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Article | 15/09/2001

Méthodes d'étude de la circulation océanique profonde

15/09/2001

Benoît Urgelli

ENS-Lyon / DGESCO

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Les différentes méthodes d'étude des circulations océaniques : flotteurs, profils de température, salinité, oxygène dissout, traceurs anthropogéniques.


La circulation océanique de surface est assez bien connue grâce, entre autres, aux observations satellitaires. Les courants profonds sont par contre moins bien connus car l'océan est imperméable au rayonnement électromagnétique. Bien avant de les mesurer, on a pu les estimer à partir des bilans de masse et de chaleur des océans. On peut actuellement caractériser ces courants à partir de la dérive de flotteurs, de l'analyse de profils de température, de salinité, de teneur en oxygène et de concentration en traceurs anthropogéniques (tritium, carbone 14 et fréons).

La circulation profonde déduite des données flotteurs

D'après Thierry Reynaud, Herlé Mercier et Michel Ollitrault, IFREMER, Centre de Brest.

Des instruments spécifiques ont été développés pour effectuer des mesures directes : les courantomètres mécaniques ou à effet Dopler. Ces derniers sont montés sur des châssis d'échantillonnage et permettent de mesurer les courants sur toute une colonne d'eau. On obtient des mesures en un point géographique précis (mesures eulériennes), en contraste avec les mesures obtenues par les flotteurs dérivants (exemple : MARVOR)

Flotteur dérivant MARVOR, IFREMER

Figure 1. Flotteur dérivant MARVOR, IFREMER

Ce flotteur dispose d'un hydrophone qui permet de consigner l'arrivée de signaux acoustiques émis par un réseau de sources préalablement mouillées. Après une période sous-marine de 2 à 3 mois, le flotteur remonte en surface et transmet par satellite ses données puis replonge pour un nouveau cycle. Ces données permettent de localiser précisément le flotteur le long de sa trajectoire sous-marine et ainsi de suivre le déplacement d'une masse d'eau.


Dans les cadres des campagnes SAMBA (programme scientifique de Michel Ollitrault), EUROFLOAT et ARCANE, l'IFREMER les chercheurs ont suivi des flotteurs Marvors sur une période de 3 à 5 ans. Pour le projet SAMBA, les flotteurs ont suivi l'Atlantic Antarctic Intermdediate Water (AAIW) vers 800 m de profondeur.

Trajectoires (rouges et vertes) des 49 MARVORs mis à l'eau en 1994 vers 800 m de profondeur

Figure 2. Trajectoires (rouges et vertes) des 49 MARVORs mis à l'eau en 1994 vers 800 m de profondeur

En rose, déplacement sur 3 mois des MARVOR mis à l'eau en 1997. Les courbes noires représentent les isohalines moyennes à 800 m. Les flotteurs révèlent clairement un courant de bord Ouest vers 27°S et 2°S et des jets zonaux à l'équateur. La salinité est en bon accord avec les déplacements d'eau et la diffusion des flotteurs.


Vitesses moyennes des flotteurs SAMBA à 800 m

Figure 3. Vitesses moyennes des flotteurs SAMBA à 800 m

Les vecteurs sont obtenus uniquement pour des boites contenant 45 jours de données. (programme Michel Ollitrault).


Circulation de l'eau Antarctique

Figure 4. Circulation de l'eau Antarctique

Données obtenues par combinaison des données hydrographiques de Thierry Reynaud et des courants moyens des flotteurs SAMBA (programme scientifique de Michel Ollitrault)


Circulation Atlantique Sud

Figure 5. Circulation Atlantique Sud

Schéma de la circulation profonde dans l'Atlantique Sud déduite de la moyenne sur cinq ans des résultats du modèle SPEM (Miranda, 1996). La couleur indique la profondeur de l'océan et les flèches la direction globale de l'écoulement de la masse d'eau.


Le projet ARCANE est dédié à l'étude de la propagation d'une masse d'eau appelée l'Eau Méditerranéenne qui pénètre en Atlantique par le détroit de Gibraltar puis se propage globalement vers le Sud Ouest. Cette masse d'eau se distingue par une température et une salinité élevées. L'injection de cette masse d'eau en Atlantique s'accompagne de structures toubillonnaires. L'un des flotteurs ARCANE a été piégé dans l'un de ces tourbillons.

