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Article | 01/09/2021

Ophiolites et fragments ophiolitiques : exemples pris dans le cadre français

01/09/2021

Philippe Agard

Institut des Sciences de la Terre Paris (ISTeP), Sorbonne Université

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

L'ophiolite de Nouvelle-Calédonie et les fragments alpins du Chenaillet et du Viso.


Avant-propos – Qu'entend-on par obduction et ophiolites ?

Que recouvrent les notions d'obduction et d'ophiolite ?

Le premier terme, obduction, correspond à un processus géodynamique à part entière mais un peu mystérieux et, on le verra, assez occasionnel : il représente actuellement environ 1 % des zones en convergence sur la planète (au niveau de l'ile de Timor, située au Nord de l'Australie ; Lallemand, 2001 [12]). Sporadique, voire spasmodique, l'obduction ? Par delà la parenté sémantique, quel lien ce processus entretient-il avec la subduction ?

Le second terme, ophiolite, renvoie à ces morceaux de lithosphère océanique le plus souvent retrouvés au sein des orogènes, constituant des lambeaux plus ou moins continus sur des échelles allant de la dizaine à quelques centaines de kilomètres.

L'obduction aboutit à la mise en place d'ophiolites. Mais toutes les ophiolites sont-elles obductées ? Quand, pourquoi, comment se déroule l'obduction ? Aboutit-elle nécessairement à la genèse ou à la préservation d'ophiolites ? De quels processus de la dynamique terrestre est-elle le marqueur, le stigmate ?

Des articles de Planet-Terre traitent déjà pro parte des ophiolites. Un accent plus marqué est donc mis ici sur l'obduction avec une présentation en 3 volets :

Un autre exemple : l'ophiolite de Nouvelle-Calédonie

L'ophiolite de Nouvelle-Calédonie, non métamorphisée également, s'étire sur environ 400 km de long. Elle repose sur un socle continental apparenté à la ride de Howe, l'ensemble appartenant à la marge orientale du continent australien étirée au cours du Mésozoïque (Cluzel et al., 2001 [8], 2012 [9]). Elle montre, comme en Oman, de forts contrastes latéraux : harzburgitique dans la partie Sud, sans roche HP-BT exhumées ; lherzolitique au Nord, superposée aux schistes bleus et éclogites de la péninsule de Pam, étudiés de longue date (par exemple, Brothers et al., 1974 [7]).

La semelle métamorphique affleure dans le centre de l'ile, près de Thio (Cluzel et al., 2016 [10]). Moins bien préservée qu'en Oman, largement altérée, les conditions métamorphiques qu'enregistrent ses amphibolites à grenat sont cependant similaires. Elle est datée de 55 Ma.

L'ophiolite de Nouvelle-Calédonie

Figure 22. L'ophiolite de Nouvelle-Calédonie

a) Carte et coupe géologiques simplifiées de l'ile de Nouvelle-Calédonie.

b) Détail de l'évolution des températures à travers le dôme métamorphique de la péninsule de Pam, au Nord-Ouest de l'ile, homologue du dôme du Saih Hatat en Oman.

c) Similitudes des évolutions métamorphiques des unités de HP-BT situées sous la nappe ophiolitique en Nouvelle Calédonie et en Oman.


Schistes bleus et éclogites montrent des profondeurs, une évolution et des modalités d'empilement éminemment comparables à ce qui est observé en Oman (Fig. 22 ; Agard et Vitale-Brovarone, 2013 [3] ; Vitale-Brovarone et al., 2018 [18]). Leur pic d'enfouissement, légèrement diachrone (Pouébo : 44-42 Ma; Diahot: 40-38 Ma) intervient environ 15 Ma après la formation de la semelle métamorphique, comme en Oman.

L'ensemble du processus montre une durée comparable, autour de 20 Ma (Fig. 23).

Scénarios d'évolution tectonique pour la Nouvelle-Calédonie

Figure 23. Scénarios d'évolution tectonique pour la Nouvelle-Calédonie

a) Selon Vitale-Brovarone et al., 2018.

b) Selon Lagabrielle et al. (communication personnelle).

c) Reconstitution géodynamique pour l'ophiolite d'Oman (voir figure 20 du volet #2).


Des phénomènes d'extension, dès 35-30 Ma, prennent le relais de la convergence associée à la formation de la semelle et à la subduction de la marge continentale. Ils persistent pendant environ 20 à 30 Ma (Lagabrielle et al., 2013 [11] ; Patriat et al., 2018 [16]) – une situation à nouveau comparable à celle de l'Oman (cf. Fig. 23c et figure 20 du volet #2).

