Article | 15/05/2025
La force de cristallisation, ou quand les gypses déchirent les varves du Trièves !
15/05/2025
Résumé
Le contexte du lac du Trièves, ses varves et ses gypses qui déforment et percent les argiles lors de leur cristallisation intra-sédimentaire.
Table des matières
Introduction
« La varve, le gypse et la force de cristallisation », ceci aurait pu être le titre d'une fable de La Fontaine.
Le gypse, CaSO4·2H2O, est un minéral très tendre. Sa dureté est de 2 sur l'échelle de Mohs. On peut le rayer avec son ongle qui a une dureté de 2,2 à 2,5. Les varves sont des argiles lacustres qui s'empilent au gré des saisons. Lorsqu'un cristal grandit, il exerce une force sur son environnement extérieur appelée la force de cristallisation.
Dans les contreforts du Vercors, ces varves ont préservé des cristaux de gypse. Ceux-ci sont présents entre certaines strates d'argiles. Bien que ces cristaux soient tendres, ils déforment les argiles et vont même jusqu'à les déchirer. Comment cela est-il possible ?
Figure 1. Varves, Sinard, Alpes, France |
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Pour répondre à cette question, remontons d’abord dans le temps, à la période glaciaire du Würm.
Contexte géologique : Grenoble à l'époque du Würm
Le Würm est une période glaciaire du Pléistocène dans les Alpes. Elle s'étend de 115 000 à 11 700 ans avant le présent (AP[1]). La carte suivante montre la position du glacier de l'Isère à cette époque. La zone de Sinard est cerclée de pointillés rouges. À cette époque, des lacs glaciaires se forment au Sud dans la zone du Trièves. L'érosion des piémonts du Vercors et du Dévoluy amène cycliquement des sédiments et notamment des argiles qui se déposent au fond du lac (Jongmans et al., 2009[14] ; Thomas, 2021[19]).
Source - © 2009 D’après Jongmans et al. [14]
Les varves du Trièves
Des argiles glaciolacustres
Les varves du Trièves sont des argiles. Ce sont en fait des mélanges d'argiles, de silts et de sables fins lités déposés dans un lac de barrage glaciaire. À l'époque du Würm, dans un environnement froid et gelé, l'apport biogénique est réduit. Ces varves sont donc principalement d'origine clastique (issues de l'érosion). La figure suivante donne la composition minéralogique des varves du Trièves.
Source - © 1991 D’après Giraud et al.[11]
On s'aperçoit des disparités de composition minéralogique en fonction des sites. Ceci est lié principalement à la géologie des bassins versants. Pour la zone de Sinard, nous prendrons comme exemple le minéral le plus abondant qui est l'illite. Au niveau atomique les argiles sont comme des sandwichs empilés les uns sur les autres. On peut les imaginer également comme un livre. En effet chaque couche est appelée un feuillet. La figure suivante illustre la structure TOT (Tétraédrique Octaédrique Tétraédrique) de l'illite.
Source - © 2017 D’après Wissocq et al. [21]
Figure 5. Structure TOT de l'illite
Chaque feuillet de la structure de l'illite comporte une couche octaédrique (en jaune) située au centre du feuillet avec Al(OH−)5O. Cette couche est prise en sandwich par deux couches tétraédriques (en orange) avec SiO4. L'espace interfoliaire est occupé par des ions potassium (K+).
La genèse des varves
Les varves se créent au gré des saisons. Le schéma suivant présente un exemple de cycle annuel d'apports sédimentaires dans un lac glaciaire.
Au printemps, lorsque le courant est plus fort, les particules sédimentaires entrainées sont plus grossières. Lorsque le lac est gelé, les couches d'eau se stabilisent, les fines particules en suspension se déposent alors. Pour chaque cycle annuel, ceci forme deux couches, l'une grossière et plus claire (printemps-été) et l'autre fine et plus sombre (hiver-automne) (figure 7). L'existence de varves implique également un lac assez profond pour qu'il n'y ait pas de brassage des sédiments par des courants de convection d'eau.
