Article | 31/08/2021
Dynamique de l'obduction : un processus avec deux temps forts
31/08/2021
Résumé
Perturbation géodynamique, subduction intra-océanique, semelle métamorphique et mise en place d'une nappe ophiolitique.
Table des matières
Avant-propos – Qu'entend-on par obduction et ophiolites ?
Que recouvrent les notions d'obduction et d'ophiolite ?
Le premier terme, obduction, correspond à un processus géodynamique à part entière mais un peu mystérieux et, on le verra, assez occasionnel : il représente actuellement environ 1 % des zones en convergence sur la planète (au niveau de l'ile de Timor, située au Nord de l'Australie ; Lallemand, 2001 [10]). Sporadique, voire spasmodique, l'obduction ? Par delà la parenté sémantique, quel lien ce processus entretient-il avec la subduction ?
Le second terme, ophiolite, renvoie à ces morceaux de lithosphère océanique le plus souvent retrouvés au sein des orogènes, constituant des lambeaux plus ou moins continus sur des échelles allant de la dizaine à quelques centaines de kilomètres.
L'obduction aboutit à la mise en place d'ophiolites. Mais toutes les ophiolites sont-elles obductées ? Quand, pourquoi, comment se déroule l'obduction ? Aboutit-elle nécessairement à la genèse ou à la préservation d'ophiolites ? De quels processus de la dynamique terrestre est-elle le marqueur, le stigmate ?
Des articles de Planet-Terre traitent déjà pro parte des ophiolites. Un accent plus marqué est donc mis ici sur l'obduction avec une présentation en 3 volets :
Le temps de l'obduction court depuis le démarrage de la subduction intra-océanique (qui sonne l'adieu, en quelque sorte, au plancher des plaines abyssales tranquilles) jusqu'au stade où la lithosphère océanique repose, comme aujourd'hui au Nord du sultanat d'Oman, dans son catafalque sombre posé sur le continent : l'ophiolite.
On peut distinguer trois phases principales :
– le déclenchement, ou nucléation de l'obduction, lorsque s'initie la subduction intra-océanique ;
– la période de subduction intra-océanique, suivie de la subduction de la marge continentale ;
– la mise en place, ou superposition effective des lithosphères océaniques et continentales par subduction (sous-charriage) de la lithosphère continentale – jusqu'à ce que celle-ci, défavorable du point de vue gravitaire, s'enraye et cesse.
Source - © 2007 D'après Agard et al. [1]
Il peut être utile de s'interroger sur les paramètres-clés susceptibles d'influencer l'obduction, et certaines de ses manifestations essentielles ou probables (quelques-unes sont listées sur la figure 13). Parmi les paramètres qui viennent à l'esprit, et peuvent de fait être testés par des modélisations thermo-mécaniques (cf. partie modélisation, ci-dessous), on peut citer :
– les forces aux limites ; l'âge et la résistance mécanique des plaques ;
– la quantité de subduction intra-océanique ; le caractère plus ou moins aminci (et “subductable”) de la marge continentale ;
– la quantité de lithosphère continentale subductée ; l'existence ou non d'une rupture de panneau plongeant (slab breakoff) ; les processus d'extension tardi-tectonique, d'érosion, voire de glissement gravitaire.
En réalité, de l'intégralité du processus seuls le début et la fin sont préservés dans la nature.
Première étape – Le déclenchement de l'obduction : l'initiation (difficile) de la subduction
Deux témoins privilégiés enregistrent une partie de ce processus d'initiation (Fig. 14a) :
– sous l'ophiolite, la semelle métamorphique, constituée d'écailles tectoniques distinctes et diachrones, accolées de manière successive ;
– la partie basale du manteau de l'ophiolite, située immédiatement au-dessus et au contact de la semelle, très déformée sur une épaisseur de quelques centaines de mètres à un kilomètre.
