Article | 07/09/2000
L'augmentation de l'effet de serre et ses conséquences
07/09/2000
Résumé
L'évolution de la composition atmosphérique : l'augmentation de l'effet de serre et ses conséquences directes et indirectes. Les modèles de circulation générale de l'atmosphère.
Table des matières
- Introduction
- L'évolution de la composition atmosphérique
- Le rôle des gaz à effet de serre dans le bilan énergétique global
- Modélisation des conséquences d'une augmentation de l'effet de serre
- L'impact climatique d'une augmentation de l'effet de serre
- Les conséquences indirectes du changement climatique
- Les tendances climatiques observées
- En conclusion
- Bibliographie
Ce texte est une version mise à jour d'un article paru dans le n°42 d'avril 1992 de la revue « La Météorologie » pages 21-27, et sous une forme abrégée dans le n°133 de mai-juin 1992 de la revue « Le Courrier ACP-CEE » publiée par la Commission des Communautés Européennes, 200 rue de la Loi, 1049 Bruxelles, Belgique.
Introduction
Depuis plus d'un siècle, les effets conjugués du développement industriel, de la croissance économique et démographique ont profondément transformé notre environnement. Il est maintenant évident que les rejets industriels ont modifié de façon sensible la composition globale de l'atmosphère, qui est en train de changer à une vitesse sans précédent. La quantité de gaz carbonique a augmenté de plus de 25 % depuis la révolution industrielle, et celle du méthane a plus que doublé. Ces gaz jouent un rôle essentiel dans l'équilibre énergétique et le climat de notre planète, en raison de leurs propriétés radiatives. Il devient donc de plus en plus urgent de prévoir l'impact de ces modifications de notre environnement naturel sur le climat, car ces changements de composition de l'atmosphère risquent de se poursuivre et de s'amplifier au cours du vingt-et-unième siècle.
Nous décrirons tout d'abord ce qu'indiquent les observations sur l'évolution de la composition atmosphérique en gaz traces (CO2, CH4, N2O, CFC). Nous verrons ensuite le rôle fondamental que jouent ces constituants dans l'équilibre radiatif de notre planète par l'intermédiaire de leur fameux « effet de serre ». Des modèles numériques de plus en plus complexes ont été développés afin d'estimer les conséquences d'un accroissement de l'effet de serre. Après avoir expliqué l'importance des mécanismes de rétroactions, dans lesquels l'océan et les nuages ont une place centrale, mais encore mal appréhendée par les modèles, nous passerons en revue les résultats des changements climatiques qui font l'objet d'un consensus. Nous conclurons par la nécessité d'améliorer notre connaissance du système climatique global afin de pouvoir mieux observer et prévoir ses éventuelles modifications futures.
L'évolution de la composition atmosphérique
Le phénomène qui a le premier retenu l'attention est l'augmentation de la teneur en gaz carbonique (CO2). Les mesures effectuées de façon systématique depuis 1958 à l'observatoire de Mauna Loa sur l'île d'Hawaii montrent que la concentration de ce gaz s'est accrue de façon régulière depuis 315 ppm (partie par million en volume) en 1958 jusqu'à plus de 370 ppm à la fin du vingtième siècle, soit une augmentation de plus de 15 % en 42 ans (Figure 1). Cette augmentation est confirmée par un grand nombre de mesures en d'autres points du globe. Elle est visible même sur des séries de mesure plus courtes, comme par exemple à la station française sur L'île de la Nouvelle Amsterdam, qui montrent aussi des accroissements de plus de 1 ppm/an. Depuis le début de l'ère industrielle, c'est au total une augmentation d'environ 35 % qu'il faut considérer (la concentration pré-industrielle de CO2 est en effet estimée à 275±10 ppm). Les données qui ont pu être recueillies pour les 160 000 dernières années, au moyen des analyses des bulles d'air fossiles emprisonnées dans les calottes glaciaires de l'Antarctique ou du Groenland, ont révélé que des variations de la concentration du gaz carbonique ont accompagné les changements climatiques majeurs. Les concentrations les plus basses correspondent aux périodes glaciaires, avec des teneurs de 200 ppm lors du dernier maximum glaciaire (il y a 20 000 ans), tandis que les concentrations les plus élevées, observées lors de l'interglaciaire précédent (il y a 120 000 ans), restent inférieures à 300 ppm. Les teneurs actuelles sont donc largement aux valeurs maximales observées au cours des 160 000 ans qui ont précédé l'ère industrielle.
