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Article | 21/03/2008

Résultats de l'enquête pour la localisation de la météorite du 25 janvier 2008

21/03/2008

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

De la difficulté de témoigner et de traiter des témoignages. Un exemple concret.


Les témoignages recueillis

Suite à un premier article sur la météorite du 25 janvier 2008 puis à l'appel lancé sur Planet-Terre, 27 témoignages ont été recueillis entre le 1er février et le 1er mars 2008. La carte suivante indique les lieux d'observation. Par la suite chaque témoignage sera repéré par le nom du lieu d'observation donné ou estimé.

Localisation des observateurs de la météorite du 25 janvier 2008

Figure 1. Localisation des observateurs de la météorite du 25 janvier 2008

Chaque point localise au moins un observateur replacé sur Google Earth.


Retrouvez la localisation des témoins sur Google Earth.

Les témoignages ont été anonymisés (téléphone, nom, mèl). Deux versions sont disponibles : les témoignages complets, ainsi que des extraits des témoignages sur la météorite du 25 janvier 2008.

Données nécessaires à la triangulation : précision / nombre de témoins

Deux données fondamentales sont nécessaires : le lieu d'observation et la direction dans laquelle se situait l'objet, le bolide ou la météorite.

Le lieu d'observation est généralement très bien défini, même si ce dernier doit parfois être déduit à partir du récit de l'observation : « alors que je roulais sur la route entre X et Y »... Que ce lieu soit donné par ses coordonnées géographiques ou localisé approximativement, on peut estimer que le point d'observation est connu à une dizaine (voire une vingtaine) de kilomètres près dans le pire des cas.

La direction est plus difficile à donner avec précision, ou du moins avec une précision telle qu'elle n'aboutisse pas à une marge d'erreur importante à l'arrivée, ce qui n'est pas évident. Considérons que tout un chacun est capable de donner une direction avec une précision de l'ordre de 22,5° (soit π/8), ce qui revient à distinguer, par exemple, entre le Nord et l'Est les directions Nord, Nord-Nord-Est, Nord-Est, Est-Nord-Est et Est. Avec une telle (im)précision, l'erreur sur la localisation perpendiculairement à l'axe d'observation est égale à environ 40% de la distance. Ainsi, si le lieu à retrouver se trouve à 100 km de l'observateur, l'"erreur" latérale est de l'ordre de 40 km, et pour une distance de 500 km, cela devient une erreur de 200 km. De plus, quelle que soit la position de l'observateur par rapport au lieu d'impact (réel ou virtuel), cette imprécision est inéluctable. En effet, si l'observateur est "loin", alors l'objet apparaît suffisamment bas sur l'horizon pour que son azimut soit relativement facile à indiquer. Par contre, si l'observateur est "proche" de l'objet, il le verra "à la verticale" d'où une grande imprécision sur la direction. Par comparaison, si on observe un avion qui atterrit, un observateur placé sur la piste (ou en bordure) verra l'avion passer au-dessus de lui sans pouvoir dire s'il est au Nord ou à l'Est, alors qu'un observateur situé à quelques kilomètres verra un point bas sur l'horizon dont la direction sera facile à indiquer.

Imprécision perpendiculaire à l'axe d'observation liée à l'incertitude sur l'azimut

Figure 2. Imprécision perpendiculaire à l'axe d'observation liée à l'incertitude sur l'azimut

À une distance "d" de l'observateur, l'erreur latérale "E" liée à l'angle incertitude "a" sur l'azimut est donnée par la formule :

E = 2d tg(a/2)


La relative (im)précision des témoignages n'est cependant pas une limite à un exercice de triangulation. En effet, si théoriquement deux témoignages précis sont suffisant, plus un troisième pour vérification, c'est ici la multiplication des témoignages qui permet de s'affranchir de l'imprécision de chacun.

