Article | 03/03/2005
Mammifères et Oiseaux du Crétacé, deux nouvelles découvertes
03/03/2005
Résumé
Découverte d'un oiseau crétacé rapproché du groupe actuel des Anatidés (les canards) qui fait rebondir le débat sur la diversification des oiseaux. Découverte d'un mammifère largement plus grand que ceux connus jusqu'ici pour le Crétacé, et dont le contenu stomacal fossilisé contiendrait des restes de dinosaures.
Table des matières
Deux nouveaux fossiles récemment décrits dans la revue Nature viennent relancer les débats sur la place et la diversité des Mammifères et des Oiseaux au cours du Crétacé, alors que les dinosaures1 dominaient les écosystèmes terrestres. D'un côté, la découverte d'un mammifère largement plus grand que ceux connus jusqu'ici pour le Crétacé [1], et dont le contenu stomacal fossilisé contiendrait des restes de dinosaures, remet en question la vision classique de la place écologique qu'occupaient les mammifères du crétacé. De l'autre, un oiseau crétacé rapproché du groupe actuel des Anatidés (les canards)[2] fait rebondir le débat sur les modalités de la diversification des oiseaux. Les deux découvertes posent également toutes deux la question de la diversité réelle de ces deux groupes au Crétacé : on décrit souvent la diversité actuelle et tertiaire de ces deux groupes comme le résultat d'une radiation évolutive après la crise Crétacé-Tertiaire. Ces deux fossiles viennent aussi tempérer cette idée.
(1) : On désignera ici par dinosaures sans majuscule les dinosaures au sens "classique" du terme, c'est-à-dire le groupe paraphylétique ne contenant pas les Oiseaux. Rappelons que c'est seulement l'ensemble (dinosaures et Oiseaux) qui constitue le groupe monophylétique des Dinosauria.
Vegavis et la diversité crétacé des oiseaux
La filiation dinosaures - oiseaux
Rappelons d'abord qu'avec les découvertes successives de dinosaures théropodes couverts de plumes de diverses sortes (du simple duvet aux grandes plumes), la parenté des Oiseaux et des dinosaures est aujourd'hui bien admise. Ces dinosaures emplumés n'étaient apparemment pas capables de vol battu (par exemple parce qu'ils ne possédaient pas les plumes asymétriques qui permettent un vol efficace, les articulations de leurs membres ne leur permettaient pas de battre des ailes, leurs muscles thoraciques et dorsaux étaient trop peu puissants pour cela). On n'en fait pas donc pas des Oiseaux, mais toujours des dinosaures au sens classique. Certaines de ces espèces devaient cependant pouvoir planer à la façon des écureuils volants actuels. La plume (qui ne serait pas un dérivé direct de l'écaille reptilienne [4]) serait probablement apparue d'abord en tant qu'adaptation thermorégulatrice. Sa structure se serait diversifiée chez les dinosaures théropodes avant que certains d'entre eux ne développent la capacité de voler en tirant parti, pour une nouvelle fonction, de leur plumage [3][4]. Un oiseau au sens phylogénétique devient donc un représentant des Dinosauria qui, à la fois, possède des plumes et des ailes, est capable (ou dont les ancêtres ont été capables) de vol battu et présente, en plus des plumes, d'autres adaptations anatomiques au vol (os pneumatisés, présence d'un bréchet et fusion des clavicules en une fourchette, etc…).
Si le plus ancien fossile attribué au groupe des Oiseaux (Aves) reste toujours l'Archaeopteryx, daté du Jurassique moyen, les modalités de la diversification postérieure de ce groupe sont l'objet d'un débat. Un scénario était que les Paléognathes et Néognathes (les oiseaux à bec sans dents) ne se seraient diversifiés qu'après la crise Crétacé-Tertiaire, crise qui aurait été fatale à d'autres groupes d'Oiseaux plus anciens (figure 1).
L'apport de Vegavis iiai
Le fossile décrit, nommé Vegavis iiai, n'est pas une réelle découverte, mais une nouvelle analyse d'un spécimen et de moulages, par des méthodes modernes de tomographie aux rayons X et d'histologie microscopique, d'un fossile exhumé en 1992 en Antarctique. Il provient de grès de bord de mer datés de 66 à 68 Ma.
L'analyse cladistique des caractères anatomiques et l'analyse histologique de coupes des os fossiles s'accordent, selon les auteurs de cette réinterprétation [2], pour placer Vegavis en groupe-frère des Anatidés, c'est-à-dire les actuels canards, oies et cygnes. Une telle position signifie que
- Dès le crétacé, au moins cinq événements de diversifications majeurs avaient déjà eu lieu dans le clade des Oiseaux. Ces différenciations avaient non seulement fait émerger, depuis les formes d'oiseaux les plus anciennes, les premiers représentants du groupe des Paléognathes, entièrement disparus depuis, mais aussi plusieurs types différents de Néognathes (les oiseaux à bec sans dents), le groupe qui contient tous les oiseaux actuels.
- Cela signifie également que les Néognathes avaient déjà connu une radiation évolutive dès le Crétacé, et non pas seulement après l'extinction Crétacé-Tertiaire, comme on le supposait généralement jusqu'ici.
- Ce fossile a également d'importantes conséquences pour les reconstitutions de l'histoire phylogénétique des oiseaux qui utilise le principe des horloges moléculaires : il fournit en effet un point d'ancrage temporel pour l'apparition des Anatidés. Il rapproche également un peu les points de vue paléontologiques et moléculaires, ces derniers proposant généralement que la diversification des oiseaux ait été largement antérieure à la limite Crétacé-Tertiaire et ait commencé dès le Jurassique (ce que le registre fossile, pour l'instant, réfute).
