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Vous êtes ici : Accueil RessourcesPourquoi les corps tombent-ils ? Une histoire de la gravité d'Aristote à Einstein (2/3).

Article | 16/04/2011

Pourquoi les corps tombent-ils ?

Une histoire de la gravité d'Aristote à Einstein (2/3).

16/04/2011

Vincent Deparis

Lycée Jean Monnet - Annemasse
 

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Catherine Simand

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Évolution historique du concept de gravité, deuxième partie : Hooke, Newton, querelles entre Hooke et Newton.


La plupart des corps tombent quand on les lâche ! Pas tous d'ailleurs, certains comme la fumée ou le feu s'élèvent spontanément. D'autres encore peuvent parfois tomber, tel un morceau de bois dans l'air et parfois monter, tel ce même morceau de bois dans l'eau. Cette banalité quotidienne, qui n'étonne plus, cache un phénomène d'une grande complexité. Comment expliquer la gravité, quelle est la cause de la chute des corps ? Peu de phénomènes ont suscité au cours de l'histoire autant de réflexions, d'interrogations et de controverses. En retraçant le questionnement des savants de l'Antiquité jusqu'à nos jours, nous allons voir que même s'il existe indéniablement des percées et des esprits hors-normes, la science n'est pas le fait d'hommes seuls, ayant une intuition géniale ; les découvertes ne sont pas instantanées. Une théorie physique n'est pas le produit soudain d'une création, elle est le résultat lent, progressif, graduel d'une évolution. Les idées avancent par petites touches. Cet article s'appuie pour une petite part sur nos recherches personnelles et pour une grande part sur les travaux remarquables de Pierre Duhem1 et d'Alexandre Koyré2 , auxquels nous renvoyons le lecteur qui aimerait approfondir le sujet.

Reférences :

Robert Hooke : l'intuition de la gravitation universelle

Robert Hooke (1635 – 1703) est un savant anglais. Esprit brillant et inventif, il s'illustre dans des domaines aussi divers que l'astronomie, la physique, les sciences naturelles et l'architecture. C'est un expérimentateur hors pair. Ses mérites dans de nombreux domaines des sciences (notamment la théorie de la déformation élastique des corps) sont pleinement reconnus. Mais sa contribution à la mécanique céleste a été entièrement éclipsée par l'oeuvre de Newton. Malgré les limites de son travail, la hardiesse et la clarté de sa pensée, la profondeur de son intuition forcent l'admiration. La similitude de son conception du monde avec celle de Newton est également frappante. Il est cependant très querelleur. Il est mêlé à un grand nombre de controverses et il dispute notamment à Newton l'antériorité de la découverte de la loi de l'attraction universelle.

Hooke (1635 – 1703)

Figure 1. Hooke (1635 – 1703)

Origine incertaine : extrait possible du livre Micrographia, de R. Hooke, 1664.


