Article | 02/12/2010
La longue traque des déformations quaternaires dans un bassin sédimentaire : exemple du centre du bassin de Paris
02/12/2010
Résumé
Séismites quaternaires en Champagne, dans le Bassin Parisien.
Table des matières
Le Bassin Parisien n'est pas réputé pour ses déformations. Tout au plus a-t-on entendu parler des anticlinaux de Bray ou de Beynes. Il est encore moins connu pour ses déformations quaternaires et actuelles à sub-actuelles. Et c'est à tort, car on peut y voir des déformations affectant du matériel quaternaire.
Les déformations souples ou cassantes de matériel quaternaire peu ou pas induré peuvent présenter des origines multiples, parfois juxtaposées : karst, phénomènes périglaciaires, séismes. Seule, une étude fine régionale, avec examen, entre autres, de la répartition des déformations et des accidents géologiques locaux, permet de lever les indéterminations.
Pour exemple, on prendra les déformations quaternaires du centre du bassin de Paris, en région Champagne au croisement des failles du Bray, de Saint Martin de Bosstenay et Vittel.
La sablière de Longueville sur Aube
Sur cette première photographie, une faille affecte un remplissage alluvial de moyenne terrasse reposant sur des craies altérées en blocs, craie très fines à perméabilité très faible. Le sommet de la faille est marqué par une duplication, dont on ne sait s'il s'agit d'une fente en coin ou d'une figure d'échappement de fluide (formant ce qu'on peut appeler un dyke sédimentaire). La proximité de l'aquifère, visible en fond de tranchée, fait exclure un éventuel petit effondrement karstique.
La série sédimentaire alluviale repose sur de la craie altérée, dans l'aquifère. On a un mélange de sables (s), graviers et vases(v), vers le sommet. Le tout est affecté de nombreuses failles dont certaines forment des pop up (bloc "surélevé" bordé de deux failles à jeu inverse). La prolongation de certaines d'entre elles jusque dans les vases montre le caractère tardif de la déformation dans une série sédimentaire déjà partiellement indurée. Les déformations souples sommitales des niveaux fins (vases) ont pour origine probable des altérations périglaciaires (pergélisols).
Sur cette coupe et son détail, les bancs de sables marquent bien le passage d'un important accident. La faille F3a s'élargit vers la surface et s'ouvre horizontalement en dyke sédimentaire. Là encore, comme dans la photographie précédente,les vases sommitales sont affectées. Avons nous là une éjection de fluide liée à un séisme ou bien une importante fente en coin périglaciaire développée sur une faille quaternaire ? Par ailleurs, les failles F3a et F3b, de jeu inverse, semblent dériver d'un même accident compressif en transpression (structure en fleur). L'hypothèse d'une origine tectonique des déformations devient possible. Cette hypothèse est renforcée par le fait que, à la base de la coupe, une remontée du bed-rock (roche mère) bréchifié, la craie, est observée à l'aplomb d'un horst quaternaire. Les failles normales sont interprétées comme étant la conséquence d'un raccourcissement lié à une structuration en dôme (dans une structure en dôme, on observe du raccourcissement côté concave, et de l'extension côté convexe, essayez en tordant une barre de pâte à modeler).
Les alentours alluviaux
À proximité de la sablière de Longueville sur Aube, sur la même terrasse alluviale, on peut observer des affleurements dans lesquels il n' y a plus qu'une alternance de lits fins obliques glissés les uns sur les autres, trace de la sédimentation initiale (photographie ci-dessus). La stratification sédimentaire initiale est parfois préservée par endroits. Ainsi, dans la photographie ci-dessus, cette stratification initiale est encore visible dans un pilier de graviers vers la partie gauche de l'image.
Ce type de structure s'observe dans des séries sédimentaires fines affectées de séismes de magnitude supérieure à 5. Elles sont à relier à des échappements de fluides incompressibles, sous l'effet de contraintes sismiques.
Dans cette même terrasse alluviale, on peut voir des figures d'éjection de fluides. Sur la photographie ci-dessus, on voit, à gauche du marteau, le tracé de fluides chargés de fines particules s'échappant latéralement vers les sables bruns plus grossiers, à gauche. Sur la droite, on observe des figures de charge de sables bruns s'enfonçant dans la vase fine sous-jacente. Les conditions de formation sont identiques à celles des structures de type séismites (séismes de magnitude supérieure à 5).
Les déformations observées peuvent aussi être assimilées, entre autres, à des figures d'alternance de gel et dégel. L'existence de figures d'éjection massive de fluide, à quelques mètres de là, ainsi que de formes similaires intraformationelles dans l'Yprésien tropical, à 40 km au Nord-Ouest (Chantemerle), ou encore de load casts (figures de charges), d'origine sismique, à Cocloy, haute terrasse alluviale de l'Aube, à 30 km à l'Est) péjore l'hypothèse d'une origine périglaciaire et militent pour une origine sismique (séismites).