Cette augmentation a pour origine principale la combustion de carbone fossile utilisée comme source d'énergie. Les rejets de gaz carbonique, qui étaient équivalents à 0,5 Gigatonnes de carbone par an (Gt/an) au début du siècle, et 1,5 Gt/an vers 1950, dépassent actuellement 6 Gt/an. La valeur moyenne correspondante par personne et par an, environ 1,1 tonnes de carbone pour l'ensemble de la population mondiale, masque des disparités considérables entre les habitants des pays en voie de développement dont la contribution est seulement de 0,4 t , et ceux des pays industrialisés dont la part s'élève de 2,3 t pour l'Europe, jusqu'à plus de 5 t pour les USA.
Pour d'autres gaz présents dans l'atmosphère en concentration encore plus faible, l'augmentation a été bien plus rapide et spectaculaire que pour le gaz carbonique. C'est le cas notamment du méthane (CH4) dont la concentration a plus que doublé en quelques siècles. Sa concentration actuelle, voisine de 1,7 ppm, a augmenté à une vitesse de près de 1 % par an. Le protoxyde d'azote (N2O) a une concentration de 0,31 ppm et augmente de 0,25 % par an. Quant aux chlorofluorocarbures (CFC), qui sont des composés totalement artificiels dont la production industrielle a débuté un peu avant le milieu de ce siècle, leur concentration a atteint 0,00028 ppm pour le CFC11 et 0,000484 ppm pour le CFC12, avec un accroissement de 4 % par an. En raison de leur augmentation rapide, et parce que leur potentiel d'échauffement global est plus élevé que celui du CO2, ces gaz traces jouent un rôle croissant dans l'augmentation de l'effet de serre. On estime que le gaz carbonique n'est responsable que de 55 % de l'augmentation de l'effet de serre au cours de la décennie 1980-90, la contribution des autres gaz étant de 15 % pour le méthane, 17 % pour les CFC11 et 12, 6 % pour le protoxyde d'azote, et 7 % pour les autres CFC.
La plupart des scénarios d'évolution économique conduisent à la conclusion que, en l'absence d'évènement catastrophique imprévisible tels que conflit généralisé ou crise économique mondiale, et même en développant d'autres sources d'énergies, les émissions de gaz carbonique et des autres gaz à effet de serre dans l'atmosphère devraient se poursuivre au cours d'une grande partie du 21e siècle. Plusieurs scénarios possibles ont été proposés par un groupe d'experts, le Groupe Intergouvernemental sur l'Évolution Climatique (GIEC) (en anglais IPCC), qui ont cherché à évaluer leurs impacts climatiques.
Le rôle des gaz à effet de serre dans le bilan énergétique global
Le modèle le plus élémentaire consiste simplement à écrire le bilan énergétique global du système constitué par la Terre et son atmosphère. Vu de l'extérieur, ce système Terre- Atmosphère apparaît comme un système thermodynamique fermé qui échange de l'énergie avec le reste de l'univers sous forme de flux radiatifs. Sa source d'énergie est fournie par l'absorption du rayonnement provenant du soleil qui a son maximum d'intensité dans les longueurs d'onde visible. Le flux radiatif total, intégré sur tout le spectre solaire, est d'environ 1368 w/m2 sur une surface perpendiculaire aux rayons lumineux et située au sommet de l'atmosphère. La valeur moyenne du flux solaire par unité de surface terrestre est obtenue en divisant ce chiffre par 4 (rapport entre la surface de la sphère terrestre où il est réparti et la section du cylindre contenant le rayonnement incident).
