et dont il capte de la chaleur. Puis, ce fluide “réchauffé”, après transport, est mis au contact d’une seconde source lors de sa compression (air intérieur, eau de chauffage) à laquelle il cède de la chaleur. Le rendement de ce second système est aussi inférieur à 1 (ce qui est normal) puisque toute la chaleur captée à la première source n’est pas cédée à la seconde (pertes lors du “transport” avec échauffement de l’installation, restitution partielle de l’énergie captée…). Si la première source est, par exemple, l’air extérieur et la seconde le liquide circulant dans des radiateurs, on a un système de chauffage. Si la première source est l’air intérieur et la seconde l’air extérieur, on a une climatisation.


Ainsi, le rendement global reste inférieur à 1 puisque l’énergie utile est inférieure à la somme de l’énergie électrique fournie et de l’énergie calorifique captée, du fait de pertes inévitables. Mais la personne désirant se chauffer s’intéresse à la chaleur utile obtenue en fonction de l’énergie électrique consommée et payée… puisque la chaleur “captée” par le fluide caloporteur est “gratuite”. Si un joule d’électricité fourni à la pompe à chaleur permet de récupérer, par exemple, 2,5 joules de chaleur pour se chauffer, on définit alors le coefficient de performance (COP) qui est le rapport entre l’énergie utile délivrée par le fluide caloporteur (deuxième système de rendement inférieur à 1) et l’énergie fournie au système de compression/détente (premier système de rendement inférieur à 1). Dans le cas exposé, on a donc un COP de 2,5/1 = 2,5. Ceci permet théoriquement de comparer plusieurs systèmes de chauffage fonctionnant sur ce principe, ne serait-ce que diverses pompes à chaleur envisageables pour chauffer son logement.

La cogénération ou comment récupérer une partie des pertes

Afin d’économiser l’énergie en récupérant une partie de l’énergie “perdue”, des systèmes de cogénération ont été mis en place. L’idée est de récupérer une partie des pertes d’un système pour un autre usage. Le plus classique est la récupération d’une partie des pertes de chaleur des centrales électriques. Ainsi, au lieu d’évacuer cette chaleur (pour assurer le bon fonctionnement de la centrale) vers l’extérieur (air et/ou eau), on peut l’utiliser pour chauffer de l’eau à usage sanitaire et/ou pour le chauffage urbain ou industriel (serre). Cela nécessite des infrastructures complémentaires, mais permet de récupérer plus d’énergie utile pour une même énergie consommée.

Remarquons que lorsque, dans un véhicule à moteur thermique, on utilise le chauffage par l’air passant vers le moteur, c’est de la cogénération. En effet, sans consommer plus de carburant, on a le même transport mais avec du chauffage en plus.

Rendement instantané, nominal, sur période, sur cycle de vie…

Après avoir présenté le principe d’un rendement (ou taux de conversion) et d’un coefficient de performance, on se rend compte qu’on a à priori un moyen simple de comparer l’efficacité de matériels, convertisseurs d’énergie, systèmes différents. Mais, même pour cette tâche simple, il peut être nécessaire d’aller un peu plus loin. En effet, il ne suffit pas de connaitre le rendement d’un module photovoltaïque et l’ensoleillement reçu pour en déduire la production électrique, car le rendement qu’on nous aura “vendu” à l’installation correspond au rendement “optimal” dans des conditions d’intensité lumineuse et de température données… sachant, par exemple, que le rendement diminue lorsque les modules s’échauffent. De même, le rendement d’un moteur ou d’une turbine (pour la production d’électricité) dépend des conditions d’utilisation. Le rendement retenu est généralement le rendement dit nominal (le rendement dans les conditions optimales d’utilisation), alors que le moteur ne sera pas toujours utilisé dans ces conditions optimales ou que le panneau photovoltaïque sera moins performant en périodes de forte chaleur. De même, le COP d’une pompe à chaleur dépend fortement de l’écart de température entre les sources chaude et froide, la performance déclinant lorsque l’écart de température augmente. D’ailleurs, pour permettre les comparaisons, des normes existent pour l’information sur les pompes à chaleur, c’est-à-dire que les COP affichés correspondent à des conditions précises, même si ce ne sont pas nécessairement celles d’utilisation effective.

On peut alors mesurer rendements et coefficients de performances optimaux ou normés, sur un temps d’usage court (“rendement” instantané) ou sur un temps plus long (“rendement” sur période), sur durée d’exploitation… voire sur cycle de vie (de la fabrication au démantèlement / recyclage en fin de vie).

Efficacité d'un appareil, d'un service, d'une filière énergétique

Si le rendement est un concept utile et nécessaire, les notions d’énergie primaire, d’énergie grise et de cycle de vie sont cependant à prendre en compte pour que le bilan énergétique réponde à certains objectifs (choix d’un appareil, d’un service ou d’une filière énergétique), comme nous allons le voir rapidement ci-après.

