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Article | 28/03/2001

Les courants thermohalins et les eaux océaniques profondes

28/03/2001

Sylvain Pichat

ENS-Lyon

Pierre Thomas

ENS-Lyon

Jean-François Minster

IFREMER

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Comparaison des circulations thermohalines et de la formation des eaux profondes dans l'Atlantique Nord, le Pacifique Nord et l'Antarctique.


Question

« Pourquoi n'existe-t-il pas de courant thermohalin au niveau de l'Antarctique et du Pacifique Nord qui gèlent tous les hivers ? »

Résumé

La convection thermohaline affecte l'ensemble des océans. Cependant la formation d'eaux profondes est très localisée et n'a lieu que dans deux régions du globe :

  • l'Atlantique Nord (mer de Norvège, et dans une moindre mesure mers du Groenland et du Labrador) ;
  • l'Antarctique (mer de Weddell et, dans une moindre mesure, mer de Ross).

Le moteur de la circulation thermohaline est la variation de densité des eaux, induite par des changements de température et de salinité. Les mécanismes à l'origine de la plongée des eaux de surface en Atlantique Nord et en Antarctique sont différents. Dans l'Atlantique Nord, c'est le refroidissement des eaux salées, donc denses, et chaudes du Gulf Stream dans les mers de Norvège et du Groenland qui induit la plongée des masses d'eau. La formation de la glace de mer favorise la plongée de l'eau, mais ce n'est pas le mécanisme prépondérant. Dans l'Antarctique, le phénomène a pour origine la combinaison entre le refroidissement des eaux de surface et la formation de la glace de mer.

La formation d'eau profonde dans l'Atlantique Nord

Schéma de la circulation océanique mondiale

Figure 1. Schéma de la circulation océanique mondiale

En bleu, les courants océaniques profonds.


La formation d'eau profonde en Atlantique Nord se produit de manière irrégulière et très localisée, essentiellement en mer de Norvège, et dans une moindre mesure en mer du Labrador et en mer du Groenland.

La formation d'eau profonde dans l'Atlantique Nord est liée au refroidissement des eaux très salées, remontées par le Gulf Stream, depuis la mer des Caraïbes. Lorsque les eaux du Gulf Stream arrivent en mer de Norvège, elles subissent un brusque refroidissement. Ces eaux étant déjà très denses, à cause de leur salinité élevée (35,25‰), le refroidissement augmente encore la densité, ce qui est suffisant pour les faire plonger. En hiver, la formation de la glace de mer, au Nord de la mer de Norvège, favorise ce phénomène.

Les eaux qui plongent s'accumulent dans le bassin océanique sous-jacent (bassin de Norvège). Celui-ci se remplit progressivement puis se vide par brusques décharges, lorsque l'eau passe par dessus la ride sous-marine (hauteur topographique).

Ce phénomène génère le North Atlantic Deep Water, ou Eau Atlantique Profonde (NADW). Ce phénomène de remplissage/vidange du bassin océanique explique l'irrégularité de la formation du NADW.

Le NADW forme une langue d'eau, caractérisée par une forte salinité, entre 2.000 et 3.500 mètres de profondeur, dans tout l'océan Atlantique.

Même si l'effet dominant pour expliquer la salinité de l'Atlantique est celui de l'évaporation, cette salinité est aussi liée à la très forte évaporation en Méditerranée (salinité de 38,5 psu -practical salinity unit- à la sortie, à Gibraltar, avec une eau qui s'écoule sous forme de nappe). Certains affirment même que s'il n'y avait pas la Méditerranée, la circulation thermohaline serait moins intense.

Carte de salinité de l'eau de mer dans l'Atlantique, en fonction de la profondeur, coupe entre le pôle Nord et le pôle Sud

Figure 2. Carte de salinité de l'eau de mer dans l'Atlantique, en fonction de la profondeur, coupe entre le pôle Nord et le pôle Sud

Le NADW est très facilement visible. Il forme une langue d'eau plus salée que l'eau environnante, qui s'écoule de l'Atlantique Nord vers l'océan circumpolaire antarctique.


Visualisation de la trajectoire d'une particule dans l'océan mondial

La formation d'eau profonde en Antarctique

La formation d'eau profonde en Antarctique génère les Eaux Antarctiques Intermédiaires et Eaux Antarctique de Fond (EAI et EAF). Cette convection participe au rajeunissement, par mélange, des eaux de fonds péri-antarctiques (eaux de fonds venant de l'Atlantique).

Mais cette convection thermohaline antarctique est moins intense et efficace que son équivalent Nord-Atlantique.

