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Article | 15/01/2003

Évolution du climat : du passé vers le futur

15/01/2003

Benoît Urgelli

ENS-Lyon

Gilles Delaygue

CEREGE, Aix en Provence

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Tour d'horizon des connaissances sur les changements climatiques.


D'après l'article paru dans les Comptes Rendus de l'Académie des Sciences, 1999, n°328, 229-239 par Jean Jouzel (Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement) et Claude Lorius (Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l'environnement). Illustrations : Gilles Delaygue.

Le climat est un système extrêmement complexe régi par de multiples interactions entre différents réservoirs (atmosphère et sa composition, océan, hydrosphère, cryosphère, biosphère...) et dans lequel intervient un très large spectre d'échelles de temps (de la journée au million d'années) et d'espace (échelle locale, régionale ou globale).

Cette complexité explique que l'état de nos connaissances évolue lentement, tout au moins aux yeux du grand public. Car nombreuses sont les avancées et les découvertes qui ont jalonné notre domaine de recherches au cours des dix dernières années. Ce sont elles qui ont nourri les rapports scientifiques du GIEC/IPCC auxquels ont contribué à différents titres (rédacteur, contributeur ou relecteur) de nombreux chercheurs (environ 2 000 pour le rapport 1995). Nous appuyant largement sur les conclusions du dernier rapport, nous nous proposons d'abord de faire le point sur ce problème du réchauffement climatique dû à l'effet de serre additionnel qui résulte des activités humaines.

Nous examinerons ensuite de quelle façon l'étude des climats du passé a contribué à ce débat sur l'évolution future du climat et les raisons pour lesquelles elle devrait continuer à y tenir une place importante.

Un diagnostic mieux affirmé

Depuis quelques siècles, les activités anthropogéniques modifient de façon sensible la composition de l'atmosphère. Entre 1750 et nos jours, la teneur en méthane a plus que doublé (145 % environ) essentiellement à cause de l'intensification de l'agriculture. L'utilisation des combustibles fossiles est largement responsable de l'augmentation de la concentration en gaz carbonique depuis le début de l'ère industrielle (accroissement de 30 % environ). Ces combustibles fossiles seraient, avec les pratiques agricoles, la cause d'un accroissement voisin de 15 % de la teneur en protoxyde d'azote sur la même période.

Ces modifications de la composition atmosphérique nous sont connues grâce à l'analyse de bulles d'air piégées dans les glaces polaires (Figure 1). Pour ces études portant sur des variations relativement récentes, les données proviennent de sites à forte accumulation de neige (sites côtiers de l'Antarctique, en particulier).

Variation de la teneur de l'atmosphère en gaz à effet de serre sur le dernier millénaire.

Figure 1. Variation de la teneur de l'atmosphère en gaz à effet de serre sur le dernier millénaire.

Les résultats proviennent de l'analyse des bulles d'air mesurées dans la glace en Antarctique et, pour les années récentes, de mesures directes. Source : IPCC, 2001.


Bien qu'il s'agisse là de constituants mineurs, de tels changements sont susceptibles de modifier le climat car ils conduisent à une modification de l'effet de serre atmosphérique. Alors que l'atmosphère est transparente au rayonnement qui arrive du soleil dans le visible, ces trois gaz à effet de serre ont la propriété d'absorber le rayonnement infrarouge réémis par le sol. La vapeur d'eau également qui, avec le gaz carbonique, joue le rôle principal.

Cette propriété est partagée par d'autres composés en particulier l'ozone et les chlorofluorocarbures, dont l'emploi s'est développé au cours des deux dernières décennies, et leurs produits de remplacement. Cet effet de serre est en soi très bénéfique : il amène la température moyenne de la surface de la terre à +15°C valeur beaucoup plus clémente que celle, estimée à -18°C, qui prévaudrait si ces gaz n'étaient pas présents dans l'atmosphère. Mais c'est son augmentation, largement imputable aux activités humaines, qui inquiète. Ces gaz à effet de serre ont depuis le début de l'ère industrielle (c'est à dire depuis 1750 environ), augmenté l'énergie moyenne reçue par notre planète de 2,45 Wm-2 (celle-ci est voisine de 240 Wm-2).