En 1666, Hooke tente d'expliquer les mouvements planétaires. Il expose : « Je me suis souvent demandé pourquoi les planètes doivent se mouvoir autour du Soleil selon la supposition de Copernic, puisqu'elles ne sont ni encloses en aucune orbe solide, ni attachées au Soleil, comme à leur centre, par aucune corde visible ; et elles ne s'écartent de lui au-delà d'un certain degré ni non plus se meuvent en ligne droite comme devraient le faire tous les corps qui ne reçoivent qu'une seule impulsion »21. Hooke reconnaît que le mouvement «naturel » d'un astre n'est pas le mouvement circulaire comme le croyaient les Anciens mais le mouvement rectiligne uniforme. Un astre doit avoir un mouvement en ligne droite à vitesse constante à moins qu'une force n'agisse sur lui, le détourne et l'oblige à décrire un cercle ou une ellipse comme Kepler l'a montré. Mais quelle est cette force qui détourne le mouvement des planètes ? Hooke poursuit sa réflexion : « [Pour expliquer le mouvement elliptique des planètes] je ne peux imaginer aucune autre cause vraisemblable en dehors des deux que voici : la première peut résulter d'une densité inégale du milieu [l'éther] à travers lequel le corps planétaire va être mû ; c'est-à-dire que si nous supposons que la zone la plus éloignée du centre, ou Soleil, est plus dense vers le dehors que celle qui est plus proche de lui, il s'ensuivra que le mouvement droit sera toujours dévié vers l'intérieur, parce que la zone extérieure opposera une plus grande résistance. Ceci offre quelques probabilités : à savoir que si l'éther est quelque peu de la même nature que l'air, il est rationnel que la partie qui se trouve la plus proche du Soleil, source de chaleur, doive être la plus raréfiée ; et en conséquence que les parties qui sont les plus éloignées doivent être les plus denses. Mais cette supposition offre d'autres improbabilités. Mais la seconde cause de l'inflexion d'un mouvement droit en une courbe peut venir d'une propriété attractive du corps placé au centre, par quoi il s'efforce continuellement d'attirer ou de tirer vers lui-même. Car si l'on suppose un tel principe, on peut, semble-t-il, expliquer tous les phénomènes des planètes par le principe commun aux mouvements mécaniques »22.

En 1670, Hooke développe son idée de la propriété attractive des corps et propose une vision grandiose du système du monde. Celle-ci est fondée sur trois suppositions : « 1) Que tous les corps célestes, sans en excepter aucun, ont une attraction ou gravitation vers leur propre centre, par laquelle, non seulement ils attirent leurs propres parties et les empêchent de s'écarter, comme nous le voyons pour la Terre, mais encore ils attirent tous les autres corps célestes qui sont dans la sphère de leur activité ; que, par conséquent, le Soleil et la Lune ont une influence sur le corps et le mouvement de la Terre, et la Terre une influence sur le Soleil et la Lune, mais aussi que Mercure, Vénus, Mars et Saturne ont par leur force attractive une influence considérable sur le mouvement de la Terre, comme aussi l'attraction réciproque de la Terre a une influence considérable sur le mouvement de ces planètes. 2) Que tous les corps qui ont reçu un mouvement simple et direct continuent à se mouvoir en ligne droite, jusqu'à ce que par quelqu'autre force effective ils en soient détournés et forcés à décrire un cercle, une ellipse ou quelqu'autre courbe plus compliqué. 3) Que ces forces attractives sont d'autant plus puissantes dans leur action que le corps sur lequel elles agissent est plus près de leurs propres centres. Pour ce qui est de la proportion suivant laquelle ces forces diminuent à mesure que la distance augmente, j'avoue que je ne l'ai pas encore vérifiée par des expériences »23. À qui entreprendra cette recherche sur le principe de l'attraction universelle, Hooke promet ceci : « Il découvrira que tous les grands mouvements du monde sont influencés par ce principe et que leur véritable compréhension sera la véritable perfection de l'astronomie ».

La profondeur de vue de Hooke est stupéfiante. Malheureusement, il n'est pas mathématicien. C'est un expérimentateur hors pair et au lieu de traiter le problème astronomique comme un problème mathématique, il cherche à trouver la loi de l'attraction à partir d'un modèle expérimental. Même s'il découvre en 1679, sans l'aide de Newton mais quatorze ans après lui (!), que la loi de l'attraction gravitationnelle est inversement proportionnelle aux carrés des distances (Halley et Wren arrivent au même résultat à peu près au même moment), il ne peut rien en faire et ne sait pas démontrer que cette loi en 1/r2 implique une trajectoire elliptique pour les planètes. Il lui manque une capacité mathématique suffisante et une conception correcte de la vitesse des planètes sur leur orbite. Malgré son intuition exceptionnelle, il passe à côté de « la plus grande découverte dans la nature qui ait jamais été faite depuis la création du monde » et laisse tous les honneurs à Newton.