Le débit d'origine Antarctique est de l'ordre de 10 millions de m3 par seconde alors que le débit d'eau profonde qui vient de l'Atlantique Nord est de l'ordre de 20 à 30 millions de m3 par seconde.

La formation d'eau profonde en Antarctique a lieu lors des automnes et des hivers australs (entre avril et octobre), en mer de Weddell et, dans une moindre mesure, en mer de Ross (la couverture de glace passe de 3 à 20 millions de km2).


Évolution de la couverture de glace selon les années en mer de Weddell (Antarctique)

Figure 4. Évolution de la couverture de glace selon les années en mer de Weddell (Antarctique)

La formation de glace dans l'Antarctique commence à l'automne austral, (entre mars et avril, selon les années). La débâcle se produit entre août et septembre.


Cette eau profonde se forme grâce à l'interaction entre l'eau de surface et la glace de mer. Lorsque la glace commence à se former, elle est poussée au large par les vents qui soufflent de l'intérieur du continent Antarctique vers la mer.

Ce phénomène libère des étendues d'eau, nommées polynyas côtiers, dans lesquelles l'eau de mer est refroidie par la surface, sous l'action du vent, et de la glace se forme. Il existe un autre type de polynyas, de pleine mer, qui se forment au milieu de la banquise de la mer de Weddell, en de rares occasions : 1974, 1975, 1976 et 1998.

Pour expliquer la formation d'eau profonde en Antarctique, il faut prendre en compte trois phénomènes liés.

  • L'eau au contact de l'air froid perd de la chaleur. Ainsi, elle est plus froide donc plus dense.
  • La glace de mer est très peu salée, beaucoup moins que l'eau de mer. Ainsi, lorsque la glace se forme, l'eau résiduelle est beaucoup plus salée, donc plus dense.
  • L'eau de mer se refroidit également par perte de chaleur au cours de la cristallisation de la glace (chaleur latente de cristallisation). Cette chaleur est perdue dans l'atmosphère par la masse d'eau qui reste à sa température de solidification, soit -1,9°C (car il s'agit d'eau salée) (à titre d'exemple, le flux de chaleur en direction de l'atmosphère est de 300 W/m2 pour un polynya côtier).


Évolution de la couverture de glace de mer en juin 1998, en mer de Weddell. Ces images sont obtenues après analyse d'images satellites (radar infra-rouge). Le noir correspond aux surfaces d'eau libre, les couleurs froides correspondent à une couverture inférieure à 50%, les couleurs chaudes à une couverture comprise entre 50% et 100%. Elles montrent la formation et la disparition d'un polynya de pleine mer entre avril et juin 1998.

La combinaison de ces trois phénomènes permet la formation d'eau profonde en Antarctique.

Formation d'eau profonde autour de l'Antarctique

Pourquoi n'y a-t-il pas de formation d'eau profonde dans le Pacifique Nord ?

Au premier abord, le Pacifique Nord est très similaire à l'Atlantique Nord. Dans les deux bassins, il existe un courant de bordure Ouest très puissant : le Gulf Stream pour l'Atlantique et le Kuroshio pour le Pacifique.

Dans les deux cas, les températures atmosphériques sont très faibles et de la glace se forme en hiver. Cependant, le Pacifique Nord n'est pas aussi salé que l'Atlantique Nord (33‰ contre 35,25‰).

La faible salinité du Pacifique Nord est liée à la combinaison de trois phénomènes :

  • De manière générale, le Pacifique est « arrosé » par les eaux d'évaporation de l'Atlantique qui franchissent l'isthme de Panama et retombent, sous forme de pluie, dans le Pacifique équatorial (voir plus loin). Le Pacifique est donc moins salé que l'Atlantique.
  • Le Kurushio ne transfert pas d'eau salée dans le Pacifique Nord, contrairement à l'action du Gulf Stream dans l'Altantique Nord. Effectivement, le Kurushio a pour origine une région où les précipitations sont supérieures à l'évaporation, notamment à cause du phénomène de mousson. Les eaux du Kurushio sont donc peu salées.
  • Le Pacifique Nord est une zone très froide, or l'air froid a une faible capacité à emmagasiner de la vapeur d'eau. Ainsi dans le Pacifique Nord, l'eau s'évapore très peu. En revanche les précipitations y sont importantes. Les eaux de Pacifique Nord sont donc froides mais très peu salées. Elles sont également moins salées (33‰) que les eaux de l'Antarctique (34‰).

    Ainsi, malgré la formation de glace de mer dans le détroit de Béring en hiver, les conditions qui permettent la plongée d'eau profonde ne sont pas toutes réunies dans le Pacifique Nord.

    Il faut ajouter que l'agitation de la mer (tempêtes) au niveau du détroit de Béring réduit la quantité de glace formée.


