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Article | 10/05/2017

T. rex superstar - L'irrésistible ascension du roi des dinosaures

10/05/2017

Cyril Langlois

ENS de Lyon - Préparation à l'agrégation SV-STU

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Compte-rendu de lecture de l'ouvrage de Jean Le Loeuff (2016) sur Tyrannosaurus : histoire et évolution de la paléontologie par l'exemple des dinosaures, leurs découvreurs, les théories et reconstitutions successives, les faits et questions en suspens et l'émergence de l'image du "roi des dinosaures" pour le grand public.


Depuis 1992, le musée des dinosaures d'Espéraza, dans l'Aude, associe la présentation au grand public du riche patrimoine paléontologique de sa région, la vulgarisation scientifique et la recherche. Son directeur, le paléontologue Jean Le Loeuff, anime cette structure et prolonge sa mission au travers d'un blog, le Dinoblog, mais aussi de livres, comme celui-ci [1], publié aux éditions Belin en 2016 et consacré au plus emblématique des dinosaures, le tyrannosaure.


L'objectif de cet ouvrage n'est pas seulement de donner une description minutieuse de cet animal et de ce que la paléontologie en connait aujourd'hui, mais plus largement de présenter et d'expliquer comment et pourquoi cette espèce particulière de dinosaure a acquis une célébrité telle qu'elle éclipse largement toute la diversité, pourtant énorme, du groupe des dinosauriens.

Jean Le Loeuff rattache évidemment cette aura médiatique au fameux film Jurassic Park, de Steven Spielberg, sorti en 1993 et lui-même adapté du livre éponyme de l'écrivain américain Michael Crichton (1942-2008). Cependant, il élargit largement l'analyse en brossant à grands traits une histoire de la paléontologie, et principalement de la paléontologie dinosaurienne, partant des premières conjectures de Saint-Augustin sur les fossiles, au Ve siècle, pour arriver aux résultats actuels sur l'homéothermie ou le plumage de ces animaux (cf. Plumes fossiles et évolution des oiseaux : quelques nouveautés). Ce tableau rappelle comment le groupe des dinosaures fut reconnu et définit en 1844 par le paléontologue britannique Richard Owen (1804-1892) et comment les premiers taxons décrits, Iguanodon et Megalosaurus, furent très vite connus du grand public, même si l'image qu'on en avait au début du XXe siècle s'avéra par la suite totalement erronée.

L'auteur détaille ainsi l'évolution des reconstitutions des dinosaures (principalement des formes bipèdes, comme le tyrannosaure), depuis les « dinosaures-rhinocéros » à l'allure d'iguanes dressés sur des pattes verticales que représenta le sculpteur Waterhouse Hawkins (1807-1894) pour la galerie du Crystal Palace de Londres en 1852 (figure 2) jusqu'aux animaux bipèdes mais à la colonne horizontale d'aujourd'hui (figure 5), en passant par les dinosaures à l'allure de « kangourous » qui firent florès jusqu'aux années 1970 et même bien au-delà dans l'imagerie non-scientifique, notamment en France. C'est l'occasion de souligner la profonde influence qu'eurent sur la vision des dinosaures par le grand public les premiers illustrateurs qui s'en emparèrent, Charles R. Knight (1874-1953) (figure 4) aux États-Unis et Zdenek Burian (1905-1981) en Europe (figure 3), et les premiers ouvrages de vulgarisation scientifique, par exemple ceux de Louis Figuier (La Terre avant le déluge, 1862) ou de Camille Flammarion (Le monde avant la création de l'Homme, 1886).

Après avoir brièvement évoqué l'impulsion majeure donnée à la découverte des dinosaures par la rivalité obsessionnelle des américains Edward Drinker Cope (1840-1897) et Othniel Charles Marsh (1831-1899), le livre se concentre sur l'émergence du tyrannosaure et par conséquent sur la vie et le travail de ses découvreurs, Barnum Brown (1873-1963), le paléontologue de terrain, et son patron à l'American Museum of Natural History de New York, Henry Fairfield Osborn (1857-1935). C'est ce dernier qui donna à cette espèce ce nom si emblématique de « roi des lézards tyrans » et en proposa les premières reconstitutions, pour partie erronées. Jean Le Loeuff brosse des portraits hauts en couleurs de ces chercheurs, d'une écriture à la fois précise et familière, plus proche du discours d'une conférence grand public que d'un docte ouvrage scientifique.