Prise en compte de l’énergie “primaire” pour un même service

Comparons rapidement les rendements d’un moteur thermique et d’un moteur électrique.

Prenons un moteur thermique à essence ayant un rendement de 35 % (rendement “classique”). On se rend compte que 65 % de l’énergie initialement contenue dans le carburant ne fournit aucune énergie mécanique pour le service désiré.

Si l’on prend maintenant un moteur électrique de voiture pour lesquels sont annoncés des rendements de 75 à 90 % (selon le type de moteur), on a alors l’impression que la motorisation électrique d’un véhicule permet de produire, par rapport à un moteur thermique, 2,1 à 2,6 fois plus d’énergie mécanique avec une même quantité d’énergie consommée. On oublie alors que l’électricité n’est pas une énergie mais un vecteur énergétique, et qu’il a fallu la produire en “consommant” diverses matières premières (charbon, pétrole…). Si l’on détermine le rendement en prenant en compte l’énergie primaire, on obtient une valeur de l’ordre de 37 % pour une électricité provenant du réseau électrique français actuel. Ce qui donne, pour un moteur électrique alimenté par de l’électricité made in France, un rendement global de 27,8 à 33,3 %

D’un point de vue strictement énergétique, il est donc mathématiquement plus rentable d’utiliser un moteur thermique classique qu’un moteur électrique, même très performant, relié au réseau français.

Autre comparaison purement “électrique” : chauffage par radiateurs électriques “classiques” ou par une pompe à chaleur (alimentée en électricité).

On l’aura compris avec l’exemple précédent, un radiateur électrique avec un rendement annoncé de 100 % (on néglige les faibles pertes), branché sur le réseau électrique français actuel, présente en réalité un rendement énergétique de l’ordre de 37 % en considérant l’énergie primaire nécessaire.

Ce rendement est meilleur qu’un chauffage au bois à la cheminée (15 %), mais reste très inférieur aux rendements d’un chauffage au bois en foyer fermé (70 %) ou d’une chaudière à gaz à condensation (environ 85-90 % si on prend en compte non pas le gaz consommé / payé mais le gaz introduit dans le système avec une légère perte dans le réseau de distribution).

Pour rivaliser avec le bois ou le gaz, une pompe à chaleur doit donc présenter un COP effectif d’au moins 2 pour faire aussi bien, voire 2,5 pour faire mieux. Rappelons que le COP effectif n’est pas le COP “commercial”, qui correspond à des conditions idéales (dans lesquelles on n’a parfois pas besoin de chauffage). Ceci peut aider à choisir son modèle de pompe à chaleur et aussi la source extérieure à utiliser. En effet, avec l’air ambiant (pompes à chaleur les moins chères), les performances se dégradent rapidement pour les températures extérieures basses en période de chauffage et les températures hautes en période de climatisation. Il faut donc tenir compte du climat local pour estimer le COP effectif (qui sera meilleur en région “douce”, jamais ni trop chaude ni trop froide). On peut aussi améliorer le COP effectif en utilisant comme source extérieure l’eau d’un circuit enterré horizontal ou d’un forage, car alors la température de la source est bien plus régulière et les performances sont bien moins variables au cours de l’année. La question est alors celle de la disponibilité de terrain (besoin d’une surface horizontale équivalente à la surface à chauffer) et/ou du cout (forage nécessitant une intervention extérieure).

Énergie primaire… ou presque

Ci-dessus, on n’a pas vraiment pris les énergies primaires (pétrole brut, uranium yellowcake…), mais les énergies disponibles en début de circuit sur le sol français (carburants, charbon, combustible nucléaire…). Ces comparaisons et calculs avec des énergies “quasi-primaires” gardent leur intérêt car ils permettent de comparer des performances énergétiques à partir des mêmes produits initiaux, aux usages parfois multiples.

Non renouvelable / renouvelable : ne pas comparer trop vite centrale thermique / “centrale” éolienne

Le rendement d'une centrale électrique thermique (pétrole, gaz, nucléaire), de l’ordre de 35 %, est supérieur au taux de conversion d'une éolienne (10 à 20 %), mais dans le premier cas on a perdu 65 % d’une énergie de stock initialement disponible, alors que dans le second on a récupéré un peu d'énergie de flux qui “passait” et dont on n'aurait rien fait sans éolienne. Pour prendre en compte, dans les calculs de rendement à partir des énergies primaires, le fait que l’énergie de flux non captée n’est pas vraiment une perte, on compte bien toute l’énergie de stock initiale comme énergie consommée, alors qu’on ne compte que l’énergie de flux captée comme énergie “initiale”. Cela revient à considérer un rendement de 1 pour les énergies renouvelables, du moins en sortie de centrale (car, comme pour tous les modes de production, il y a des pertes à différents niveaux du réseau d’acheminement). On améliore donc le rendement énergétique global d’un réseau en incorporant des sources d’énergies renouvelables lorsque ces dernières sont disponibles.

