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Image de la semaine | 20/06/2011

Les grottes glacées d'Islande : comment est fixée la température à l'intérieur des cavités souterraines ?

20/06/2011

Michel Detay

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Paramètres contrôlant la température dans les grottes.


Stalagmites et stalactites de glace dans le tunnel de lave de Raufarhólshellir, Islande

Figure 1. Stalagmites et stalactites de glace dans le tunnel de lave de Raufarhólshellir, Islande

Éric Favory (au fond à droite) donne l'échelle.


Vue d'ensemble d'une salle dans le tunnel de lave de Raufarhólshellir, Islande, avec stalactites et stalagmites de glace

Gros plan sur des stalagmites de glace dans le tunnel de lave de Raufarhólshellir, Islande

Vue d'ensemble d'une salle du tunnel de lave de Raufarhólshellir, Islande

Figure 4. Vue d'ensemble d'une salle du tunnel de lave de Raufarhólshellir, Islande

Dans les premiers 100 m du tunnel de lave de Raufarhólshellir, stalactites et stalagmites abondent. Quand on s'éloigne de l'entrée, ils disparaissent. Eric Favory et Michel Detay donne l'échelle.

Éric Favory et Michel Detay donnent l'échelle.


Il n'y a pas que dans le tunnel de Raufarhólshellir qu'on peut voir de beaux stalactites et stalagmites de glace en Islande. En atteste les cinq images suivantes, prises dans deux autres tunnels de lave.

Éric Favory et Michel Detay dans le tunnel de lave d'Arnaker, Islande

Figure 5. Éric Favory et Michel Detay dans le tunnel de lave d'Arnaker, Islande

Stalactites et stalagmites de glace abondent.


Michel Detay dans le tunnel de lave d'Arnaker, Islande

Figure 6. Michel Detay dans le tunnel de lave d'Arnaker, Islande

Stalactites et stalagmites de glace.


Éric Gilli dans le tunnel de lave de Buri, Islande

Figure 7. Éric Gilli dans le tunnel de lave de Buri, Islande

Stalactites et stalagmites de glace.


Éric Gilli dans le tunnel de lave de Buri, Islande

Figure 8. Éric Gilli dans le tunnel de lave de Buri, Islande

Stalactites et stalagmites de glace.


Éric Favory dans le tunnel de lave de Buri, Islande

Figure 9. Éric Favory dans le tunnel de lave de Buri, Islande

Stalactites et stalagmites de glace.


Qu'est-ce qui fixe la température à l'intérieur d'une cavité souterraine comme une grotte, un tunnel de lave, une cave profonde... ? Par exemple, la température dans le gouffre de Padirac (Lot) est constante, et égale à 13°C tout au long de l'année. Dans toutes les cavités, la température est très souvent à peu près constante, mais variable d'une grotte à l'autre : 25°C dans les grottes de Cuba, entre 12 et 14° dans les grottes françaises situées à basse altitude, à température plus basse dans les grottes de montagne (par exemple seulement 10°C dans les grottes de Choranche dans le Vercors), et température très basse dans les cavités nordiques, par exemple –3°C dans les anciennes mines de charbon du Spitzberg.

On s'aperçoit qu'en général la température interne d'une cavité souterraine est approximativement constante, et égale à la température moyenne annuelle du site de la grotte : 12-14°C dans les plaines françaises, plus basse dans les montagnes françaises, très élevée sous les tropiques et très basse sous les hautes latitudes. En effet, les roches sont de très bons isolants et, de plus, présentent une très grande inertie thermique. Dès quelques mètres de profondeur, les variations journalières et annuelles sont « lissées », et il règne simplement la température moyenne ambiante. Si on s'enfonce de plusieurs dizaines de mètres, à cette température moyenne locale s'ajoute bien sûr le degré géothermique (1 à 3°C tous les 100 m).

Répartition théorique de la température à quelques mètres de profondeur en Islande, pendant l'hiver

Figure 10. Répartition théorique de la température à quelques mètres de profondeur en Islande, pendant l'hiver

On se place dans une région où la température moyenne d'hiver est de –14°C et la moyenne d'été de +10°C, soit une moyenne annuelle de –2°C (le degré géothermique est supposé normal).

Selon ce modèle théorique, la température hivernale au niveau du sol est de –14°C, la même que la température extérieure. Dès que l'on dépasse 10-20 m de profondeur, la température y est constante tout au long de l'année, et égale à –2°C, température moyenne annuelle du site. Dans ce schéma, le tunnel d'accès à la cavité est très étroit et sinueux. La circulation d'air y est considérée comme négligeable.