En dessous et à la base de l'ophiolite : la paire semelle-manteau
La semelle ophiolitique est composite et présente couramment la structuration suivante, de haut en bas (Fig. 14b ; Soret et al., 2017 [17]) :
- des unités tectoniques de haute température séparées par des contacts tectoniques, et dont les conditions métamorphiques diminuent vers le bas, depuis des conditions granulitiques à amphibolitiques, de 850°C vers 30 km de profondeur (~1 GPa) à 600°C vers 15-20 km de profondeur (0,5 GPa). Ce sont les semelles HT (et plus précisément, HTa, HTb).
- des unités tectoniques de moindre degré métamorphique, de faciès schistes verts ou amphibolitique tout au plus, présentant un contenu en sédiments nettement supérieur sinon exclusif, forment les semelles BT.
- l'épaisseur des écailles croît vers la base de la semelle, soulignant un contraste lié à l'épaisseur initiale de matériel accrété (à un instant t) et/ou à l'intensité de la déformation cumulée (par exemple avec un cisaillement et un aplatissement moindres des semelles BT par rapport au semelles HT).
Ce dispositif lithologique et métamorphique de la semelle atteste d'un écaillage ou “rabotage” progressif accompagnant la naissance de la subduction (Fig. 14c ; cf. figure 7 du volet #1) :
– (1) l'écaillage affecte tout d'abord l'ensemble de la croute – les basaltes, et parfois le complexe filonien – puis apparait restreint aux niveaux les plus superficiels – les sédiments – puis cesse tout à fait (étapes 1 à 3 sur la Fig. 14c) ;
– (2) la formation et l'accrétion progressive de la semelle implique des matériaux graduellement moins métamorphiques, HT puis BT ; d'abord de faciès granulitique, puis amphibolitique et enfin schistes verts, ceci trahit un refroidissement général du système en même temps qu'un écaillage de plus en plus pelliculaire.
La base du manteau de l'ophiolite, constituée de péridotites foliées à “basse température”, montre des déformations et transformations comparables (Fig. 15). Elle se marque en effet par une déformation progressive dans un contexte de refroidissement : associée à celle de la semelle, comme en témoigne l'orientation des linéations et des foliations, cette déformation s'effectue entre ~900°C et 650°C et de manière de plus en plus localisée. Tout d'abord distribuée sur une épaisseur de plusieurs centaines de mètres, décelable dans les tectonites porphyroclastiques et protomylonites (Fig. 15), elle affecte une zone de plus en plus restreinte, à mesure que la température décroît, aux seuls abords du contact : c'est là que s'y concentrent les ultramylonites (Fig.15).
Cette déformation s'accompagne d'un transfert de fluides et d'éléments chimiques depuis la semelle vers le manteau ophiolitique, décelé par la nature et l'évolution des compositions des minéraux et les concentrations en éléments traces des péridotites. Les modélisations isotopiques montrent en outre que cette percolation de fluides dérivés du slab procède à des vitesses de l'ordre du mètre par an (Prigent et al., 2018 [14]).
La base de l'ophiolite offre donc, incidemment, un témoignage essentiel sur les transferts d'éléments en subduction, peu après son démarrage (Fig. 15).
L'arrachement des semelles métamorphiques : un processus mécanique fondamental
Comment comprendre l'arrachement au panneau plongeant du matériel constituant les (futures) semelles ? Comment expliquer leur juxtaposition précoce à la base de l'ophiolite, dont témoigne la déformation conjointe avec la base du manteau ? Ou encore l'évolution temporelle des conditions de cet arrachement, de plus en plus froid et pelliculaire, et sa cessation (Fig. 14c) ?
Cet écaillage nécessite un couplage mécanique fort, et révèle par là une résistance à l'enfoncement. Il se trouve en effet que le panneau plongeant rencontre un manteau dont la résistance croît avec la profondeur.
On peut représenter ceci schématiquement à l'échelle du slab : l'extrémité du slab rencontre tout d'abord un manteau relativement froid (point 1 sur la Fig. 16a), susceptible, jusqu'à ~600°C, d'être serpentinisé, notamment par les fluides libérés à mesure que se réchauffe le slab. Or la serpentine est un minéral notoirement peu résistant mécaniquement. L'apex du slab rencontre ensuite un manteau plus chaud et, partant, plus sec : la serpentine n'y est plus stable, et seules de faibles quantités de minéraux hydratés y persistent et disparaissent (chlorite, amphibole). Un manteau de plus en plus dur, donc, comme le souligne l'évolution entre les points 1 et 1" (Fig. 16a).