Sur les 342 Watts par mètre carré (W/m2) de rayonnement solaire reçus en moyenne sur l'ensemble du globe au sommet de l'atmosphère, environ 30 % sont renvoyés vers l'espace, tandis que 240 W/m2 sont absorbés dans l'atmosphère et à la surface. L'équilibre énergétique du système Terre-atmosphère est maintenu par l'émission vers l'espace de rayonnement thermique dont le maximum se situe dans l'infrarouge. On calcule facilement, en appliquant la loi de rayonnement de Stefan-Boltzmann, que la température du corps noir rayonnant cette quantité d'énergie est de 255 Kelvin, soit -18°C. Cette température est la température moyenne que l'on observe dans l'atmosphère à une altitude d'environ 5 km, ce qui est approximativement l'altitude au dessous de laquelle se situe la moitié de la masse atmosphérique. Le fait que la température moyenne à la surface du globe soit d'environ 15°C, donc 33 K plus élevée que la température d'équilibre radiatif, s'explique par la présence dans l'atmosphère de gaz ayant des bandes d'absorption dans l'infrarouge, ainsi que par l'effet des nuages. Ce réchauffement de la basse atmosphère, par un filtrage sélectif du rayonnement infra-rouge émis, a été popularisé sous le nom évocateur d'« effet de serre ». (L'analogie avec une serre ne s'applique qu'au résultat, et non aux mécanismes physiques, puisque la vitre d'une serre supprime surtout les échanges turbulents). L'effet de serre de la vapeur d'eau atmosphérique équivaut à un apport supplémentaire de 100 W/m2 dans le bilan radiatif en surface, celui du gaz carbonique n'est que de la moitié avec 50 W/m2, et celui des nuages de 30 W/m2.
Cet effet de serre naturel est essentiel pour l'équilibre énergétique de notre planète, puisqu'il contribue à maintenir à la surface du globe des températures favorables à notre existence. C'est ce qui explique la préoccupation grandissante des scientifiques quant aux conséquences climatiques qui pourraient résulter de l' augmentation actuelle de plusieurs gaz à effet de serre. Les rapports rédigés par le groupe d'experts du GIEC (IPCC, 1990, 1996) ont permis de mettre à jour les connaissances sur ce problème.
Modélisation des conséquences d'une augmentation de l'effet de serre
Au cours des dernières années de nombreuses études ont été effectuées pour évaluer les incidences climatiques d'une modification de l'équilibre radiatif de l'atmosphère produite par un accroissement de l'effet de serre. Les outils de base pour ces simulations sont une hiérarchie de modèles physico-mathématiques de complexité croissante, allant des simples modèles de bilan énergétique, des modèles radiatifs-convectifs limités à une colonne verticale, jusqu'aux Modèles de Circulation Générale de l'Atmosphère (MCGA) qui prennent en compte sa structure tridimensionnelle et sa dynamique et sont couplés à des modèles d'évolution de l'océan.
L'influence possible de ces gaz sur le climat, comme on l'a expliqué précédemment, résulte de leur absorption du rayonnement infra-rouge émis par l'atmosphère. Les diverses bandes d'absorption de ces gaz sont bien connues. Si l'on se donne un profil vertical de température et de concentration des divers gaz on peut calculer de façon assez précise les valeurs du flux radiatif en fonction de l'altitude et les variations de température qui en résultent. Le problème essentiel vient de ce que dans l'atmosphère les profils de température et d'humidité ne dépendent pas seulement des échanges radiatifs, mais également des échanges verticaux de chaleur ou d'humidité dus à des processus physiques complexes (et moins bien connus que le transfert radiatif) tels que la turbulence, la convection, la formation de systèmes nuageux et de précipitations, ainsi qu'à des échanges horizontaux par les mouvements atmosphériques de grande échelle. Parmi les multiples rétroactions qui relient ces divers processus il peut se produire des rétroactions positives qui ont pour effet d'amplifier les variations initiales. De nombreuses études effectuées à l'aide de modèles radiatif-convectifs à une seule dimension verticale ont montré l'importance cruciale de ces mécanismes de rétroaction sur la sensibilité climatique. Par exemple Manabe et Wetherald ont trouvé en 1967 que le réchauffement en surface du à un doublement du CO2, qui dans leur modèle était de 1,3°C avec un profil constant d'humidité absolu, atteignait 2,4°C en prenant un profil constant d'humidité relative. Cette amplification du réchauffement provient de l'addition de l'effet de serre de la vapeur d'eau supplémentaire (qui accompagne dans ce cas l'augmentation de la tension de vapeur saturante avec la température). Les dispersions entre les résultats des divers modèles proviennent ainsi des approximations et des hypothèses qui doivent être introduites pour représenter divers processus physiques, dont certains sont encore assez mal connus. C'est le cas notamment de la nébulosité, qui est une source majeure d'incertitude dans les estimations actuelles.
