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Article | 26/11/2021

Le jade, définition et contexte de formation

26/11/2021

Samuel Angiboust

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Circulation de fluides dans le manteau terrestre au-dessus de l'interface de subduction : description des processus de précipitation de jadéitite en veines ou en remplacement de veines et dykes antérieurs.


Avant-propos : qu'entend-on par jade ?

Le jade, utilisé depuis des millénaires comme objet décoratif, votif ou comme outil de découpe, regroupe les jadéitites (roches constituées à plus de 90 % de clinopyroxène sodique de type jadéite) et les néphrites (roches microcristallines constituées principalement d'amphiboles calciques de type trémolite). Les deux se caractérisent par une résistance extrême à la rupture, ce qui en font des matériaux de choix pour le polissage et la joaillerie. Tandis que les néphrites présentent souvent une couleur verte tendant vers le jaune-vert kaki (Fig. 1), les jadéitites – plus précieuses – présentent une palette de couleurs variées allant du blanc au vert pâle, en passant par le vert émeraude et dans certains cas vers des bleus plus ou moins violacés (Fig. 2). Ces couleurs sont la conséquence de variations de concentration en éléments traces et mineurs (par ex. Cr, Ti, Fe).

Échantillon poli de néphrite (provenance inconnue)

Figure 1. Échantillon poli de néphrite (provenance inconnue)

Pour davantage d'informations sur les néphrites (qu'on trouve souvent associées aux jadéitites sur le terrain), le lecteur est invité à consulter l'article de Harlow et Sorensen (2005 [12]).


Jadéitite sculptée à niveaux blancs et verts de jadéite et niveaux sombres à amphiboles sodiques (Myanmar)

Hache polie précolombienne en jadéitite bleutée “olmèque”

Figure 3. Hache polie précolombienne en jadéitite bleutée “olmèque”

Hache probablement collectée le long du Rio Motagua au Guatemala (site archéologique El Manati, Veracruz, Mexique).


On peut noter qu'il existe d'autres types de “choses” couramment nommées « jade », par exemple dans les boutiques de souvenir pour touristes en Chine. Il y a de la verroterie, bijoux ou statuettes faits en matière synthétique (verre ou céramique spéciale, voire plastique). Appeler cela “jade” est une escroquerie. Il y a aussi ce qui est appelé le « faux jade ». Il s'agit là d'une “vraie” pierre naturelle, très souvent de l'antigorite (de la serpentine). Si c'est précisé et vendu au prix de la serpentinite, il n'y a pas de problème. Mais en général, ce n'est pas précisé. Or même de bonne qualité, les serpentinites sont bien moins chères que les jadéites et les néphrites. De plus, les serpentinites sont nettement moins dures et bien plus rayables que le vrai jade, donc ne peuvent avoir les mêmes usages, même si l'on peut en faire de beaux objets (cf. Sculptures et objets en serpentinite et en pierre ollaire).

Nous allons concentrer notre attention seulement sur les jadéitites dans cet exposé.