La figure 2 ci-dessous, tirée de Benton (2000) [5], représente l'état des connaissances et des suppositions concernant l'histoire phylogénétique des oiseaux à la fin des années 1990. Les aires noires représentent la répartition temporelle des groupes d'oiseaux indiqués telle que reconnue à l'époque. On y a replacé le nouveau fossile Vegavis.
Par ailleurs, ce fossile pose également d'autres questions : ainsi, comme il ne comprend pas le crâne de l'animal, il est impossible de savoir si cet oiseau possédait déjà le mode de nutrition filtreur qui caractérise aujourd'hui les Anatidés.
Repenomamus giganticus, un Mammifère prédateur de dinosaure
Le nouveau fossile
Repenomamus giganticus (figure 3) est un nouvel exemple de la richesse fossilifère de la Chine. Les restes exhumés comprennent un crâne partiel et sa mâchoire inférieure avec la plupart des dents, et le reste du squelette assez complet, avec des os toujours en connexion. Le fossile a été préservé dans un tuf volcanique sans structure, représentant, selon les auteurs, un seul événement volcanique ayant provoqué une mort en masse. L'ensemble de la formation géologique comprenant ce tuf fossilifère est daté radiométriquement de 128 à 139 Ma, donc du Crétacé ancien.
Ce fossile est décrit comme une espèce nouvelle d'un genre de Mammifère fossile déjà décrit auparavant, le genre Repenomamus. Il s'agissait, selon les auteurs, qui se basent sur le nombre de dents sorties et leur état d'usure, d'un jeune adulte. Or cet animal présente une taille une fois et demie plus grande que celle des individus de l'autre espèce connue jusqu'à présent. Sa longueur totale atteignait le mètre, et son poids (estimé au moyen des régressions linéaires empiriques définies sur les mammifères actuels) devait être de 12 à 14 kg, contre seulement 4 à 6 kg pour son proche parent. Cela en ferait, pour citer les auteurs « incontestablement le plus grand mammifère mésozoïque connu par des restes relativement complets » (ce qui signifie que d'autres restes provenant d'animaux de taille voisine, mais beaucoup plus fragmentaires, ont déjà été mis au jour).
Mais de plus, les chercheurs ont mis à jour d'autres restes osseux au niveau où devait se trouver (par analogie avec les mammifères actuels) l'estomac. Ces restes appartiendraient à un petit dinosaure herbivore, Psittacosaurus, dont on a aussi trouvé des spécimens sur le même site.Voir la représentation de James Reece d'un Psittacosaurus de Chine sur le site, Australian Museum online. La figure 4 montre un moulage de Psittacosaurus mongoliensis.
Les implications de ce fossile
D'après l'usure, encore visible, des dents du petit dinosaure, cet animal n'était pas un embryon, mais bien un jeune, ce qui signifie que ce mammifère n'était pas (ou pas seulement) un voleur d'œuf, ainsi que l'on représente souvent les petits mammifères de l'ère secondaire, mais bien un prédateur de dinosaures. Les auteurs de l'étude envisagent l'hypothèse que ce mammifère n'ait été que charognard, mais la rejette. Selon eux, l'animal, qui présente des incisives de grande taille et qui devait posséder, d'après son crâne, des muscles mandibulaires bien développés, pouvait être un prédateur dont la morsure puissante lui permettait de retenir efficacement une proie.
La taille généralement petite des mammifères mésozoïques connus jusqu'ici laissait supposer que ces animaux vivaient "dans l'ombre" des dinosaures, restreints à la niche écologique de petits insectivores (peut-être) nocturnes. Repenomamus giganticus vient donc élargir largement la gamme de taille de ces mammifères, et par conséquent les rôles qu'ils pouvaient tenir dans les écosystèmes du Secondaire.
Conclusion
Ces deux fossiles nouvellement décrits viennent remettre en question deux "images" jusqu'ici relativement consensuelles de l'évolution des Oiseaux et des Mammifères pendant et après la domination des dinosaures sur les écosystèmes terrestres. Vegavis iiai démontre que la diversification des groupes d'oiseaux "modernes" a été plus précoce qu'on ne le pensait jusqu'à présent, et n'est pas, ou pas seulement, une conséquence de l'extinction Crétacé-Tertiaire des dinosaures. Repenomanus giganticus, lui, bouleverse la diversité morphologique et écologique admise jusqu'ici pour les Mammifères crétacés. S'il ne remet pas en doute la domination des dinosaures sur les faunes terrestres, il démontre que ces mammifères n'était pas aussi "limités" par les dinosaures que l'on a pu le penser, mais qu'ils pouvaient être aussi grand sinon plus grands que certains dinosaures, et entrer en compétition avec eux.
Références
- [1] Y. Hu et al., 2005. Large Mesozoic mammals fed on young dinosaurs, Nature 433, 149-152.
- [2] J.A. Clarke et al., 2005. Definitive fossil evidence for the extant avian radiation in the Cretaceous, Nature 433, 305-308.
- [3] K. Padian, L. Chiappe, 1998. L'origine des oiseaux et de leur vol, Pour la Science 246.
- [4] R. Prum, A. Brush, 2003. Les plumes de dinosaures, Pour la Science 305.
- [5] M.J. Benton, 2000. Vertebrate palaeontology, 2nd edition, Blackwell.