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Image de la semaine | 19/09/2011

Farine glaciaire et recul des glaciers, massif des Grandes Rousses (Isère)

19/09/2011

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Damien Mollex

ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Lait des glaciers et farine glaciaire dans les Alpes.


Roche striée recouverte de placages clairs de farine glaciaire, près du front du glacier des Quirlies, Massif des Grandes Rousses (Isère)

Figure 1. Roche striée recouverte de placages clairs de farine glaciaire, près du front du glacier des Quirlies, Massif des Grandes Rousses (Isère)

La farine glaciaire est constituée de roche broyée en une poudre très fine (< 50 μm), assez cohérente, mais non consolidée. Elle résulte de l'abrasion mécanique de la roche par le glacier. Elle est normalement invisible, car « coincée » entre la glace et la roche. On ne la connaît en général qu'en suspension dans l'eau des torrents qui s'échappent du front des glaciers. Elle se voit ici plaquée sur la roche, laissée là temporairement par le retrait du glacier des Quirlies qui recule actuellement de quelques mètres par an. Quelques dizaines de tempêtes ou gros orages auront raison de ces fragiles placages de farine en quelques années ou décennies.


La glace des glaciers et les sables et blocs qu'elle contient rayent, abrasent et polissent les roches du fond et des bords de la vallée où elle progresse. Cette abrasion génère une fine poudre de roche broyée (< 50 μm), poudre qui peut localement rester collée sur la roche, entre le substratum et la glace, là où la roche est légèrement en creux. Dans ces endroits présentant une légère dépression, non seulement la glace frotte moins qu'ailleurs, mais elle a tendance à y accumuler la poudre résultant de l'abrasion en amont. . Cette roche broyée est appelée « farine glaciaire ». Cette farine est rarement connue en place, puisqu'elle se trouve sous le glacier. On ne la connaît le plus souvent qu'en suspension dans les eaux de fonte glaciaires, en particuliers des torrents qui s'échappent du front. Cette farine en suspension dans ces eaux de fonte donne le « lait des glaciers », eaux blanchâtres si caractéristiques des torrents et lacs glaciaires (cfPolis, stries glaciaires et blocs erratiques à Central Park, New York (USA), Fig. 14, et cet article, Fig. 11 à 15). Ce lait des glaciers est d'ailleurs un problème pour les exploitants d'énergie hydroélectrique, car cette suspension est particulièrement abrasive pour les turbines.

Des placages de farine glaciaire peuvent être découverts par le recul des glaciers, particulièrement rapide depuis quelques années car le recul des glaciers va en s'accélérant. Ces placages de poudre cohérente mais non consolidée sont éphémères, et les gros orages et tempêtes les feront disparaître en quelques années ou décennies. On pouvait en observer en été 2007, près du front du glacier des Quirlies dans les Grandes Rousses (près de l'Alpe d'Huez, Isère). Les glaciers des Grandes Rousses, comme tous ceux de (relativement) basse altitude (les Grandes Rousses ne culminent qu'à 3468 m au Pic de l'Étendard) étant particulièrement sensibles au réchauffement climatique actuel.


Placage de farine glaciaire, gros plan, front du glacier des Quirlies, Massif des Grandes Rousses, Isère

Figure 3. Placage de farine glaciaire, gros plan, front du glacier des Quirlies, Massif des Grandes Rousses, Isère

Roche et farine glaciaire sont tous deux striés.

Zoom sur le centre de la figure précédente.


Un placage de farine glaciaire avant (en bas) et après y avoir donné des coups avec la pointe d'un marteau (en haut)

Figure 4. Un placage de farine glaciaire avant (en bas) et après y avoir donné des coups avec la pointe d'un marteau (en haut)

Les traces laissées par la pointe du marteau montrent que ce placage de farine glaciaire est cohérent, mais non consolidé.


Un placage de farine glaciaire ayant reçu des coups de marteau

Figure 5. Un placage de farine glaciaire ayant reçu des coups de marteau

Les traces de coups de marteau attestent que le placage de farine glaciaire n'est pas consolidé bien que cohérent.


Un placage de farine glaciaire ayant reçu des coups de marteau

Figure 6. Un placage de farine glaciaire ayant reçu des coups de marteau

Les traces de coups de marteau attestent que le placage de farine glaciaire n'est pas consolidé bien que cohérent.



Le retrait généralisé de tous les glaciers des Alpes permet, hélas, de trouver de plus en plus d'affleurements où l'on voit cette farine en place. Les trois images suivantes montrent 3 zooms différents sur un affleurement au pied du glacier de Largentière dans le massif du Mont Blanc.

Affleurement présentant une « marche d'escalier » au pied du glacier de Largentière dans le massif du Mont Blanc

Figure 8. Affleurement présentant une « marche d'escalier » au pied du glacier de Largentière dans le massif du Mont Blanc

La gauche de l'affleurement correspond à une surface de granite polie et striée, sans farine. La partie droite correspond à un escarpement limitant une dépression. De la farine a pu s'accumuler dans cet « abri » topographique. La disposition des placages striés de farine glaciaire permet sans ambiguïté de connaître le sens du mouvement du glacier (de gauche à droite).