Trajectoire du flotteur MARVOR MV410, à 1 000 dbar

Figure 6. Trajectoire du flotteur MARVOR MV410, à 1 000 dbar

1 db (décibar) ≡ 1 mètre. Deux cycles de 90 jours du flotteur MARVOR sont représentés et l'intervalle de temps entre deux positions est de 24 heures. Document aimablement transmis par Thierry Reynaud, IFREMER.


Coupe de salinité le long de 36°N et carte des températures à 1 000 m de profondeur

Figure 7. Coupe de salinité le long de 36°N et carte des températures à 1 000 m de profondeur

Document aimablement transmis par Thierry Reynaud, IFREMER.


Dans le projet EUROFLOAT, ce sont les eaux Labrador Sea Water (LSW) vers 1 750 m qui ont été suivies.

La circulation profonde déduite des profils de températures, de salinité et de teneur en oxygène.

AMBRE (Acquisition de Mesures Bathysonde et REjeu)

Figure 8. AMBRE (Acquisition de Mesures Bathysonde et REjeu)

En 1994, l'IFREMER s'est équipé d'une nouvelle bathysonde CTDO2 (mesure de Conductivité, Température, Profondeur (depth) et Oxygène Dissous).


Les campagnes CITHER (CIrculation THERmohaline) ont permis de recueillir les profils suivants dans l'Atlantique équatorial et méridional :

Localisation des profils

Profil de température

Profil de salinité

Figure 11. Profil de salinité


Profil de teneur en oxygène

Pour le profil de température dans l'ensemble de l'Océan Atlantique, le minimum thermique permet de suivre, pour les eaux de l'Antarctique, la subduction de l'eau de surface dans les bassins profonds. Ces eaux sont d'ailleurs les plus froides de toutes les masses d'eau.

Distribution verticale de températures (en °C) à l'Ouest de l'océan Atlantique

Figure 13. Distribution verticale de températures (en °C) à l'Ouest de l'océan Atlantique

Les coupes de l'Atlantique ne sont pas faites suivant une ligne droite, mais en suivant un trajet en forme de S à l'Ouest ou à l'Est de la dorsale. Document transmis par Olivier Le Calve, Université de Toulon.


Le maximum de salinité permet de suivre l'eau profonde Nord Atlantique jusque dans l'océan Indien. La teneur en oxygène est également un traceur loin des eaux de surface. Mais il faut s'en méfier car sa concentration ne dépend pas seulement de son origine mais aussi de l'activité biologique.

La circulation profonde à l'aide de traceurs anthropogéniques

Récemment, on a utilisé des traceurs injectés par l'homme dans l'atmosphère et donc une partie se dissout dans l'océan : les fréons (CFC) injectés depuis 50 ans par les bombes aérosols et les fluides des réfrigérateurs, le tritium (3H) et le 14C injectés dans l'atmosphère lors des essais nucléaires des années 1960.

Tritium (TU) en Atlantique Nord (programme GEOSECS, 1972)

Figure 14. Tritium (TU) en Atlantique Nord (programme GEOSECS, 1972)

Dans l'eau, une teneur en tritium de 1 TU (Tritium Unit) correspond a une radioactivité de 0,12 becquerel/litre. Document transmis par Philippe Jean-Baptiste, LSCE.


Tritium (TU) en Atlantique Nord (programme TTO, 1981)

Figure 15. Tritium (TU) en Atlantique Nord (programme TTO, 1981)

Dans l'eau, une teneur en tritium de 1 TU (Tritium Unit) correspond a une radioactivité de 0,12 becquerel/litre. Document transmis par Philippe Jean-Baptiste, LSCE.


On a pu ainsi mettre en évidence par la répartition des teneurs en tritium thermonucléaire en profondeur, la plongée d'eau dense formée en mer du Groenland. Son avancée vers le Sud a été détectée par la comparaison avec les mesures effectuées quelques années plus tard. De manière générale, la vitesse des courants diminue avec la profondeur. Sous le Gulf Stream, il existe un courant dont les vitesses sont de l'ordre de 10 cm/s. Il entraîne l'eau profonde du Nord Atlantique vers le Sud.

