Article | 30/07/2004
Isotopes de l'oxygène, paléotempératures et volume des glaces
11/11/2001
Résumé
Explication du fractionnement isotopique de l'oxygène, variations du δ18O avec la température.
Table des matières
Question
Objet : isotopes de l'oxygène et paléotempératures Date : Lun, 5 Nov 2001 08:23:18 De : gilles.rafflegeau.
« Je n'ai pas trouvé de réponses suffisamment claires expliquant pourquoi un refroidissement (et une période glaciaire) correspond à un δ18O faible dans les glaces et élevé dans les carbonates. »
Réponse
Résumé
Ces deux phénomènes, diminution du δ18O des glaces et augmentation de celui des sédiments en période glaciaire, ne sont pas directement liés, mais sont des conséquences du refroidissement et de la formation de calottes.
Lors du transport de la vapeur d'eau des basses vers les hautes latitudes, et des océans vers les continents, les précipitations successives appauvrissent cette vapeur plus en isotope lourd (H218O) qu'en isotope léger (H216O). Le δ18O de la vapeur des nuages diminue donc avec l'augmentation de latitude (diminution de température), et le δ18O des précipitations formées à partir de cette vapeur diminue corrélativement. Ceci explique d'une part que les glaces polaires soient formées d'eau très appauvrie en isotope lourd (δ18O très négatif). D'autre part, en période plus froide, comme la température lors du transport de vapeur diminue plus "vite" avec la latitude, l'appauvrissement isotopique de la vapeur est plus prononcé, et le δ18O des précipitations pour un site donné diminue. C'est l'origine du thermomètre isotopique appliqué aux glaces.
Si, en plus, on a formation de calottes de glace, comme en période glaciaire (jusqu'à 3-4 % du volume des océans était sous forme de calotte), comme cette glace était très appauvrie en isotope lourd, ce stockage a enrichi isotopiquement (par conservation de la masse totale d'H218O) les océans. Or, les tests carbonatés des foraminifères sont en équilibre isotopique avec l'eau de mer, le δ18O de ces carbonates augmente donc en période glaciaire. Ce δ18O dépend aussi de la température de l'eau : en période glaciaire, le refroidissement des océans a également contribué à augmenter le δ18O des tests carbonatés.
Démarche explicative
Fractionnement des isotopes de l'oxygène par changements de phase de l'eau.
Lors d'une évaporation, la vapeur d'eau est moins concentrée en H218O que le liquide dont elle est issue. Inversement, lors d'une condensation, les précipitations (pluie et neige) sont plus concentrées en H218O que la vapeur. La vapeur formée au-dessus des océans est dite appauvrie (en H218O par rapport à H216O) par rapport à l'eau de mer. Lors du transport de cette vapeur des basses vers les hautes latitudes, et des océans vers les continents, les condensations successives appauvrissent encore plus la vapeur. A chaque condensation, les précipitations sont enrichies par rapport à la vapeur, mais ceci ne compense pas l'appauvrissement acquis progressivement par la vapeur. Les précipitations sont donc de plus en plus appauvries (δ18O de plus en plus négatif).
Relation entre refroidissement et diminution du δ18O des précipitations en un lieu donné (thermomètre isotopique).
Le refroidissement en période glaciaire a été global, mais il a été plus important aux hautes latitudes qu'aux basses. L'appauvrissement en vapeur et en H218O des nuages lors de leur transport a été plus intense, car avec des températures plus basses on condense plus de vapeur, et donc il en reste moins pour les précipitations suivantes. Pour un site donné, ce refroidissement conduit donc a une diminution du δ18O des précipitations.
Relation entre volume de glaces polaires et δ18O des océans.
La glace des calottes polaires est donc toujours appauvrie en H218O de 30 à 40 ‰ (δ18O ~ -40 ‰ = -4 %) environ par rapport à l'eau des océans (avec de petites variations selon la température, cf paragraphe précédent). Comme la quantité totale de H218O (océans + calottes) est constante, plus les calottes sont volumineuses (à δ18O constant), plus l'eau de mer est, par différence, concentrée en H218O. Volume des calottes et δ18O de la mer varient donc dans le même sens, proportionnellement.
Relation entre δ18O des océans et δ18O des Foraminifères benthiques.