Reférences :

  • 21- Cité in KOYRÉ A., «  Newton et Descartes - Appendices H », op. cit., p. 216.
  • 22- Ibid., p. 216.
  • 23- Ibid., p. 218-219.

Isaac Newton : le génie mathématique et la gravitation universelle

Isaac Newton (1642-1727) est un philosophe, mathématicien, physicien, astronome et alchimiste anglais. Son oeuvre est l'une des plus remarquable de l'histoire des sciences. Entré à l'université de Cambridge en 1661, il est contraint par la grande peste de Londres à deux ans de « grandes vacances » dans son pays natal. C'est au cours de cette retraite forcée, qu'il va, en solitaire, poser les fondements de son optique (théorie corpusculaire de la lumière), de sa mécanique (les trois lois fondamentales du mouvement) et du calcul des fluxions, fondement du calcul différentiel et intégral. Dans son oeuvre maîtresse, les Principes mathématiques de la philosophie naturelle, parue en 1687, il montre que l'Univers est un tout intelligible, répondant aux lois de la mécanique. Paradoxalement, ce qui est aujourd'hui son plus grand triomphe – sa théorie de la gravitation universelle, comprise comme une action à distance – est ce qui empêcha la reconnaissance de ses idées par ses contemporains.

Newton (1642-1727)

Figure 2. Newton (1642-1727)

Portrait d'Isaac Newton précédant les avertissements de "Élémens de la philosophie de Neuton, mis à la portée de tout le monde par Mr de Voltaire", 1738

Photographie : Pierre Thomas


À l'époque de Newton, l'idée de l'attraction universelle est « dans l'air ». Après la gravité mutuelle de la Terre et de la Lune supposée par Kepler, Roberval (1602-1675) affirme en 1643 que toutes les parties terrestres s'attirent réciproquement et Hooke développe en 1670 un système du monde où tous les corps s'attirent mutuellement. L'immense mérite de Newton n'est donc pas d'avoir eu l'idée de l'attraction universelle mais d'avoir démontré quantitativement ses affirmations et d'en avoir tiré toutes les conséquences. Sa pensée s'élabore par étapes, entre les années 1664 et 1685, lors de périodes extrêmement concentrées dans le temps24. Vers 1665, il part carrément du problème astronomique : les planètes ne partent pas en ligne droite dans l'espace mais tournent autour du Soleil. Elles sont donc constamment retenues par une force centrale, dirigée vers le Soleil. Pour déterminer cette force, il ne s'interroge pas sur sa nature, mais il cherche à évaluer son intensité. En supposant que les trajectoires planétaires sont circulaires, il découvre que la loi dattraction des planètes est en 1/r2 (r étant la distance au Soleil). Il expliquera plus tard que cette découverte, qui repose sur la troisième loi de Kepler et sur l'analyse du mouvement circulaire donnée par Huygens en 1673, était chose aisée, à portée de tout mathématicien (et effectivement Hooke, Halley et Wren trouvent également cette loi, sans l'aide de Newton, mais après 1679) ! Avec nos notations, la force centrifuge (par unité de masse) que la Lune subit sur son orbite s'écrit : v2L/dTL2L.d2TL/dTL (avec vL la vitesse linéaire de la Lune sur son orbite, ωL la vitesse angulaire et dTL la distance Terre-Lune). Si on multiplie le numérateur et le dénominateur du deuxième terme par dTL, on obtient : v2L/dTL2L.d3TL/d2TL. Or, d'après la loi de Kepler, ω2L.d3TL est une constante que l'on notera c. Il vient donc : v2L/dTL=c/d2TL . La force d'attraction exercée par la Terre sur la Lune qui équilibre la force centrifuge est en 1/r2 . Cette loi en 1/r2 peut aussi être suggérée par l'analogie entre l'action des astres et la propagation de leur lumière, dont l'intensité varie avec la distance également en 1/r2.