Les mesures des teneurs en fréons (chloroflurométhane, CFC-11) dans la zone équatoriale de l'Atlantique ont permis de mettre en évidence l'existence d'une bifurcation vers l'Est à l'équateur (jet zonal équatorial) du flux d'eau profonde Nord Atlantique. Entre 1983 et 1993, on constate une avancée vers l'Est de la langue de fréons qui permet d'évaluer la vitesse d'advection vers l'Est à environ 1 cm/s.

Teneurs en chlorofluorométhane (CFC-11) dans la couche à 1.600-1.800 m

Figure 16. Teneurs en chlorofluorométhane (CFC-11) dans la couche à 1.600-1.800 m

Données recueillies au cours des campagnes TTO de 1983 (lignes pointillées) et CITHER 1 de 1993 (lignes continues). La comparaison des isolignes de 0,05 et 0,015 pmol/kg entre 1983 et 1993 permet de mettre en évidence la progression vers l'est des eaux profondes Nord Atlantique au niveau de l'équateur. L'isobathe 4 000 m est représentée et permet de localiser la ride médio-Atlantique.


Les chlorofluorocarbures le long de la frontière Ouest de l'Atlantique de 50°S à 10°N, le long de la radiale méridienne (janvier-mars 1994)

Données extraites du Rapport d'activités WOCE/France.

Durant CITHER2, des mesures systématiques de CFC-11 et CFC-12 ont été effectuées. Cette section permet de mettre en évidence certaines caractéristiques de la ventilation de l'Atlantique Sud et Équatorial, et des échanges entre le système des courants de bord Ouest et l'intérieur du bassin.

En surface et subsurface, dans la partie Sud, la distribution en CFC-11 est caractérisée par une structure prononcée : cette structure est associée aux méandres et tourbillons de la zone de confluence entre le Courant des Malouines, froid, peu salé, riche en oxygène et CFCs, et le courant du Brésil, se dirigeant vers le Sud, chaud, salé et pauvre en oxygène et CFCs.

Localisation CITHER2

Profil CFC-11

Figure 18. Profil CFC-11


Entre la surface et 1000 m environ, deux langues de maximum de subsurface se dirigent vers le Nord. La moins profonde, située au dessus de la densité 26,50, trace la formation d'eaux modales sub-tropicales, et découle en partie du dégazage en surface dû au réchauffement de la couche mélangée durant l'été austral. Vers la densité ramenée à 1 000 dbar de 31,70, le maximum de subsurface, visible jusqu'à environ 35°S, représente la signature des eaux antarctiques intermédiaires (AAIW), caractérisées par un maximum en oxygène et un minimum en salinité. Au niveau de la zone de convergence entre le courant des Malouines et le courant du Brésil (vers 35°S), les AAIW jeunes, rencontrant des AAIW plus vieilles et plus pauvres en CFC-11 provenant du Nord, bifurquent vers l'Est en étant transportées par le Courant Atlantique Sud, entre les fronts subantarctique et subtropical. Une analyse de la stratification verticale des profils en CFC-11 semble montrer qu'après avoir été transportées par la circulation anticyclonique dans le gyre subtropical, le retour de ces eaux vers le bord Ouest a lieu vers 20°S. La section à 35°S montre qu'il n'y a apparemment pas de veine de AAIW collée à la côte se déplaçant vers le Nord : des noyaux riches en CFC-11, corrélé à l'oxygène, se trouvent en effet situés vers la partie Est de la section, ce qui tendrait à montrer que si un transport direct vers le Nord existe, il se ferait dans le courant de retour du Courant du Brésil.

Plus au Nord, l'inflexion des isolignes le long de la côte à 13°S montre par contre que les AAIW se dirigent alors le long du continent vers le Nord, vers les régions équatoriales.