On peut également se servir des lois mécaniques / rhéologiques pertinentes pour les matériaux des plaques supérieure et inférieure (Fig. 16b) afin de comparer leurs évolutions.
Des points 1 à 1" on s'aperçoit que la viscosité effective (c'est-à-dire la résistance) de la croute océanique du slab diminue alors que celle des roches du manteau sus-jacent, au départ moindre, augmente. Lorsque les deux résistances deviennent comparables se produit un couplage visqueux : l'absence de contraste rhéologique équivaut à un accolement des deux plaques (on peut faire une analogie simple : il est plus facile de faire se déplacer une plaque de beurre contre une plaque de métal que contre une autre plaque de beurre ; à titre d'ordre de grandeur le découplage des plaques vis-à-vis du manteau asthénosphérique est permis par un contraste de viscosité de l'ordre de 100). Ce couplage visqueux engendre un blocage transitoire et entrave la progression de la subduction : il se résout manifestement par l'arrachement de la semelle, lorsque la toute jeune interface de subduction “saute” vers le bas, et se relocalise sous l'écaille, qui devient alors une semelle (Fig. 16a).
Ce couplage entre semelle et péridotites foliées enregistre donc les tous premiers stades de la disparition de la lithosphère océanique, vers 30 km de profondeur, alors que la subduction balbutie encore (Fig. 16c) : la déformation est distribuée sur une épaisseur caractéristique dépassant le kilomètre, avant que le système ne parvienne à localiser cette déformation le long d'une véritable “interface” d'épaisseur métrique à centimétrique (comme l'ont montré les forages récents au niveau de la zone de subduction de Nankai).
Le refroidissement graduel de l'interface de subduction, à mesure que s'enfonce/advecte une plaque assez froide, met un terme au problème : la zone de stabilité des minéraux serpentineux s'étend vers le bas, le manteau de la plaque supérieure peut ainsi être serpentinisé de plus en plus profondément, et le couplage et l'arrachement des semelles cessent (Fig. 16c).
Ceci explique la succession de semelles distinctes, diachrones : tout d'abord HT et mafique, impliquant l'ensemble de la croute supérieure, c'est-à-dire les basaltes et leur fine enveloppe de sédiments ; puis vient le tour de la semelle BT essentiellement sédimentaire, trahissant un écaillage de plus en plus superficiel (on peut appliquer le même raisonnement que celui fait pour les points 1-1'-1" pour le basalte, aux sédiments illustrés par la courbe rouge dans la Fig. 16b).
L'existence de la paire semelle-manteau, systématique sous les ophiolites, résulte donc directement des caractéristiques rhéologiques du globe.
Couplage visqueux et genèse éventuelle d'une lithosphère supra-subduction : la future ophiolite
De ce processus, dont la paire semelle-manteau représente la partie visible / exhumée, découle un autre aspect important : le point de couplage visqueux s'approfondit avec le temps, puis se stabilise lorsque le régime thermique stationnaire de la subduction est atteint. Il est donc probable que des “semelles” issues du couplage continuent à se former, de plus en plus profondément, mais ne sont pas remontées. On peut avancer qu'elles sont trop denses : celles formées plus profondément, à mesure que la croute du panneau plongeant se transforme, contiennent beaucoup de grenat et atteignent ainsi une densité plus forte que celle du manteau environnant.
La Fig. 16d illustre cette évolution du couplage visqueux et la stabilisation / viabilisation de la subduction vers ~80-100 km de profondeur (on le sait, de manière indépendante, via l'enregistrement fossile des reliques subductées). Cette évolution joue un rôle essentiel dans la naissance du couplage profond et des mouvements mantelliques associés à la présence de ce nouveau slab : cette stabilisation de la subduction, ou “slabitisation”, aboutit à la mise en place du volcanisme d'arc.