Cette augmentation est liée pour 64 % au gaz carbonique, 19 % au méthane et 6 % au protoxyde d'azote. Les autres composés interviennent donc pour environ 10 % et on s'attend à ce que ce pourcentage diminue sensiblement grâce à l'application du Protocole de Montréal qui réglemente la production des chlorofluorocarbures. Il apparaît, en outre, que dans l'hémisphère Nord, la concentration d'ozone troposphérique liée aux activités humaines s'est accrue entraînant un forçage radiatif positif, évalué à environ 0,4 Wm-2. Encore mal caractérisé celui-ci n'est pas pris en compte dans le bilan ci-dessus. Le rôle essentiel la vapeur d'eau est directement pris en compte à travers la modélisation du climat que nous évoquons plus loin.

Ce constat de l'augmentation continue de la concentration des gaz à effet de serre et de son lien avec les activités humaines fait l'objet d'un consensus. Il est à placer aux rangs des certitudes comme l'est une seconde conclusion du rapport du GIEC sur l'évolution du climat à savoir que « le climat a évolué depuis le siècle dernier ». Les années récentes ont été parmi les plus chaudes depuis 1860 (le début de la période d'instrumentation) et ce malgré l'effet de refroidissement dû à l'éruption volcanique du Mont Pinatubo en 1991.

L'année 1995 a battu le record précédemment détenu par 1990 (Figure 2). En moyenne globale, la température de surface a augmenté de 0,3 à 0,6°C environ depuis la fin du XIXe siècle. L'augmentation significative du niveau de la mer observée au cours des 100 dernières années (10 à 25 cm) est, en grande partie, imputable à la dilatation thermique de l'océan qui a résulté de cette augmentation de température. D'autres caractéristiques comme l'augmentation plus importante des températures nocturnes que des températures diurnes sont bien documentées. Et même si les données sont sur certains points insuffisantes - par exemple, pour déterminer si les fluctuations de la variabilité du climat ou des conditions météorologiques extrêmes se sont produites à l'échelle globale - les experts s'accordent en 1995, comme ils l'avaient fait en 1990, pour affirmer que le réchauffement du climat est une réalité.


Il y a cependant une évolution majeure entre ces deux rapports. Certes, augmentation de l'effet de serre lié aux activités humaines et réchauffement du climat au cours du dernier siècle, affirmés en 1990, sont pleinement confirmés en 1995. Mais la position des scientifiques sur un lien éventuel de cause à effet entre ces deux observations s'est modifiée. Le rapport 1990 concluait que « L'importance du réchauffement observé est grossièrement cohérent avec les prédictions des modèles climatiques mais elle aussi comparable à la variabilité naturelle du climat ». Le réchauffement observé pourrait donc être du à cette variabilité naturelle ; à l'inverse, celle-ci, combinée à d'autres facteurs liés à l'activité humaine pourrait avoir masqué un effet lié à l'augmentation des gaz à effet de serre encore plus important. Le rapport 1995 indique que : « Un faisceau d'éléments suggère qu'il y a une influence perceptible de l'homme sur le climat global ». Cette conclusion reste extrêmement prudente mais c'est, à l'évidence, un des résultats importants du nouveau rapport qui, en soi, ne modifie pas les prévisions de réchauffement pour le siècle prochain mais leur apporte une crédibilité qu'elles n'avaient pas précédemment.