Éoliennes au bord du Grand Rhône (Camargue)

La notion de rendement reste importante à la fois pour la centrale thermique, pour laquelle on choisira la turbine en fonction de multiples critères dont le rendement (il y a aussi des questions de cout, de facilité d'entretien et de réparation, de la longévité…), et pour les éoliennes (d’autres paramètres étant, par exemple, la régularité et la force du vent sur le site d’implantation, dont découlent la hauteur du mât et l’envergure des pales…). Mais on voit ses limites quand on compare trop vite des équipements très différents.

Rendement sur cycle de vie : pétrole / nucléaire / photovoltaïque

Cependant, on pourra remarquer que si l’on considère un rendement proche de 1 pour les centrales électriques à énergies renouvelables, il a bien fallu consommer aussi de l’énergie et des matériaux pour fabriquer ces centrales. On peut même ajouter qu’il faudra un jour remplacer des pièces, voire démanteler l’installation. Toutes ces étapes, et toute la maintenance, ont un cout énergétique, qu’il est important de prendre en compte si on veut vraiment comparer des centrales ou des équipements pour choisir les plus “rentables”. Cette démarche plus complète est ce qu’on appelle une étude sur cycle de vie.

Ainsi, pour une centrale thermique, on va prendre en compte toute l’énergie nécessaire pour construire cette centrale, mais aussi extraire, traiter, apporter le combustible, faire fonctionner et entretenir la centrale, déconstruire la centrale en fin de service, traiter les pollutions et les déchets. On parle d’énergie grise pour toute l’énergie nécessaire à la vie d’un produit ou d’un appareil, en dehors de l’énergie d’utilisation (qui est l’énergie généralement prise en compte pour les calculs de rendement). Le rendement sur cycle de vie est alors le rapport de l’énergie totale produite pendant le fonctionnement de la centrale sur l’énergie totale ayant dû être consommée depuis sa construction jusqu’à son démantèlement et au traitement de ses déchets pour revenir dans un état “initial”. Par exemple, dans le calcul d’une installation photovoltaïque, on doit prendre en compte le cout énergétique de la fabrication des panneaux et aller jusqu’au démantèlement complet, incluant la mise à disposition des matériaux recyclables utilisables pour éventuellement refabriquer de nouveaux panneaux. Il en va de même pour tous les matériaux et équipements constituant les centrales.

Pour une explication complète et détaillée du rendement sur cycle de vie, on se reportera à l’article Le rendement sur cycle de vie - Mémento sur l'énergie (partie 4), dans lequel est effectuée la comparaison entre les productions d’énergie électrique par fission de l’uranium 235 ou par panneaux photovoltaïques. Le résultat est sans appel : le rendement sur cycle de vie d’une centrale nucléaire est de l’ordre de 32,7 %, et de l’ordre de 71,4 % pour l’énergie photovoltaïque.

Stockage en général et filière hydrogène en particulier

La difficile adaptation en temps réel de la production à la consommation d’“énergie électrique”, ainsi que les utilisations hors connexion directe au réseau (voitures, par exemple) induisent des périodes de surproduction et nécessitent des systèmes de stockage, soit pour “mettre de côté” l’énergie produite en excès (productions éolienne et photovoltaïque pas toujours maximales aux périodes de forte demande, et production nucléaire difficilement modulable de manière “instantanée”), soit pour permettre son usage hors connexion.

Plusieurs modes de stockage existent. Le plus connu est la batterie. L’électricité est convertie en énergie électrochimique, qui est reconvertie en électricité à la demande. Les batteries de voiture, par exemple, ont un rendement sur cycle “charge + décharge” d’au moins 70 % (jusqu’à 85 % pour les plus performantes).

Les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) sont un autre moyen de stocker de l’électricité. Cette dernière sert au pompage d’eau d’un réservoir aval vers un réservoir amont. L’énergie potentielle ainsi stockée permet une production différée d’électricité par turbinage. Un rendement sur cycle “pompage + turbinage” de 60 à 85 % est obtenu. Une dizaine de STEP sont en activité sur le territoire français métropolitain. De nombreux autres lacs de barrage hydroélectrique étagés et déjà existants pourraient être aménagés en STEP.

Lac haut (Bissorte) et retenue basse sur l’Arc (Pont des Chèvres) du système Super-Bissorte, Savoie

Figure 3. Lac haut (Bissorte) et retenue basse sur l’Arc (Pont des Chèvres) du système Super-Bissorte, Savoie

Le lac barrage de Bissorte (construction 1931-1938) a été complété par la retenue du Pont des Chèvre, sur la rivière Arc, pour permettre le fonctionnement d’une STEP à partir de 1987.


