Article | 29/11/2000
Interview de Jean Jouzel, membre du GIEC, novembre 2000
29/11/2000
Résumé
À propos du travail du groupe de scientifiques du GIEC (IPCC) et les changements climatiques.
Il est difficile d'imaginer comment les 3000 scientifiques du GIEC peuvent travailler ensemble, aussi bien concrètement (quelles réunions ? quels échanges de documents ?) que scientifiquement (y a-t-il toujours consensus ?).
Le Groupe Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC/IPCC), créé en 1988 sous l'égide des Nations-Unies, va publier, en 2001, son troisième rapport complet. Celui-ci sera formé de trois volets distincts : le groupe 1 traite des aspects scientifiques de l'évolution du climat, les deux autres groupes étant respectivement en charge d'en examiner les incidences et d'analyser les mesures d'adaptation et d'évaluation (groupe 2) et d'en étudier les aspects socio-économiques (groupe 3).
L'objectif du groupe 1 est de faire le point sur les aspects scientifiques du changement climatique, celui, en particulier, qui pourrait être lié à l'action de l'homme. Le premier rapport de ce groupe, publié en 1990, a été suivi de documents complémentaires en 1992 et 1994. Le second rapport complet Aspects scientifiques de l'évolution du climat préparé par les experts en 1994 et 1995 et approuvé, par les représentants des gouvernements, à Madrid en novembre 1995, a été publié en 1996 (IPCC, 1996). Le troisième rapport, pour l'instant dans une forme préliminaire, sera, pour ce qui concerne le rapport scientifique, publié au premier semestre 2001 après modifications éventuelles et approbation par les gouvernements (réunion à Shanghai en janvier prochain).
Chaque rapport est divisé en chapitres (à titre d'exemple, 14 pour le rapport scientifique) dont une première rédaction est confiée à une équipe d'une dizaine de scientifiques de différents pays. Pour accomplir cette tâche, chaque rédacteur sollicite des contributions de chercheurs impliqués dans le domaine concerné. Ce document est ensuite revu par la communauté scientifique (relecteurs) et les commentaires transmis sont pris en compte par les rédacteurs. Le processus de rédaction et de relecture prend plus de deux ans pour que soit proposé aux gouvernements un texte qui a l'approbation de la communauté scientifique.
Le chiffre de 3000 scientifiques souvent mentionné comprend les rédacteurs (une centaine), les contributeurs (quelques centaines) et les relecteurs. J'ai moi-même participé comme rédacteur à l'élaboration des rapports 1996 et 2001 (chapitre sur la variabilité climatique) et je suis par ailleurs représentant national pour ce qui concerne les aspects scientifiques (et à ce titre en charge d'organiser la revue du rapport au sein de la communauté scientifique française).
Le rapport du GIEC annoncé pour 2001 prévoit une augmentation de température globale comprise entre 1,5 et 4,5°C au cours du siècle. Quels sont les éléments scientifiques nouveaux qui ont amené le GIEC à revoir à la hausse les prévisions de son précédent rapport ? Quelles hypothèses sous-tendent les deux extrémités de la fourchette ?
Membre du GIEC, il m'est interdit d'en commenter les résultats avant que le rapport ne soit avalisé par les gouvernements et que celui-ci ne soit dans sa forme définitive. Ceci étant, de nombreux résultats nouveaux ont été publiés au cours des 5 dernières années qui tendent tous à confirmer que l'homme agit sur le climat (1998 a été l'année la plus chaude du 20ème siècle et la décennie 1990-2000 la plus chaude du dernier millénaire).
Les prédictions de réchauffement issues des modèles climatiques n'ont pas été modifiées de façon significative et les incertitudes qui y sont associées restent importantes (fourchette de 1,5 à 4,5°C pour un doublement des teneurs en gaz carbonique ou son équivalent tenant compte des autres gaz à effet de serre).
Par contre de nouveaux scénarios ont été proposés par les économistes. Les modifications concernent en particulier la production d'aérosols (liés à la pollution urbaine par exemple) qui provoquent un effet de refroidissement et ont donc tendance à contrecarrer l'effet de serre. On supposait que cette production d'aérosols évoluerait de façon parallèle à l'utilisation des combustibles fossiles mais ceci est peu vraisemblable tout simplement parce que l'élimination de la pollution est souhaitable pour des raisons de santé publique, en particulier. L'hypothèse raisonnable d'une diminution de la pollution, conduit, toutes choses égales par ailleurs, à des réchauffements légèrement supérieurs à ceux prévus il y a quelques années.
Un des débats de La Haye porte sur le rôle des forêts comme puits de carbone. Quels sont les fondements scientifiques de cette discussion ? Comment le rôle des forêts est-il pris en compte dans les modèles du GIEC ?
Les modèles utilisés par le GIEC tiennent compte des puits de carbone. Ces modèles permettent, pour un scénario d'émission donné, de calculer les concentrations en gaz carbonique en tenant compte à la fois des quantités absorbées soit par la végétation, soit par l'océan.
Jusqu'ici, ces modèles ne tenaient généralement pas compte des rétroactions entre climat et cycle du carbone (à titre d'exemple, l'élévation du gaz carbonique stimule la croissance des plantes). Ce couplage vient d'être réalisé par différentes équipes et contrairement à ce que l'on attendait intuitivement, la prise en compte des interactions entre végétation et climat conduit à des niveaux plus élevés de gaz carbonique. En fait d'autres effets (augmentation de la décomposition de la matière organique des sols, répartition différente des espèces...) annihilent l'absorption supplémentaire résultant d'une croissance plus importante de la végétation. Ils vont même au-delà et l'on peut craindre qu'en cas de concentrations plus élevées de gaz carbonique la végétation ne se transforme de puits de gaz carbonique en source et accélère ainsi le réchauffement climatique.
Quel commentaire vous inspire l'échec de la conférence de La Haye ?
L'objectif de la conférence de La Haye était que l'on aille rapidement vers une ratification des accords de limitation des émissions de gaz à effet de serre dont, sauf pour les pays en voie de développement, le principe avait été décidé à Kyoto.
L'objectif était de revenir en 2010 à des niveaux d'émission de 5% inférieurs à ceux de 1990. Soulignons ici que ceci ne représente qu'une étape car l'objectif ultime d'une stabilisation des concentrations des gaz à effet de serre, fixé par les gouvernements, requiert que ces émissions diminuent environ d'un facteur 2.
Les accords de Kyoto ont cependant été salués comme un succès car marquant une réelle volonté des pays industrialisés d'aller de l'avant. La non-ratification de ces accords à la conférence de La Haye est extrêmement décevante étant donné les conséquences potentielles du changement climatique dont on doit d'autant plus s'inquiéter que le niveau de l'effet de serre est élevé. Il est essentiel que les discussions se poursuivent et qu'entre Européens et américains soit rapidement trouvé un terrain d'entente qui permette la mise en œuvre des accords de Kyoto.