Les phénomènes d'advection horizontale jouant un rôle important dans les échanges de chaleur et de vapeur d'eau, il est nécessaire d'introduire la dynamique atmosphérique et d'avoir recours à des modèles tridimensionnels représentant la circulation générale de l'atmosphère sur l'ensemble du globe. La réponse des MCGA à l'augmentation du CO2 dépend en partie des conditions aux limites en surface, de sorte qu'il est nécessaire de les coupler à des modèles d'océan, de banquise et de bilan hydrique des sols incluant la végétation.
Ces MCGA sont basés sur les équations de la mécanique des fluides complétés par des schémas de paramétrisation des processus physiques les plus importants (transfert radiatif, turbulence, convection, calcul de la nébulosité et des précipitations, etc...) et sont tout à fait similaires aux modèles de prévision du temps à plusieurs jours d'échéance développés par les services météorologiques. Pour des questions de stabilité numérique leurs équations dynamiques doivent être intégrées dans le temps avec des pas de temps inférieurs à 1 heure. Le calcul de statistiques climatiques sur des simulations de plusieurs dizaines d'années, nécessite des temps de calcul qui se chiffrent en centaines d' heures sur les supercalculateurs les plus performants.
La plupart des expériences ont porté sur l'étude des conséquences d'un doublement du gaz carbonique atmosphérique sur l'état d'équilibre du système climatique. L'effet radiatif direct est une augmentation d'environ 4 W/m2 du bilan infrarouge de la basse atmosphère. La difficulté pour traduire cette perturbation radiative en terme de paramètres climatiques provient de l'existence de nombreux mécanismes de rétroactions, internes à l'atmosphère, qui peuvent amplifier ou modérer cette perturbation initiale. Si les mécanismes radiatifs étaient seuls à intervenir la perturbation du bilan radiatif serait compensée par un réchauffement de 1,1 K des températures en surface. Mais un réchauffement de la basse atmosphère permet à celle-ci de contenir plus de vapeur d'eau, dont l'effet de serre vient s'ajouter à celui du gaz carbonique. Cette rétroaction de la vapeur d'eau amplifie le réchauffement jusqu'à 1,7 K. Le réchauffement est également amplifié jusqu'à 2,2 K par la réduction de la couverture de neige ou de glace qu'il provoque aux hautes latitudes, et qui permet au sol d'absorber davantage de rayonnement solaire. Les divers modèles sont en assez bon accord sur les mécanismes de rétroaction précédents. Les divergences apparaissent lorsqu'on cherche à prendre en compte les rétroactions des nuages. Les modèles qui calculent explicitement l'altitude de la couverture nuageuse simulent généralement une augmentation de l' altitude moyenne comme conséquence du réchauffement de la basse atmosphère. Les nuages plus élevés sont plus transparents pour le rayonnement solaire, et ont un effet de serre plus important que les nuages bas. Cette augmentation de l'altitude des nuages a pour effet de porter à 4,4 K le réchauffement en surface, dans les modèles qui prennent en compte cet effet. Les incertitudes majeures proviennent des propriétés optiques des nuages, encore très mal connues et représentées de façon très rudimentaire dans les modèles actuels : le réchauffement en surface peut alors varier de 1,5 à 4,5 K selon la formulation choisie dans le modèle. Une amélioration de la connaissance et de la prise en compte des propriétés physiques des nuages reste donc nécessaire pour réduire la marge d' incertitude des estimations actuelles de la sensibilité climatique.
Le comportement des océans constitue une autre source d'incertitude dans la prévision des conséquences de l'effet de serre. Le rôle essentiel des océans comme condition aux limites déterminant les échanges énergétiques et hydriques avec l'atmosphère a motivé le développement de modèles couplés atmosphère-océan. Les premières simulations étudiant la réponse à l'équilibre consécutive à un doublement du CO2 ont utilisé des modèles d'océan simplifiés limités à une couche de mélange de profondeur fixée. En raison de l'importance du transport de chaleur par les courants océaniques, des modèles de circulation générale de l'océan sont nécessaires pour prévoir la répartition du réchauffement des températures de la mer. La mise en équilibre d'un modèle couplé incluant la dynamique de l'océan nécessite des simulations de plusieurs centaines d'années. Ces simulations sont donc extrêmement coûteuses en temps de calcul, et ne peuvent être réalisées que dans quelques grand centres de recherche disposant de supercalculateurs dédiés à la modélisation climatique. Des simulations de la réponse transitoire du climat à l'augmentation progressive du gaz carbonique pour les 100 prochaines années ont été réalisées avec des modèles couplés incluant la dynamique de l'océan et de l'atmosphère. Dans ces scénarios, le réchauffement global prévu pour la période équivalent à un doublement de la concentration actuelle en CO2 (vers le milieu du 21e siècle) est plus faible que celui calculé à l'équilibre, en raison du décalage temporel de l'ordre de la dizaine d'années introduit par la forte inertie thermique de l'océan.