Ce couplage initie en effet un contre-courant mantellique et entraine, par décompression et apport de fluides, une fusion du manteau à l'origine d'un magmatisme d'arc embryonnaire (Fig. 17 ; basaltes d'avant-arc, boninites) : c'est la formation locale d'une lithosphère océanique en contexte océanique de supra-subduction, comme en on connait dans le Pacifique Ouest, dans l'arc Izu-Bonin-Mariannes (Stern et Bloomer, 1992 [18] ; Ishizuka et al., 2014 [8]).
Voici donc constituée une lithosphère toute “nouvelle”, comme la future ophiolite de Semail.
Au bout de quelques millions d'années apparait la fusion hydratée en profondeur, source des magmas andésitiques. À la faveur de cette évolution, l'interface de subduction est aussi devenue “découplée” mécaniquement sur le long terme, ou “lubrifiée”, jusqu'à une profondeur de l'ordre de 80-100 km. Cette phase d'initiation et de “slabitisation” accompagne la naissance d'un nouveau slab, et son intégration progressive à la convection mantellique.
Cette évolution joue un rôle essentiel dans la genèse puis la mise en place de l'ophiolite. Les dimensions caractéristiques de l'objet “ophiolite”, couvrant plusieurs centaines de kilomètres, signent d'ailleurs l'échelle du processus : c'est sensiblement la distance à parcourir par un nouveau slab – c'est-à-dire une nouvelle subduction – pour atteindre la zone de transition mantellique située entre 410 et 660 km de profondeur.
Dans le cas de Semail, l'ensemble du processus dure environ 10 Ma : les transformations et l'enfouissement des semelles s'échelonnent entre 105-100 et 95 Ma, alors que l'ophiolite a livré des âges très resserrés, autour de 95 Ma (voir la figure 9 du volet #1).
Une question demeure : ne resterait-il pas quelque part un peu de la vieille lithosphère océanique sous/dans laquelle s'est amorcée la subduction intraocéanique (Fig. 17) ?
Ce cas de figure n'est toutefois pas le seul possible, probablement car l'évolution ne va pas toujours jusqu'à son terme. En effet, l'initiation de subduction intra-océanique ne s'accompagne pas systématiquement de la formation d'une lithosphère de supra-subduction (voir la figure 8 du volet #1).
Dans certains cas l'ophiolite obductée s'avère bien plus vieille que l'âge de démarrage de la subduction : plus vieille de 80-90 Ma en Arménie (Rolland et al., 2020 [16]), ou de 30-40 Ma dans l'Est de l'Iran (Jentzer, 2020 [9]). Les semelles y montrent du reste des conditions de pression et températures moindres (autour de 0,6-0,7 GPa et 600-700°C), suggérant un couplage avec du manteau d'une lithosphère déjà partiellement refroidie. Une interprétation possible est que la subduction intra-océanique ait été de moindre ampleur : certes suffisante pour initier un chevauchement amenant in fine la lithosphère océanique en position d'ophiolite, mais insuffisante pour amorcer la création d'un contre-courant mantellique à l'origine d'une nouvelle lithosphère.
L'obduction aboutit donc à la mise en place d'ophiolites jeunes (supra-subduction) ou vieilles (héritées) ! Pour toutes les obductions, la localisation de la toute première interface de subduction doit en tout cas être assez pelliculaire au sein du manteau de la lithosphère océanique en train de devenir la plaque supérieure : ceci est nécessaire pour expliquer les faibles profondeurs de couplage enregistrées quelles que soient les semelles, entre 20 et 30-35 km.
Deuxième étape – La toute fin : mise en place de la nappe ophiolitique sur le continent
Qu'il s'agisse des ophiolites de Turquie ou d'Oman (ou, dans une moindre mesure, de celle de Terre-Neuve) on observe, dans l'ancienne marge continentale située sous l'ophiolite, des roches présentant un métamorphisme de haute pression basse température (Fig. 18), signe que cette marge est elle aussi passée en subduction.