Affleurement présentant une « marche d'escalier » au pied du glacier de Largentière dans le massif du Mont Blanc

Figure 9. Affleurement présentant une « marche d'escalier » au pied du glacier de Largentière dans le massif du Mont Blanc

La gauche de l'affleurement correspond à une surface de granite polie et striée, sans farine. La partie droite correspond à un escarpement limitant une dépression. De la farine a pu s'accumuler dans cet « abri » topographique. La disposition des placages striés de farine glaciaire permet sans ambiguïté de connaître le sens du mouvement du glacier (de gauche à droite).


Affleurement présentant une « marche d'escalier » au pied du glacier de Largentière dans le massif du Mont Blanc

Figure 10. Affleurement présentant une « marche d'escalier » au pied du glacier de Largentière dans le massif du Mont Blanc

La gauche de l'affleurement correspond à une surface de granite polie et striée, sans farine. La partie droite correspond à un escarpement limitant une dépression. De la farine a pu s'accumuler dans cet « abri » topographique. La disposition des placages striés de farine glaciaire permet sans ambiguïté de connaître le sens du mouvement du glacier (de gauche à droite).


Le lac des Quirlies et le glacier des Quirlies, juste en amont, Massif des Grandes Rousses, Isère

Figure 11. Le lac des Quirlies et le glacier des Quirlies, juste en amont, Massif des Grandes Rousses, Isère

Le glacier atteignait le lac jusque vers l'an 2000, où il fournissait de nombreux icebergs. Il en est maintenant éloigné de plusieurs dizaines de mètres. Noter la couleur « laiteuse » du lac, due à l'abondante suspension de farine glaciaire.


Le lac des Quirlies et le glacier des Quirlies, juste en amont, Massif des Grandes Rousses, Isère

Figure 12. Le lac des Quirlies et le glacier des Quirlies, juste en amont, Massif des Grandes Rousses, Isère

Le glacier atteignait le lac jusque vers l'an 2000, où il fournissait de nombreux icebergs. Il en est maintenant éloigné de plusieurs dizaines de mètres. Noter la couleur « laiteuse » du lac, due à l'abondante suspension de farine glaciaire.


Vue générale "Géoportail" du glacier des Quirlies, Massif des Grandes Rousses

Figure 13. Vue générale "Géoportail" du glacier des Quirlies, Massif des Grandes Rousses

Les placages de farine glaciaire ont été photographiés juste sous la flèche rouge. L'image Géoportail rend particulièrement bien la couleur laiteuse du lac.


Embouchure du torrent sous-glaciaire du glacier des Quirlies dans le lac du même nom, Massif des Grandes Rousses

Figure 14. Embouchure du torrent sous-glaciaire du glacier des Quirlies dans le lac du même nom, Massif des Grandes Rousses

L'eau du torrent est assez turbide. Dès l'arrivée dans le lac et la chute de la vitesse du courant qui s'en suit, les particules les plus grosses sédimentent, et il ne reste plus dans l'eau que les particules les plus fines, la farine glaciaire. C'est elle qui donne au lac cette teinte laiteuse, si différente du bleu intense si fréquent pour les lacs de montagne par beau temps (quand ils ne sont pas alimentés par des eaux glaciaires).


Lacs, quelque part à l'Ouest du Groenland

Figure 15. Lacs, quelque part à l'Ouest du Groenland

On voit la différence de couleur entre un lac alimenté par des glaciers (le grand lac de gauche) et des lacs simplement alimentés par la pluie, le ruissellement et les ruisseaux non glaciaires. Les lacs glaciaires alimentés par les glaciers ont cette teinte laiteuse caractéristique ; les autres ont la teinte bleue des lacs de montagne.


On peut apprécier et mesurer ce recul récent des glaciers des Alpes en restant chez soi, grâce en particulier à certaines fonctions de Google Earth. Avec Google Earth, on peut avoir image et carte géologique avec exactement le même mode de projection. On peut donc comparer la position du front d'un glacier entre la date de la prise de vue de l'image et celle de l'élaboration de la carte géologique, ou plus précisément l'élaboration du fond topographique IGN utilisé par les géologues. Le glacier des Quirlies est sur la carte BRGM de La Grave, publiée en 1976 et utilisant un fond topographique de 1972.