Exercice de triangulation

À partir des témoignages déposés, il est possible de placer les points d'observation sur une carte (ici sous Google Earth) et de tracer un trajet d'observation correspondant à chaque témoignage. Il en résulte une aire de rencontre de bon nombre d'observations, à l'Est d'Albi, ceci en traçant une ligne par témoignage, et non un secteur prenant en compte une marge d'erreur sur l'angle d'observation. Remarquons que l'absence de témoignages du Nord-Est de la France s'expliquerait alors aisément par la distance à l'événement (le ciel était dégagé sur toute la France ce vendredi 25 janvier 2008).

Les témoignages sur la météorite du 25 janvier 2008

Figure 3. Les témoignages sur la météorite du 25 janvier 2008

Une aire de forte probabilité se dégage, à l'Est-Sud-Est d'Albi. Cependant tous les témoignages ne concordent pas.


Retrouvez la localisation des témoins et des trajets sur Google Earth.

Le léger étalement de la zone de recoupement peut correspondre à un morceau de trajectoire, assez court puisque l'observation n'a duré, d'après les témoins, que 2 à 3 secondes.

Les témoignages ne concordant pas avec cette zone sont à analyser.

Une façon simple de les traiter est de considérer que le problème vient de la difficulté à donner la direction d'observation avec précision : observation proche du zénith, direction donnée d'après les souvenirs plus ou moins précis avec risque de confusion (trajet maison-boulot au lieu de boulot-maison), localisation imprécise au départ (sur la droite d'une route globalement Nord-Sud ne signifie pas obligatoirement vers l'Est si on se déplaçait vers le Sud... car les routes tournent par endroits). On pourrait donc décider de ne même pas les évoquer et de ne pas les prendre en compte (ce qui est généralement le cas lorsqu'on présente des résultats de ce type), ainsi on donne l'impression que tout concorde.

On peut aussi décider de tout prendre en compte et d'expliquer coûte que coûte chaque témoignage. On doit alors considérer non pas un bolide mais une "pluie de météorites". Plusieurs témoignages bruts semblent concorder avec au moins un point d'impact à l'Ouest au large de l'île d'Yeu, un autre au Nord-Est des Baléares et un autre dans les Alpes (voire encore un dans les Pyrénées). Dans ce cas, certains observateurs auraient dû voir plusieurs météorites, or aucun témoignage ne rapporte cela, même les plus "lointains" pour lesquels au moins deux météorites se seraient trouvés dans leur champ de vision (Hédé par exemple). Une telle dispersion ne peut pas non plus s'expliquer par l'explosion du bolide en plusieurs corps, car dans ce cas, la vitesse initiale (et l'énergie cinétique associée) est telle que les morceaux issus de l'éclatement gardent une trajectoire quasi-parrallèle.

De toute évidence, les témoignages ne sont pas tous à considérer de la même manière.

Pour les témoignages de Saint Maure, Hédé et La Ciotat, vue la distance, la prise en compte d'une marge d'erreur "acceptable" (22,5°) ramène ces témoignages dans la zone de convergence, en prenant respectivement pour ces trois témoignages les directions SSE, SSE et ONO à la place de S, SE et O, ou tout simplement en traçant non pas une ligne mais un secteur d'angle 22,5°.

Le témoignage de Génolhac pourrait aussi être ré-intégré si l'on prend une direction globalement vers le Sud, le témoin s'excusant d'être « nulle en orientation », mais donnant une précision très intéressante sur la trajectoire « de droite vers la gauche » soit, puisque l'observation se fait vers le Sud, une trajectoire d'Ouest en Est... s'il n'y a pas confusion entre droite et gauche.

Lieu de l'impact (virtuel) de la météorite du 25 janvier 2008

Figure 4. Lieu de l'impact (virtuel) de la météorite du 25 janvier 2008

Prise en compte des 16 témoignages les plus concordants.


Retrouvez les 16 témoignages et des trajets concordants sur Google Earth.

On obtient ainsi 16 témoignages concordants, en prenant en compte une assez bonne précision sur les observations. Mais 11 témoignages restent plus difficilement réintégrables.