Les « sceptiques » de l'effet de serre qui ont placé cette conclusion sous les feux d'une controverse dont la presse internationale s'est largement fait l'écho (en premier lieu aux Etats-Unis, à un degré moindre en Europe) ne s'y sont pas trompés. Suggérer, comme le font les scientifiques - même avec prudence - que les activités humaines commencent à avoir une influence sur le climat met désormais le changement climatique au centre des problèmes que notre société aura à affronter au siècle prochain en matière d'environnement et lui donne une dimension socio-économique et politique indéniable. La polémique porte à la fois sur la procédure suivie par le GIEC et sur des arguments scientifiques. Il serait trop fastidieux d'examiner en détail ici le premier aspect. Mais pour avoir, au titre d'expert et de représentant français auprès du groupe scientifique du GIEC, assisté à la réunion de Madrid, à l'origine de ce débat, je m'associe pleinement aux arguments présentés par le GIEC pour démontrer que les procédures définies ont effectivement été respectées. Examinons donc plus en détail ce qui a motivé le changement d'état d'esprit des scientifiques entre 1990 et 1995.

Ceci doit beaucoup à la prise en compte du forçage radiatif négatif (effet de refroidissement) provoqué par les aérosols d'origine humaine et désormais pleinement reconnu mais encore difficile à cerner avec précision. Ces aérosols (essentiellement composés soufrés) sont présents sous forme de particules microscopiques en suspension dans l'air. Ils proviennent de la combustion des combustibles fossiles, de la biomasse et d'autres sources, et ont entraîné un forçage radiatif direct d'environ 0,5 Wm-2 en moyenne globale, et, probablement, un forçage négatif indirect d'une valeur comparable. Le refroidissement susceptible d'en résulter suit rapidement l'augmentation ou la diminution des émissions et est concentré sur certaines régions et zones subcontinentales (alors que le réchauffement lié à l'augmentation de l'effet de serre a un caractère global). Si l'on combine les deux effets dans les modèles climatiques, on constate que la comparaison des caractéristiques - géographiques, saisonnières et verticales - entre changements de température prédits et observés s'améliore notablement par rapport au cas où seul l'effet de serre est pris en considération. La comparaison entre réchauffement prédit et observé depuis 1860 est également significativement améliorée (Figure 3) par la prise en compte des aérosols soufrés qui en outre donnent une explication plausible au fait que la température se réchauffe plus la nuit que le jour (le forçage lié aux aérosols n'intervient que le jour).


A ceci s'ajoute une meilleure connaissance des variations du climat au cours des derniers siècles qui, à travers différents indicateurs conduit les spécialistes des climat du passé à indiquer que la température de l'air, en moyenne globale, est au moins aussi élevée au XXe siècle qu'elle ne l'a été à toute autre époque entre la période actuelle et 1400 après JC. Soulignons cependant que beaucoup reste à faire dans ce domaine de la variabilité dite « récente » du climat (par opposition à la variabilité glaciaire - interglaciaire) ; à titre d'exemple, les changements associés au petit âge glaciaire, qu'à connu l'Europe entre les XVe et XIXe siècles, sont fort mal documentés à l'échelle globale (Bradley et al., 1996).

Enfin, ce faisceau d'éléments est complété par des études statistiques dont la plupart ont permis de détecter des changements significatifs démontrant que la tendance au réchauffement observée n'est vraisemblablement pas d'origine uniquement naturelle. Aucun ne constitue en soi une preuve mais c'est leur convergence qui a conduit les scientifiques à suggérer qu'il y a une influence perceptible de l'homme sur le climat global. Les discussions qui ont eu lieu à la récente conférence du Programme de Recherche sur le Climat (Genève, Août 1997) indiquent que ce diagnostic, et l'esprit de prudence qui l'accompagne, n'ont pas de raison d'être modifiés deux ans après la réunion de Madrid.

Le climat du XXIe siècle ?

