Article | 17/12/2012
Ce que peut dire scientifiquement un géologue à propos de la fin du monde et… de Bugarach
17/12/2012
Résumé
Les fins du monde à venir, de la fin d'Homo sapiens à la fin de l'Univers. Bugarach, une curiosité géologico-escatologique.
Table des matières
Une rumeur venue de la mauvaise interprétation par "on ne sait qui" de travaux d'archéologues travaillant sur les Mayas, rumeur abondamment relayée par le web, par Hollywood et par moult charlatans, annonce la fin du monde pour le solstice d'hiver 2012 (21 décembre). L'heure précise du cataclysme varie selon les versions. Un intéressant travail de science humaine pourrait être (et sera sans doute) entrepris pour étudier l'origine, les causes et les mécanismes de propagation de cette rumeur.
Cette rumeur peut aussi être le prétexte pour réfléchir sérieusement à ce qui, dans le domaine des sciences de la Terre et de l'univers, pourrait correspondre à ce qu'on appelle communément la fin du monde. Nous laisserons volontairement de côté des fins du monde d'origine humaine (guerre nucléaire, pollution généralisées…), biologique (épidémie foudroyante d'une maladie incurable…), ainsi que toutes les fins du monde qui relèvent de l'imaginaire (littérature, cinéma…) ou des religions.
Cet article sans prétention est destiné à "marquer le coup" ; il ne correspond qu'à quelques réflexions débutées en août 2012 lors du Festival d'astronomie de Fleurance (Gers) avec Ugo Bellagamba, Roland Lehoucq, Bruno Montflier, et Jérôme Perez. Et parce que Fleurance est près des Pyrénées, nous aborderons "géologiquement" le cas de Bugarach (Aude).
On peut définir 6 classes de phénomènes pouvant, d'une façon ou d'une autre, être appelés « fin du monde ». Du plus anodin au plus catastrophique, on peut réfléchir comment la géologie ou l'astronomie peuvent provoquer les fins suivantes :
- la fin de notre mode de vie, de notre civilisation, dans le sens où la prise de Rome par Alaric 1er en 410 ou la Révolution d'octobre 1917 ont été une sorte de fin du monde pour les riches patriciens romains ou les nobles russes de l'époque ;
- la fin de l'espèce humaine, comme ont, en leur temps, disparu les mammouths ou les méganeuras (libellules géantes du Carbonifère) ;
- la fin de la vie complexe pluricellulaire, c'est-à-dire la fin des animaux, des végétaux et des champignons ;
- la fin de la vie sur Terre, bactéries comprises ;
- la fin de la planète Terre ;
- la fin de l'univers.
La fin de notre civilisation
Quels événements géologiques ou astronomiques peuvent tellement perturber la Terre que notre mode de vie serait profondément modifié, et ce, sur toute la planète. On pense tout de suite à un impact de météorite. Mais les impacts "fréquents", qui arrivent une fois tous les quelques centaines de milliers d'années, feraient certes d'énormes dégâts, mais des dégâts locaux ou régionaux, et pas à l'échelle du monde. Les impacts dévastateurs à l'échelle de la planète, comme celui de la limite Crétacé-Tertiaire, sont beaucoup plus rares, et hautement improbables dans les dizaines de millions d'années à venir.
Beaucoup plus fréquents sont ce qu'on appelle les« super volcans ». Les super volcans sont des volcans explosifs, comme le Krakatoa ou le Pinatubo, mais pulvérisant 100 à 1000 fois plus de soufre et cendre dans l'atmosphère. De telles éruptions entraînent des perturbations climatiques (baisse de température de 1 à 3°C, années sans été, récoltes n'arrivant pas à maturité…). Des millions de kilomètres carrés de terres agricoles seraient recouverts de plusieurs centimètres à décimètres de cendres, compromettant récoltes et élevages pour plusieurs années quasiment. Or notre civilisation est celle des flux tendus, sans réserves. Quelques années de récoltes catastrophiques sur la majorité de la planète entraîneraient sans doute famines, crises, voire guerres.
Une telle catastrophe s'est peut-être produite il y a 75.000 ans, avec l'éruption d'un volcan de l'île de Sumatra (Indonésie), le Toba. Cette éruption a engendré une caldeira (cratère d'effondrement) de 100 x 30 x 1 km. Au moins 3.000 km3 de cendres fines et beaucoup de soufre ont été projetés dans l'atmosphère. Et cette date coïncide avec un "événement génétique" qui aurait affecté Homo sapiens. Les généticiens en effet, en analysant l'ADN mitochondrial proposent que tous les humains actuels dérivent d'un petit groupe de quelques milliers d'Homo sapiens seulement vivant il y a 75.000 ans, alors que la population mondiale antérieure devait être plus importante. Cette coïncidence suggère que l'éruption du Toba aurait suffisamment perturbé les écosystèmes pour que les chasseurs cueilleurs de l'époque (déjà des Homo sapiens) aient été "décimés". Si une telle éruption est capable de décimer des populations de chasseurs cueilleurs, que ferait-elle sur notre civilisation technique et industrielle a priori beaucoup plus fragile ?