Occurrences naturelles de jadéitite

Il est admis que la jadéitite ne peut se former qu'en présence de fluides métamorphiques dans un régime de haute pression, c'est-à-dire dans le champ de stabilité du pyroxène de type jadéite (NaAlSi2O6 ; Fig. 4). Ce régime de haute pression peut être atteint par un processus de subduction océanique. On parle ici de profondeurs généralement comprises entre 30 et 60 km et de températures relativement froides (400 à 600°C), typiques d'un gradient thermique de subduction (Fig. 5a). Dans ce contexte, le manteau lithosphérique est souvent partiellement hydraté (transformé en serpentinites ; Reynard, 2013 [18]). Il est établi que la grande majorité des affleurements de jadéitite sont spatialement étroitement liés à la présence de manteau serpentinisé. En effet, les jadéitites s'observent maintenant à la surface terrestre dans les sutures ophiolitiques, c'est-à-dire le long d'anciennes interfaces de subduction océanique exhumées par les processus tels que la collision entre les plaques tectoniques. Ces interfaces contiennent régulièrement des structures appelées « mélanges tectoniques », dans lesquels des blocs arrondis métriques à décamétriques de roches métamorphiques (par exemple des schistes bleus, des éclogites et aussi ces fameuses lentilles de jadéitites) sont emballés dans une matrice schistosée riche en serpentinite (Fig. 5b ; Harlow et Sorensen, 2005 [23]). L'origine de ces serpentinites est souvent discutée, mais il semble que dans une partie des cas, elle dérive de l'hydratation de la plaque supérieure (« coin mantellique » ; e.g. Cardenas-Parraga et al., 2021 [3] ; Fig. 5a). Parmi les localités les plus célèbres, on mentionnera le Nord du Myanmar (région du Kashin) et le Guatemala (Rio Motagua ; Fig. 3), qui fournissent à eux deux les plus beaux échantillons de jadéitite mondiaux. Il existe en totalité une vingtaine d'occurrences naturelles à travers le monde (Tsujimori et Harlow, 2012 [25] ; Fig. 6). Il n'y a pas d'occurrence de jadéitites en France, mais un gisement dans le massif du Monviso (Alpes occidentales italiennes, appelé Mont Viso en français) est connu, et a servi à alimenter le commerce et les échanges de haches polies au Néolithique à travers une bonne partie de l'Europe (e.g. Pétrequin et al., 2013 [17]).

Diagramme Pression-Température illustrant les principales réactions métamorphiques à l'œuvre dans le système chimique des jadéitites

Contexte de subduction avec coin mantellique, front d'hydratation serpentineux et mélanges tectoniques

Figure 5. Contexte de subduction avec coin mantellique, front d'hydratation serpentineux et mélanges tectoniques

a. Structure typique d'une subduction océanique localisant le coin mantellique (vert) dans lequel se développe un front d'hydratation (i.e. via le processus de serpentinisation).

b. Zoom sur le front d'hydratation serpentineux dans lequel sont retrouvés les jadéitites, sous forme de blocs généralement métriques au sein d'une structure de mélange tectonique.


Carte des occurrences mondiales de jadéitite

Processus pétrologiques de formation de la jadeitite

On distingue deux types de jadéitites : les jadéitites dites de remplacement « type R », et les jadéitites formées par précipitation d'un fluide dans une veine, le « type P » (e.g. Harlow et al., 2015 [11] ; Fig. 7).

Les premières se forment par remplacement d'une roche de composition chimique généralement assez proche des jadéitites, typiquement un granitoïde (par exemple, une trondhjémite). Ce remplacement fait suite à un échange chimique entre la phase fluide et le solide : il s'agit de métasomatisme. Typiquement, une roche contenant beaucoup de feldspath riche en albite (NaAlSi3O8) va avoir tendance à se transformer relativement facilement en jadéitite sous l'effet de l'infiltration d'un fluide métamorphique (Fig. 7, Fig. 8). Il a été démontré dans le massif du Monviso que certains blocs de jadéitites dérivent du remplacement quasi complet pendant la subduction d'anciens plagiogranites, initialement formés au Jurassique sur le plancher océanique de l'océan téthysien (Compagnoni et al., 2012 [4]). Ce type de métasomatisme avait déjà été mis en évidence par la communauté russe dès les années 1970 (e.g. Dobretsov et Ponomareva, 1968 [5]).

