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Article | 02/02/2001

Quel âge a la Terre ?

02/02/2001

Vincent Deparis

Maison des Sciences de l'Homme - Alpes, Grenoble

Emmanuelle Cecchi

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Évolution historique de la connaissance de l'âge de la Terre.


Mise à jour 12 novembre 2008.

Si l'astronomie nous a ouvert à l'immensité de l'espace, la géologie nous a ouvert à l'immensité du temps. Ne parle-t-on pas de distances astronomiques et de temps géologiques ? Comment les hommes ont-ils découvert les longues durées des temps géologiques ?

Le temps infini des Anciens et du Moyen Âge

L'évolution inexorable de la surface terrestre produite par des phénomènes soudains et violents (tremblements de terre, explosions volcaniques) mais aussi par des phénomènes lents et progressifs (action érosive de l'eau, transport d'alluvions par les fleuves) n'échappe pas aux Anciens et pose question: cette évolution a-t-elle eu un début, aura-t-elle une fin ? Les réponses divergent.

Pour Aristote (384-322 av. J.-C.), la Terre est éternelle et garde perpétuellement son identité car les modifications de la surface se compensent en moyenne. Pour les Stoïciens, au contraire, la Terre est engagée dans une succession de créations et de destructions où à chaque fois le même monde est créé avec les mêmes êtres et les mêmes événements. Équilibre perpétuel chez Aristote, répétitions cycliques chez les Stoïciens, dans les deux cas il y a conservation du Monde

Les thèses judéo-chrétiennes, développées indépendamment, présentent une autre vision de la Terre. L'histoire du globe est calquée sur l'histoire de la révélation de Dieu aux hommes et les événements successifs permettent de définir une chronologie. Les premières compilations des âges et des générations des personnages de l'Ancien Testament sont tentées au 1er siècle après J.-C. par Flavius Josèphe (37-100), puis par Théophile d'Antioche (115-181) et Eusèbe (265-340) pour retrouver la date de la création : 5500 ans avant la naissance du Christ.

Jusqu'au Moyen Âge inclus, les thèses d'Aristote prévalent néanmoins et au XIVe siècle, le philosophe Jean Buridan (1300-1358) peut tranquillement affirmer: « Je suppose aussi que le monde a perpétuellement existé, comme Aristote semblait l'entendre (...) bien que ce soit faux au gré de notre foi ». L'âge de la Terre n'est pas un sujet de dispute et les longues durées sont communément admises.

L'intermède des chronologies courtes

Avec la révolution copernicienne, les thèses d'Aristote sont écartées en faveur des thèses chrétiennes. Les idées de création et d'histoire s'implantent dans la conscience commune, devenant les références. Les chronologies bibliques et historiques se renouvellent alors complètement, amenant un passage des chronologies longues vers les chronologies courtes. Celles-ci vont s'imposer pendant deux siècles.

Le monde savant est pris d'une longue fièvre chronologique. Au cours du XVIe et du XVIIIe siècles, on compte deux cents calculs différents : le plus court donne 3483 ans depuis la Création jusqu'au Christ, le plus long 6984.

Le plus célèbre est dû à James Ussher (1581-1656), qui affirme que la Création eut lieu au début de la nuit précédant le 23 octobre de l'an 4004 av. J.-C.! Christophe Colomb (1450-1506), Mercator (1512-1594), Johannes Kepler (1571-1630), Isaac Newton (1642-1727) font chacun leur proposition. Toute l'histoire de la Terre (la formation des montagnes, l'empilement des couches géologiques, le creusement des vallées) se trouve concentrée dans ces courtes durées sans que cela pose problème. La Terre se forme et se structure au cours d'événements brefs et violents, dont le Déluge est le principal.


Les premiers chronomètres géologiques

La nature possède-t-elle en son sein un chronomètre permettant d'estimer la durée de toutes choses ?

En 1715, Edmond Halley (1656-1743) pense le trouver dans la salure de l'océan qui doit augmenter régulièrement au cours des temps en fonction de l'apport continuel en sels par les fleuves. Il affirme qu'on trouvera peut-être de cette manière que le monde est bien plus vieux qu'on ne le pense mais il ne donne pas de chiffres.

En 1721, Henri Gautier (1660-1737) a l'idée lui de dater l'âge du globe en estimant le temps d'érosion des reliefs grâce à la mesure de la turbidité des fleuves. Il affirme qu'en 35 000 ans un continent serait entièrement nivelé. Mais lorsque l'on reprend ses mesures et la loi qu'il invoque, on trouve des durées bien plus considérables. N'osait-il pas écrire noir sur blanc les durées immenses qu'il obtenait ?

Quelques penseurs libertins, tel Benoît de Maillet (1656-1738), commencent à invoquer des durées géologiques immenses...