Les différences de salinités entre les océans

Les eaux qui s'évaporent de l'Atlantique, au niveau des tropiques, essentiellement dans la mer des Caraïbes, sont entraînées vers l'Ouest par les alizés.

Elles passent au-dessus de l'isthme de Panama, et retombent, sous forme de pluie, dans le Pacifique équatorial Est.

Il y a donc une perte d'eau pour l'Atlantique par ce biais là. Ce phénomène explique la très forte salinité des eaux du Gulf Stream qui ont pour origine la mer des Caraïbes. De plus, lors de la remontée vers le Nord du Gulf Stream, l'évaporation est très importante, et n'est compensée par les précipitations que vers 50 degrés de latitude Nord. Le Gulf Stream est donc un courant dont les eaux sont très salées (plus de 36‰ entre 15 et 35° de latitude Nord).

Ce phénomène de forte évaporation, non compensée par des précipitations, est à l'origine de la forte salinité globale de l'Atlantique (35‰).


Les eaux qui s'évaporent du Pacifique sont entraînées à l'Ouest au-dessus de l'Asie, par les alizés. Au-dessus de ce continent, elles retombent sous forme de précipitations. Les nombreux fleuves qui drainent l'Est de l'Asie se jettent dans le Pacifique. Le bilan hydrique global est donc nul. Le Pacifique ne perd globalement pas d'eau par évaporation. Le Pacifique est donc globalement moins salé (34,5‰) que l'Atlantique (35‰).

Bilan évaporation-précipitation à la surface des océans (en cm/m2)

Figure 12. Bilan évaporation-précipitation à la surface des océans (en cm/m2)

Les valeurs négatives (zones en rouge) correspondent à un bilan hydrique négatif, c'est-à-dire qu'au point considéré, l'océan perd de l'eau.


En Antarctique, les eaux de surface ont une salinité moyenne de 34‰. Ces eaux ne se mélangent pas directement avec les eaux de l'Atlantique ou du Pacifique, car, au moment de leur formation, elles sont isolées des autres courants de surface par un courant très puissant, qui tourne d'Ouest en Est autour de l'Antarctique : le courant circumpolaire antarctique.

Cependant, il serait exagéré de considérer que l'eau de l'Antarctique ne se mélange pas avec celles des plus hautes latitudes. En effet :

  • Les eaux antarctiques de fond quittent les mers de Weddell et de Ross et sont intégrées dans le courant circumpolaire antarctique, en profondeur.
  • Ensuite, le long du courant antarctique, se forment des eaux intermédiaires que l'on retrouve dans les trois océans subtropicaux de l'hémisphère Sud (Pacifique, Indien et Atlantique).
  • Enfin, en surface, il y a échange, en particulier turbulent, au travers du courant antarctique circumpolaire.

Le Gulf Stream et la régulation du climat

Le Gulf Stream

Figure 13. Le Gulf Stream


Actuellement, les scientifiques savent que le Gulf Stream s'inscrit dans la circulation thermohaline globale. C'est parce qu'il y a circulation thermohaline, et plongée d'eau, que le Gulf Stream remonte vers le Nord pour remplacer l'eau qui plonge, et réciproquement. Cette boucle est fragile.

Imaginons un réchauffement climatique mondial. Si la calotte groenlandaise actuelle fond un peu plus que maintenant, la surface de l'Atlantique Nord verra sa salinité diminuer.

La conséquence serait un arrêt ou un ralentissement de la circulation thermohaline et du Gulf Stream. Le climat de la France risquerait alors de devenir celui du Canada (Vancouver ou Seattle (USA) sont à la même latitude que La Rochelle !).

Un arrêt du Gulf Stream semble déjà avoir été enregistré. Lors de la fonte de la calotte canadienne, à la fin du dernier épisode glaciaire, l'essentiel de l'eau est descendue vers l'océan par le Mississipi. Quand la fonte de cette calotte s'est accélérée, d'immenses lacs et le Saintt Laurent se sont mis en place, contribuant ainsi à une baisse brutale de la salinité de l'Atlantique. Cet arrêt du Gulf Stream est associé à un épisode climatique très froid, le Dryas récent, il y a 13.000 ans, pendant lequel la température moyenne de l'Europe a baissé de plusieurs degrés en moins de 50 ans. Le nom de « Dryas » provient du nom d'une petite fleur qui pousse sous les climats très froids.

Une vidéo en relation avec ce thème : Le courant des profondeurs, vol. 4, un film de Eisuke Seki, VHS - Secam - Couleur, Durée : 60 mn environ, Edition : La Cinquième Vidéo.