Les jadéitites de type P se forment quant à elles à la suite de la circulation et et de la précipitation de fluides métamorphiques le long d'un réseau de fractures à travers du manteau partiellement serpentinisé (e.g. Tsujimori et Harlow, 2012 [25]). De la même manière que du tartre précipite au niveau du bec d'un robinet, ces systèmes de veines hydrothermales peuvent se remplir graduellement et de manière incrémentale de jadéite, jusqu'à ce que le système de drain soit abandonné (Fig. 7, Fig. 9a,b,c). Les fluides laissent souvent derrière eux des structures de zonation minérale dites oscillantes, illustrant le caractère périodique de l'infiltration de fluides dans la zone de fracture en question (Fig. 9c). Les microstructures de croissance peuvent être imagées en utilisant certaines techniques d'imagerie comme la microscopie optique, le microscope électronique à balayage ou la microscopie à cathodoluminescence (Fig. 9). La combinaison entre l'imagerie de haute résolution et les micro-analyses chimiques (sonde électronique) permettent de mettre en évidence un lien entre la position texturale et l'enrichissement en Ca et Mg du clinopyroxène jadéitique vers ses bordures (omphacite : (Ca,Na)(Mg, Fe2+, Al)Si2O6 ; Fig. 9c,d).

Schéma synthétique illustrant les deux processus principaux de formation de jadéitites, par remplacement (type R) et par précipitation dans des veines (type P)

Figure 7. Schéma synthétique illustrant les deux processus principaux de formation de jadéitites, par remplacement (type R) et par précipitation dans des veines (type P)

Dessin sans échelle, la dimension des objets allant de la dizaine de centimètres à plusieurs mètres.


Cartographie chimique du contenu en Na (en coups), réalisée à la sonde électronique (le fond albitique est masqué en niveaux de gris)

Figure 8. Cartographie chimique du contenu en Na (en coups), réalisée à la sonde électronique (le fond albitique est masqué en niveaux de gris)

Cette image illustre comment un assemblage de type granitoïde à albite (Ab) et paragonite (un mica blanc sodique) se fait remplacer graduellement en jadéite (il s'agit donc d'un type R) pendant la subduction et l'infiltration de fluides métamorphiques le long des joints de grains. Échantillon provenant de l'Oural polaire (Russie).


Microstructures typiques de jadéitites de type P

Figure 9. Microstructures typiques de jadéitites de type P

a. Structures de croissance en fibres montrant deux générations de cristaux de jadéite (image de microscopie optique lumière naturelle transmise).

b. Photographie en électrons secondaires rétrodiffusés réalisée au microscope électronique à balayage, montrant plusieurs générations de clinopyroxènes riches en jadéite, des structures d'oscillation chimique et des surcroissances. Ces microstructures évoquent une croissance incrémentale pendant le remplissage de la veine, qui a pu subir plusieurs épisodes d'ouverture successifs.

c. Image par cathodoluminescence qui permet de mettre en évidence les différentes générations de jadéites, dont la seconde oscillante, ainsi qu'une remplissage tardif (interstitiel) d'omphacite (Omp), un clinopyroxène plus riche en calcium (jadéitite de l'Oural polaire).

d. Diagramme ternaire représentant la composition chimique des clinopyroxènes visibles dans les images précédentes. La tendance générale dans beaucoup de jadéitites est à l'enrichissement en molécule diopsidique (pôle calcique et magnésien) vers les bordures des cristaux.