Répartition théorique de la température à quelques mètres de profondeur en Islande, pendant l'été

Figure 11. Répartition théorique de la température à quelques mètres de profondeur en Islande, pendant l'été

On se place dans une région où la température moyenne d'hiver est de –14°C et la moyenne d'été de +10°C, soit une moyenne annuelle de –2°C (le degré géothermique est supposé normal).

Selon ce modèle théorique, la température estivale au niveau du sol est de +10°C, la même que la température extérieure. Dès que l'on dépasse 10-20 m de profondeur, la température y est constante tout au long de l'année, et égale à –2°C, température moyenne annuelle du site. Dans ce schéma, le tunnel d'accès à la cavité est très étroit et sinueux. La circulation d'air y est considérée comme négligeable.


On peut noter en passant une application bien connue sous nos latitudes tempérées de cette température interne des cavités, température constante et égale à la moyenne annuelle. Cette valeur constante proche de 12-14°C sous nos latitudes expliquent pourquoi on fait vieillir le vin en cave. Le vieillissement harmonieux d'un bon vin exige une température constante, et rien n'est pire pour gâter un grand vin que des variations répétées de température. De plus, à une température supérieure à 16°C, le vin vieillit trop vite, et ne se conserve pas longtemps. À une température inférieure à 12°C, les réactions de maturation ne se font que très (trop) lentement, et le vin reste toujours trop « jeune ». Il n'y a que dans les grottes (et caves) des pays de moyennes latitudes qu'on pouvait « élever » des grands vins avant l'invention des « machines à froid » artificielles. La vigne pousse très bien sous des climats chauds, comme en Israël ou en Égypte ; mais il était impossible d'y faire du bon vin, avant l'invention du froid artificiel. Le vin des Évangiles, et le vin dont la fabrication est attestée par des peintures et textes en Égypte ancienne devait plus être de la « piquette » qu'un grand vin. Et un amateur de vin éclairé en Islande moderne ne fera pas vieillir son vin dans une cave « naturelle » trop froide, mais dans un local climatisé autour de 14°C.

Vendanges sous la XVIIIème dynastie (1590-1390 av. JC) en Égypte

Figure 12. Vendanges sous la XVIIIème dynastie (1590-1390 av. JC) en Égypte

Le climat du Proche Orient est très favorable à la culture de la vigne comme l'atteste cette peinture de l'Égypte ancienne. Mais ne pouvant pas « bien vieillir », ce vin ne devait pas, ne pouvait pas, être ce qu'on appelle aujourd'hui un « grand vin ».

Peinture dans la tombe du chancelier Nakht, Thèbes (1401-1391 av. JC).


L'été, dans toutes les cavités souterraines existant dans des régions où la température annuelle est négative, les grottes ont une température inférieure à 0°C, alors que la température en surface est largement supérieure à 0°C. L'eau dégèle en surface, peut circuler dans le sous-sol et atteindre les cavités où elles formeront stalactites et stalagmites. Cette interprétation, de premier ordre, pose quand même un problème théorique. Quand la température du sous-sol reste négative même l'été, le sous sol reste gelé, et imperméable du fait de la présence de glace qui obstrue les pores et les fractures. Si la grotte est située au sein d'un sous-sol gelé, l'eau liquide ne peut y arriver, sauf si la grotte est « judicieusement » placée pour être au voisinage de l'isotherme profond 0°C, comme c'est le cas de la grotte théorique ci-dessus.

La situation théorique d'une température constante toute l'année et égale à la température moyenne annuelle est parfois « modulée » dans la nature.

Il existe des grottes où la température varie quand on est près de l'entrée, si des communications d'air importantes existent au niveau de l'entrée.

Il existe aussi des cavités dont la température interne est inférieure à la moyenne annuelle locale. Il peut en effet s'ajouter un autre phénomène à la simple conduction / inertie thermiques des roches : la convection de l'atmosphère interne à la grotte et les échanges entre l'intérieur et l'extérieur. Si l'entrée de la grotte est suffisamment grande pour permettre des échanges atmosphériques significatifs entre l'intérieur de la grotte et l'extérieur, et si cette entrée est relativement verticale, alors, pendant l'hiver, l'air froid (donc dense) extérieur aura tendance à descendre dans la grotte, et l'air moins froid interne aura tendance à monter et sortir. Par contre, pendant l'été, l'air froid interne, plus dense, n'aura aucune tendance à sortir, et l'air chaud externe n'aura aucune tendance à descendre dans la cavité. Apport d'air froid pendant l'hiver, et pas d'apport d'air chaud pendant l'été, cela peut suffire à faire baisser de plusieurs degrés la température interne au voisinage des entrées des grottes. Cet effet est limité à des cavités largement ouvertes sur l'extérieur et/ou au voisinage de ces entrées. Il peut être contrebalancé par des circulations type courants d'air.