Une troisième voie se développe aujourd’hui, la production de dihydrogène (H2). Nous ne considérerons ici que le procédé permettant le stockage “instantané” d’électricité : l’électrolyse de l’eau. L’hydrogène obtenu peut, par exemple, alimenter des véhicules à hydrogène (directement dans un moteur thermique adapté ou via une pile à combustible). Le rendement sur cycle de type “charge + décharge” est alors au maximum de 40 % pour ce stockage, même si une partie importante des “pertes” peut être récupérées en cogénération pour d’autres usages avec certains procédés industriels (ce qui permet d’espérer doubler le rendement total, mais avec seulement la moitié en stockage “électrique”).

On voit que le stockage / déstockage d’électricité induit des pertes non négligeables, voire conséquentes pour l’hydrogène (en plus des éventuelles pertes de production initiale). Le stockage d’énergie surnuméraire est une solution évitant la pure perte d’énergie. Par contre, du fait de ces pertes importantes, il serait aberrant, énergétiquement parlant, de faire tourner une centrale (thermique ou hydraulique) uniquement dans le but de pomper de l’eau ou de produire de l’hydrogène.

Cependant, ce stockage est nécessaire dans le cadre du développement des énergies renouvelables. En effet, l’intégration des productions photovoltaïques, éoliennes et, en partie, hydrauliques par le biais d’électronique de puissance diminue l’inertie du réseau et affecte ainsi sa stabilité. Avec une production variable, il est nécessaire d’avoir des réserves car l’équilibre production/consommation est impératif pour éviter le black-out.

Ceci est souvent amplifié par le fait que ces énergies se mettent en place dans un réseau existant très centralisé autour de grosses unités de production. Les parcs éoliens, par exemple, alimentent généralement non pas le réseau “national” (voire européen) mais un sous-réseau local (l’énergie produite doit alors être consommée “localement”, ce qui limite les possibles compensations à longue distance) et nécessite donc une adaptation locale par le stockage. Une autre source de surproduction ponctuelle d’énergie est, en France, l’importance du parc nucléaire (75 % de l’électricité produite). En effet, les centrales nucléaires permettent la production massive et continue d’énergie en grande quantité, mais il n’est techniquement pas possible d’adapter rapidement la production à la demande. Le seuil de 75 % est d’ailleurs parfois mentionné comme un maximum pour permettre un pilotage fin de la fourniture d’électricité. La production des centrales nucléaires françaises est tout de même “ajustée”, mais à moyen terme, il y a donc des périodes de légère surproduction, pas toujours compensables par l’arrêt ou la modulation d’autres sources, d’où un nécessaire stockage, par exemple en alimentant des STEP.

La place particulière du nucléaire en France

Les débats sur l’énergie, en France, achoppent en général très vite sur la question du nucléaire. Sans entrer dans les polémiques, voyons rapidement deux points : l’indépendance énergétique de la France grâce au nucléaire et la gestion du parc actuel (entre deux positions extrêmes, développement et fermeture).

L’indépendance est, aujourd’hui, un mythe (elle ne l’était pas, ou beaucoup moins, il y a 50 ans). La France possède bien les capacités humaines et industrielles pour concevoir, maintenir et construire des centrales nucléaires. Mais, en juillet 2019, le CEA a annoncé l’arrêt de la recherche française sur les réacteurs de quatrième génération (qui doivent, à terme, permettre l’utilisation d’uranium non – ou moins – enrichi et, surtout, l’utilisation de déchets actuels comme combustible, ce qui permettrait au nucléaire français de fonctionner uniquement grâce à la réutilisation des déchets actuels pendant un siècle, et permettrait aussi, au final, de diviser par dix le volume de déchets ultimes tout en réduisant à 500 ans la durée de la radioactivité la plus haute, à comparer aux plusieurs centaines de milliers d’années, actuellement). Si cette technologie aboutissait et si la France voulait profiter de cette avancée (ne serait-ce que pour revaloriser ses déchets nucléaires plutôt que de les “enterrer”), elle serait donc technologiquement dépendante dépendante.

Depuis 2001 et la fermeture de la dernière mine d’uranium sur son sol (cf. Les Échos), la France importe 100 % de l’uranium qu’elle sait ensuite transformer en combustible pour les centrales. L’importation à 100 % est, sans conteste, un peu loin du concept d’indépendance. Remarquons, au passage, qu’une partie des déchets est envoyée en Russie pour permettre de reconcentrer l’uranium résiduel (il reste dans le combustible usé 24 % de l’uranium 235 initial) qui peut être réincorporé dans le combustible de certains réacteurs, les plus anciens (mais malheureusement pas les plus modernes, dont les EPR), ce qui permet de réduire le volume des déchets, de produire de l’énergie nucléaire supplémentaire (après en avoir consommé pour envoyer / retraiter / rapporter / reconditionner les déchets initiaux).

La France maitrise aussi le traitement des déchets, avec différentes étapes, et leur stockage souterrain à (très) long terme… Même s’il a fallu “décider” que le seul environnement testé (marnes) était bien le meilleur… puisque les 2 autres environnements initialement envisagés (granite, sel) n’ont pu être testés.