Source - © 2014 Dans Boyall, 2023[3]
Un lac idéal est profondément encaissé dans le bassin versant, entouré de terrains surélevés limitant l'influence du mélange dû au vent. Le lac Suminko (figure 8), dans le Nord de la Pologne, en est un exemple et montre que les sédiments laminés en continu sont limités à la partie la plus profonde et sans oxygène de la colonne d'eau. En outre, il est caractérisé par un profil de profondeur lacustre avec un centre de dépôt relativement plat, un taux de sédimentation relativement élevé et des pentes stables qui évitent les affaissements et la sédimentation turbiditique. Enfin, les centres de dépôt peuvent être situés à proximité de l'entrée des rivières et recevoir de la matière minéralogique allochtone. Ceci nécessite une profondeur généralement supérieure à 20 m (Zolitschka et al., 2015[22]).
Source - © 2015 Zolitschka et al. [22]
La situation du lac du Trièves à l'époque du Würm pourrait être comparable à celle du lac Suminko. Dans la zone où se développent les sédiments lités (varves), il n'y a pas de brassage d'eau, la lumière ne parvient plus, des conditions anoxiques sont alors possibles.
La coupe géologique suivante (figure 9) sur la zone de Sinard montre les argiles litées ainsi que le profil des rivières et lacs qui sont apparus progressivement. Le Drac a changé de lit au cours du temps, entaillant à chaque fois le substratum calcaire. Des colmatages d'alluvions fluviatiles ont pu se produire durant l'interglaciaire Riss-Würm. Ces derniers dépôts, ainsi que la topologie des lieux, ont alors été propices à la création des varves.
La figure suivante montre les profondeurs des lacs avec varves en fonction de leur surface (Zolitschka et al., 2015[22]).
Source - © 2015 Zolitschka et al. [22]
La surface du lac du Trièves est de l'ordre de 700 km2 (= 70 000 ha). D'après la figure précédente le lac devait avoir une profondeur supérieure à 200 m.
Caractéristiques physiques des varves du Trièves
La majeure partie des grains des varves du Trièves ont une taille inférieure à 2 μm. Ceci les classe dans la catégorie des argiles (limons argileux) (Giraud et al., 1991[11]). L'épaisseur des couches annuelles est variable en fonction des apports sédimentaires. Dans la zone du Trièves, elle est comprise entre 1 mm et 10 cm.
Porosité. La porosité φ d'une roche est le volume de vides ramené au volume total : φ = Vvide/Vtotal. Les varves de Trièves ont une porosité de 40 % (Giraud et al., 1991[11]).
Perméabilité. On dit souvent que les argiles et les marnes sont des couches imperméables. En effet, quand on se promène sur les chemins après la pluie, il reste souvent des flaques dans les zones à argiles alors gorgées d'eau.
La perméabilité d'un milieu poreux est une grandeur physique. Elle quantifie l'aptitude de ce milieu à se laisser traverser par un fluide sous l'effet d'un gradient de pression, d'un champ de gravité… Les roches ont souvent un comportement anisotrope. Les grandeurs physiques qui s'y appliquent ne sont pas de même intensité dans toutes les directions de l'espace. Des tenseurs sont alors nécessaires pour modéliser les phénomènes physiques, ici les écoulements d'eau.
On peut assimiler une varve à un milieu “stratifié isotrope transverse” (isotropie dans un plan mais caractéristiques différentes perpendiculairement à ce plan). Le tenseur de perméabilité s'écrira alors sous la forme d'une matrice de perméabilité assez simple :
, avec la perméabilité dans le plan des strates (axes x et y) et la perméabilité perpendiculairement aux strates (axe z).
L'anisotropie texturale des varves du Trièves donne ainsi une perméabilité perpendiculairement au plan de stratification estimée à 20°C = 10−10 m/s. Elle est de l'ordre de 20°C = 10−8 m/s parallèlement à ces plans (Nieuwenhuis et Van Genuchten, 1986[17]).
La perméabilité standard est définie pour de l'eau distillée à 20°C. Toutefois l'eau froide diffuse moins vite dans les pores que l'eau chaude. On peut le comprendre intuitivement avec les conditions aux limites : la glace ne diffuse pas dans l'argile alors que la vapeur d'eau en tant que gaz diffuse très facilement dans des argiles à la même température.
Le graphique suivant montre le facteur correctif τ nécessaire pour avoir la perméabilité à une autre température : k20°C = τ . kT°C.
Source - © 2012 Duhaime [7]
L'eau du lac du Trièves était à 4°C environ. Un facteur correctif de 1,56 est donc nécessaire pour avoir les perméabilités associées aux conditions de formation des varves et des gypses qui y sont inclus. L'eau du lac n'est pas de l'eau distillée, mais pour les modélisations suivantes on prendra pour simplifier 4°C = 6,4.10−11 m/s.