En Oman, structuralement en-dessous de la base de l'ophiolite et de sa semelle, affleurent des sédiments pélagiques raclés lors du sous-charriage de la partie distale de la marge continentale (les unités d'Hawasina) et, plus bas encore, des roches métamorphiques de faciès... schistes bleus et éclogites !
Voici donc les témoins d'une subduction mais il s'agit, cette fois, de celle du continent. Ces anciennes portions de la marge continentale arabe (unités du Saih Hatat et Jabal Akhdar ; Fig. 18) sont en effet reconnaissables à leurs métasédiments d'âge permien, ou protéro-paléozoïques et victimes d'un métamorphisme antérieur. Elles ont plongé à leur tour en subduction, atteignant des profondeurs de l'ordre de 70 km pour celles du Saih Hatat (Yamato et al., 2007 [19]).
On connait l'âge d'enfouissement maximum de ces roches continentales : autour de 80 Ma. Leur exhumation se marque par des déformations ductiles spectaculaires (Fig. 19). Les grands plis formés à cette époque et le cisaillement intense enregistré par ces roches attestent qu'elles ont dû remonter peu ou prou le long de l'interface de subduction, bientôt totalement grippée. La subduction continentale est en effet transitoire, la faible densité de la marge continentale s'opposant à une subduction plus poussée (Fig. 18, Fig. 20). En surface, l'ophiolite sus-jacente enregistre, elle, des déformations extensives assez modestes, et la genèse de bassins sédimentaires localisés. Toute convergence a disparu dès 75-70 Ma.
Le métamorphisme HP-BT de la marge continentale aura duré au maximum 10 Ma, un temps tout à fait caractéristique dans le cadre des obductions (Agard et Vitale-Brovarone, 2013 [4]).
On peut remarquer, là encore, combien l'enregistrement est sélectif : du point de vue de la déformation, c'est l'histoire d'exhumation qui est préservée (Fig. 19 ; Agard et al., 2010 [3]). Celle d'enfouissement est partiellement fossilisée dans les minéraux mais les structures macroscopiques associées ont été largement effacées.
On peut dresser un bilan général pour l'exemple de l'ophiolite de Sémail (Fig. 20, Fig. 21).
Il illustre une caractéristique importante, que l'on retrouve dans de nombreux contextes d'obduction (cf. la Nouvelle-Calédonie dans le volet #3) : le rôle qu'ont les hétérogénéités crustales au sein de la marge continentale, notamment les contrastes latéraux sur la structure finale de l'ophiolite.
Les deux secteurs du Saih Hatat (à l'Est) et du Jebel Akhdar (à l'Ouest) montrent en effet des contrastes importants sous l'ophiolite :
– dans le Saih Hatat une subduction jusque vers 70 km de profondeur, une déformation cisaillante majeure associée à l'exhumation, une marge affectée par la mise en place d'intrusions mafiques lors du rifting permien de la Néotéthys ;
– dans le Jebel Akhdar, une subduction tout au plus vers 20-25 km, pas d'intrusions mafiques d'âge permien, peu de déformation visible directement associée à l'obduction.
Ces contrastes sont également visibles au large, dans le Golfe d'Oman (Fig. 21 ; Ninkabou et al., 2020 [12]) : du côté du Jebel Akhdar, la présence de chevauchements affectant la prolongation en mer de l'ophiolite – formés vers 80 Ma, et de bassins sédimentaires marqués par un remplissage profus et des debris flows datés du Maastrichtien, vers 75-70 Ma ; rien de tel en mer, en revanche, en face du Saih Hatat.
Ces contrastes s'observent de part et d'autre d'un accident majeur, le Semail Gap : on considère généralement qu'il s'agit d'une ancienne faille héritée de l'orogenèse panafricaine. Son orientation Nord-Sud est en effet compatible avec celles délimitant les grands domaines tectoniques juxtaposés lors de cette orogenèse.