Ayant découvert la loi de la variation de l'attraction, Newton peut montrer quantitativement que la force qui retient la Lune sur son orbite est la même que celle qui fait tomber une pomme à la surface de la Terre. Avec nos notations, si la force FL qui retient la Lune sur son orbite est de même nature que la force P qui attire les objets de la surface de la Terre et que ces forces sont en 1/r2, on doit avoir : FL/P = (RT/dTL) =1/3600, puisque la distance Terre-Lune dTL est environ égale à 60 rayons terrestres RT. Puisque FL est égale à la force centrifuge subie par la Lune sur son orbite, on a aussi : FL/P = ω2.dTL/g, avec g la pesanteur terrestre. Avec Trévolution_Lune = 27,321 jours, dTL = 60RT, RT = 6372 km (détermination de Picard en 1671), g = 9,81 m.s-2 (détermination de Huygens en 1673), on retrouve bien : FL/P ≈1/3600. En 1665, le calcul de Newton reste cependant grossier car il ne sait pas encore calculer l'attraction d'une sphère à sa surface (il n'a pas encore prouvé que la gravité à la surface de la Terre est en 1/R2T) et il ne connaît pas encore précisément le rayon de la Terre ni la valeur de g. Mais grosso modo, l'identité des deux forces est vérifiée. La mécanique terrestre rejoint donc la mécanique céleste et c'est une dernière idée forte des Anciens qui disparaît, celle de la distinction entre le domaine sublunaire et le domaine des astres. L'idée de Kepler selon laquelle l'attraction de la Terre s'étend jusqu'à l'orbite lunaire est donc démontrée. Cependant Newton ne limite pas l'attraction au système Terre-Lune mais, comme Hooke, il l'étend à tout le système solaire en postulant que l'attraction est universelle : tous les corps célestes sans exception attirent leurs propres parties et s'attirent mutuellement ; chaque planète est donc sous l'influence du Soleil mais également de ses satellites et de toutes les autres planètes du système solaire. Les premières découvertes géniales mais incomplètes de Newton s'arrêtent là.

Newton reprend ses travaux de mécanique pendant l'hiver 1679-1680, à la suite d'une correspondance houleuse avec Hooke. Il découvre que la loi des aires (deuxième loi de Kepler) caractérise tout mouvement inertiel soumis à une force centrale. Il trouve également que si cette force centrale est en 1/r2, le mouvement résultant est une section conique, un cercle, une hyperbole, une parabole ou une ellipse et que la force est dirigée vers l'un des foyers et, inversement, que si un corps décrit une ellipse autour de l'un de ses foyers (première loi de Kepler), il est soumis à une force centrale en 1/r2. Les deux premières lois de Kepler sont magistralement démontrées. C'est cette percée qui constitue, selon Newton, sa grande découverte, plus que l'invention de la loi en 1/r2. Il démontre également, et ce résultat est pour lui une surprise complète, que l'attraction d'une sphère à sa surface est la même que si toute la masse était concentrée en son centre. Alors seulement, il a tous les éléments en main pour comparer précisément la gravité terrestre et l'attraction de la Terre sur la Lune et conclure à leur identité.