En gardant la technologie et la consommation actuelles, les réserves d’uranium connue suffisent pour environ un siècle. C’est donc, comme le pétrole, une ressource “épuisable” et, comme pour toutes les matières premières, la durée des réserves dépend de la demande. En cas, par exemple, de doublement de la production d’électricité nucléaire dans le monde, les réserves ne seraient alors plus suffisantes que pour 50 ans… soit moins que la durée de vie des dernières centrales qui seraient construites.


La gestion du parc nucléaire actuel est aussi une question incontournable. Doit-on le maintenir, le fermer, le réduire, le développer ? Pour cela, il faut discuter de la durée de vie des installations et avoir une vision à long terme.

Un paramètre important est celui de la durée de vie des centrales. En effet, certains proposent l’allongement de la durée de vie des réacteurs français à 80 ans, comme on en discute aux États-Unis, et ne faire de grandes inspections que tous les 20 ans, comme c’est aussi le cas outre-Altlantique (contre tous les 10 ans en France). Ces propositions reposent sur une méconnaissance des situations, qui ne sont pas comparables. En France, 75 % de l’électricité est d’origine nucléaire (c’est 85 % de l’électricité produite par EDF, le seul acteur nucléaire en France) alors qu’on est à moins de 19 % aux USA [chiffres 2021]. Comme on l’a vu précédemment, un réacteur nucléaire ne se régule pas instantanément, mais, en France, des variations de production sont nécessaires aussi sur les réacteurs nucléaires pour s’adapter à la demande. Ces variations engendrent des fluctuations de température dans divers circuits et aboutissent à une fracturation thermique (les variations de température entrainent des successions de dilatation/contraction qui, à la longue, fragilisent les canalisations), souci détecté dans certaines parties jugées à priori peu “problématiques”… grâce à des contrôles obligatoires poussés décennaux. Aux États-Unis, les réacteurs peuvent tourner à “plein régime”, ou du moins à régime constant, sur de longues périodes, puisqu’ils fournissent un fond d’énergie toujours nécessaire, d’autres sources permettant l’adaptation continue entre production et consommation. Ce fonctionnement plus “stable” explique une évolution plus “prévisible” des éléments physiques et donc des contrôles avec des délais plus longs et une durée de vie envisageable à priori, elle aussi, plus longue.

C’est cette particularité française de promotion du nucléaire jusqu’à la limite de ce qui est gérable au quotidien, qui explique une autre particularité : les heures creuses. En effet, on a aussi pu lire ou entendre à l’automne 2022 la demande d’une accélération de la remise en service des réacteurs nucléaires français en cours de maintenance ou de réparation, afin… d’assurer la fourniture d’énergie pendant les heures creuses ! C’est comprendre les choses à l’envers. Les énergéticiens français ne produisent pas de l’électricité la nuit pour assurer un service d’heures creuses, mais ils sont “obligés” de gérer des surproductions nocturnes sans lesquelles il faudrait agir encore plus sur les variations de production des réacteurs nucléaires, ou bien stocker cette énergie avec des pertes (voir précédemment Stockage…)… ou bien diminuer la part du nucléaire en France en développant d’autres modes de production plus faciles à réguler de manière quasi-instantanée. Ainsi, la proposition des heures creuses de nuit est un moyen de gestion de la demande en énergie à l’échelle de la journée, en décalant certains usages de quelques heures. Si lave-linges et lave-vaisselles tournent la nuit (ils sont désormais programmables pour un lancement différé), ce n’est pas parce que c’est le meilleur moment, mais parce que cet usage peut être différé pour une production plus lissée de la production d’électricité… et c’est en proposant un prix attractif que les consommateurs décalent leurs usages. Par contre, cet appareillage électroménager est utilisé en pleine journée, par exemple, chez les personnes disposant de panneaux photovoltaïques avec auto-consommation, car, à ce jour, pour toute nouvelle installation, l’énergie surnuméraire produite est revendue environ deux fois moins chère au réseau national que l’énergie achetée pour pallier les périodes de non-production. Il est donc préférable de consommer son énergie produite en journée plutôt que de la vendre pour la racheter deux fois plus cher quelques heures plus tard. Là encore, c’est le prix de l’énergie qui régule les heures de consommation.

La gestion du parc a aussi un volant économique. Les réacteurs ont été construits et cela a eu un cout important (supporté par les contribuables et pas par l’opérateur). Il semble économiquement irréaliste de décider de fermer un réacteur nucléaire existant si son fonctionnement ne pose pas de problème de sécurité et n’impose pas de grands travaux. Par contre, si des travaux couteux de réparation ou de prolongement d’activité s’avèrent nécessaires, la question du choix de l’investissement se pose clairement. Ceci doit se faire dans le cadre général d’une réflexion à long terme (au moins la durée de vie des installations envisagées), réflexion basée sur les besoins et les solutions énergétiques.