Cette anisotropie de la perméabilité ainsi que l'apport gravitaire de galets sur certaines couches modifient les flux d'eau dans les varves. Ainsi le comportement mécanique de ces argiles est tel que de nombreux glissements peuvent se produire à l'intérieur même de la structure sédimentaire de ces varves. Dans la forêt de Sinard qui descend vers le lac, on observe de nombreux glissements rotationnels avec des pins courbés. Ceci est de nature à complexifier l'analyse locale des couches de gypses (Giraud et al., 1991[11]). La coupe suivante (figure 12) montre une épaisseur de varves de plus de 200 m.
Source - © 2009 Institut des Risques Majeurs [13]
Lors de leur collecte, les gypses de Sinard sont hermétiquement pris dans les argiles. Ils ne présentent pas de traces d'infiltration d'eau. Sous plus de 20 m d'argiles l'apport d'oxygène parait également réduit.
Densité. À faible profondeur de sédiments, un ordre de grandeur de la densité est ρargile-varve ≈ 1170 kg/m3 (Loso, 2008[15]). La mesure expérimentale de l'argile varvée de Sinard donne ρargile-varve ≈ 1733 kg/m3 (mesure sur un échantillon personnel de m≈26 g, V≈15 mL ; cette argile appartenait à une couche à gypses de 3 cm). Il est à noter que si on met un morceau de varve dans de l'eau, celle-ci perd rapidement sa forme initiale et sédimente à nouveau au fond du récipient. Ces argiles laminées sont donc sujettes à une transition de l'état plastique à l'état liquide lorsque la teneur en eau augmente. Ceci peut expliquer les innombrables écoulements de solifluxion et les problèmes de génie civil associés pour faire une autoroute dans le secteur.
Quand les gypses déforment les argiles
Les argiles varvées sont la matrice dans laquelle les gypses vont croitre. Un modèle classique de croissance est celui où les cristaux s'expriment dans des “vides” (remplis d’air, d’eau). Ceci donne des filons ou bien des géodes. Ici, au contraire, il faut envisager un modèle de croissance confinée (confined crystal growth) et particulièrement dans un environnement poreux, celui des argiles varvées.
En analysant des échantillons orientés sur gangue, on s'aperçoit que les argiles qui sont au-dessus des gypses ont subi une déformation plastique (figure 13). Par ailleurs, concernant la résistance des matériaux, au-delà d'un certain seuil (limite plastique) la couche d'argile s'est déchirée (figure 14). La couche d'argile sous-jacente sur laquelle est posé le gypse est peu déformée et parait plus homogène et plus dense.
Ceci donne à penser que ces couches d'argile déformées ont subi une force de bas en haut dans l'alignement de leur rayon de courbure.
Figure 13. Vue de profil, déformation des varves par deux cristaux de gypse
Les cristaux de gypse mesure 1,5 cm de “hauteur” (sens vertical). Les strates de varves qui recouvrent ces gypses à partir de leur moitié supérieure font 2 mm d'épaisseur en moyenne. On en compte environ 8 à 10 déformées jusqu'à retrouver la planéité générale.
La figure 15, ci-dessous, illustre la plasticité des argiles de Sinard.
Figure 15. Argiles des varves de Sinard (Isère) déformables par “plaques” (plasticité)
Largeur de la “tranchée” de l’ordre de la largeur d’une pelle (40-5 cm).
La figure suivante (figure 16) montre un diagramme contrainte-déformation. Dans le cas 1 (figure 13), les argiles sont déformées plastiquement, elles ne reviennent pas à leur état initial. Le seuil de plasticité a été atteint, elles gardent leur déformation (circuit en vert noté 1). Dans le cas 2 (figure 14), le seuil de rupture est atteint les argiles sont déchirées.
Dans un contexte analogue, des argiles varvées se sont formées par sédimentation au fond d'un lac canadien il y a environ 10 000 ans à la suite du retrait de la calotte glaciaire laurentidienne. Les études mentionnent des seuils de contrainte de l'ordre de 70 kPa (Darve, 1983[5]). Toutefois, la résistance à la pression des argiles peut être très variable et dépend de très nombreux paramètres : pression lithostatique des couches supérieures, teneur en eau, teneur en argile, degré de consolidation, porosité des varves…
Pour les varves du Trièves, des essais en conditions consolidées drainées (CD) donnent un seuil de contrainte perpendiculairement aux strates compris entre 13 et 23 kPa (Giraud et al., 1991[11]).