La crayère de Charny le Bachot
Dans la crayère de Charny le Bachot, on peut observer la craie affectée par des failles inverses ainsi que des remplissages de colluvions par saccades successives. Ces saccades sont liées aux mouvements verticaux de la faille. Chaque remplissage (R) provient du démantèlement du plan de faille par l'érosion. Cela explique le grano-classement vertical avec matériel grossier à la base et dépôt plus fin d'altération pédologique au sommet (rendzine). Sur la photographie ci-dessus, le niveau R3, plus rouge, contient des venues éoliennes de lœss (quartz et calcite).
D'autres structures marqueurs de déformations souples
En s'éloignant de Longueville, d'autres observations sont possibles.
À Champfleury, au Nord-Est de la sablière de Longueville sur Aube, une coupe de deux mètres de haut montre une coulée périglaciaire de lœss (colluvions) sur de la craie gélifractée (figure ci-dessus). À l'interface des deux formations géologiques s'est développée une nappe phréatique temporaire. La coupe présente des éjections (e) de craie avec blocs à la base, puis particules de finesse croissante en remontant. L'existence de ce gradient montre le caractère non glaciaire du phénomène car la glace rejette les gros blocs en périphérie, contrairement à ce qui est observé ici. Ceci milite donc aussi pour une origine sismique de ces structures. Ainsi, l'eau de la nappe phréatique, à l'interface des colluvions (c) peu perméables et de la craie, a fracturé cette dernière et se serait échappée vers le haut lors de séisme(s) de magnitude supérieure à 5.
À Clesles (Marne), à 6,4 km au Sud-Ouest de la sablière de Longueville sur Aube, une coupe dans une terrasse moyenne de la Seine permet d'observer des injectiosn de sable (s), des blocs basculés (b) par liquéfaction et des failles (photographies ci-dessus). Ces blocs basculés peuvent également correspondre à des figures de charge. Les déformations aboutissant à ces structures se développent uniquement dans des sédiments saturés d'eau. Les éjections de sables sont associées à des séismes de magnitude supérieure à 5.
À Sauvage (Marne), à 12,8 km à l'Ouest de la sablière de Longueville sur Aube, une coupe traverse, de bas en haut, des dépôts würmiens (sables (s) et graviers) puis des limons (l) d'âge holocène (photographie ci-dessus). On peut y remarquer la présence de dykes obliques vidés de leur sable (d) et, au centre, de l'imposant diapir de sable et de graviers, éjecté dans les limons.
L'intensité des déformations est beaucoup plus importante que celle des déformations observées plus à l'Est. De plus, la déformation des limons holocènes exclut toute origine périglaciaire. La proximité de l'aquifère exclut également tout phénomène karstique dans la genèse des perturbations observées.
Aspect régional
Les structures présentées dans cet article, indiquent des déformations dont l'intensité croît en s'approchant des accidents majeurs. De plus, la nappe est toujours voisine des perturbations présentées, qu'elles soient ductiles ou cassantes. Cela exclut les phénomènes karstiques pour expliquer leur genèse. Par ailleurs, il existe un polyphasage au moins sur l'un des sites étudié (23, crayère de Charny le Bachot). La perturbation des terrains holocènes (Sauvage) montre également le caractère tardif des dernières déformations.
Concernant une origine liée à des glissements sur pente, il est à noter que tous les affleurements sont en pays plat. L'étude des stries sur les plans de failles (Charny) montre par ailleurs des contraintes majoritairement horizontales, avec décrochement et faible rejet vertical peu marqué dans la topographie. De plus, la déformation en dôme de la terrasse alluviale, à l'aplomb d'un accident profond repéré par sismique pétrolière se prolongeant vers la surface en structure en fleur, à 950 m à l'Est de la structure observée à Sauvage, ne peut pas s'expliquer par des glissements sur pente. Il en est de même pour Clesles, associé également à une déformation en dôme (rejet vertical de l'ordre de 1 m) de la terrasse.
Enfin l'existence conjointe, d'une part, de structures telles que des éjections de sables, ou des traces de liquéfaction et, d'autre part, de fracturation se prolongeant dans la craie, couplée au polyphasage, indique bien l'origine sismique des déformations observées dans cette zone charnière tectonique du centre du bassin de Paris, déformations que l'on peut donc qualifier de séismites.
Pour en savoir plus
Ancient seismites, 2002, The Geological Society of America, Special Paper 359