Le témoignages de Givors a été déposé deux fois, la première en indiquant une direction Est, la seconde en indiquant « ? ». On peut a priori éliminer ce témoignage, en ce qui concerne la direction d'observation, puisque le témoin semble lui-même douter (et ose le dire).

Certains témoignages peuvent souffrir d'une réelle difficulté d'orientation comme par exemple les deux témoignages venant de Suisse (Nyon 1 et Nyon 2) pour lesquels la direction n'est pas aisée à déterminer d'après le témoignage car l'autoroute tourne et la localisation du point précis d'observation n'est pas aisée. Si l'on considère que les directions de certains témoignages doivent être considérées non pas comme la direction précise d'orientation mais comme la direction générale du champ de vision (environ 180° dont 120° en vue binoculaire) on réintègre alors de nouveaux témoignages. En ne considérant que 120°, les témoignages Nyon 1, Nyon 2, Salernes, Saint Lary et même Valence et Candresse deviennent concordants.

Seuls quatre témoignages poseraient donc réellement problème : Aix, Éguilles, Lyon-Bourg et Mérignac. Pour Aix, nous serions vraiment à la limite du champ de vision, Pour les trois autres, il faudrait considéré un sens d'observation opposé au sens déclaré pour les réintégrer "de force". Le problème vient-il d'une confusion, d'un lapsus, lors du dépôt du témoignage ou bien de l'observation d'un tout autre phénomène lumineux ?

Conclusions

Un bel exemple de mise en commun de témoignages

Recueillir des témoignages est une chose aisée, les exploiter demande un peu plus de travail (penser aux juges !).

Le but de cet article était non seulement de reproduire la démarche de localisation du point d'impact réel (virtuel) d'une météorite (d'un bolide), mais aussi de récolter le matériel nécessaire à un exercice de triangulation à partir d'un événement réel et de données réelles. Rappelez vous les exercices en collège et lycée de détermination de l'épicentre d'un séisme avec 3 sismogrammes... Ça marche très bien mais cela reste un exercice à partir de données calculées pour être "bonnes".

En plus des tableaux de témoignages bruts ou d'extraits, des fichiers kmz, pour Google Earth, vous sont proposés :

Ces données sont disponibles pour refaire (ou faire refaire) ce petit exercice qui mêle sciences de la Terre (astronomie), physique (mesure d'erreur) et mathématiques (géométrie).

Un grand merci à toutes les personnes qui ont déposé un témoignage sur le site et ont fourni le matériel indispensable à cet article.

Pour une prochaine fois

En cas d'événement extraordinaire, tel un météore, mais pas seulement, la précision des témoignages est essentielle. Et pour cela, un moment d'attention particulière est nécessaire. Il faut (faudrait) penser à noter assez rapidement :

  • La date, l'heure et le lieu d'observation (route et sens de circulation, croisement, borne kilométrique, radar fixe, sortie... ville, rue et numéro ou croisement de rues...).
  • La direction d'observation : au-dessus de quel monument, quel relief, quel village...
  • La différence entre le début et la fin s'il y a une certaine durée, une trace : de droite vers la gauche, s'éloignant ou se rapprochant...
  • Et bien sûr, ce que l'on a vu, entendu... voire ressenti.

À partir de ces notes, il sera possible de se positionner sur une carte (papier, Google Earth, ou Géoportail) et de déduire des coordonnées et directions précises.

Bien sûr, ceci est le cas idéal. Mais un témoignage, même incomplet reste intéressant. Il est cependant nécessaire de distinguer les faits observés, des faits moins certains (on peut avoir été dans un endroit peu familier dans lequel on n'a pas de repères sûrs), voire des souvenirs vagues. La précision, lors d'un témoignage, du degré de certitude des faits relatés permet un traitement plus aisé des données. En effet cela facilite la détermination d'une marge d'erreur a priori et non pas a posteriori selon la plus ou moins grande cohérence avec d'autres témoignages.