Voyons maintenant comment un cristal (le gypse, ici) peut exercer une force sur son environnement extérieur (des argiles) lors de sa croissance.
La force de cristallisation
Dans un article de 1939[4], Correns et Steinborn explicitent la notion de force de cristallisation pour un cristal macroscopique. Une partie des expériences est réalisée avec un compensateur de pression construit par Correns (figure 17). Ce dispositif permet d'observer la croissance d'un cristal d'alun (en rouge) dans une solution sursaturée. Une croissance du cristal de 1 μm donnait, par transmission du miroir, 15 mm sur la graduation finale (Sk). L'alun est, comme le gypse, un sulfate hydraté : KAl(SO4)2·12H2O.
Source - © 1939 Correns et Steinborn, 1939, [4]
Figure 17. Compensateur de pression pour la surveillance continue de la pression de croissance
Esquisse schématique. Lampe spot en tungstène PL, miroir mobile S1, miroir fixe S2, échelle graduée Sk, axe D qui fait tourner le miroir, point de suspension C de la balance G, cristal Κ, encoche A, poinçon Al, tranchant Β, filetage Η pour le réglage de la hauteur.
Lors de sa croissance un cristal peut exercer une force dite de cristallisation. Elle se matérialise par une pression exercée par le cristal sur son environnement extérieur
Une formule simplifiée permet d'expliciter, dans une solution idéale diluée (figure 18), la pression de cristallisation à l'équilibre :
P = (RT/V).ln(C/C0), où C est la concentration du gypse à l'équilibre pour la pression P, C0 la concentration à l'équilibre à l'état standard T=25°C et P=1 atm, V est ici le volume molaire, R la constante des gaz parfaits (R=8,314 J.K−1.mol−1) et T la température en Kelvin.
Dès qu'on n'est plus en sursaturation, le cristal cesse de croitre. L'équilibre est atteint, la pression exercée par le cristal sur son environnement extérieur est alors nulle (Correns et Steinborn, 1939[4]). Pour le gypse, un calcul théorique plus précis, à partir des activités, donne les valeurs représentées dans la figure suivante (figure 18).
Source - © 2024 Bernard Barailler d’après Serafeimidis et Anagnostou, 2014[18]
P = (RT/V).ln(K/K0), où T est la température en Kelvin, R est la constante des gaz parfaits (R=8,314 J.K−1.mol−1), V le volume molaire (ici du gypse), K désigne le produit de l'activité ionique de la solution et K0 le produit de solubilité à l'équilibre du gypse dans des conditions standards. Ceci correspond à la courbe rouge en trait plein.
Afin de simplifier les calculs, pour des sursaturations faibles (C/C0 proche de 1) , on voit qu'on peut approximer la valeur de P par P=(RT/V).ln(C/C0). Ceci correspond à la courbe rouge en trait pointillé.
Le volume molaire du gypse est V = 74,3 cm3/mol. À l'équilibre, C/C0 = 1, la pression est donc nulle, puisque ln(1)=0. Pour C/C0 = 2, par exemple, on a alors P = (8,314×298/74,3.10−6).ln(2) ≈ 23,1 MPa, même si le calcul est ici plus qu'approximatif car on est loin de 1 pour C/C0, la valeur théorique étant de l'ordre de 34 MPa (figure 18).
Revenons au cas du gypse au fond du lac de Sinard. À une température de 4°C (277 K), atteindre la valeur du seuil de contrainte des varves du Trièves, estimée à 23 kPa (valeur haute, Giraud et al., 1991[11]), ne demande qu'une sursaturation relative assez faible. En effet, on a alors C/C0= exp(PV/RT) = exp(23.103×74,3.10−6/ 8,314×277), soit C/C0= 1,0007.
D'après les courbes de solubilité du gypse et ses valeurs de saturation et de sursaturation (cf. Barailler 2024[1] et Barailler 2025[2] à suivre ), lors des épisodes de croissance du gypse, pour une légère sursaturation relative C/C0 = 1,05, la pression exercée par le cristal sur son environnement extérieur est alors : P ≈1,6 MPa (= 16 bar = 16 kg/cm²). Lors de la nucléation, la sursaturation relative, au seuil de nucléation spontanée, est C/C0 = 2,75/1,84 = 1,49, la pression exercée par le cristal sur son environnement extérieur vaut alors : P ≈13,3 MPa (= 133 bar = 133 kg/cm²).