Figure 5. Bouquet énergétique primaire de la France en 2020

Le mix présenté est exprimé en énergie primaire, toutes consommations confondues.

Illustration à retrouver aussi, avec de nombreuses autres données, dans les Chiffres clés de l’énergie, Édition 2021.


À ce jour, la France n’est pas indépendante énergétiquement avec le nucléaire, pas plus qu’avec d’autres formes d’énergie (pétrole, gaz), et son parc est techniquement d’une taille critique. Ce parc pourrait éventuellement être augmenté en cas de très fort besoin supplémentaire d’électricité, en prenant garde à s’éloigner de la zone “critique” d’exploitation. À besoins constants ou en faible augmentation, un renouvellement à capacité constante est aussi une possibilité parmi d’autres.

Ne pas confondre décarbonation et sobriété

Trop souvent encore, pétrole et nucléaire sont rejetés par leurs opposants respectifs comme étant, pour l’un, producteur de CO2 délétère pour le climat (ce qui est certain), et, pour l’autre, une technologie subventionnée à risques minimisés (les accidents majeurs existent mais sont heureusement très rares, surtout pour l’instant en France).

L’utilisation des combustibles fossiles relargue du CO2, qui est un déchet mais aussi un gaz à effet de serre. Lorsqu’on évalue le cout énergétique (et, de fait, économique) des filières fossiles, on ne prend pas en compte le cout climatique actuel et à venir (dégâts, investissements pour s’adapter, pour réduire les émissions…). Ces couts importants sont pris en charge non pas par le consommateur (selon la “règle” « pollueur = payeur »), mais par le contribuable, quelle que soit sa consommation réelle. La mise en place d’une “taxe carbone” a bien été tentée en France mais a été abandonnée face à l’opposition d’une partie importante des personnes concernées, peut-être par manque d’explication, mais aussi par manque ou insuffisance de mise en place, au préalable ou en parallèle, de solutions alternatives plus longues à déployer, comme, par exemple, le développement des transports en commun en zone non urbaine. De plus, une taxation supplémentaire des carburants pour les déplacements quotidiens souvent “essentiels” rendait difficilement acceptable l’absence de taxation du kérosène des avions, absence équivalant à une “subvention” d’un moyen de transport polluant (avion au moins aussi émetteur de CO2 que la voiture par km et par personne pour un bilan sur cycle de vie sans prise en compte des infrastructures, selon certains calculateurs). La prise de conscience du cout de l’énergie est nécessaire, mais son acceptabilité sera d’autant moins difficile qu’il n’y aura pas de sentiment d’injustice (injustice réelle ou ressentie).

Le nucléaire est alors facilement mis en avant car il apparait “propre” (du moins peu émetteur de CO2 pendant la production). On en vient alors rapidement à faire le parallèle entre émettre moins de CO2, moins polluer et consommer moins d’énergie… alors que le rendement énergétique du nucléaire n’est pas meilleur que celui du thermique pour l’électricité (et est moins bon pour les moteurs de voitures).

Or, la filière nucléaire génère elle aussi des déchets, dont le cout n’est lui non plus pas pris en compte dans le cout de la filière mais, lui aussi, pris en charge par le contribuable plutôt que par le consommateur. De même que l’avion est “subventionné” par rapport à la voiture, le nucléaire est lui aussi “subventionné” (anciennes centrales construites au frais de l’État, projet de “nationalisation” des éventuelles futures centrales). Une autre “subvention déguisée” possible est la mise en application d’une obligation de mise en réserve des sommes nécessaires au démantèlement de toute unité de production d’énergie. Excellente idée qui évite aux collectivités ou à l’État de devoir prendre en charge la destruction et la remise en état d’une friche industrielle en fin de vie de toute centrale électrique ou toute installation éolienne ou photovoltaïque. Cette loi relativement récente a été mise en place après la décision de construction de l’EPR de Flamanville, mais s’appliquera-t-elle aux futurs EPR envisagés ? Normalement oui, mais avec quelle estimation des réserves nécessaires pour un démantèlement jamais réalisé ? L’estimation sera-t-elle l’estimation “classique” (l’estimation allemande est trois fois supérieure pour des installations similaires) ou prendra-t-elle en compte le cout connu du démantèlement encore partiel de la centrale de Brennilis dans le Finistère, démantèlement, à ce stade, plus couteux que ce qui était prévu initialement (prévision très difficile du fait d’un inévitable manque de recul) ? Toute sous-estimation trop flagrante (même si l’estimation ”exacte” reste un exercice difficile) serait alors une “subvention” sous la forme détournée de “distorsion de concurrence” par rapport aux autres modes de production (et aux autres acteurs énergétiques).

Pour la production d’électricité, le nucléaire ne fait pas mieux que le fossile : rendement semblable et production de déchets à impact couteux à court et moyen terme (CO2 et changement climatique) comme à plus long terme (déchets à surveiller sur des durées supérieures à celles des civilisations les plus “durables” connues).