La mise en place de l'ophiolite est, là encore, “passive” : elle est rendue possible par le blocage de la subduction continentale, la subduction intra-océanique ayant tourné à l'impasse (Fig. 23). Le même schéma prévaut pour l'obduction du bassin arrière-arc de Timor, au niveau de la mer de Banda (Fig. 24).

Carte de la mer de Banda figurant l'ile de Timor

Figure 24. Carte de la mer de Banda figurant l'ile de Timor

Une nappe ophiolitique très récente y est décrite, avec une semelle métamorphique et des unités HP-BT en dessous.


Il y a ophiolite et ophiolite : les fragments “ophiolitiques” du Viso ou du Chenaillet

Contrairement aux ophiolites vraies qui s'étendent sur des centaines de kilomètres, les fragments “ophiolitiques” présentent des péridotites plus ou moins serpentinisées, des gabbros, des basaltes et des sédiments étroitement associés mais de moindre extension (0,1-10 km de long) et dépourvus de semelle métamorphique.

Certains sont restés indemnes de transformation depuis leur formation au sein de la lithosphère océanique ; d'autres ont été métamorphisés à des profondeurs variables lors d'un épisode de subduction, et transformés dans les faciès des éclogites et des schistes bleus (Agard et al., 2009 [4], 2018 [2]).

Le schéma de la figure 25, ci-dessous, souligne les modalités de leur mise en place, radicalement différente de celles des ophiolites “vraies”.

Mise en place des fragments ophiolitiques

Figure 25. Mise en place des fragments ophiolitiques

Où et comment distinguer ophiolites vraies et copeaux de lithosphère océanique : un problème de taille... et de contexte géodynamique !


Des exemples célèbres existent sur le territoire métropolitain (et en Italie près de la frontière). Les géologues “alpins” ont coutume d'opposer l'intensité métamorphique des basaltes et gabbros des massifs du Chenaillet, du Queyras ou du Viso (Fig. 26 ; Schwartz, 2000 [17]), qui sont respectivement hydrothermalisés, équilibrés en faciès schiste bleu ou en faciès éclogite.

Quelques fragments ophiolitiques alpins

Figure 26. Quelques fragments ophiolitiques alpins

a) Carte de localisation des massifs évoqués ci-après.

b) Laves en coussin (pillow-lavas) du Chenaillet, exempts de métamorphisme HP-BT.

c) Pillow-lavas de l'unité schiste bleu du Mont Viso (voir Fig. 27).

d) Anciens pillow-lavas éclogitisés des fragments ophiolitiques de Zermatt-Saas.

e) Anciens gabbros éclogitisés de l'unité du Lago Superiore, Mont Viso.


Le cas du Chenaillet

Situé à l'Est de Briançon, le massif du Chenaillet fait les délices des élèves de lycée depuis les années 2000. On y trouve des basaltes bien préservés (Fig. 26), des gabbros et des péridotites. Bien que souvent assimilé à un matériel obducté - car non métamorphique – le Chenaillet ne possède toutefois pas l'ensemble de la “panoplie” nécessaire : pas de semelle amphibolitique, pas de base mantellique très déformée, et une extension très modeste, de l'ordre de 5-10 km tout au plus.

Il est plutôt à rapprocher des “copeaux” trouvés en position avant-arc, qui affleurent par exemple en Amérique du Nord. Un exemple notoire constitue l'assise même du Golden Gate Bridge, au Nord de San Francisco : c'est l'écaille tectonique de Marine Headlands, ancien morceau de lithosphère ou mont sous-marin étêté à l'entrée de la subduction, écaillé et non métamorphisé. Il présente des basaltes, des radiolarites et quelques fragments de manteau, et possède du reste une dimension comparable à celle du Chenaillet.

Le cas du Viso

Appartenant à un secteur plus “interne”, c'est-à-dire plus transformé, des Alpes, le massif du Mont Viso domine de ses 3841 m la plaine du Pô.

Tout comme le Chenaillet, le Viso dérive du domaine liguro-piémontais, l'une des deux branches de l'océan alpin (Lemoine et al., 1986 [13] ; Agard et Handy, 2021 [1]). Cet océan était de type lent, comme le plancher de l'Atlantique actuel : en attestent le type de péridotite (des lherzolites), l'abondance du manteau par rapport à la croute, ou encore la présence fréquente de sédiments déposés à même le manteau (notamment les “ophicalcites”).

Les transformations minéralogiques du Viso témoignent, selon ses sous-unités, de rééquilibrations thermodynamiques à des profondeurs comprises entre 50 et 80-100 km (jusque vers des pressions de 2,8-3 GPa) pour des températures de l'ordre de 550°C. Les métabasaltes montrent des associations minéralogiques caractéristiques : pour les unités schistes bleus, l'amphibole bleue (glaucophane) associée à la lawsonite ou l'épidote, voire le grenat et, pour les éclogites, le grenat et le clinopyroxène sodique de nature jadéitique (appelé omphacite). Le Viso correspond donc à un fragment de l'océan alpin subducté à grande profondeur puis “miraculeusement” remonté et préservé.