Qu'en est-il maintenant des prédictions pour le XXIe siècle ? Examinons d'abord celles qui relatives à l'augmentation de l'effet de serre. Le GIEC a établi différents scénarios d'émissions des gaz à effet de serre au cours du XXIe. Ces scénarios reposent sur certaines hypothèses concernant la croissance démographique et économique, l'exploitation des sols, les progrès technologiques et l'approvisionnement énergétique, ainsi que de la façon dont les différentes sources d'énergie contribueront à cet approvisionnement entre 1990 et 2100. La figure 4 les présente pour ce qui concerne les émissions de gaz carbonique et l'évolution de la concentration en C02 dans l'atmosphère prédite à l'aide d'un modèle du cycle du carbone. On observe que le scénario le moins contraignant (IS92e) conduirait, à la fin du siècle prochain, à un triplement de cette concentration par rapport à sa valeur préindustrielle (280 ppm, parties par million en volume). Il faut aussi noter que, même si l'effort est fait d'un maintien des émissions à leur niveau actuel (aux environs de 6 milliards de tonnes de carbone), les concentrations auront néanmoins presque doublé. Les modèles indiquent, en outre, que l'objectif d'une stabilisation de l'effet de serre ne peut être atteint que si les émissions redescendent, à un moment donné, en-dessous de leur niveau actuel, dans 240 ans si l'objectif visé est de 1000 ppmv et dans 40 ans si celui-ci est de 450 ppmv.



Pour chacun des scénarios a ensuite été calculé l'accroissement du forçage radiatif depuis 1750, en tenant compte des autres gaz à effet de serre, des aérosols et de l'ozone troposphérique. Suivant les scénarios cet accroissement varie de 4 à 8 Wm-2. Dans le cas extrême, ceci correspond à une perturbation du bilan énergétique de notre planète, de plus de 3%. Les modèles climatiques peuvent alors être utilisés pour prédire l'évolution du climat. Ces prédictions réalisées à partir de différentes hypothèses sur la sensibilité du climat, définie comme l'augmentation de température qui résulterait d'un doublement de la teneur en CO2 une fois l'équilibre climatique atteint. Le large domaine des sensibilités choisies (de 1,5 à 4,5 °C avec une valeur la plus probable de 2,5°C) témoigne des incertitudes que nous avons sur la réaction du climat vis à vis d'une augmentation des gaz à effet de serre.

En fait, la tâche du modélisateur serait simple s'il n'était nécessaire de tenir compte que de l'effet radiatif direct : une augmentation de 4 Wm-2, correspondant à peu près à un doublement de la teneur en CO2, induirait, une fois l'équilibre atteint, un réchauffement moyen de 1,2°C. Mais les choses sont plus compliquées. Le réchauffement initial de l'atmosphère se transmet peu à peu à l'océan avec deux conséquences : accroissement de l'évaporation et diminution de la glace de mer. L'une et l'autre amplifient le réchauffement initial à travers, d'une part, l'augmentation de la vapeur d'eau atmosphérique et, de l'autre, la disparition de surfaces fortement réfléchissantes. Et surtout, les modifications induites au niveau des nuages sont mal connues et peuvent avoir des effets antagonistes suivant le type de nuage et leur altitude. Les valeurs de la sensibilité du climat mentionnées ci-dessus, toutes supérieures à 1,2°C, indiquent que le forçage radiatif direct est dans tous les cas amplifié. Leur large dispersion est, elle, largement liée à la façon dont les modèles prennent en compte le rôle des nuages.

Les conclusions les plus importantes du rapport IPCC concernent la température moyenne de la planète et le niveau de la mer (Figures 5 et 6).

Prédictions de l'augmentation entre 1990 et 2100 de la température globale.

Figure 6. Prédictions de l'augmentation entre 1990 et 2100 de la température globale.

Ces prédictions correspondent à différents scénarios et sensibilités du climat. Source : IPCC, 1996.


Prédictions de l'augmentation entre 1990 et 2100 du niveau de la mer.

Figure 7. Prédictions de l'augmentation entre 1990 et 2100 du niveau de la mer.

Ces prédictions correspondent à différents scénarios IPCC et différentes sensibilités du climat. Source : IPCC, 1996.


