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Article | 16/05/2000

Lien entre le δ18O des glaces et la température atmosphérique

16/05/2000

Francis Albarède

ENS de Lyon

Pierre Thomas

ENS de Lyon

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Le fractionnement de l'18O et l'16O en fonction de la température et son impact sur le δ18O des glaces.


Question

« Le δ18O calculé à partir des mesures effectuées dans les calottes glaciaires augmente avec la température de précipitation de la neige. Y-a-t-il une explication physico-chimique à ce fait ? »

Question posée par B..M. le 5 avril 2000, par courrier électronique.

Réponse

Résumé : Il existe des relations bien calibrées par les mesures actuelles des météorologistes entre le δ18O des précipitations et la température moyenne atmosphérique à l'endroit où se produisent les précipitations. Ces relations ne sont pas issues de calculs mais de mesures ! Pour un site donné, on peut donc tracer cette courbe. Il suffit de mesurer la composition isotopique δ18O de la glace pour avoir une idée de la température moyenne atmosphérique au moment de la formation de la glace. Cette relation est liée à un fractionnement isotopique entre l'oxygène lourd 18O et l'oxygène léger 16O au moment de la condensation de la vapeur d'eau en pluie ou en glace : lorsque la température atmosphérique diminue, le H218O se condense plus facilement que H216O. Les nuages s'appauvrissent en 18O et le δ18O des précipitations du moment sont enrichies en 180. Le nuage étant appauvri, les précipitations suivantes issues de ce même nuage auront donc un δ18O plus faible.

Les mesures actuelles des météorologistes de δ18O dans les précipitations et les paléotempératures atmosphériques

En Antarctique (ou ailleurs), quand il neige (ou pleut), les météorologistes réalisent au même moment des mesures de δ18O et de δD (rapport entre les isotopes de l'hydrogène 1H et 2H ou deutérium) dans les précipitations et des mesures de température des nuages. Si on réalise ces mesures en un même lieu, mais à diverses températures (été, hiver,...), on voit apparaître une courbe (quasiment une droite) de δ18O en fonction de la température moyenne atmosphérique. On établit ainsi une loi observationnelle. Au-dessus de Vostok, la neige d'hiver à -50°C présente un δ18O de -45‰ et la neige d'été à -20°C un δ18O de -25 ‰.

Relation isotope/température au Groenland et en Antarctique de l'Est

Figure 1. Relation isotope/température au Groenland et en Antarctique de l'Est

Les points représentent les moyennes annuelles de la température et de la composition isotopique des précipitations (neige) mesurées en différents endroits. Cette relation empirique est utilisée pour quantifier les variations passées de température à partir des variations isotopiques enregistrées dans les glaces polaires.

Document transmis par Gilles Delaygue, CEREGE, Europole de l'Arbois. Source : J. Jouzel, C. Lorius, S. Johnsen, P. Grootes, 1994. Climate instabilities : Greenland and Antarctic records, Compte Rendu de l'Académie des Sciences de Paris, vol. t.319, série II, 65-77.


Un carottage de 3.028,80 m de long, effectué dans la calotte antarctique, a fourni des carottes de glace qui ont été découpées avant d'être soigneusement marquées puis analysées. Ce travail permet, entre autres, de reconstituer la composition de l'atmosphère dans le passé et d'étudier ainsi le rôle des gaz à effet de serre dans le système climatique global.

Carottes de glace

Figure 2. Carottes de glace


Résultats de l'analyse du δ18O de la glace et de la composition des bulles de gaz contenus dans les carottes de Vostok, depuis 400 000 ans

Figure 3. Résultats de l'analyse du δ18O de la glace et de la composition des bulles de gaz contenus dans les carottes de Vostok, depuis 400 000 ans

La courbe de température est obtenue en mesurant le δ18O de la glace.

Document transmis par Jean-Marc Barnola, Laboratoire de Glaciologie de Grenoble, CNRS.


Il ne reste plus qu'à expliquer cette variation du δ18O en fonction de la température moyenne atmosphérique.

Explication de l'évolution du δ18O avec la température de précipitation de la neige

La distribution de deux isotopes de l'oxygène 18O et 16O (comme celle des deux isotopes de l'hydrogène 1H et 2H (ou D=deutérium)) entre l'eau vapeur atmosphérique et les précipitations (glace ou pluie) est contrôlée par la fameuse loi d'action de masse dont le coefficient dépend de la température (très peu de la pression).

Avec des mots simples, cela veut dire qu'il y a une légère différence de coût énergétique pour faire passer la molécule d'eau de l'état vapeur à l'état liquide ou solide suivant que les constituants sont un isotope ou l'autre (qui se différencient par leur masse). Quand de l'eau liquide (ou solide) se condense à partir de vapeur, la molécule d'eau contenant l'oxygène lourd (18O) se condense mieux et plus vite que celle contenant l'oxygène léger (16O).

Dans un nuage, plus il fait froid, plus la quantité d'H2O lourde qui se condense est importante. Le nuage perd alors plus de 18O et la vapeur restante s'appauvrit encore plus en 18O : le δ18O devient de plus en plus négatif. Le δ18O dans les précipitations issues de ce même nuage diminue donc bien avec la température atmosphérique (ou augmente avec elle). Autrement dit, la vapeur d'eau se forme sur l'océan, migre vers le Sud, se refroidit progressivement, et se condense partiellement tout au long de sa migration. Supposons que le fractionnement soit indépendant de la température et égale à une unité δ. Supposons maintenant, qu'à un instant t, la vapeur ait une composition isotopique δ18O = 0. Il neige. La neige est alors plus riche en 18O, disons delta 18O = +1 et le nuage passe alors à -1. Elle continue à se refroidir, sur place ou non,... La précipitation qui suivra (issue du même nuage) aura une composition δ18O égale à 0 et pour le nuage à résiduel δ18O = -2, et ainsi de suite...

La composition d'une précipitation à un instant donné intègre toute l'histoire thermique et l'histoire des précipitations d'un nuage, depuis sa formation par évaporation jusqu'à cet instant. La température de ce même nuage intègre aussi cette histoire, d'où la relation δ18O des précipitations et température atmosphérique.

Notez que cette variation ne dépend pas que de la température, mais également d'autres facteurs comme la distance à la mer, l'altitude... C'est pour cela qu'on mesure la relation δ18O des précipitations en fonction de la température des nuages sur le site où est réalisé le carottage de glace.