Newton cependant ne s'arrête pas là. Il montre ensuite que sa loi de la gravitation universelle permet de comprendre une foule de phénomènes25, ce qui prouve sa fécondité et sa validité. 1) L'orbite que la Lune décrit autour de la Terre n'est pas une orbite stable mais elle présente des irrégularités (en particulier, elle tourne sur elle-même en 19 ans environ). Newton explique que la Lune n'est pas seulement sous l'influence gravitationnelle de la Terre mais aussi du Soleil et que cette influence du Soleil perturbe sa trajectoire autour de la Terre. 2) À l'époque de Newton, les marées océaniques restaient énigmatiques. Newton découvre qu'elles sont également une conséquence de la gravitation universelle : toutes les parties de la Terre ne sont pas situées à la même distance de la Lune et du Soleil et ne subissent pas de ce fait exactement la même attraction, ce qui met l'eau des océans en mouvement. 3) Newton expose que du fait de sa rotation sur elle- même, la Terre n'a pas une forme sphérique mais légèrement aplatie avec un rayon équatorial plus long que le rayon polaire. Grâce à la gravitation universelle, Newton peut calculer la valeur de l'aplatissement de la Terre. 4) Richer, en voyage à Cayenne pour y mesurer la parallaxe de Mars, a fait une découverte étonnante en 1672 : un pendule de même longueur bat plus lentement sous l'équateur qu'à Paris, ce qui indique que la pesanteur y est plus faible. L'observation a été immédiatement interprétée comme un effet de la force centrifuge due à la rotation journalière de la Terre. Newton montre que deux autres raisons interviennent dans la variation de la pesanteur avec la latitude : le plus grand éloignement à l'équateur dû à l'aplatissement de la Terre et l'attraction d'un corps non sphérique. 5) L'axe de rotation de la Terre n'a pas une direction stable dans l'espace mais décrit un cône en 26 000 ans environ, ce fait est connu depuis la grande époque des astronomes grecs : c'est le phénomène de la précession des équinoxes. Newton est le premier à en donner l'explication : le mouvement de l'axe de rotation résulte de l'action gravitationnelle de la Lune et du Soleil sur la forme aplatie de la Terre. Ses démonstrations sont géniales et montrent que l'univers forme un tout intelligible, régi par quelques lois mécaniques simples qui s'appliquent aussi bien aux objets terrestres qu'aux corps célestes.

Newton est cependant bien conscient du caractère déconcertant de sa loi de la gravitation universelle. Comment une masse peut-elle agir à distance à travers le vide sur une autre masse ? En 1692, dans une lettre à un de ses contemporains, il écrit : « Il est inconcevable que la matière brute inanimée, sans la médiation de quelque chose d'autre qui n'est pas matériel, puisse agir sur une autre matière et l'affecter sans contact mutuel, comme cela devrait si la gravitation, dans le sens d'Épicure, lui était essentielle et inhérente. Et cela est une raison pour laquelle je désirais que vous ne m'attribuiez pas la gravité innée. Que la gravité soit innée, inhérente et essentielle à la matière, en sorte qu'un corps puisse agir sur un autre à distance au travers du vide, sans médiation d'autre chose, par quoi et à travers quoi leur action et force puissent être communiquées de l'un à l'autre est pour moi une absurdité dont je crois qu'aucun homme, ayant la faculté de raisonner de façon compétente dans les matières philosophiques, puisse jamais se rendre coupable. La gravité doit être causée par un agent agissant constamment selon certaines lois ; mais que cet agent soit matériel ou immatériel, je l'ai laissé à la considération de mes lecteurs »26. Newton ne sait pas expliquer l'attraction mutuelle de deux corps distants, il ne sait pas comment elle est véhiculée, il ne fait que la constater : « J'ai expliqué jusqu'ici les phénomènes célestes et ceux de la mer par la force de gravitation, mais je n'ai assigné nulle part la cause de la gravitation. (...) Je n'ai pu encore parvenir à déduire des phénomènes la raison de ces propriétés de la gravité, et je n'imagine point d'hypothèse »27. Il a bien essayé de trouver une explication physique à la gravité mais il n'a jamais aboutit et il a finalement compris qu'il était impossible d'en trouver une. Pour Newton, les forces d'attraction ne doivent pas être considérées comme les « causes » des phénomènes mais comme des « forces mathématiques », sans fondement physique, dont les causes ne sont pas encore connues. Newton renonce à chercher ce qu'est la gravité, à spéculer sur sa vraie nature, pour regarder uniquement la manière dont elle agit et la loi mathématique qu'elle suit. Comme Galilée avait déjà pu le faire, il cherche à découvrir le « comment » et non le « pourquoi », à établir les lois et non les causes. Ses contemporains ne peuvent le suivre dans cette voie. Ils refusent d'abandonner leur recherche sur la cause de la gravité et ne peuvent accepter l'attraction à distance que suppose la loi de Newton. Ils rejettent ainsi ses travaux avec une grande hostilité.