L'impact climatique d'une augmentation de l'effet de serre
Malgré les incertitudes sur l'amplitude du réchauffement global, qui comme on l'a vu précédemment varie de 1,5 à 4,5 K pour la réponse à l'équilibre d'un doublement de CO2, la comparaison des résultats des expériences réalisées avec les modèles de circulation générale met en évidence un certain nombre d'effets systématiques qui sont reproduits par la plupart des modèles. Les figures 2 à 4 montrent à titre d'illustration les résultats obtenus avec le modèle de Météo-France. Dans la stratosphère l'augmentation du CO2 produit un refroidissement qui s'accroît avec l'altitude (Figure 2).
Le réchauffement troposphérique augmente avec l'altitude entre les tropiques jusque vers 10 km d'altitude, et avec la latitude près de la surface. Le réchauffement en surface aux hautes latitudes présente des variations saisonnières avec un maximum en hiver et un minimum en été, ce qui entraîne une réduction de l'amplitude du cycle annuel des températures (Figure 3).
L'amplification du réchauffement dans les régions polaires a pour effet de réduire la différence de température entre le pôle et l'équateur. Ceci tend à provoquer une migration vers le pôle des zones climatiques, en particulier des hautes pressions subtropicales et de la ceinture de dépressions des moyennes latitudes, qui pourrait expliquer l'augmentation des précipitations d'hiver entre 50 et 70 ° de latitude.
Dans les simulations, le réchauffement global s'accompagne d'une augmentation de l'évaporation et des précipitations qui varie de 3 à 15 % selon les modèles utilisés. L'accroissement du flux infrarouge en surface augmente en effet l'énergie disponible pour l'évaporation : la pression de saturation de la vapeur d'eau augmentant très rapidement avec la température, une proportion plus grande des échanges turbulents entre l'atmosphère et la surface se fait sous forme de chaleur latente plutôt que sensible, à condition qu'il y ait de l'eau disponible en surface pour cette évaporation, ce qui est le cas sur les océans, mais pas nécessairement sur les continents. L'accroissement des précipitations est concentré autour de l'équateur et au delà de 50° de latitude dans les deux hémisphères, tandis que l'accroissement de l'évaporation est assez uniforme en latitude. Le bilan hydrique des sols (précipitation moins évaporation) a donc tendance à devenir déficitaire entre 10 et 50° de latitude, avec une zone de réduction de l'humidité des sols qui migre en latitude avec les saisons. Aux moyennes latitudes le réchauffement peut entraîner une réduction de la couverture de neige en hiver et une fonte plus précoce au printemps. L'évaporation plus intense conduit à un sol plus sec au printemps et en automne. L'assèchement normal, causé par le déficit du bilan hydrique en été, se produit plus tôt et est plus fort, ce qui augmente la durée et l'intensité des sécheresses estivales à l'intérieur des continents (Figure 4).
Il faut cependant garder à l'esprit que les processus physiques gouvernant le cycle de l'eau sont encore représentés très sommairement, ce qui limite la confiance que l'on peut accorder aux résultats. L'accord entre les différents modèles peut être considéré comme relativement satisfaisant pour les variations en moyennes zonales et saisonnières, mais leurs résultats deviennent très divergents si on examine les changements détaillés au niveau régional. On ne peut donc pas encore les utiliser pour faire des prévisions dans une région géographique particulière.