Dans l'hypothèse du scénario moyen IPCC (IS92a), avec la « valeur la plus probable » de la sensibilité du climat et la prise en compte de l'incidence de l'augmentation prévue de la concentration d'aérosols, l'augmentation prédite de la température moyenne globale à la surface est d'environ 2°C entre 1990 et 2100. Cette valeur est d'un tiers inférieure environ à la « valeur la plus probable » déterminée en 1990. Une telle différence est due essentiellement au plus faible niveau d'émissions prévu par ce scénario moyen (en particulier pour le CO2 et les Chlorofluorocarbures), à l'incorporation du refroidissement par les aérosols soufrés et à l'amélioration du traitement du cycle du carbone. Le scénario IPCC le plus bas (IS92c), avec une « faible » valeur de la sensibilité du climat et la prise en compte de l'incidence de la progression prévue de la concentration d'aérosols, conduit à prédire un réchauffement d'environ 1°C en 2100. Le scénario le plus élevé (IS92e) et une valeur « élevée » de la sensibilité du climat, conduisent à prédire un réchauffement de 3,5 °C environ (et même jusqu'à 4,5°C si les aérosols étaient maintenus à leur niveau actuel). Dans tous les cas de figure, la rapidité du réchauffement serait probablement plus élevée qu'elle ne l'a été à toute autre période depuis 10 000 ans.

Une élévation du niveau moyen de la mer est prévue en raison du réchauffement des océans et de la fonte des glaciers de montagne et des calottes glaciaires. La valeur la plus probable est de 50 cm avec des valeurs extrêmes de 15 et 95 cm indiquant l'incertitude attachée à cette prédiction. Une partie de l'incertitude est due à celle associée à la sensibilité du climat, mais une plus large part résulte de notre connaissance insuffisante du cycle hydrologique dans les régions polaires. En cas de réchauffement, l'atmosphère polaire contiendrait plus de vapeur d'eau et on peut s'attendre à une augmentation des chutes de neige sur le Groenland et l'Antarctique. Ce phénomène tendrait à contrebalancer l'élévation du niveau de la mer due à la dilatation de l'océan tout au moins pour quelques siècles, jusqu'à ce que l'accroissement de la fonte des glaces ne devienne plus important que l'augmentation de l'accumulation. En fait de grandes incertitudes existent au niveau de ces phénomènes. Il est très difficile de savoir si le volume d'une calotte augmente ou diminue et on se pose des questions pour savoir si la débâcle récente d'immenses icebergs autour de la péninsule Antarctique est, ou non, liée au réchauffement du climat observé dans cette région (Vaughan et Doake, 1996).

A noter qu'en raison de l'inertie thermique des océans la température moyenne et le niveau de la mer continueraient à augmenter au-delà de 2100 même si la concentration des gaz à effet de serre s'était alors stabilisée. La température n'aurait alors progressé que de 50 à 90 % vers son point d'équilibre et le niveau de la mer continuerait à s'élever pendant de nombreux siècles (Figure 6). Une autre conclusion intéressante concerne le renforcement du cycle hydrologique qui résulterait de l'élévation de la température, d'où un risque d'aggravation des sécheresses et/ou des inondations à certains endroits et une diminution de l'ampleur de ces phénomènes à d'autres.

Des incertitudes et des risques de "surprises"

Les modélisateurs sont bien conscients des différentes sources d'incertitudes et ils ont eu pour objectif dans ces prédictions du rapport IPCC de largement les prendre en compte dans ces prédictions concernant la température moyenne et le niveau de la mer. Celles-ci peuvent donc être considérées comme fiables dans les limites indiquées ci-dessus. Cependant dans l'état actuel des connaissances, la confiance est moindre dans les prédictions climatiques à l'échelle régionale et dans celles qui concernent les précipitations et le cycle hydrologique.