Composition chimique et source des fluides entrants

Ces fluides sont dans un état thermodynamique dit « supercritique » (cf. L'état supercritique en sciences de la Terre), et ont des propriétés physico-chimiques tout à fait particulières, les rendant corrosifs et particulièrement efficaces pour le processus de remplacement par dissolution-reprécipitation. À ces conditions de pressions-températures, ces fluides sont notamment très riches en silice, en aluminium et en alcalins (de l'ordre de dizaines de % massique ; Manning, 2004 [15]). Les inclusions fluides piégées dans les cœurs des cristaux de jadéite indiquent la présence de sels, de CO2 et de CH4. Il est clair que les fluides qui passent par les réseaux de jadéitites du coin mantellique trouvent leur origine dans les réactions de déshydratation de la croute océanique de la plaque plongeante, notamment pendant le franchissement du champ des schistes bleus (typiquement vers 30-50 km de profondeur) et à l'entrée dans le champ des éclogites (à partir de 50-70 km, en fonction du gradient thermique). Tandis que les fluides à l'origine de la précipitation de la jadéitite “pure” requièrent une composition à la diversité chimique relativement restreinte (principalement Na, Al et Si), les bordures de cristaux de jadéite sont enrichies en Ca-Mg-Fe (Fig. 9d) et souvent associées à d'autres minéraux comme les micas (riches en potassium), la lawsonite (un silicate calcique hydraté typique des schistes bleus) ou l'amphibole bleue. Toute cette diversité minérale, apparaissant relativement tardivement dans l'évolution minéralogique du corps de jadéitite, suggère que le fluide incorpore dans un second temps une plus grande diversité d'éléments en solution (K, Ca, Fe, Mg), preuve que la source du fluide évolue (e.g. Sorensen et al., 2006 [23] ; Garcia-Casco et al., 2009 [8]). Tandis qu'il est clair que l'apport de Mg, Ca et Fe peut facilement être expliqué par des processus de serpentinisation (déstabilisation des ortho- et clino-pyroxènes de la péridotite), l'origine du K et du carbone (piégé dans les inclusions fluides), requiert une source externe, possiblement dérivant du matériel méta-sédimentaire (riche en micas) le long de l'interface de subduction. Beaucoup de travail reste à faire pour une meilleure compréhension de l'origine de ces fluides, sur les processus de transport à ces grandes profondeurs, ainsi que sur le comportement hydromécanique des réseaux de drains (e.g. Angiboust et al., 2021b [2]).

Les zircons et la datation des jadéitites

Parmi le cortège d'éléments chimiques contenus dans la phase fluide circulant dans les domaines jadéitisés, on recense le zirconium (Zr), pourtant classiquement considéré comme relativement immobile. Des quantités particulièrement importantes de Zr (de l'ordre du millier de ppm, c'est-à-dire du ‰) sont transportées, et aboutissent à la précipitation de nombreux cristaux de zircon (ZrSiO4) en association avec les cristaux de jadéite. Les zircons sont des minéraux particulièrement adaptés à la datation des blocs de jadéitites via l'utilisation de la méthode U-Pb (e.g. Meng et al., 2011 [16] ; Schertl et al., 2012 [20]) car ils sont extrêmement résistants et prompts à enregistrer de multiples épisodes d'interaction fluide-roche (e.g. Rubatto et Angiboust, 2015 [19]). L'imagerie en cathodoluminescence permet de mettre en évidence des structures de dissolution, des surcroissances et des oscillations (Fig. 10a). Le couplage entre datation in situ (via notamment l'utilisation de laser ou avec une sonde ionique ; Fig. 10b) et micro-textures est un moyen efficace pour identifier des cœurs et des surcroissances, qui peuvent donner des âges significativement différents (Schertl et al., 2019 [21]). Dans un certain nombre de localités (par ex., Myanmar, Guatemala), les âges U-Pb sont nettement plus anciens (de l'ordre de plusieurs dizaines de Ma) que les âges sur les autres roches métamorphiques trouvées également en blocs dans le même mélange (e.g. Shi et al., 2008 [22] ; Yui et al., 2010 [26], 2013 [27] ; Flores et al., 2013 [6]). Une explication probable est que certains blocs de jadéitite contiennent encore des cristaux de zircons dont les cœurs se sont formés pendant un épisode magmatique antérieur (par ex., une trondhjémite d'affinité océanique ou un dyke felsique au-dessus de l'interface ; Fu et al., 2010 [7] ; Hertwig et al., 2016 [13]). Des surcroissances plus jeunes peuvent être identifiées, témoignant d'épisodes ultérieurs d'interaction fluide-roche pendant l'évènement de subduction en régime de haute pression. Ainsi, l'utilisation des datations in situ sur les zircons est-il un moyen efficace d'attribuer un échantillon de jadéitite à l'un des deux types (R ou P) précédemment présentés : il est attendu que les zircons d'un fragment de jadéitite de type P – précipité dans une veine – (i) ne contiennent pas de cœurs hérités plus anciens, (ii) présentent des âges de cristallisation distribués de manière restreinte et homogène, signe d'un remplissage de la veine sur un laps de temps relativement restreint (Fig. 10b).

