Du tryptophane abiotique dans la lithosphère océanique
Les acides aminés sont des molécules organiques impliquées dans diverses chaînes de réactions biologiques, notamment la synthèse des protéines. Ces molécules relativement simples font partie des « briques élémentaires » de la vie. De la connaissance de leur origine (lieux et modes de formation) découlent des hypothèses et scénarios sur l’origine, terrestre ou extraterrestre, de la vie elle-même.
Lors de l’expédition 304 de la campagne de forage océanique de l’ IODP , un échantillon de péridotite serpentinisée a été prélevé à 175 m de profondeur dans la lithosphère océanique. Relativement riche en carbone (0,23 ‰), il a été minutieusement étudié par une équipe européenne de chercheurs de divers laboratoires : Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP / université Paris Diderot / CNRS), Laboratoire de Géologie de Lyon (université Claude Bernard / ENS Lyon / CNRS), centre synchrotron SOLEIL, Institut de Chimie des Substances Naturelles (CNRS), et université Nazarbayev (Kazakhstan). Les résultats ont été publiés dans la revue Nature.
Les analyses spectrométriques révèlent la présence de quatre molécules organiques distinctes, la plus complexe étant le tryptophane, un acide aminé « sélectionné » par la vie, et trois autres molécules pouvant appartenir aux voies de synthèse et/ou de dégradation du tryptophane. L’absence d’autres marqueurs organiques d’origine biologique indique que ces molécules ne proviennent pas d’une source vivante. Une production abiotique d’acide aminé a donc eu lieu, particulièrement associée à la présence de saponite riche en fer issue de l’altération progressive de la péridotite. La saponite, argile de la famille des smectites, est connue pour ses capacités de catalyse, d’adsorption, de gonflement et d’échange cationique. Ainsi, circulation et altération hydrothermales dans les péridotites de la lithosphère océanique permettent la mobilisation du carbone et de l’azote, la formation de substrats minéraux et l’existence de conditions favorables à la synthèse abiotique de molécules organiques fondamentales pour la vie.
Cette étude montre la possibilité de synthèse de « briques de la vie » dans des milieux présents très tôt sur Terre. Elle relance l’hypothèse d’une origine, au moins partiellement terrestre, des molécules organiques de la vie, et ouvre aussi la voie à la recherche de milieux similaires dans le système solaire ou sur des exoplanètes. De plus, cette voie de synthèse particulière pourrait inspirer de nouveaux procédés chimiques industriels.
Tryptophane abiotique dans la lithosphère océanique. Analyses spectrométriques sur péridotite serpentinisée (expédition IODP 304) mettant en évidence le tryptophane et des composés associés, liés à des phases de saponite riche en fer.
- Communiqué de presse CNRS — Les premières briques à l’origine de la vie sur Terre observées dans des roches océaniques profondes (version complète en PDF)
- News & Views (Nature) — The rocky road to biomolecules, J. A. Barros.
- Article scientifique — B. Ménez, C. Pisapia, M. Andreani, F. Jamme, Q. P. Vanbellingen, A. Brunelle, L. Richard, P. Dumas, M. Réfrégiers, . Abiotic synthesis of amino acids in the recesses of the oceanic lithosphere , Nature — DOI 10.1038/s41586-018-0684-z
À revoir sur Planet-Terre :
- L’origine de la vie vue par un géologue qui aime l’astronomie (P. Thomas, 2016)
- Serpentinisation océanique et vie primitive (M. L. Pons, 2014)