Reférences :

  • 24- Cf. HERIVEL J. W., « Sur les premières recherches de Newton en dynamique », Revue d'Histoire des Sciences et de leurs applications, 1962, t. 15, 105-140, p.117. HERIVEL J. W., « Newtons's Discovery of the Law of Centrifugal Force », Isis, 1960, 851, 546-553. KOYRÉ A., Études Newtoniennes. Paris : Gallimard, 1968. « La gravitation universelle de Kepler à Newton », p.11-24. WESTFALL R. S., Newton 1642-1727. Paris : Flammarion, 1994.
  • 25- DEPARIS V. et LEGROS H., Voyage à l'intérieur de la Terre. De la géographie antique à la géophysique moderne. Paris : CNRS Editions, 2000, p. 127-134.
  • 26- Cité in KOYRÉ A., Du monde clos à l'univers infini. Paris : Gallimard, « Tel », 2003, p. 166
  • 27- NEWTON I., Principes Mathématiques de la Philosophie Naturelle. Traduction de la Marquise du CHÂTELET, 1756. Réédition Sceaux : Jacques Gabay, 1990, Tome II. Livre III, Scholie générale, p. 178-179.

Les querelles entre Hooke et Newton

Les relations entre Hooke et Newton n'ont jamais été amicales28. Hooke, qui est l'aîné de Newton de sept ans, est un expérimentateur d'exception, doué d'un esprit visionnaire, mais il ne possède pas les capacités mathématiques de son cadet. Le premier conflit éclate au tout début de la carrière de Newton, en 1672, lorsque Hooke critique un peu hâtivement ses découvertes en optique. Cette attaque imprévue et acerbe d'un savant déjà célèbre a engendré un profond ressentiment dans l'esprit orgueilleux et sensible de Newton. Blessé par cette polémique longue et passionnée, il aura par la suite une grande réticence à publier ses travaux et mènera la plupart de ses recherches en solitaire, en résistant à toute tentative pour le faire sortir de sa coquille. Malgré des réconciliations apparentes, en particulier lorsque Hooke devient le secrétaire de la Royale Society (société des sciences anglaise), Newton garde une rancune tenace envers son compatriote. D'après More : « Deux hommes comme ceux-là ont beau se complaire dans l'expression de sentiments élevés et abstraits et employer des formules recherchées pour exprimer leur estime réciproque ; il n'en reste pas moins qu'il serait difficile de trouver deux êtres aussi peu faits pour une amitié durable. Tous deux étaient soupçonneux, susceptibles et orgueilleux. Chez Hooke, ces traits de caractère se manifestaient par des explosions de colère et par des accusations réitérées d'avoir été frustré des fruits de son travail ; chez Newton, dès qu'il était contrarié, les mêmes traits perçaient également à travers son attitude de feint mépris de la gloire et la manière dont il se retirait en silence dans sa tour d'ivoire. Inutile de dire que leur correspondance demeura limitée à des communications officielles ; les cendres mal éteintes de l'animosité existaient toujours et n'attendaient qu'une occasion pour s'enflammer ouvertement. Ils ne se sont jamais vraiment pardonné l'un l'autre ; Hooke continuait à prétendre avoir anticipé l'œuvre de Newton, et celui-ci persistait dans sa réserve à l'égard de la Société, jusqu'au jour où la mort de Hooke le délivra de l'appréhension de ses insinuations »29.