Zircons de jadéitites : oscillations micrométriques et datations

Figure 10. Zircons de jadéitites : oscillations micrométriques et datations

a. Image en microscopie électronique (mode cathodoluminescence) montrant un zircon d'une jadéitite d'Iran présentant de multiples oscillations micrométriques (largeur du cristal : 60 µm).

b. Diagrammes de Concordia pour des grains de zircon de Cuba (Sierra del Convento ; Cardenas-Parraga et al., 2021 [3]) avec la localisation des points d'analyse à la sonde ionique (quatre photos de droite).


Signification géodynamique

De nombreuses études récentes couplant géochronologie in situ, géochimie et pétrologie tendent à prouver que les jadéitites de type R sont abondantes (voire dominantes) dans les mélanges serpentineux. Ce remplacement permet également d'expliquer la présence de « dykes » de jadéitites dont certains semblent dépasser plusieurs dizaines de mètres d'épaisseur (par ex. au Myanmar : Harlow et al., 2015 [11] et références associées) : on imagine mal un système hydrothermal comprenant des veines cohérentes atteignant une telle épaisseur, alors que des dykes magmatiques atteignent couramment ces épaisseurs. Le problème est que dans la majorité des sutures serpentineuses actuellement à l'affleurement, les structures datant de la mise en place – sous forme de dykes – ont été boudinées puis dilacérées, et les blocs se sont mis à tourner dans la serpentinite (connue pour sa faible viscosité) à la manière d'un roulement à bille (Guillot et al., 2009 [9] ; Fig. 5b). Il est donc notoirement difficile d'étudier les contacts directs entre les corps de jadéitite et leur encaissant (e.g. Sorensen et al., 2010 [24] ; Cardenas-Parraga et al., 2021 [3]). De plus, ces affleurements se localisent souvent sous des climats tropicaux avec un dense couvert végétal, et l'immense majorité des jadéitites étudiées ont été collectées dans les rivières sous forme de blocs.

Paysage montrant le contexte général des dykes de jadéitite de l'Oural polaire

Figure 11. Paysage montrant le contexte général des dykes de jadéitite de l'Oural polaire

L'Oural polaire est l'un des seuls endroits dans le monde où le contact primaire entre la jadéitite et son encaissant péridotitique est préservé.


Dyke de jadéitite en contact direct avec des serpentinites (Oural polaire, Russie)

Figure 12. Dyke de jadéitite en contact direct avec des serpentinites (Oural polaire, Russie)

Noter la présence d'une bordure très verte (métasomatique) associée à l'interaction entre la jadéitite blanche et l'hôte serpentineux. Cette couleur vert émeraude, la plus recherchée par les joailliers et collectionneurs, provient de l'enrichissement en chrome de la jadéite (il s'agit alors de kosmochlore : NaCrSi2O6). On parle alors de jadéite « impériale ». Une des sources majeures de chrome vient du remplacement du spinelle chromifère de la péridotite par de la magnétite pendant la serpentinisation. L'absence de zones enrichies en chrome dans la jadéitite blanche suggère que la jadéitisation du dyke felsique s'est faite à plus de 600°C, à des conditions où la serpentinite n'est pas encore stable (donc le Cr n'est pas encore libéré dans l'environnement ; Fig. 4 ; Fig. 12). Les zones vertes se sont formées ultérieurement à des températures bien plus basses (400-500°C) comme l'attestent les minéraux qu'on y trouve (glaucophane, titanite, omphacite…).