Le retour des chronologies longues

A partir des années 1760-1770, les chronologies longues s'imposent à nouveau. A cette époque, la géologie prend son essor et les observations minutieuses sur le terrain se multiplient. La géologie cesse d'être une science spéculative pour devenir une science d'observation. Le temps est mûr pour à la fois se libérer des contraintes bibliques et pour pleinement reconnaître la lenteur des phénomènes géologiques.

En estimant le taux de sédimentation ou le taux d'érosion des montagnes et en les supposant constants dans le temps, des géologues, tels John Turberville Needham (1713-1781), Pierre-Bernard Palassou (1745-1830) ou Jean-Louis Giraud Soulavie (1752-1813), arrivent à des âges de plusieurs millions d'années pour la formation des couches sédimentaires ou l'abrasion des reliefs. C'est la découverte du temps profond qui se répand comme une traînée de poudre en France et dans le reste de l'Europe.

Des chronomètres physiques indiquent également l'immensité du temps. En 1676, Römer (1644-1710) avait montré que la lumière se propageait avec une vitesse finie. Leonahrd Euler (1707-1783) puis William Herschel (1738-1822) en déduisent que la lumière des étoiles voyage pendant plusieurs millions d'années avant d'atteindre la Terre.

Buffon (1707-1788), de son côté, a l'idée en 1778 de se servir du refroidissement du globe. Il affirme que la Terre était au début de son histoire entièrement en fusion, qu'elle s'est ensuite consolidée et lentement refroidie. En extrapolant une série d'expériences sur des globes de métaux, de verre et de pierre, il trouve qu'il a fallu 2 905 ans pour que la consolidation atteigne le centre de la planète, 33 911 ans pour qu'il soit possible de la toucher et 74 047 ans pour qu'elle acquière sa température actuelle. Ces âges lui semblent encore insuffisants lorsqu'il cherche à les concilier avec les phénomènes géologiques....


Lord Kelvin et la controverse sur l'âge de la Terre

Au début du XIXe siècle, le temps long de la géologie est accepté. Mais long comment ?

D'une extrême, on tombe dans l'autre: les partisans de l'uniformitarisme - dont le chef de file est Charles Lyell (1797-1875) - affirment que le globe n'a pas subi d'évolution particulière au cours des temps et que son âge s'étire à l'infini. Ils pensent également que les agents qui ont façonné la surface de la Terre ont toujours été de la même nature et de la même intensité que ceux que l'on voit agir aujourd'hui.

Une valeur de l'âge du globe est donnée par Charles Darwin (1809-1882) en 1859: il estime à 300 millions d'années le temps mis par la mer pour creuser la vallée de Weald dans le sud de l'Angleterre (il extrapole le taux d'érosion actuel). Cette durée lui semble compatible avec l'évolution biologique et les lents processus de la sélection naturelle.

En 1862, Lord Kelvin (1824-1907) s'attaque aux fondements de l'uniformitarisme: si la Terre se refroidit, son énergie thermique a nécessairement décru au cours des temps amenant une baisse de l'intensité des phénomènes géologiques et une modification de son aspect général.

En supposant que la température initiale du globe était homogène et égale à la température de fusion des roches et en utilisant les lois de la diffusion de la chaleur de Fourier (refroidissement par conduction), il calcule un temps de 20 à 400 Ma pour que la variation de température près de la surface (le gradient géothermique) atteigne la valeur actuelle de 37°/km. Il défend pour la Terre un âge fini de 100 Ma.

Le calcul de lord Kelvin ouvre une fameuse polémique car les géologues, qui ont l'intuition des longues durées géologiques sans pour autant arriver à le prouver, refusent de se laisser contraindre par la physique. Même s'ils ne supposent plus des temps infinis, ils ne veulent pas concevoir des âges inférieurs à 300-400 Ma.

La querelle s'envenime encore à la fin du siècle lorsque Lord Kelvin et d'autres physiciens se rallient à l'estimation basse de 24 Ma. Ils déterminent en effet que si le Soleil tire son énergie de sa contraction gravitationnelle, il ne peut pas avoir un âge supérieur à 20-25 Ma, limitant du même coup l'âge de la Terre.

Les estimations géologiques, basées sur la vitesse de dépôts des sédiments ou sur l'accroissement de la salinité des océans (l'idée d'Edmond Halley est reprise en 1900 par John Joly), bien qu'encore revues à la baisse, continuent elles de trouver des âges minima de 90-100 Ma. L'incompréhension entre géologues et physiciens reste donc en suspens...

Charles Lyell (1797-1875)

Figure 4. Charles Lyell (1797-1875)

Source : Geological Society Special Publication, n°143, The Geological Society, Londres, 1998



  
Courbe OPQ : accroissement de la température avec la profondeur - Courbe AP'R : taux d'accroissement de la température

Figure 6. Courbe OPQ : accroissement de la température avec la profondeur - Courbe AP'R : taux d'accroissement de la température

Au cours du refroidissement de la planète, le gradient géothermique de surface diminue (au départ la température du globe est uniforme). L'âge du globe est le temps au bout duquel le gradient atteint la valeur actuelle de 37°/km.


