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“Les gardiens de la raison” - à lire

“Enquête sur la désinformation scientifique”. Pour comprendre l'origine et le mode de propagation d'informations fausses mais “vraisemblables”.

Le livre “Les gardiens de la raison – Enquête sur la désinformation scientifique”, coécrit par deux journalistes scientifiques (Stéphane Foucart et Stéphane Horel) et un sociologue (Sylvain Laurens), se propose de nous mettre en garde contre la désinformation scientifique orchestrée, non pas pour nous en apprendre l'existence mais pour nous en expliquer l'origine (qui y a intérêt, intérêt économique et/ou idéologique), la “fabrication” (communicants fabriquant des argumentations d'allure scientifique basées sur des résultats biaisés ou “tordus” au point de leur faire dire le contraire de ce qu'ils montrent tout en gardant une forme “scientifique”, mise à disposition de documents prêts à l'emploi, financements pas si désintéressés que cela), le mode de transmission (quelques militants sachant délibérément transmettre des “faits alternatifs”, scientifiques reconnus présentés comme des “experts” alors qu'on les fait s'exprimer dans des domaines éloignés de leurs domaines de compétence – mélange entre parole professionnelle devant faire autorité et avis personnel à priori ni plus ni moins valable qu'un autre, mais aussi des personnes sincères trompées dans leur recherche de vérité scientifique et dans leurs actions pour la diffusion de positions solidement étayées).

Cet ouvrage comporte 11 chapitres qui permettent de rentrer progressivement dans le monde des “gardiens de la raison”, les sincères et les manipulateurs, en rencontrant petit à petit puis de manière récurrente les différents acteurs à travers des exemples précis et bien documentés. On y redécouvre les intérêts industriels mis à jour dans certains scandales indéniables et leur adaptation dans leur mode de désinformation intentionnelle, mais aussi les différents acteurs qui participent à ces diffusions pour des raisons économiques (financement de structures) ou idéologiques (même sans partager toutes les idées des promoteurs initiaux) ou, pour certains, par “tromperie sur la marchandise” en relayant des faits “vraisemblables”, bien construits et théoriquement réfutables si on se donne la peine de vérifier (mais il est plus simple, même parfois dans le milieu scientifique, de faire confiance à un “ami” que d'aller vérifier les sources pas toujours aisément accessibles).

On y découvre aussi la mise en place de réseaux structurés allant de la production de “faits alternatifs bien ficelés”, à la prise en main de réseaux d'édition, à la mise en place de structures de diffusion de faits “vérifiés” pour faciliter le travail des journalistes ou vulgarisateurs reconnus, voire de systèmes “indépendants” de “fact checking”.

Le dernier chapitre apparait comme une étude de cas par un sociologue du travail d'un collègue médiatique et reconnu (Gérald Bronner*). Étude très intéressante car elle permet de rappeler les divers mécanismes et biais expliquant la déformation de la réalité scientifique, ceci en restant focalisé sur un cas unique. De plus, il y est rappelé que les rationalistes (défenseurs de la science et de la méthode scientifique) ne sont pas tous, loin s'en faut, propagateurs de désinformation, point très important bien sûr évoqué çà et là au fil des chapitres, mais que ce chapitre final et synthétique fait à juste titre ressortir.

 

Pour les enseignants de sciences, ce livre est l'occasion de réfléchir à la manière d'introduire dans les cours des activités et réflexions permettant de traiter de la méthode scientifique et des moyens d'étudier (complètement ou au moins partiellement) un texte ou d'un discours pour en vérifier l'auteur (nom, titre réel, organisme d'affiliation et liens connus avec des ONG, des industriels, des cercles de pensée…), en préciser le type (travaux de recherche, vulgarisation, synthèse plus ou moins complète de l'état de l'art, avis hors du domaine de compétence…), et être capable de remonter aux sources citées pour en vérifier l'existence et la pertinence. Travail ardu mais dont le livre rappelle les clés censées être maitrisées après une formation scientifique.

 

Afin de compléter cet avis :

– « Recension du livre « Les gardiens de la raison » (Foucart, Horel, Laurens) » par Kumokun.

– « Mise au point à propos du livre « Les gardiens de la raison ». Journalisme d’insinuation : après les articles, le livre », “réponse” (du moins sur la forme en relevant des erreurs factuelles dont certaines ont été corrigées dans les réédition du livre, mais pas sur le fond) de l'AFIS avec liens vers les ”réponses” de diverses personnes nommées dans le livre.

- « Faut-il debunker ces pseudo-debunkers qui nous debunkent ? – Les gardiens autoproclamés de la science (1/2) » et « La capture du free speech – Quand les défenseurs autoproclamés de la science flirtent avec le déni de réalité (2/2) » postface et complément mis en ligne par Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens (les auteurs du livre), à accès payant.

 

 Références du livre :

– Stéphane Foucart, Stéphane Horel, Sylvain Laurens, 2020. Les gardiens de la raison – Enquête sur la désinformation scientifique, Cahiers libres, La Découverte, 368p. (22€ papier, 14,99€ epub). [la page de l'éditeur propose de lire un extrait qui comprend l'introduction et le premier chapitre du livre]

 

* D'après sa page Wikipédia, Gérald Bronner aurait reconnu avoir diffusé de fausses informations, l'une scientifique (choléra en Haïti) et l'autre culturelle (suicide d'un artiste pour réaliser une œuvre), ce qui peut sembler relever avant tout de la difficulté pour un sociologue d'être à la fois compétent dans son domaine de recherche (avec des analyses pertinentes) et dans les domaines dans lesquels sont pris les exemples traités d'un point de vue sociologiques et non pas médical ou culturel, exemples pour lesquels la “vérification” peut se baser sur des sources semblant fiables à un profane du domaine (au risque de remettre en cause la validité du raisonnement puisque basé sur des “mensonges”). Reçu en 2008 à l'ENS de Lyon pour une conférence intitulée “La résistance au darwinisme : croyances et raisonnements”, son discours basé sur des recherches et études propres et/ou menées avec des étudiants semblait alors bien étayé et était intéressant.

 

O.D. – 18/12/2020