Exemple théorique montrant la température interne l'hiver d'une cavité largement ouverte sur l'extérieur par une entrée relativement « verticale »

Figure 13. Exemple théorique montrant la température interne l'hiver d'une cavité largement ouverte sur l'extérieur par une entrée relativement « verticale »

Dans cet exemple, la température moyenne annuelle est de +2°C. C'est la température du sous-sol à partir de 10-20 m de profondeur. Mais dans la cavité largement ouverte sur l'extérieur, l'air externe hivernal, plus froid que l'air interne peut descendre et pénétrer dans la grotte ; l'air interne plus chaud que l'air externe peut monter est sortir de la grotte. Une belle convection thermique, qui importe du froid et exporte du chaud : la température interne de la grotte devient beaucoup plus basse que son environnement à la même profondeur.


Exemple théorique montrant la température interne l'étéd'une cavité largement ouverte sur l'extérieur par une entrée relativement « verticale »

Figure 14. Exemple théorique montrant la température interne l'étéd'une cavité largement ouverte sur l'extérieur par une entrée relativement « verticale »

Dans cet exemple théorique, le même que celui de la figure précédente, la température moyenne annuelle est de +2°C. C'est la température du sous-sol à partir de 10-20 m de profondeur. Mais dans la cavité largement ouverte sur l'extérieur, l'ai externe plus chaud en été que l'air interne n'a aucune tendance à descendre et pénétrer dans la grotte ; l'air interne plus froid que l'air externe n'a aucune tendance à sortir de la grotte. Il n'y a plus de convection thermique en été. L'importation de froid l'hiver n'est pas compensée par une importation de chaleur l'été. La température interne de la grotte se réchauffe peut-être un peu, mais reste plus basse que son environnement à la même profondeur. Elle peut même être négative.


À ces phénomènes de convection thermique hivernale peuvent s'ajouter deux autres sources de froid qui peuvent encore refroidir l'intérieur de la grotte : (1) si de la neige rentre dans la grotte l'hiver, sa fusion absorbe beaucoup de chaleur (chaleur latente de changement d'état, ici de fusion) ce qui va limiter l'augmentation de température interne et peut maintenir la température au voisinage de 0°C. (2) Si le sous sol est perméable en grand à l'eau mais aussi à l'air, des circulations d'air dans la cavité et/ou dans le sous-sol vont entraîner évaporation/sublimation, changements d'état qui absorbent aussi beaucoup de chaleur, donc peuvent participer à la présence d'une très basse température.

Ces cas, avec tous leurs intermédiaires possibles, existent dans de nombreuses régions d'Islande dont l'altitude est inférieure à 600 m, où la température moyenne annuelle est positive (la température moyenne annuelle est de +4,4°C à Reykjavik) mais qui, malgré tout, possèdent des grottes gelées en permanence ou de façon saisonnière. C'est par exemple le cas du tunnel de lave de Buri, gelé en permanence. Dans d'autres cas, le froid est cantonné près des entrées des tunnels et disparaît avec les chaleurs estivales Les stalactites et stalagmites de glace abondent près des lucarnes du tunnel de lave de Raufarhólshellir au printemps ; il n'y en a quasiment plus quand on s'en éloigne et ils disparaissent pendant l'été.

Entrée du tunnel de lave de Raufarhólshellir, Islande

Figure 15. Entrée du tunnel de lave de Raufarhólshellir, Islande

Les effondrements partiels du toit du tunnel créent des lucarnes (skylights) qui, en hiver, se comblent partiellement de neige qui peut former des congères. Ces congères et des phénomènes de convection thermique peuvent « refroidir » les secteurs près des entrées, et abaisser la température interne de la grotte en dessous de 0°C pendant les hivers et les printemps.

Éric Gilli donne l'échelle.


Éric et Paul Gilli près d'une entrée du tunnel de Floki, Islande

Figure 16. Éric et Paul Gilli près d'une entrée du tunnel de Floki, Islande

Cette photo montre l'envahissement du tunnel par les neiges hivernales qui entrent par une lucarne. Cet envahissement abaisse la température interne, et en module la constance.