L'étude d'un dyke cohérent de jadéitite dans l'Oural polaire a permis de mieux comprendre la formation précoce et la déformation d'un corps de jadéitite pendant l'évolution d'une subduction océanique dévonienne (380-410 Ma ; Kuznetsov et al., 1986 [14] ; Meng et al., 2011 [16] ; Angiboust et al., 2021a [1], 2021b [2] ; Fig. 11, Fig. 12). Cet objet unique a permis de mettre en évidence un dyke de trondhjémite formé en contexte de subduction chaude, probablement associé à l'initiation de la subduction vers 420 Ma (voir à ce sujet l'article de P. Agard, Dynamique de l'obduction : un processus avec deux temps forts). Ensuite, pendant le refroidissement long-terme du gradient de subduction quelques dizaines de millions d'années plus tard, des fluides « jadéitifiants » venant de l'interface de subduction ont percolé le long de cet ancien dyke et l'ont presque intégralement transformé en jadéitite (Fig. 13). Cette transformation a été probablement facilitée par des processus de rupture fragile, possiblement sismique, comme l'attestent (i) la découverte de brèches tectoniques et de cataclasites (des roches finement fracturées) dans certains échantillons de jadéitite de Russie et d'ailleurs (Angiboust et al., 2021b [2]) et (ii) la description d'essaims de micro-sismicité (Mw=3-4) sous forme de structures planaires, quelques kilomètres au-dessus de l'interface de subduction dans certaines subductions actives (par ex., Grèce, Japon, Nouvelle-Zélande ; Halpaap et al., 2019 [10] ; Fig. 13). Il apparait donc que les dykes primaires ont représenté des discontinuités dans la structure du coin mantellique formant le toit de l'interface, et ont servi de pré-découpage pour permettre l'infiltration de fluides ultérieurs. Il est possible que le passage de grandes quantités de fluides ultérieurement dans les zones bréchifiées (c'est-à-dire les zones d'endommagement d'anciens plans sismiques) a permis la précipitation de jadéitite de type P, présentant des caractéristiques de veines). Il n'est donc pas surprenant de pouvoir trouver des jadéitites des deux types dans les sutures les plus étudiées (e.g. Cuba, Myanmar, Guatemala).

Schéma représentant un modèle possible pour expliquer la sismicité reportée au-dessus de l'interface dans une subduction active (Sud-Ouest Grèce)

Figure 13. Schéma représentant un modèle possible pour expliquer la sismicité reportée au-dessus de l'interface dans une subduction active (Sud-Ouest Grèce)

Les fluides produits pendant l'éclogitisation s'infiltrent le long des anciens dykes, qui cassent régulièrement possiblement suite à une augmentation de la pression de pore causée par les réactions de déshydratation associées à l'enfouissement de la plaque plongeante par subduction (modifié d'après Angiboust et al., 2021b [2]). On peut également spéculer sur le degré de serpentinisation du coin mantellique, car la fracturation des dykes ne semble possible que si le manteau lithosphérique autour n'est pas totalement serpentinisé, sans quoi les contraintes à l'origine de la fracturation et de la sismicité ne pourraient être transmises au dyke. Dans ce sens, et comme le suggère Halpaap et al. (2019 [10]), la présence de sismicité dans le coin mantellique peut être vue comme un bon indicateur de taux de serpentinisation relativement bas (< 15 % vol.).


En conclusion, les jadéitites sont à même de fournir un éclairage direct sur les processus d'interaction fluide-roche et sur les modes de déformation dans les subductions profondes, et ainsi permettre d'imager les processus documentés en sismologie et par les outils tomographiques. Pour aller plus loin sur ce sujet, le lecteur est invité à consulter l'article de synthèse par Harlow et al. (2015 [11]).

Remerciements

Antonio Garcia-Casco et Johannes Glodny sont vivement remerciés pour avoir partagé leur expérience de recherche dans le domaine des interactions fluide-roche à haute pression. François Gendron est également remercié pour ses discussions sur le jade olmèque et pour la photo de la figure 3.

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