La découverte de la radioactivité

La découverte de la radioactivité par Henri Becquerel (1852-1908) en 1896 va débloquer la situation.

La production de chaleur par les désintégrations radioactives invalide le modèle thermique de lord Kelvin et rend caduque son estimation de l'âge du globe. La géologie n'est plus limitée par la physique et peut reprendre ses droits ! Lord Kelvin avait oublié la convection, ce qui modifie complètement le mode de refroidissement de la planète en apportant continuellement en surface de la chaleur provenant des profondeurs, donc en évacuant plus vite l'énergie initiale de la Terre ce qui aurait conduit à un âge plus jeune. Mais c'est la méconnaissance de production interne et continue de chaleur qui rendait impossible, à l'époque, l'élaboration d'un modèle thermique juste de calcul de l'âge.

La radioactivité fournit un nouveau moyen pour déterminer l'âge des roches. Le rapport éléments radioactifs/éléments radiogéniques (produits de la désintégration) ne dépend en effet que du temps et constitue une horloge (si on connaît la proportion initiale d'éléments radiogéniques).

La première tentative est basée sur la mesure de l'hélium produit par la désintégration du radium. En 1904, Ernest Rutherford (1871-1937) attribue à un échantillon un âge de 40 Ma, qu'il révise en 1905 à 140 Ma, puis en 1906 à 500 Ma. Lord Rayleigh (1875-1947), par la même méthode, est le premier en 1905, à dépasser le milliard d'années. Les mesures de l'hélium sont cependant biaisées car d'une part l'hélium ne reste pas confiné dans la roche mais peut s'échapper et d'autre part il peut provenir de la désintégration d'autres éléments.

Bertram Boltwood (1870-1927) élabore en 1905 une méthode de datation plus fiable en se basant sur la mesure du rapport uranium/plomb. Grâce à cette méthode, l'âge des plus vieilles roches est fixé aux alentours de 1915 vers 1 600 Ma. Cet allongement soudain des temps géologiques perturbe considérablement les géologues car s'ils l'acceptent, il leur faut reconnaître que la vision de l'histoire de la Terre qu'ils défendaient si ardemment n'était que très partielle... La physique est maintenant trop longue pour la géologie !

En 1935, Alfred Nier fait progresser les méthodes radiochronologiques en se servant de la notion d'isotope. Trois chaînes radioactives (uranium 238/plomb 206, uranium 235/plomb 207 et thorium 232/plomb 280) permettent de réaliser des datations ainsi que le rapport plomb 206/plomb 207 qui est lui aussi fonction du temps. Nier trouve pour les plus vieux échantillons de roche des âges de 2 570 Ma.

En 1946, Arthur Holmes (1890-1965) et Friedrich Houtermans (1903-1966) montrent que moyennant des hypothèses sur les compositions initiales, la méthode de Nier donne directement accès à l'âge de la Terre, qu'ils fixent entre 3 et 3,4 milliards d'années.

Cet âge, accepté par les géologues, pose maintenant un sérieux problème aux astronomes car ils déterminent que l'âge de l'univers est compris entre 1,8 et 2 milliards d'années (ils utilisent la relation de Hubble distance-vitesse d'éloignement des galaxies qui, si l'on suppose un taux d'expansion constant, donne l'âge à l'univers). La Terre serait donc plus vieille que l'univers! Le conflit sera résolu dans les années 1950 lorsque les astronomes réviseront leur échelle de distance intergalactique.

En 1953, un nouveau progrès dans l'estimation de l'âge du globe provient de l'analyse de la composition isotopique des météorites. Clair Patterson montre, à partir de la méthode uranium/plomb, que la Terre et les météorites se sont formées au même moment à partir d'un réservoir identique, il y a 4,55 milliards d'années. Cet âge est confirmé par d'autres méthodes radiochronologiques (potassium/argon et rubidium/strontium) et définitivement accepté dans les années 1970 par la datation des roches lunaires.

L'âge de la Terre se compte donc non pas en milliers d'années, ni même en millions d'années mais en milliards d'années! Cela représente une telle durée qu'il est difficile de le saisir. Une métaphore parmi d'autres pour en prendre conscience: imaginons que la distance séparant le nez de la main lorsque nous étendons le bras représente l'histoire du globe; un simple coup de lime sur l'ongle du médius suffit pour effacer toute l'histoire de l'humanité !


Alfred Nier

Figure 8. Alfred Nier


Arthur Holmes (1890-1965)

Clair Patterson

Figure 10. Clair Patterson


Bibliographie

Pascal Richet, L'âge du Monde, Paris, Seuil, 1999

V. Deparis et H. Legros. Voyage à l'intérieur de la Terre. De la géographie antique à la géophysique actuelle. Une histoire des idées, Paris, CNRS Editions, 2000.