Mais les experts attirent aussi l'attention, et ceci est un point tout à fait nouveau, sur la possibilité de « surprises climatiques ». Cette notion doit beaucoup à la découverte de l'existence de variations climatiques rapides au cours de la dernière période glaciaire et de la transition qui a conduit il y a un peu plus de 10000 ans au climat actuel. Elle est indissociablement liée à l'étude des glaces du Groenland : évoquées à partir des enregistrements obtenus sur le forage de Dye 3 (Dansgaard et al., 1982), ces variations rapides ont été pleinement confirmées à partir des forages GRIP (Johnsen et al., 1992, Dansgaard et al., 1993) et GISP2 (Grootes et al., 1993). Au Groënland, le réchauffement associé est de l'ordre de 10° C, moitié de celui correspondant au passage du climat glaciaire vers le climat actuel. Il s'opère en quelques dizaines d'années et les changements du taux de précipitation et de la circulation atmosphérique qui les accompagnent sont également importants et encore plus brusques. Le retour vers les conditions froides est d'abord lent puis relativement rapide. Ces séquences en « dent de scie » d'une durée de 500 à 2 000 ans se répètent une vingtaine de fois au cours de la dernière période glaciaire (Figure 7).

Comparaison de différents enregistrements climatiques au cours des 140 000 dernières années

Figure 8. Comparaison de différents enregistrements climatiques au cours des 140 000 dernières années

a) variation de la teneur en oxygène des sédiments marins, indicateur du volume des glaces continentales, b) profil de teneur en deutérium à Vostok (Antarctique), c) profil de teneur en oxygène 18 à GRIP (Groenland), d) le même profil à GISP2 (Groenland) e) enregistrements obtenus sur des sédiments marins de l'Atlantique Nord avec indication des niveaux de Heinrich. (Figure adaptée de Jouzel et al., 1994b).


Des résultats récents montrent que celles-ci ne sont pas limitées au Groënland. D'abord, leur structure et les variations de températures associées apparaissent extrêmement similaires à celles associées à des évènements rapides récemment mis en évidence dans des sédiments marins de l'Atlantique Nord (Bond et al., 1993). Ensuite, à chacune d'entre elles correspond généralement une augmentation significative (>100 ppbv) des teneurs en méthane ; celles-ci témoignent très probablement de variations du cycle hydrologique continental aux basses latitudes (la production du méthane est liée à l'étendue des zones inondées) et suggèrent que ces évènements rapides ont influencé le climat de l'hémisphère nord dans son ensemble (Chappellaz et al.,1993). Leur influence dans l'hémisphère sud, où elles se manifestent par des changements moins rapides et moins marqués, est désormais documentée dans les glaces de Vostok (Jouzel et al., 1994 a, Bender et al., 1994). De plus, l'analyse des sédiments marins montre qu'il y a un lien entre ces évènements et la décharge massive d'icebergs provenant des grandes calottes qui existaient alors dans l'hémisphère Nord (Bond et al., 1993). Cette arrivée d'énormes quantités d'eau douce aurait alors contribué à modifier la circulation océanique et par là même le climat, fournissant ainsi une explication raisonnable à l'existence d'instabilités climatiques en période glaciaire.

L'existence d'instabilités climatiques au cours du dernier interglaciaire (l'Éémien, il y a 125 000 ans) a également été évoquée (GRIP project members, 1993) mais les divergences observées entre les séries GRIP et GISP2 (Grootes et al., 1993) indiquaient que la stratigraphie des forages (ou au moins de l'un d'entre eux) avait été modifiée du fait de distorsions liées à l'écoulement de la glace près du socle rocheux. L'analyse des bulles d'air contenues dans ces glaces a, depuis, confirmé qu'aucun des enregistrements n'est fiable au - delà de 100 000 ans (Bender et al., 1994 ; Chappellaz et al., sous -presse). L'idée que les périodes interglaciaires pourraient, elles aussi, connaître des période de forte variabilité climatique n'est cependant pas abandonnée. En témoigne l'intérêt croissant porté au climat de l'Holocéne (les 10 000 dernières années) et au refroidissement brusque survenu il y 8 200 ans. Révélé par l'étude des glaces du Groenland cet évènement brusque, d'une durée totale voisine de 200 ans est désormais document dans les sédiments marins de l'Atlantique Nord et sur les continents adjacents (Gasse et al., 1994, von Graffensten et al., sous - presse). Cet évènement froid est, en particulier, bien marqué en Europe de l'Ouest (Figure 8), Son identification dans les séries de Antarctique, suggérée par Stager et Mayewski (1997), nous semble pour l'instant moins convaincante.