De plus, depuis qu'il existe, Google Earth commence à changer ses images pour en mettre de plus récentes, ou avec une meilleure résolution. D'autre part, avec la fonction « images historiques » qu'on trouve en passant par « Affichage », on peut avoir accès aux différentes images prises à différentes dates, quand elles existent. Un certain pourcentage de la France peut donc être vu avec Google Earth à plusieurs dates successives. Le glacier des Quirlies est géographiquement « à cheval » sur 2 images qui le traverse longitudinalement. Pour le Sud du glacier, Google Earth ne fournit qu'une image, qui date de 2003 (a priori du début de l'été). Par contre, le Nord du glacier est imagé par 2 images, une de 2003 et une de 2006 (a priori datant de la fin de l'été). Cela rend la comparaison des positions du front du glacier délicate, d'autant plus ce front est encombré de moraines qui le rendent assez difficile à distinguer avec précision. Mais, à quelques kilomètres de là s'étend le glacier de Saint Sorlin. Ce dernier se trouve en entier et sur les photos de 2003 et sur celles de 2006. On peut donc, avec Google Earth, connaître l'extension du glacier de Saint Sorlin en 1972 (fond topographique de la carte géologique), en 2003 et en 2006 (images Google Earth).

Vue "Google Earth" du flanc Est du Massif des Grandes Rousses, au Nord de l'Alpe d'Huez

Figure 16. Vue "Google Earth" du flanc Est du Massif des Grandes Rousses, au Nord de l'Alpe d'Huez

Le glacier des Quirlies (G.Q.) et le glacier de St Sorlin (G.St S.) sont situés de part et d'autre du Pic de l'Étendard, sommet des Grandes Rousses (3468 m). Sur cette vue générale Google Earth, le Nord du massif est couvert par une image de 2006, mais une couverture de 2003 est disponible avec la fonction « images historiques ». Le Sud n'est lui couvert que par une image de 2003. La limite entre ces deux images se voit parfaitement sur la vue générale. Comble de malchance, la limite entre ces deux images prises à deux dates différentes passe juste au centre du front du glacier des Quirlies.


Vue "Google Earth" du glacier de Saint Sorlin (Savoie)

Figure 17. Vue "Google Earth" du glacier de Saint Sorlin (Savoie)

Cette photo date de la fin l'été 2006. Grâce à la possibilité d'avoir aussi la carte géologique BRGM, on a « indirectement » le fond topographique IGN avec exactement le même angle de vue. La carte géologique de La Grave (sur laquelle figure le glacier de Saint Sorlin) a été publiée en 1976. Le fond IGN utilisé pour cette carte géologique date de 1972. On peut donc comparer la position du front du glacier de Saint Sorlin en 1972 (ligne des petites punaises rouges) et le front du glacier en 2006. On peut mesurer le recul grâce à la « réglette » de Google Earth. Le recul moyen pendant ces 34 ans est d'environ 200 m, et même de 380 m là où il est le maximum (trait rouge), soit un recul moyen d'environ 6 m/an (une douzaine de m/an là où le recul est maximum). Le glacier aboutit maintenant dans un petit lac sur la partie gauche de son front (à l'Est), lac qui n'existait pas en 1972 et qui a été mis à jour par le recul de ces 30 dernières années et qui sera détaillé dans les figures suivantes.


Deux vues "Google Earth" de l'Est du front du glacier de Saint Sorlin (Savoie) à 3 ans d'écart

Figure 18. Deux vues "Google Earth" de l'Est du front du glacier de Saint Sorlin (Savoie) à 3 ans d'écart

Les deux vues ont exactement le même angle et la même distance de prise de vue. La fonction « images historiques » permet ici de comparer 2 images prises à 2 dates différentes : début de l'été 2003, en haut, fin de l'été 2006, en bas.

On peut donc mesurer le recul du glacier pendant 3 ans (mais 4 étés, dont l'été 2003, celui de la canicule). Pendant ces 4 étés, le glacier a reculé de 100 m au niveau du trait jaune positionné de la même façon sur les 2 images (ainsi aussi que sur la figure 14), trait « sous la glace » en 2003, mais « hors glace » en 2006. Le recul moyen a donc été de 25 m/été entre 2003 et 2006, alors qu'il n'a été « que » de 6 m/été entre 1972 et 2006. Est-ce là une manifestation de l'accélération du réchauffement climatique, du seul effet de la canicule de 2003, ou plus vraisemblablement des deux ? Il faudrait regarder des photos aériennes ou satellites prises chaque fin d'été pour pouvoir trancher.


Zoom "Géoportail" sur l'avant du front du glacier de Saint Sorlin dégagé depuis 2003

Figure 19. Zoom "Géoportail" sur l'avant du front du glacier de Saint Sorlin dégagé depuis 2003

À droite du lac, le « sol » nouvellement dégagé par le recul du glacier est particulièrement lisse et cannelé. Il s'agit vraisemblablement non pas d'un substrat rocheux, mais d'un placage de sédiments sous-glaciaires de granulométrie relativement fine et homogène (duquel seuls émergent quelques blocs) non encore érodé par les trois années écoulées. Il s'agit sans doute d'un équivalent hectométrique des placages décimétriques de farine glaciaire dégagés par le recul actuel du glacier des Quirlies.