Le fragment ophiolitique métamorphisé du Mont Viso

Figure 27. Le fragment ophiolitique métamorphisé du Mont Viso

a) Regard panoramique vers le Sud sur le Queyras. Le Pelvas d'Abries ou la Crête des Lauzes constituent des fragments ophiolitiques au sein de l'unité des Schistes Lustrés.

b) Panoroma sur l'unité du Lago Superiore du Mont Viso.

c) Coupe schématique de l'unité du Lago Superiore (d'après Angiboust et al., 2011 [5]).

d) Brèche éclogitique : la fracturation, vraisemblablement sismique, s'est déroulé vers 80 km de profondeur et a pulvérisé la roche en fragments éclogitiques cimentés par… des minéraux éclogitiques cristallisés à 80 km de profondeur également (Angiboust et al., 2012 [6]).


À bien des égards le Viso est un fragment ophiolitique assez ordinaire parmi la galerie de ceux préservés de par le monde. Mais il possède une caractéristique tout à fait remarquable : l'une de ses unités tectoniques, celle du Lago Superiore, constitue un fragment pratiquement intact des premiers kilomètres de la lithosphère plongeante (le slab), le plus continu connu à ce jour. Bien que ses roches aient été enfouies à 80 km de profondeur, la séquence manteau/gabbro/basalte/sédiment y est globalement préservée (Fig. 27) !

On décèle même, dans les plus résistantes de ces roches profondément transformées, et le plus souvent déformées de manière intime, ductile, des traces de fracturation en faciès éclogitique : ainsi ces brèches éclogitiques formées vers 80 km de profondeur aux dépens de métagabbros constituent vraisemblablement la cicatrice d'anciens séismes (Fig. 27 ; Angiboust et al., 2012 [6] ; Locatelli et al., 2018 [14]).

D'autres fragments ophiolitiques kilométriques ou pluri-kilométriques similaires jalonnent les Alpes Occidentales (et les anciennes sutures océaniques sur le globe ; figure 1c du volet #1), comme les massifs de Zermatt-Saas, de Lanzo, du Rocciavre, du Mont Avic, etc.

La minéralogie de ces fragments révèle également des conditions d'équilibre le long d'un gradient de ~10°C/km, typique des zones de subduction (Agard et al., 2018 [2]). Ils ont du reste atteint des profondeurs comparables à celle de l'unité du Lago Superiore du Viso, de l'ordre de 80 km.


Dans le cas des Alpes Occidentales, tous ces vestiges de lithosphère océanique, Viso compris, les plus spectaculaires de la chaine du point de vue minéralogique, proviennent en réalité des domaines situés jadis au bord du continent européen (Fig. 28). Leurs âges d'enfouissement sont en effet à peine plus vieux (de ~5 Ma) que ceux d'enfouissement du bord de la marge continentale, qui a subi une phase de subduction continentale, comme en Oman ou Nouvelle Calédonie, avant la collision alpine. L'âge de cristallisation magmatique initiale des gabbros (et basaltes) de ces fragments ophiolitiques date du début de l'histoire de l'expansion océanique de l'océan alpin (~170-155 Ma), ce qui les place bien parmi les fragments océaniques les plus anciens, situés non loin du continent.

Épilogue

Ophiolites (cf. volet #1 et volet #2) ou fragments ophiolitiques (schistes bleus, éclogites ; volet #3) sont tout ce qui nous reste de la lithosphère océanique. De précieuses reliques, permettant aussi de sonder des profondeurs inaccessibles à l'observation directe. Ils fournissent des échantillons-clés, qui s'avèrent indispensables pour étudier les transformations minéralogiques et chimiques mais aussi mécaniques des roches, offrant ainsi un accès direct aux profondeurs avec une haute résolution spatiale.

En définitive, les ophiolites et leurs semelles métamorphiques nous renseignent sur l'obduction et la naissance des subductions, tandis que les fragments ophiolitiques enregistrent la dynamique des subductions matures, la mécanique du plan de subduction et ses hoquets, lorsqu'une écaille tectonique est détachée du panneau plongeant et parvient in fine à l'affleurement (Fig. 25). Ces deux types de reliques nous offrent des regards croisés, mais constituent surtout des accidents : ils témoignent avant tout de phénomènes transitoires dans un processus de subduction plutôt bien huilé qui condamne les océans à disparaitre.

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