L'objectif des recherches sur le climat, qui sont coordonnées par de grands programmes internationaux tels que le Programme Climatique Mondial est de réduire la dispersion de ces estimations. Ceci implique d'une part de mieux connaître le système climatique global, notamment au moyen d'observations satellitaires, afin de mieux comprendre son fonctionnement et les interactions entre ses diverses parties (atmosphère, océan, cryosphère, biosphère). D'autre part, il est indispensable d'étudier plus en détail, au moyen de campagnes d'observation appropriées et de modèles de processus, la physique des phénomènes qui peuvent jouer un rôle déterminant dans les rétroactions climatiques, afin de développer des méthodes permettant de les représenter de manière plus rigoureuse dans les modèles de climat. Parmi ceux-ci on peut citer la physique des nuages et ses interactions avec le rayonnement, la chimie atmosphérique, le bilan hydrique à la surface des continents, les interactions océan-atmosphère et la circulation océanique.
Les conséquences indirectes du changement climatique
Une conséquence possible du réchauffement océanique (qui n'apparaît pas dans les modèles actuels, car leur maille n'est pas suffisamment fine pour représenter ces phénomènes) pourrait être de favoriser la formation et le déplacement des perturbations tropicales (typhons, ouragans) jusqu'à des latitudes plus élevées qu'actuellement. Une augmentation de la fréquence ou de l'intensité des cyclones tropicaux ou des modifications dans les trajectoires des tempêtes, pourraient provoquer des inondations et des marées de tempête, et dévaster les zones côtières et les îles exposées. Ce danger pourrait être aggravé par une accélération de la montée du niveau de la mer, qui a été de 1 à 2 mm par an en moyenne globale au cours des 100 dernières années. Selon les projections d'un scénario du GIEC la hausse progressive du niveau des océans, provoquée par leur dilatation thermique ou la récession de glaciers de montagne, pourrait atteindre de 8 à 29 cm en 2030, et 21 à 71 cm en 2070. Ceci pourrait augmenter la fréquence des inondations sur les îles et les basses terres littorales, et conduire à une réduction des réserves côtières d'eau douce, par suite d' intrusions accrues d'eau salée.
Parmi les conséquences indirectes du réchauffement on peut s'attendre à des modifications des conditions hydriques et thermiques en surface qui peuvent avoir des impacts sur l'agriculture, notamment sur le choix des variétés les plus adaptées, et sur les dates des récoltes. Une réduction de l'humidité des sols, donc, de l'évaporation, pourrait augmenter l'amplitude du cycle diurne, et les températures maximales atteintes. Ceci peut avoir une incidence sur la fréquence des incendies de forêt et l'étendue des régions concernées. Les conséquences du changement climatique pourront être défavorables dans certaines régions (par exemple, augmentation des sécheresses et désertifications de régions qui jusqu'à présent avaient des conditions propices à la production agricole), et favorables dans d'autres régions (atténuation de la rigueur des hivers aux hautes latitudes permettant la mise en valeur de régions actuellement peu hospitalières). Mais la vitesse du changement climatique risque d' être un facteur critique. Un changement climatique trop rapide pourrait entraîner un certain nombre de bouleversements écologiques, tels qu'une réduction de la superficie des zones forestières. En effet, la disparition des forêts dans les zones où les conditions climatiques leur sont devenues adverses, sera rapide, tandis que leur réimplantation et leur croissance dans d'autres zones nécessitera des dizaines d'années. A cause de l'amplification du réchauffement aux hautes latitudes, la forêt boréale serait plus menacée que la forêt tropicale.
Les tendances climatiques observées
Les séries de mesures de température de l'océan ( traitées en tenant compte des modifications dans les techniques de mesure par Folland, Parker et Kates, (1984, Nature, 310, 670-673, doi :10.1038/310670a0) montrent des fluctuations globales à l'échelle de la décennie, mais pas de tendance à long terme clairement identifiable, excepté dans la première moitié de ce siècle. La période la plus froide se situe en effet autour de 1905, et la plus chaude entre 1940 -1945. Par contre les températures de l'air en surface mesurées dans les stations météorologiques sur les continents montrent une tendance à un réchauffement global de l'ordre de 0,5°C en un siècle (Jones, 1988). Ces résultats sont confirmés par une étude indépendante effectuée par Hansen et Lebedeff (1987, J.Geophys.Res, 92, 13 345-13 372) qui trouvent une tendance de 0,5 à 0,7°C en un siècle, dont 0,1°C seulement peuvent être attribué à l'effet local de l'îlot de chaleur des villes. Depuis ces publications la tendance au réchauffement s'est poursuivie et les années les plus chaudes sur l'hémisphère nord ont été observées au cours de la dernière décennie. La figure 5 illustre la tendance globale pour l'hémisphère Nord combinant les mesures sur continent et sur océan.