Il s'attache ensuite à décrire cette espèce (et ses cousines au sein des Tyrannosauridés) telle que la voient maintenant les paléontologues spécialisés, passant en revue tous les aspects (anatomie, physiologie, comportement…) et toutes les sources d'information (des squelettes aux mesures isotopiques, en passant par... les coprolithes), soulignant autant les éléments connus (posture, anatomie, phylogénie...) que les points encore obscurs ou sujets à débat (présence de plumes, rôle des tout petits membres antérieurs, comportement alimentaire chasseur ou charognard…). Après quoi Jean Le Loeuff se concentre sur l'ascension du Tyrannosaurus rex à la première place des dinosaures dans l'imaginaire du public et à l'échelle mondiale. Par une exploration de la littérature générale et pas seulement scientifique, Jean Le Loeuff illustre combien l'Europe et notamment la France sont restées longtemps réfractaire à la « dinosauromanie » venue des États-Unis, et donc à l'ascension du T. rex. L'image emblématique du dinosaure chez les auteurs français du vingtième siècle est longtemps restée celle de l'Iguanodon herbivore (bien connu par les fossiles de Bernissart, en Belgique, fossiles visibles en particulier à l'Institut royal des sciences naturelles de Belgique à Bruxelles et au Musée de l'Iguanodon de Bernissart) et du Megalosaurus, alors qu'aux États-Unis s'installait la domination du couple Rex and Tops, Tyrannosaurus rex contre Triceratops (figure 4). L'auteur montre que la « prise de pouvoir » de T. rex à l'échelle mondiale n'est pas exclusivement le résultat du film de Spielberg, mais trouve ses racines plus tôt. Il lui fallut d'abord le travail du paléontologue américain Robert T. Bakker (1945-), qui, dans les années 1980, bouscula l'image des dinosaures en avançant « une pelletée d'arguments » en faveur de leur homéothermie et d'un comportement actif, arguments rassemblés en 1986 dans un livre, The Dinosaur Heresies (traduit en français sous le titre Le ptérodactyle rose). Même si, comme le souligne Jean Le Loeuff, nombre des propositions de Bakker ont été depuis contestées ou réfutées, « le tyrannosaure de S. Spielberg, c'est celui de Robert Bakker » (p.190).

Montage moderne d'un squelette de Tyrannosaurus rex

Figure 5. Montage moderne d'un squelette de Tyrannosaurus rex

La colonne vertébrale est entièrement horizontale, les pattes arrière à angle droit, la queue ne touche pas le sol.

Squelette exposé à l'American Museum of Natural History.


Ainsi le tyrannosaure, aidé par sa taille exceptionnelle, son aspect terrifiant et le merchandising des années 1990, s'est aussi imposé en devenant une créature dynamique, à la rapidité sublimée par les effets spéciaux ; mais aussi un monstre soucieux de sa progéniture (dans le deuxième film de la série Jurassic Park), bref plus « mammalien » dans son comportement. La possibilité qu'il ait arboré quelques plumes ne semble pas entamer sa popularité, puisqu'il demeure, selon l'expression du paléontologue Stephen Jay Gould, big, fierce and extinct (gros, féroce et disparu). L'ouvrage de Jean Le Loeuff lui rend un bel hommage, tout en donnant à travers lui, et dans un style alerte et direct, un panorama de l'histoire de la paléontologie et de la modernité actuelle de cette discipline.

Jean Le Loeuff, 2016. T. rex supestar, Éditions Belin, coll. Science à plume, 240p - ISBN: 978-2-7011-9768-5 - 19€