L'existence de ces variations, très probablement liées à des changements de circulation océanique, a conduit les experts de l'IPCC à attirer l'attention sur la difficulté de prévoir, de par leur nature même, des fluctuations inattendues, rapides et de grande ampleur. Dans notre esprit, cette possibilité de surprise invite à réfléchir à la fragilité de notre climat et ajoute à la nécessité de maintenir l'augmentation de l'effet de serre à un niveau tel que le climat du futur soit le plus proche possible de celui que nous connaissons actuellement. De telles surprises seraient synonymes de véritable bouleversement climatique (en cas, par exemple, de modification notable des courants marins comme le Gulf-Stream). Des simulations récentes y apportent une certaine crédibilité indiquant par exemple que le risque modification de la circulation thermohaline augmente en fonction à la fois du niveau stabilisation du CO2 et du rythme d'accroissement des concentrations conduisant à cette stabilisation (Stocker et Schmitter, 1997). Mais même si de telles modifications ne devenaient jamais réalité, les conséquences du réchauffement régulier qui résulterait de l'augmentation de l'effet de serre en l'absence de toute surprise, analysées de façon détaillée dans le rapport du groupe 2 du GIEC, sont suffisamment bien établies pour qu'elles soient considérées très sérieusement.

Les données du passé : un élément essentiel dans le débat sur l'évolution du climat

Cette notion de surprise climatique découle directement des découvertes réalisées, pour l'essentiel au cours des cinq dernières années, par des glaciologues et des paléocénographes. Mais l'intérêt des recherches conduites par les paléoclimatologues s'étend bien au delà de ce seul aspect des variations climatiques majeures survenant à l'échelle d'une vie humaine (et même plus rapidement).

Dans ce domaine de la variabilité du climat, une connaissance détaillée des fluctuations au cours des derniers siècles et millénaires est critique vis à vis de la détection du signal anthropique. Grâce aux études réalisées en milieu marin (coraux) et continental (cernes d'arbres) ainsi qu'à partir de séries glaciaires, cette connaissance a progressé et permet de mieux situer le réchauffement observé au cours du XXe siècle dans sa perspective historique. Elle reste cependant très insuffisante en particulier sur le plan de la couverture géographique,

L'exemple présenté figure 1, illustre l'intérêt des glaces polaires pour reconstituer les variations des forçages climatiques, dans ce cas de l'effet de serre, depuis le début de l'ère industrielle. Il est également essentiel d'évaluer les autres composantes de ce forçage qu'elles soient d'origine naturelle (aérosols volcaniques, activité solaire) ou anthropique (aérosols produits par l'activité humaine). Les glaces polaires contiennent sur chacun de ces aspects des informations pertinentes. Ainsi, elles enregistrent, de façon fidèle, le calendrier et l'intensité des éruptions volcaniques et la concentration des isotopes cosmogéniques y témoigne des variations de l'activité solaire.

De façon intéressante, il apparaît que la sensibilité du climat vis à vis des rétroactions climatiques dépend relativement peu de la période climatique considérée ; elle peut donc être évaluée à partir des données du passé. Ainsi J. Hansen, leader de l'Institut de modélisation du climat de la NASA à New - York (NASA/GISS) voit-il dans cette approche la façon la plus prometteuse de réduire les incertitudes, toujours très importantes, associées à ce paramètre (Hansen et al., 1993). Contrairement à une idée reçue, cette approche ne requiert pas que soit complétement déchiffrée la complexité des mécanismes des grands changements climatiques. Il suffit, lorsque l'on se borne à cet aspect sensibilité du climat, que puissent être correctement estimés les différents forçages qui opèrent à l'échelle des grands changements glaciaires-interglaciaires et les changements climatiques associés. C'est le cas pour le dernier cycle climatique grâce, en particulier au forage Antarctique de Vostok qui a permis de reconstituer l'histoire des variations naturelles de gaz carbonique et de méthane et de mettre en évidence (Figure 9) une relation étroite entre celles -ci et les grandes fluctuations climatiques liées à l'alternance des périodes glaciaires et interglaciaires (Lorius et al., 1990 et Raynaud et al., 1993 pour un récent article de synthèse).


