Image de la semaine | 28/09/2015
En survolant les méga-sols polygonaux des bouches de la Kolyma, extrême Nord-Est de la Sibérie
28/09/2015
Résumé
Sol polygonal de grande dimension : variété de formes et de bordure dans les pergélisols sibériens.
Nous avons vu la semaine dernière des sols polygonaux «"classiques", de 0,3 à 3 m dans leur plus grande dimension. Nous avons vu la variété des formes (limites des polygones en sillon ou en crête, avec ou sans "tri granulométrique"… et nous avons discuté de l'origine de cette morphologie, en insistant certes sur ce qu'on en savait mais aussi sur ce qui était mal compris (cf. Sols polygonaux (polygonal ground) de l'Himalaya, des Alpes, du Nord du Canada et d'Islande). Cette semaine, nous vous montrons des sols polygonaux d'une autre dimension, puisqu'ils mesurent de 20 à 40 m dans leur plus grande dimension. Comme pour les "petits" sols polygonaux, il y a une grande variabilité morphologique. On ne peut pas distinguer un éventuel tri granulométrique car ce sont des photograpĥies aériennes prises de trop haut, sans être allé sur le terrain. Par contre on voit bien que les limites des polygones sont soit des crêtes en relief, soit des sillons en creux, soit même parfois sous forme d'une crête parcourue en son milieu par un sillon. Et si la forme la plus fréquente est l'hexagone ou le pentagone, il y a parfois des sols polygonaux carrés (ou rectangulaires). Comme pour les sols polygonaux de plus petite taille, ni l'origine de la structuration en polygones, ni l'origine de cette variété morphologique ne sont parfaitement comprises dans le détail. Des sols polygonaux de grande taille sont aussi décrits sur Mars près des régions polaires (cf. figures 31 et 32 dans L'eau sur Mars : le point des connaissances avant les nouveaux résultats des sondes Spirit, Opportunity et Mars Express).
Toutes les photographies présentées ici ont été prises en juillet 1990 par les hublots d'un avion ou d'un hélicoptère de l'Aeroflot. C'était l'époque de l'URSS, sous Gorbatchev, pendant la glasnost et la perestroïka. À l'occasion d'une éclipse totale de soleil ayant lieu à Chersky le 22 juillet 1990, des membres de l'Association Française d'Astronomie ont été invités sur place par l'association soviétique équivalente. J'ai donc pu aller en avion jusqu'à ce bout du monde fermé aux "occidentaux" depuis 1917. Et les Soviétiques ayant mis les petits plats dans les grands, nous avons eu droit à un voyage en hélicoptère au-dessus du delta de la Kolyma, pour aller «visiter un ancien goulag (glasnost oblige), Ambartchik, fermé depuis la mort de Staline. Par les hublots de l'avion comme de l'hélicoptère, on voyait une morphologie périglaciaire d'une beauté et d'une pédagogie à couper le souffle, avec sols polygonaux, pingos... Le problème, c'est que malgré cette glasnost, il était formellement interdit de prendre des photographies pendant toute la durée des vols, des fois qu'on survole une installation militaire. Mais la tentation était trop forte. En me "cachant" des hôtesses de l'air qui circulaient, sans viser et sans aucun réglage, j'ai "mitraillé" à travers des hublots pas forcément très propres, alors que la météorologie locale était très variable, avec des zones de relatif beau temps, des zones de brouillard et des zones "entre deux". J'ai pour ainsi dire "volé" une soixantaine de clichés (des diapositives argentiques à l'époque) d'un « vol au-dessus de la Sibérie soviétique ». Après numérisation et traitement, voici 22 de ces images, pas forcément d'une netteté parfaite vue les conditions de prises de vue. Mais malgré ces imperfections, ces photographies révèlent la beauté, la variété et l'étrangeté de ces paysages de l'extrême Nord-Est de la Sibérie. Ces images (sauf une) sont évidemment sans échelle (pas de couteau suisse, mais pas non plus de route, de village…). Mais avec Google Earth, on peut voir que les polygones de la région de Chersky ont statistiquement une dimension de 20 à 40 m, la même dans tout le secteur.
Le fichier 507-Kolyma.kmz permet d'accéder dans Google Earth, avec une bonne résolution, au secteur des bouches de la Kolyma, pour vous permettre de vous rendre compte par vous-même de ce à quoi ressemble ce secteur.
La figure suivante, sur une image couvrant presque tout l'hémisphère Nord, montre la localisation de l'embouchure de la Kolyma qui n'est pas le plus connu des grands fleuves arctiques russes malgré ses 2129 km de long et son débit de 4000 m3/s.
Les figures 1 à 17 (sauf 2) sont des photographies prises d'hélicoptère, dans la seule région des bouches de la Kolyma, depuis quelques centaines de mètres d'altitude tout au plus.
Les figures 18 à 23 sont prises d'avion pendant la première heure du trajet du retour vers Moscou, depuis une altitude de plusieurs milliers de mètres.
Les figures 24 à 28 sont là pour nous rappeler que le climat en France métropolitaine ressemblait il y a 20 000 ans (et pendant les autres périodes glaciaires) à celui de la Sibérie actuelle. Un survol de régions comme le Val de Loire (ou de bien d'autres régions), survol avec Google Earth, un drone, ou en avion de tourisme... permet de découvrir des sols polygonaux de taille identique à ceux de Sibérie.
Les sols polygonaux ne sont pas la seule manifestation de la morphologie affectant ces permafrosts (également appelés pergélisols). Durant un vol en hélicoptère, j'ai pu photographier (hélas, seulement de loin) un pingo, colline plus ou moins conique ou aplatie, elle aussi due aux phénomènes de gel-dégel superficiel d'un permafrost (cf. l'article Pingo de Wikipédia). De tels pingos existent aussi probablement sur Mars (cf. Observations de Mars Express : volcanisme récent, volcans ou pingos polaires, glaciers tropicaux, sulfates et gypse en abondance).
Les six images qui suivent sont prises d'avion, depuis quelques milliers de mètres d'altitude, à l'Ouest de l'embouchure de la Kolyma.
Il n'est pas nécessaire de risquer le goulag ou de survoler les barren grounds canadiens pour voir des sols polygonaux de plusieurs dizaines de mètres de dimension. Il suffit de survoler certaines régions françaises. La structuration en sols polygonaux influence la croissance de la végétation. Et, à certaines saisons, à travers landes, prairies et même champs, on devine très bien des polygones de taille identique à ceux de la Kolyma. Ce sont des sols polygonaux fossiles datant des dernières glaciations. Comment savoir où de tels sols polygonaux sont potentiellement visibles au survol ? Un assez faible pourcentage de cartes géologique au 1/50 000 (pourquoi pas toutes ?) indique la localisation de ces zones à sols polygonaux. C'est le cas par exemple de la carte de La Ferté Saint Aubin dans le Loiret. Il suffit, avec Google Earth par exemple, de regarder la carte géologique et de chercher le symbole correspondant aux sols polygonaux. On enlève alors la "couche" carte géologique et, grâce à la fonction "images d'archive", on regarde le même secteur à différentes dates (il y a en général de 3 à 10 images différentes pour un même lieu en France métropolitaine, images prises à diverses saisons entre 2000 et 2015). Deux fois sur trois, sur toutes ces images, l'une d'elles est prise à une saison permettant de voir ces sols polygonaux fossiles.