Pour le transport, le thermique est plus rentable énergétiquement pour les véhicules personnels (et encore, si l’électrique est souvent présenté comme plus “rentable” sur cycle de vie que l’essence… c’est compter sans le diesel qui reste le vainqueur toutes catégories mais est ostracisé pour des raisons sanitaires – particules fines – non systématiquement prises en compte). De plus, le “tout électrique”, est souvent compris comme le remplacement de chaque voiture thermique par une voiture électrique, ce qui est physiquement impossible en l’état actuel des disponibilités de certains métaux nécessaires pour les batteries, voire poserait des problèmes de “recharge” les jours de grands départs ou après les retours de weekend (si tout le monde veut recharger sa batterie tout de suite). Le “tout électrique” pour les voitures est donc plutôt à comprendre comme le “thermique interdit” accompagné d’une réduction drastique du nombre de véhicules en circulation (au moins dix fois moins), mais c’est rarement mis en avant, alors que ce n’est qu’une conséquence normale et totalement prévisible découlant du choix politique du “tout électrique”. Si on veut aujourd’hui réduire les émissions de CO2 liées aux transports, on pourrait aussi rapidement améliorer l’offre de transports en commun avant de limiter l’usage des véhicules particuliers pour une personne seule (développement, facilitation voire “obligation” locale du covoiturage), et augmenter le prix des carburants (toute augmentation amène rapidement à une adaptation des habitudes “couteuses”, dans une certaine mesure). Moins de kilomètres parcourus entraineront une baisse immédiate des émissions, sans attendre un éventuel renouvellement du parc automobile. À plus long terme, ce sont aussi des choix de gestion et d’aménagement du territoire qui pourront diminuer les besoins de transport.

Même au niveau européen, le nucléaire n’est pas considéré comme “propre”, mais contrairement au charbon ou au pétrole, il est considéré comme une énergie de transition facilitant le passage à une économie décarbonée d’ici à 2050. Remarquons alors que le nucléaire est, pour les autorités européennes, aussi propre que le gaz, considéré lui aussi comme une énergie de transition.

Développer l’électricité pour mettre en avant le nucléaire n’est donc pas, énergétiquement parlant, défendable (puisque parfois les pertes sont plus importantes). Mais la fin du “tout pétrole”, inévitable à moyen terme, doit, elle, se prévoir pour ne pas avoir à la subir. Par contre il peut sembler bizarre d’investir dans des équipements pour 50 voire 60 ans, disponibles au mieux dans 10 ans mais présentés comme des équipements “de transition”… au moment même où le sixième rapport du GIEC nous “prévient” que des problèmes précédemment escomptés pour 2050 risquent de se faire sentir dès 2030 ou 2035.

L’évolution du mix énergétique (ou bouquet énergétique) est nécessaire et, si elle doit s’appuyer sur l’existant et ne pas gâcher les équipements, elle doit réellement être pensée à moyen et long terme, et pas seulement à 5 ans. Le but de la décarbonation de notre économie (de notre mode de vie) ne pourra cependant pas être atteint sans une demande énergétique fortement diminuée.

Vers une sobriété inéluctable, assumée ou subie

On a vu que toute source d’énergie a des avantages et des inconvénients à très court, court, moyen ou long terme. Réfléchir au meilleur mix énegétique possible pour assurer notre mode de vie est nécessaire mais ne prend en compte qu’une faible partie de l’humanité. Or, les ressources, les problèmes et les solutions, même adaptées aux paramètres locaux, sont à l’échelle de la planète. En 2022, le jour du dépassement fut le 28 juillet, ce qui signifie qu’à cette date, l’humanité avait “dépensé” toutes les ressources disponibles “renouvelables” à l’échelle de l’année. Si, en presque 7 mois, nous consommons 12 mois de ressources, nous vivons donc à crédit pendant plus de 5 mois (en 1970, le jour du dépassement était fin décembre) en puisant dans les réserves des générations futures. Autrement dit, l’humanité aurait besoin des ressources de 1,75 planète Terre pour vivre de façon durable. Nous devrions donc dépenser 40 % d’énergie en moins pour atteindre un mode de vie durable (revenir à 1 planète). Mais on réfléchit là avec des moyennes globales, alors que de grandes disparités de disponibilité et de consommation d’énergie existent. Un mode de vie “à la française” adopté par l’humanité entière nécessiterait en effet non pas 1,75 mais plutôt 3 planètes Terre pour être durable.