Ces formules thermodynamiques sont des approximations. D'autres facteurs influencent la pression de cristallisation : activités chimiques, tension superficielle, géométrie et distribution des tailles des pores, cinétiques hors équilibre, présence d'autres ions (Na+ notamment), éventuelles transitions de phase anhydrite-gypse (Gagliardi, 2018[8])…
Toutefois, les pressions mesurées, par exemple, dans trois tunnels suisses qui traversent une formation du Keuper (Trias germanique supérieur) sont relativement analogues à celles estimées ici : 1,6 < P < 14,6 MPa (16 < P < 146 kg/cm²) (Serafeimidis et Anagnostou, 2014[18]).
Au vu de tous ces éléments, il apparait que, même avec une faible sursaturation, la force de cristallisation des gypses peut déformer, voire déchirer localement des argiles (dont le seuil de rupture est de l'ordre de 23 kPa), comme on l'a vu sur les photographies des varves précédentes (figures 13 et 14).
Implications géologiques : sculptures et tunnels
La pression de cristallisation a des effets variés sur les constructions humaines.
Les statues s'effritent. La croissance de cristaux de sel (halite) dans les joints de grains de pierre de taille provoque l'éclatement de la roche. Les statues s'effritent comme le montre la figure suivante.
Source - © 2016 Désarnaud et al. [6]
Figure 19. Dégradation d'une statue liée à la croissance de sel dans la porosité de la roche
À gauche : dégradation d'une sculpture en pierre historique à Lecce, Italie.
À droite : image par microscopie électronique à balayage d'un cristal de NaCl (blanc) dans l'espace poreux du grès après évaporation de la solution saline.
Les tunnels menacent de s'effondrer. Dans plusieurs tunnels de Suisse et d'Allemagne, la pression de cristallisation de gypse ( CaSO4·2H2O) à partir d'anhydrite (CaSO4) provoque le gonflement des argiles. Ceci occasionne alors d'importants dégâts structurels sur les revêtements des tunnels (Serafeimidis et Anagnostou, 2014[18]).
Les ciments se dégradent. L'action d'ions sulfates est également susceptible de dégrader certains ciments non contraints (Wagner, 2023[20]).
Les roches se soulèvent. Une autre illustration de la force de cristallisation est donnée par l'aragonite. En effet, des veines de travertin sont capables de soulever les strates qui sont au-dessus d'elles (Gratier et al., 2012[12]).
Conclusion
En étudiant l'environnement, les conditions de formation et les caractéristiques des argiles varvées, il apparait que les conditions étaient propices à ce que la croissance de gypse exerce une pression sur son environnement. Ainsi, bien que les gypses soient tendres, ils ont déformé les argiles et les ont même déchirées par endroits. C'est l'effet de la force de cristallisation, observée dans divers environnements géologiques et techniques : « elle soulève des montagnes » !
Figure 20. Monocristal de gypse de Sinard (environ 7×3 cm)
Un cristal monoclinique “exemplaire”..
Si l'on connait généralement les gypses des séries évaporitiques formées par évaporation dans un bassin à alimentation intermittente et/ou périodique marine ou continentale, les gypses de Sinard se sont développés au fond d'un lac glaciaire, sous des argiles. Ce sont ces conditions particulières de formation et de répartition dans les argiles dont il sera question dans un prochain article.
Remerciements
Le texte soumis a bénéficié des avis et commentaires d’Andrea Cotellucci (Labo. chimie et corrosion, Cogne Accial Speciali, Aoste, Italie), de la relecture de Jean-Jacques Aubert (LETI, CEA). Louis Dallard est remercié pour la mise à disposition de photographies de gypses de Sinard (figures 2 et 14).
Une relecture sur le fond et la forme a été effectuée par Cyril Langlois (ENS de Lyon) pour aboutir au texte publié.
Bibliographie
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[1] Dans la charte chronostratigraphique internationale, les dates AP (avant le présent, BP before present, en anglais) ont pour “année zéro” l'année 2000 (AD 2000) et on a parfois la notation b2k (before 2k), alors que les âges radiocarbone ont pour référence l'année 1950 (AD 1950), cf. Walker et al., 2008, Episodes.