Vers la densité 36,84 (densité ramenée à 2 000 dbar), un noyau fortement marqué se propage à partir de la frontière Nord, avec une succession d'extrema, que l'on retrouve jusqu'à 25°S. Caractérisée par un maximum en salinité, cette masse d'eau représente l'eau Atlantique profonde supérieure (UNADW), provenant de la partie Sud de la mer de Labrador, et enrichie en salinité par l'eau méditerranéenne lors de son parcours dans le bord Ouest de l'Atlantique Nord.

Le long de la section méridienne, dans la partie équatoriale, les différents noyaux en CFC-11 résultent du système complexe de courants et contre courants zonaux caractéristiques de la dynamique équatoriale, avec plus spécifiquement une bifurcation vers l'Est entre l'équateur et 5°S : ce signal se retrouve dans les sections méridiennes situées plus à l'Est, effectuées au cours d'autres campagnes, comme Romanche et CITHER 1.

Vers 10°S et vers 25°S, deux noyaux bien marqués de maximum de CFC-11 montrent d'autres « fuites » du courant de bord Ouest profond vers l'intérieur du bassin : ces extrema sont entre autre corrélés à des extrema relatifs en salinité.

Sur la section à 13°S, le noyau de UNADW est encore fortement marqué en CFC-11 le long de la côte, et des recirculations sont de même visibles grâce à des noyaux plus au large (34.5°W). Au Sud de 30°S, il n'y a plus de signature claire de UNADW : ceci est en accord avec les analyses faites sur la salinité et l'oxygène montrant que la UNADW quitte « définitivement » le bord Ouest vers ces latitudes, lorsqu'elle entre en contact avec l'Eau Circumpolaire Supérieure (UCPW). Ainsi, la section à 35°S montre une absence totale de CFC-11 entre 2 000 et 3 500 m environ, résultant des bifurcations de la NADW plus au Nord : ces profondeurs sont occupées par l'eau circumpolaire, très faiblement ventilée, et donc dépourvue de CFCs.

En dessous d'une région pauvre en CFC-11, entre 2 500 et 3 500 m, représentant la MNADW, peu ventilée, un autre noyau de CFC-11 peut être observé dans la partie Nord de la section méridienne et sur la section de Cayenne (densité ramenée à 4 000 m de 45,88). Bien ventilée, riche en oxygène, cette masse d'eau représente l'Eau Atlantique Nord profonde inférieure (LNADW) provenant de la Mer du Groenland et de la Mer de Norvège. La section à 10°N (Cayenne) montre une langue d'eau riche en CFC-11, qui contrairement à la UNADW, s'étale assez loin vers le Nord-Est (jusqu'à 47.5°W), sans signal évident de recirculation importante plus à l'Est. Ce signal, faible, existe néanmoins et se situe vers 49.5°W.

Entre l'équateur et 5°S, le signal en CFC-11 bifurque vers l'est le long de topographie (pour se retrouver plus loin au niveau de la zone de fracture de Romanche. A 13°S, la signature en CFC-11 de la LNADW n'est plus apparente. Les données de traceurs classiques (salinité, oxygène) montrent néanmoins qu'une partie de la LNADW continue son cheminement vers le Sud le long du bord Ouest jusqu'à environ 35°S : le caractère transitoire du CFC-11, la perte importante due à la branche équatoriale, et les mélanges expliquent la disparition du signal de CFC-11 entre l'équateur et 13°S.

Le fond du bassin d'Argentine, en dessous de 4 000 m, est marqué en CFC-11 : ceci résulte de la ventilation de l'océan profond venant de l'Antarctique, plus spécifiquement de la Mer deWeddell. Le signal peut être suivi sur la section méridienne pratiquement jusqu'à l'équateur, avec une dilution croissante provenant du mélange vertical avec l'eau peu ventilée circumpolaire profonde. Au Nord du bassin du Brésil, la topographie (Equatorial Channel) bloque l'avancée de cette eau vers le Nord et accroît fortement le mélange vertical. Cette section de bord Ouest montre la diminution croissante du signal tapissant le fond entre 35°S (Porto Alegre) et 13°S (Salvador de Bahia). Une analyse plus fine des teneurs en CFC-11, CFC-12 et oxygène au Sud de 40°S montre que la circulation globalement cyclonique de l'AABW dans la bassin d'Argentine est plus complexe.