Plusieurs paramètres peuvent aider à modifier la consommation mondiale d’énergie : efficacité énergétique (meilleurs rendements… mais avec des limites thermodynamiques et technologiques ne laissant pas prévoir une multiplication par 3 des rendements), mode de vie et activité moins consommatrice d’énergie (déplacements, loisirs, équipements…) et/ou moins d’activité énergivores, population mondiale… À population égale, nous devrions diviser par 3 notre consommation d’énergie par personne, ou alors ne rien changer dans nos habitudes et équipements et diviser la population mondiale par 3 ! Bien sûr, ce sont les “solutions” extrêmes, mais qui montrent qu’une réflexion est nécessaire pour trouver des solutions acceptables et efficaces.

La sobriété inévitable sera donc soit assumée, réfléchie, partagée, soit imposée, du moins à certains. On peut y voir un défi impossible à relever ou alors remarquer que, finalement, une consommation individuelle d’énergie 3 à 4 fois inférieure à l’actuelle correspond en Europe à la situation de l’entre deux guerres. Le défi à relever serait donc non pas de revenir à l’« âge des cavernes » ni à la « lampe à huile des Amish », mais à une consommation de ressources par personne semblable à celle de 1930 en Europe, avec les connaissances et la technologie d’aujourd’hui. Certes, les solutions resteront en partie “locales” (plus de solaire dans les régions ensoleillées, plus d’éolien dans les régions ventées de manières régulière, utilisation de l’existant local au moins pour une période de transition…), mais une réflexion globale est nécessaire pour définir clairement et assurer les besoins à terme (besoins à redéfinir, évidemment différents de l’actuel).

Ressources consultées, à consulter

Énergie sur les sites “experts” ENS-DGESCO, une sélection

B. Multon, 2015. Le rendement sur cycle de vie - Mémento sur l'énergie (partie 4), CultureSciences Physique [avec une partie Application du rendement sur cycle de vie aux systèmes de production d'électricité, comparaison nucléaire / photovoltaïque]

B. Bigot, 2020. Le projet ITER pour relever le défi énergétique, CultureSciences Physique

D. Chareyron, H. Horsin-Molinaro, B. Multon, 2021. Concepts et chiffres de l'énergie : comment définir le rendement d'un convertisseur d'énergie ? , CultureSciences Physique

D. Chareyron, H. Horsin-Molinaro, B. Multon, 2021. Concepts et chiffres de l'énergie : Conversion d'énergie et analyse sur cycle de vie, CultureSciences Physique

N. HadjSaïd, M.-C. Alvarez-Hérault, 2022. Vers la seconde Révolution de l'électrification : enjeux et défis pour le système électrique, CultureSciences Physique

H. De La Grandière, 2023. Le défi des réseaux électriques, CultrureSciences Physique

M. Amara, 2023. Le défi énergétique du photovoltaïque, CultrureSciences Physique

H. Horsin-Molinaro, B. Multon, 2018. Conversion d’énergie et efficacité énergétique, CultrureSciences de l’Ingénieur

H. Horsin-Molinaro, B. Multon, 2019. Introduction au stockage de l’énergie électrique, CultrureSciences de l’Ingénieur

P. Thomas, 2014. La chaleur de la Terre et la géothermie, Planet Terre

O. Dequincey, P. Thomas, 2018. Ressources / Ressources énergétiques, Planet Terre

O. Dubourdieu, P. Thomas, 2021. Uranium : des gisements aux usages, Planet Terre

Ressources diverses (articles, sites…) consultées et points de départ de compléments variés

site France Culture, 2022. Une petite philosophie du kWh, texte et podcast (4 min)

J. Treiner, 2018. Énergies de stock, énergies de flux, Le BUP, 1000, 1-12

Numéro thématique, 2020. Facing climate change, the range of possibilities / Face au changement climatique, le champ des possibles, Comptes Rendus Géosciences, 352, 4-5 [articles en français issus d’un colloque pour un public large, libres d’accès, traitant du changement climatique, de l’éducation, du traitement de données, d’atténuation, de biosphère, d’urbanisme, d’énergies, de stockage de CO2, de batteries… dont l’article ci-dessous]

É. Mangematin, G. Pandraud, D. Roux, 2012. Quick measurements of energy efficiency of buildings / Mesures rapides de l’efficacité énergétique des bâtiments, Comptes Rendus Physique, 13, 4, 383-390

site InfoÉnergie38, 2020. 2,3 : le nouveau coefficient d’énergie primaire de l’électricité (électricité et énergie primaire, choix des chiffres – réels ou anticipés)

site négaWatt, 2002. Réglementation environnementale 2020 : le gouvernement fait une croix sur les bâtiments neufs performants ! (électricité et énergie primaire, réglementations française et européenne)

site Connaissance des Énergies, 2019. Production de l'hydrogène

site de l’ADEME. Agir pour la transition écologique (calculateurs, comparateurs d’émission CO2…)

site IPCC (GIEC). AR6 Synthesis Report (dont un Summary for Policymakers du sixième rapport de synthèse)

site Climate Consulting - Selectra. Jour du dépassement de la Terre 2023 : date et calcul

Coluche, 1979. Misère, court extrait, pour réfléchir… et sourire…