Compte tenu des incertitudes de mesure et du manque d'homogénéité de la répartition globale des observations, les experts estiment que le réchauffement de la température moyenne à la surface du globe au cours des 100 dernières années est compris entre 0,3 et 0,7°C. Les mesures de niveau de la mer enregistrées par les marégraphes montrent une élévation moyenne de l'ordre de 12 ± 5 cm en un siècle, qui semble assez bien corrélée avec le réchauffement global des températures (dilatation de l'eau de mer et fonte de glaces terrestres).
En conclusion
Le réchauffement de 0,3 à 0,7°C de la température moyenne à la surface du globe, ainsi que l'élévation moyenne du niveau de la mer de 10 à 20 cm, observés au cours des 100 dernières années sont compris dans les limites de l'effet pouvant être attribué à l'augmentation observée de 35 % environ du gaz carbonique atmosphérique. Toutefois, ceci ne suffit pas à prouver de façon rigoureuse une relation statistique significative entre ces phénomènes, d'une part, en raison des incertitudes des estimations actuelles de la sensibilité climatique, et d'autre part à cause des imprécisions liées aux conditions d'observation (inhomogénéité des séries de mesure, de leur environnement et de leur répartition géographique) et de la forte variabilité naturelle des températures, aussi bien temporelle que géographique. Les tendances à long terme ne sont pas uniformes et on trouve de nombreuses régions où la tendance est au refroidissement. Un examen de la carte de l'écart type interannuel des températures montre que cet écart-type atteint plusieurs degrés aux moyennes et hautes latitudes. Les anomalies climatiques les plus spectaculaires sont d'assez courte durée et proviennent des fluctuations spontanées de la circulation atmosphérique. Ces anomalies climatiques temporaires font partie des aléas climatiques normaux et les chroniques historiques (répertoriées par exemple dans l'ouvrage de l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie Histoire du climat depuis l'an mil) montrent sans équivoque l'existence de fluctuations interannuelles d'aussi grande ou de plus grande ampleur, dans un sens comme dans l'autre, dans des périodes antérieures à la révolution industrielle. Il faut donc se garder de la confusion entre phénomène extrême et changement climatique. Le changement climatique que pourrait provoquer l'augmentation du CO2 et des autres gaz trace est justement un phénomène qui risque, en raison de sa lenteur, de rester longtemps peu spectaculaire et complètement masqué par la variabilité atmosphérique.
Cependant, la poursuite des transformations de l'environnement produites par l'activité économique, et en particulier les modifications de la composition atmosphérique, pourrait atteindre, dès la première moitié du 21e siècle, une ampleur suffisante pour provoquer un réchauffement sensible des températures de surface et affecter les conditions climatiques de vastes régions du globe. Dans les planifications à long terme il est donc nécessaire de tenir compte d'une certaine marge d' incertitude sur les changements climatiques.
L'interaction réciproque qui est en train de s'établir entre la civilisation industrielle et les conditions climatiques sur l'ensemble du globe, va confronter l'humanité toute entière à une nouvelle responsabilité de gestion collective de la composition de l'atmosphère, avec comme implication la nécessité de stabiliser et de maintenir cette composition dans des limites assurant un régime climatique propice à son développement. Pour l'instant l'une des priorités doit être de parvenir à une estimation plus précise et plus détaillée de l'impact des gaz à effet de serre sur le climat en réduisant les incertitudes sur les mécanismes climatiques mis en jeu, ce qui nécessite la mise en œuvre de programmes de recherche ambitieux et bien coordonnés entre toutes les disciplines scientifiques qui se consacrent à l'étude de l'environnement terrestre. Les programmes internationaux tels que le Programme International Géosphère Biosphère (PIGB), le Programme Climatique Mondial de l'OMM ou les divers Programmes de Recherche sur la Climatologie et l'Environnement financés la Commission des Communautés Européennes, ainsi que des programmes nationaux (tels que en France le Programme National d'Étude de la Dynamique du Climat), montrent que la communauté scientifique est mobilisée pour développer les recherches interdisciplinaires indispensables pour évaluer avec une précision croissante les conséquences climatiques de l'augmentation de l'effet de serre.
Bibliographie
Documents de synthèse ou de vulgarisation
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