Les Foraminifères benthiques sont des Protozoaires qui vivent au fond des océans et synthétisent une coquille carbonatée (un test) dont la composition isotopique dépend de la température de l'eau et du δ18O de l'eau. Comme la température de l'eau est varie peu à grande profondeur, les variations du δ18O des tests ne dépendent plus que de celles de l'eau : pour une température au fond des océans (typiquement de 1°C), le δ18O des Foraminifères benthiques est toujours supérieur de 3 ‰ environ à celui de l'eau.
D'où la relation entre δ18O des Foraminifères benthiques et volume de glaces polaires.
Par l'analyse des carottes de sédiments carbonatés marins, on peut donc estimer le volume des glaces sur les derniers millions d'années.
Relation entre δ18O des glaces et volume de glaces polaires.
En période glaciaire, le refroidissement du climat diminue le δ18O des glaces ; et la formation de calottes de glace fait augmenter le δ18O des océans. La reconstruction des variations de ces δ18O (dans les glaces et les sédiments marins) montre une très bonne corrélation sur les derniers millions d'années.
Explication détaillée
Rappelons que le δ18O exprime la composition isotopique en oxygène (que ce soit dans l'eau, H2O, ou un carbonate, CaCO3).
δ18O des glaces polaires
La vapeur d'eau transportée des plus basses latitudes vers les pôles subit un fractionnement isotopique (appauvrissement en 18O par rapport à l'16O) lors des condensations successives, de façon d'autant plus importante que la température diminue.
Sur la Figure 2, des mesures de δ18O des précipitations, en différents sites du Groenland et de l'Antarctique, sont portées en fonction de la température annuelle: une bonne corrélation linéaire existe. C'est ce qu'on appelle le thermomètre isotopique. On utilise ces relations linéaires pour interpréter les variations isotopiques du passé mesurées dans les glaces (plus le δ18O est négatif, plus il a fait froid).
δ18O des carbonates
Dans les sédiments océaniques : la composition isotopique des carbonates (δ18O de CaCO3), synthétisés par des organismes marins, dépend de la température ainsi que de la composition isotopique de l'eau de mer (δ18O de H2O). En effet, les carbonates sont synthétisés à partir des ions carbonates HCO3-, qui sont en équilibre isotopique avec l'eau de mer. L'équation bilan est en effet :
Ca2+ + 2 HCO3- ⇄ CaCO3 + CO2 + H2O.
- La température : pour un même δ18O de l'eau de mer, on constate que le δ18O des carbonates augmente si la température diminue (c'est un contrôle thermodynamique, avec un rapport de -4ºC pour +1 ‰ de δ18O).
Le δ18O de l'eau de mer : il a varié dans le passé à cause notamment du volume des calottes de glace qui recouvraient le nord des continents américain et indo-européen en périodes glaciaires. C'est un simple bilan de masse (Figure 2).
la glace stockée aux hautes latitudes a un δ18O très appauvri (entre -30 à -40 ‰), ce qui fait augmenter le δ18O de la source, les océans. Cette augmentation est proportionnelle au rapport volume de glace stockée sur volume des océans. Au dernier maximum glaciaire (il y a 21 000 ans) ce stockage de glace a fait baisser le niveau de la mer d'environ 120 mètres. En supposant une composition moyenne des calottes de δ18O = -40 ‰ et une profondeur moyenne des océans de 4 000 mètres, l'enrichissement du δ18O de l'océan était donc de 120/4000 x 40 = +1,2 ‰.
Noter bien que ces deux effets jouent dans le même sens sur le δ18O des carbonates : un refroidissement en période glaciaire augmente le δ18O des carbonates lors de leur synthèse et via le δ18O de l'eau de mer. Et inversement en cas de réchauffement. Il est donc difficile de faire la part des deux effets lorsque l'on interprète le δ18O des sédiments.
δ18O de l'eau de mer et δ18O de la glace
Ces deux δ18O sont indirectement reliés en période glaciaire, à cause du refroidissement global qui augmente l'appauvrissement des précipitations et augmente le volume des calottes. La reconstruction de ces δ18O, à partir de la glace et des sédiments, montre une bonne anti-corrélation lors des cycles glaciaires-interglaciaires depuis environ 1 million d'années.
La Figure 4 illustre ce fait sur les derniers 400 000 ans : la courbe du haut est une estimation du δ18O de l'eau de mer, la courbe du bas le δ18O de la glace à la station de Vostok, en Antarctique. Vous pouvez vous exercer à retrouver les périodes de réchauffement et de refroidissement !