Premières pages des "Élements de Philosophie", Newton

Figure 3. Premières pages des "Élements de Philosophie", Newton

Référence d'époque : "Élémens de la philosophie de Neuton, mis à la portée de tout le monde par Mr de Voltaire", 1738

Photographie : Pierre Thomas


Lorsque Hooke recommence une correspondance avec Newton en 1679, il confesse les plus grands mérites de ce dernier en mathématiques mais il espère en retour que Newton reconnaisse son œuvre de pionnier en mécanique céleste. Il a en effet été le premier à affirmer l'universalité cosmique de la force de gravitation et son rôle essentiel dans l'organisation de l'univers. Peut-être espère-t-il aussi que Newton puisse achever sa mécanique céleste en trouvant la loi de la variation de la force de gravitation en fonction de la distance, ce que lui ne sait pas faire. Le refus de collaborer de Newton le vexe et l'irrite. Lorsque dans une lettre qui devait rester privée, Hooke découvre une erreur dans le raisonnement de Newton sur la chute des corps à la surface de la Terre, il ne peut résister à la tentation de la révéler publiquement et de la corriger. Bien évidemment, Newton en est extrêmement contrarié, ce qui envenime encore plus ses relations avec Hooke. Mais à cette époque, Newton est sans doute préoccupé par d'autres problèmes que par ceux de mécanique céleste, et il lui faut cette pique de Hooke pour le relancer sérieusement dans cette recherche. Surtout que c'est lors de cette correspondance que Hooke lui fournit une clé essentielle : la compréhension du mouvement des planètes, qui se compose d'un mouvement direct selon la tangente et d'un mouvement attractif vers le corps central. Bien que Newton prétende ne plus s'intéresser aux mouvements planétaires, il va résoudre magistralement les problèmes qui restent insolubles pour Hooke, sans rien en dire à son ennemi. De l'aveu même de Newton, pour embraser son esprit, il lui a fallut l'étincelle de Hooke. Ses résultats ne sont publiés qu'en 1687, dans son chef d'œuvre : les Principes Mathématiques de la Philosophie Naturelles.

Hooke entre alors dans une nouvelle polémique, et veut que Newton lui reconnaisse la paternité de la loi en 1/r2 pour la gravitation alors que c'est sans conteste Newton qui l'a découvert en premier. Newton doit sans doute des idées à Hooke, plus qu'il ne veut le reconnaître, mais pas la découverte de la loi de la gravitation. D'ailleurs, pour Newton, ce n'est pas cette découverte qui est essentielle mais bien plutôt la démonstration du lien entre la loi en 1/r2 et l'orbite elliptique des planètes. Par cette remarque, il entend bien marquer sa différence avec Hooke pour qui cette démonstration était hors de portée. Excédé devant les revendications de son compatriote, Newton écrit : « Borelli [un contemporain] y a fait quelque chose, et il en a écrit avec modestie. Lui, il n'a rien fait, et cependant il écrit comme s'il avait su, et avait suffisamment indiqué tout ce qu'il fallait, sauf ce qu'il restait à déterminer par la pénible besogne de calculs et d'observations, besogne qu'il prétend ne pas avoir accomplie à cause de ses autres occupations, alors qu'il aurait dû plutôt invoquer son incapacité. Car il est évident, d'après ce qu'il dit, qu'il ne savait pas comment s'y prendre. N'est-ce pas merveilleux. Les mathématiciens, qui inventent, établissent, traitent toute la question, doivent se contenter de n'être que des calculateurs sans imagination, de simples manœuvres ; et celui qui ne fait rien d'autre que tout revendiquer et usurper peut s'attribuer la gloire de toutes les inventions, tant celles qui viendraient de lui, que de celles qui l'ont précédé »30. La haine entre les deux savants est irrévocable.

Reférences :

  • 28- KOYRÉ A., Études Newtoniennes, op. cit., «Une lettre inédite de Robert Hooke à Isaac Newton», p.269-313.
  • 29- Ibid., p. 273.
  • 30- Ibid., p. 278.

Article réalisé avec le soutien financier de Sciences à l'École dans le cadre de l'opération LUNAP.