Plusieurs super volcans peuvent potentiellement entrer en éruption dans les années, siècles ou millénaires qui viennent. On les trouve un peu partout (Nouvelle Zélande, Indonésie, États-Unis, Japon, Italie…). Le super volcan potentiel le plus connu (à défaut d'être le plus alarmant) est celui de Yellowstone (Wyoming, USA). Ses dernières -super-éruptions- datent de -2.100.000, -1.300.000 et -640.000 ans. Si le rythme des super-éruptions persiste, la prochaine est pour "bientôt". On imagine le scénario catastrophe si toute l'Amérique du Nord, premier producteur du monde pour le blé, le maïs, le soja… était recouverte de quelques décimètres ou centimètres de cendres…
La fin de l'espèce humaine
Les espèces apparaissent, prospèrent et disparaissent naturellement. Cette disparition peut se faire isolément, ou alors de manière simultanée avec d'autres espèces (on parle alors d'extinction). Quand une espèce disparaît, elle peut auparavant avoir donné naissance à une autre espèce, ou alors mourir "sans descendant". Les observations paléontologiques montrent que les espèces de primates ne durent jamais très longtemps, quelques millions d'années tout au plus. L'étude des fossiles apparentés à la "famille humaine" est riche d'enseignement. Malgré la difficulté de définir précisément une espèce avec quelques fossiles assez rares, les paléontologues ont identifié au moins 20 espèces d'homininés (Homo sapiens compris) qu'ils ont regroupées en 6 genres. Ils ont proposé des relations de descendance entre ces espèces, relations souvent incertaines. Sur les 20 espèces proposées dans la figure ci-dessous (volontairement simplifiée), 19 ont disparu puisqu'il ne reste que la nôtre. Sur les 19 espèces qui ont disparu, 12 auraient disparus en laissant des descendants, et 7 sans laisser de descendants. Il y a 40.000 ans, quatre espèces du genre Homo coexistaient sur Terre : H. neanderthalensis, H. sapiens, H. denisova et H. floreiensis. Trois ont disparu sans descendance, et il ne reste que nous.
Comme toutes les 19 autres espèces, Homo sapiens va disparaître, au plus tard d'ici 1 à 2 Ma, et sans doute moins si on en croit le destin des autres espèces de la famille. La seule véritable inconnue est de savoir si Homo sapiens disparaîtra avec des descendants (Homo quelquechosensis) ou sans descendants. Quelle que soit la solution que "choisira" l'Évolution, ce sera la fin d'Homo sapiens, sans pour autant que ce soit lié à une catastrophe ou à une extinction généralisée.
La fin de la vie complexe
Depuis le début du Phanérozoïque (542 Ma) et l'explosion de la vie complexe, six grandes extinctions (on les limite parfois à cinq en omettant l'extinction cambrienne) ont décimé les espèces fossiles, et ce de manière très brutale (géologiquement parlant). Ces extinctions sont dues à un ou plusieurs facteurs associés (variations climatiques, phénomènes océaniques, crise volcanique majeure, impact de météorites ou de comètes géantes…). Voir par exemple : Quelques données sur la limite Crétacé-Tertiaire (limite K-T) ou Les survivants de la crise Crétacé-Tertiaire...
Les six extinctions les plus marquées sont celle du Cambrien terminal (480 Ma), de la limite Ordovicien-Silurien (440 Ma), du Dévonien supérieur (365 Ma), de la limite Permien-Trias (252 Ma), celle de la limite Trias-Jurassique (200 Ma) et celle de la limite Crétacé-Tertiaire (65 Ma).
L'extinction la plus terrible fut l'extinction du Permo-Trias durant laquelle 95% des espèces de fossiles marins et 70% des espèces de fossiles terrestres disparurent. Jusqu'à présent, aucune extinction massive n'a exterminé 100% des espèces pluricellulaires, mais on n'en est pas passé loin il y a 252 Ma. Il n'est pas exclu qu'une septième, huitième… extinction soit "la bonne", et que la totalité de la vie complexe (pluricellulaire) disparaisse. Mais ce type d'extinction ne serait que de peu d'effets sur beaucoup de bactéries.