En regard de ces paléodonnées, une valeur de 3 à 4 °C pour la sensibilité du climat, située dans la fourchette utilisée dans les prédictions IPCC, apparaît tout à fait réaliste. Nous reconnaissons que cette approche a certaines limites, en particulier au niveau de l'estimation précise de la variation de température moyenne de la planète dans la passé, mais elle illustre bien le résultat clé mis en évidence à des degrés divers par l'ensemble des modèles climatiques : ce sont des mécanismes d'amplification vis à vis du forçage radiatif lié à l'effet de serre anthropogénique qui devraient opérer au cours des prochaines décennies. D'ailleurs, les résultats obtenus à Vostok ont joué un rôle important dans la prise de conscience de ce problème du réchauffement climatique lié à l'augmentation des gaz à effet de serre. L'extension récente du forage de Vostok qui couvre désormais les quatre derniers cycles climatiques (Petit et al., 1997) devrait permettre d'enrichir notre connaissance des interactions entre climat et effet de serre dans le passé.

Les enregistrements paléoclimatiques contiennent également des informations sur les mécanismes du climat. Les séries marines ont démontré le rôle des changements d'insolation (Hays et al., 1976 ; Imbrie et al., 1992, 1993) et des changements de circulation océanique (Duplessy et al., 1992, Labeyrie et al., 1992). Le rôle de l'insolation est également mis en évidence dans les séries glaciaires (Waelbroeck et al., 1995, Jouzel et al., 1996 et Figure 10) qui contiennent aussi des informations sur l'intensité de la circulation atmosphérique (Petit et al., 1990).


Notre communauté porte actuellement une attention particuliére aux rôles respectifs de l'atmosphère et de l'océan dans le transfert interhémisphérique des signaux climatiques, ceux par exemple associés aux variations rapides mentionnées plus haut. De façon assez surprenante l'hémisphère sud précède, tout au moins pour certaines périodes l'hémisphère nord (Jouzel et al., 1995, Sowers et Bender, 1995, Yiou et al., sous - presse, Blunier et al., soumis) tandis que pour d'autres les deux hémisphères semblent être en phase (Bender et al., soumis). Enfin glaces polaires et sédiments témoignent des interactions entre climat et cycles biogéochimiques (gaz carbonique, méthane ...) d'une part, et entre climat et chimie atmosphérique, de l'autre.

Notre communauté scientifique a pleinement pris conscience de l'intérêt de mieux en mieux documenter les variations passées du climat, d'en identifier causes et mécanismes, et de les modéliser de façon réaliste. Une place de plus en plus importante est désormais faite à ces recherches dans les grands programmes internationaux dédiés à l'étude du changement global. Dés son lancement, au milieu des années 1980, le Programme International Biosphère Géosphère (PIGB) a intégré cette dimension paléoclimatique à travers le projet PAGES (PAst Global changES). Le Programme de Recherche Mondial sur le Climat vient, pour la première fois, de la prendre en compte dans une des actions qu'il coordonne, CLIVAR (CLImate VARiability and predictability). Ce projet (1995 - 2010) dont l'objectif (CLIVAR, 1997) est d'améliorer le compréhension du système climatique, de mieux en appréhender la variabilité, saisonnière et interannuelle, et de prédire son évolution à plus long terme en réponse aux modifications induites par les activités humaines, accorde une large place à l'étude du climat passé de notre planète.