En comparaison, la structure de l'ophiolite parait peu contrastée, si ce n'est que l'empreinte supra-subduction semble mieux exprimée à l'Ouest du Semail Gap (Python et al., 2008 [15]) : les structures océaniques décrites au sein de l'ophiolite semblent continues de part et d'autre (Nicolas et al., 2000 [11]), et les valeurs des rotations paléomagnétiques en continuité (van Hinsbergen et al., 2019 [7]). Ceci montre, au passage, que l'exhumation des roches de haute pression basse température du Saih Hatat s'est effectuée à la faveur d'un contact tectonique assez plat sous l'ophiolite, qu'elle a laissée relativement indemne.
On peut, enfin, souligner que l'obduction ne livre qu'un maigre enregistrement sédimentaire syntectonique. Partiel et exclusivement dans la partie à l'Ouest du Semail Gap, l'apport sédimentaire démarre pour l'essentiel lorsque le système d'obduction passe en régime extensif (Fig. 21 ; Ninkabou et al., 2020 [12]). Ceci suggère que l'essentiel de la phase compressive de l'obduction s'est déroulée sans érosion significative, vraisemblablement “sous l'eau”, et que l'émersion effective de l'ophiolite coïncide avec les stades d'exhumation terminale des unités subductées visibles au sein du dôme du Saih Hatat.
La crise de l'obduction aura donc duré en tout environ 25 Ma.
In fine, c'est la subduction continentale qui permet la mise en place effective de l'ophiolite, c'est-à-dire sa superposition au continent. Elle assure également sa bonne préservation – du moins si l'obduction n'est suivie d'aucune collision trop sévère (comme c'est le cas, par exemple, pour les lambeaux d'ophiolites dilacérés dans la suture himalayenne ; figure 1 du volet #1).
L'évolution décrite en Oman est-elle généralisable ? Sans doute très largement, même si toutes les ophiolites sont loin d'avoir été étudiées avec un tel luxe de détails. On pourra s'en convaincre avec l'exemple de la Nouvelle-Calédonie (volet #3).
Sait-on modéliser l'obduction ?
L'obduction est à la fois un accident et une impasse (géodynamique) de courte durée, de 20 Ma environ. Elle peut être vue, à l'échelle des plaques, comme le résultat d'un changement dans le partitionnement de la déformation entre les différentes zones de convergence, comme cela a été illustré à travers des modèles analogiques (Agard et al., 2014 [5]).
À l'heure de la multiplication des modèles géodynamiques numériques, thermo-mécaniques, cette évolution menant à l'obduction peut-elle être reproduite et modélisée de manière véritablement quantitative ? C'est l'exercice auxquels certains se sont récemment livrés (Duretz et al., 2016 [6] ; Porkolab et al., 2021 [13]).
Naturellement, l'exploration systématique de l'ensemble des paramètres conduit à un jeu de possibilités extrêmement vaste, presque infini (cf. Fig. 13). On peut toutefois, moyennant certaines hypothèses, s'approcher d'une reproduction du processus ou de certaines de ses étapes. La validation passe alors par la comparaison finale de la géométrie des modèles ou des évolutions prédites pour les roches subductées puis exhumées, au travers de chemins P-T-t synthétiques (Fig. 20b).
On voit ici à quel point les contraintes métamorphiques et radiochronologiques, tant pour les semelles métamorphiques que pour les schistes bleus et éclogites du Saih Hatat, sont précieuses pour contraindre l'évolution en profondeur, et ainsi la dynamique lithosphérique, voire convective, du processus d'obduction. Ce sont des données dont la modélisation numérique peut faire usage, ce qui est plus difficile pour la modélisation analogique.
L'accord entre les modèles et la nature n'est pas mauvais, au premier ordre (Fig. 20b), qu'il s'agisse des conditions P-T, de la géométrie d'ensemble – avec les dômes métamorphiques notamment, ou de la durée totale du processus. Les modèles futurs devront cependant prendre en compte une échelle plus large, qui n'impose pas le passage en extension comme c'est le cas ici (Fig. 20b), mais permettre aussi la genèse d'une lithosphère de type supra-subduction, et son obduction finale... sans “subterfuge” numérique.
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