La fin de la vie sur Terre
La teneur en CO2 atmosphérique est en baisse depuis l'origine de la Terre. Certes elle est en hausse de plus de 30% depuis la révolution industrielle, et cela va avoir des conséquences dramatiques sur les écosystèmes et les activités humaines pendant quelques siècles (jusqu'à l'épuisement complet des réserves de combustibles fossiles). Certes, depuis quelques millions d'années le CO2 baisse et augmente entre 180 et 300 ppmv, avec comme conséquences les alternances de périodes glaciaires et interglaciaires. Cela nous donne une moyenne de 250 ppmv sur les derniers millions d'années de la Terre. Le CO2 n'a jamais été plus bas que ces 250 ppmv depuis l'origine de la Terre. Durant le Phanérozoïque, la teneur oscille entre 250 et 5000 ppmv, avec une tendance globale à la baisse. Malgré de très grosses incertitudes, on sait que le taux de CO2 était beaucoup plus important au Protérozoïque, et encore plus à l'Archéen. Aux incertitudes et aux variations ci-dessus près, on peut dire que le taux de CO2 atmosphérique baisse exponentiellement au cours du temps : sa quantité est approximativement divisée par dix tous les milliards d'années.
Pendant la même période, l'énergie émise par le Soleil a augmenté de 40 à 50% nous disent les astronomes. Et la baisse du CO2 a à peu près compensé l'augmentation de l'énergie émise par le Soleil. À quelques exceptions près (les épisodes « boule de neige » où la baisse du CO2 l'a momentanément emporté), la température du globe est restée à peu près stable, entre 0 et 100°C, car des phénomènes comme l'altération des silicates et la baisse du CO2 que cela a entraîné ont "thermostaté" la température terrestre.
Cette situation ne va pas durer. En effet, la puissance rayonnée par le Soleil va continuer à augmenter, mais le CO2 ne pourra plus beaucoup baisser, car il n'en reste presque plus (0,025% en moyenne ce dernier million d'années). L'augmentation du Soleil va l'emporter, et la température va augmenter. Quand cette température atteindra 70°C, ce qui aura déjà été très préjudiciable aux organismes complexes, mais qui aura parfaitement convenu à certaines bactéries, l'évaporation de l'océan deviendra très importante, et la teneur de l'atmosphère en vapeur d'eau deviendra, elle aussi, très importante. Or la vapeur d'eau est un puissant gaz à effet de serre. Passé une certaine température critique, le phénomène s'emballera, et la température augmentera jusqu'à vaporisation complète des océans. La Terre ressemblera alors à Vénus, avec une température au sol voisine de 400°C. Ce sera la fin de la vie sur Terre, bactéries hyper-thermophiles comprises.
Les modèles astronomiques et atmosphériques prévoient cette issue aussi fatale qu'inéluctable d'ici 1 à 3 milliards d'années.
Source - © 2012 / 1996 Google earth / NASA/JPL
La fin de la Terre
La Terre en tant que planète peut disparaître de deux façons différentes d'ici 3 à 6 Ga.
Une collision avec Vénus
Les orbites dans le système solaire nous semblent un modèle de stabilité et de prédictibilité, si ce n'est un peu de désordre dans les ceintures des astéroïdes et de Kuiper. L'astronome Jacques Laskar a calculé que sur le très long terme (pas avant 3 à 4 Ga), les orbites du système solaire interne pourraient changer, devenir beaucoup plus elliptiques, changer de rayon moyen… Une collision avec Vénus ou Mercure serait alors possible (mais non certaine). Suivant l'angle des trajectoires et la vitesse relative de deux planètes, les conséquences, toujours terribles, peuvent amener à leur destruction totale.
La vaporisation de la Terre par le Soleil en fin de vie
Il s'agit là d'un scenario maintenant bien connu. D'ici 4 à 6 Ga, le cœur du soleil aura épuisé ses réserves d'Hydrogène. Il changera alors de « fonctionnement ». Il y aura alors fusion thermonucléaire de l'Hélium, qui se transformera en Carbone et Oxygène. Le soleil alors se mettra à gonfler, et sa température superficielle baissera légèrement (elle sera quand même de 3000°C). Le soleil sera alors devenu une « géante rouge ». Le rayon du soleil atteindra (environ) 150 000 000 km. Sa surface tangentera l'orbite de la Terre, qui sera alors proprement vaporisée (si une collision avec Vénus ne l'a pas détruite avant).
On peut "nuancer" cette fin terrible. En effet le passage d'une étoile au stade de géante rouge va s'accompagner d'une perte de masse sous forme d'un intense "vent solaire". Cette perte de masse du Soleil, si elle est importante et si elle a lieu avant que le rayon du Soleil n'atteigne 150.000.000 km, va entraîner un éloignement de la Terre. La Terre échappera peut-être de justesse à la vaporisation, elle ne sera qu'archi-cuite (température superficielle d'environ 2000°C).
La fin de l'Univers
Petit à petit, toutes les étoiles de notre galaxie auront épuisé leurs réserves de combustibles nucléaires (hydrogène, puis hélium, puis carbone et oxygène, puis…). Les atomes radioactifs (uranium…) auront disparu à cause de leur décroissance naturelle par radioactivité. Les étoiles seront réduites, selon leur masse initiale, à des naines noires, à d'obscures étoiles à neutrons, ou à des trous noirs. Ces astres noirs et froids seront parfois encore entourés de planètes "cuites mais totalement refroidies". Les enveloppes périphériques des étoiles éjectées lors de leur fin de vie seront réduites à des nuages dilués et glacials riches en éléments lourds. Toutes les galaxies vont subir le même sort. À part les galaxies de notre groupe local, toutes les autres galaxies (ou ce qu'il en reste) se seront extraordinairement éloignées les unes des autres, donc de nous, entraînées au loin par l'expansion de l'Univers, expansion qui s'accélère de façon continue.
L'Univers sera alors réduit à des groupes de galaxies mortes, froides et obscures infiniment éloignées les unes des autres. Les photons émis par les anciennes étoiles et planètes se dilueront dans ceux du rayonnement fossile, beaucoup plus froid que les 3 K actuels. Tous ces photons refroidis parcourront ces espaces infinis et vides. Eux seuls rappelleront que l'univers avait une "vie", des millions de milliards d'années plus tôt.
Et Bugarach dans tout ça ?
Dans le bric-à-brac des rumeurs concernant la fin du monde du 21 décembre 2012, un nom émerge plus que d'autres. Bugarach, petite commune de l'Aude, serait épargnée par la fin du monde. Et dans le galimatias citant Bugarach, une affirmation ressort : la montagne qui domine Bugarach (le Puech de Bugarach) est une « montagne inversée ». Un géologue, quand on lui dit « montagne inversée » pense à quelque chose de précis, contrairement à ceux qui en parlent beaucoup. Une telle montagne inversée doit être constituée par des couches à l'envers, renversées par un épisode tectonique. Et bien qu'on ne voie pas pourquoi une nappe de charriage et une série sédimentaire inversée préserveraient une commune d'un cataclysme cosmique, il est intéressant de noter qu'un peu de géologie est entrée dans un grand nombre de cerveaux malades.
Quelle est le cadre géologique de Bugarach ? cette localité se situe au pied d'un chevauchement majeur des Pyrénées, le Chevauchement Frontal Nord Pyrénéen (CFNP). À ce niveau, le chevauchement est moins érodé qu'ailleurs : au Nord (et au-dessus) du tracé actuel le plus fréquent du chevauchement, l'érosion a épargné le flanc inverse d'un anticlinal couché chevauchant. Par-dessus une série majoritairement constituée de Crétacé supérieur (l'autochtone), et par l'intermédiaire d'une écaille d'Urgonien (Crétacé inférieur), on trouve l'allochtone, fait d'une série jurassique "à l'envers", comprenant de bas en haut (et du Nord au Sud) un Jurassique supérieur et moyen, surmonté par le Jurassique inférieur. On arrive ensuite au cœur de l'anticlinal couché, fait de Trias supérieur. Ce Trias est lui surmonté par une série à l'endroit, constituée de Jurassique puis de Crétacé. En somme, rien que de très normal dans une chaîne de montagne, ici les Pyrénées. Ce chevauchement ou des chevauchements liés ont d'ailleurs fait l'objet de plusieurs articles dans Planet-Terre (voir, par exemple, Plis d'entraînement dans l'autochtone à la base d'une nappe de charriage (Ripaud, Aude)), pas à Bugarach hélas. Des géométries voisines se retrouvent un peu partout ailleurs dans les Pyrénées, la Provence, les Alpes… Un des lieux de France les plus "riches" en "montagnes inversées" est la région de Saint Chinian dans l'Hérault, où un charriage similaire au CFNP chevauche des terrains paléozoïques plissés, majoritairement à l'envers. Nul ne sait si cette abondance de séries inverses protégera la région de Saint Chinian d'un cataclysme cosmique. Mais si jamais Saint Chinian survit au 21 décembre 2012, allez-y lors de vos vacances ! Les séries inversées, et son vignoble A.O.C, valent le voyage.
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