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Les calcaires asphaltiques de Saint-Jean-de-Maruéjols, bassin éo-oligocène d'Alès (Gard)

16/06/2025

Auteur(s) / Autrice(s) :

  • Pierre Thomas
    Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Publié par :

  • Olivier Dequincey
    ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Exploitation passée, en plus de la lignite, de calcaires à hydrocarbures lourds dans le bassin d’Alès.


Échantillon ramassé dans les déblais de la mine d'asphalte de Saint-Jean-de-Maruéjols (Gard), cassure brute
Figure 1. Échantillon ramassé dans les déblais de la mine d'asphalte de Saint-Jean-de-Maruéjols (Gard), cassure brute

Cet échantillon comprend des strates des calcaire blanc et d'autres d'un calcaire imprégné d'hydrocarbures lourds, ce qui lui donne une couleur brun foncé. Cet échantillon a été ramassé dans les années 2015. Malgré 10 ans sur les étagères de l'ENS de Lyon, il sent encore le “pétrole”. Cet échantillon est traversé par deux mini-failles. Provenant d'un déblai de mine, cet échantillon n'a pas pu être orienté (cf. figures 5 et 6), on ne peut donc pas connaitre la nature de ces failles (normales, inverses ou décrochantes). Vu le contexte du bassin éo-oligocène d'Alès d'où il provient, il est probable qu'il s'agissait de failles normales.

Après des mines de ”schistes bitumineux” en Saône-et-Loire (cf. Les terrils des Télots, témoins d'anciennes exploitations de schistes bitumineux dans le bassin permien d'Autun (Saône-et-Loire)), voici des mines de calcaire asphaltique dans le Gard. La France est un pays plus riche en hydrocarbures que la majorité des gens ne l'imagine. En géologie, les asphaltes naturels (ou bitumes naturels) sont des hydrocarbures extra-lourds de consistance très visqueuse à solide. Ces pétroles ultra-lourds proviennent de kérogène dégradé par des bactéries puis par la chaleur et la pression lors de la diagenèse. Ils peuvent avoir migré à partir d'une roche mère vers une roche réservoir plus poreuse. La diagenèse peut aussi avoir transformé le kérogène en hydrocarbures lourd in situ dans une roche initialement riche en matière organique, ce qui serait le cas dans les calcaires asphaltiques lacustres éo-oligocènes du bassin d'Alès, où le calcaire est imprégné par les hydrocarbures lourds avec une teneur d'environ 12 % de bitume. Ces calcaires asphaltiques sont en général exploités, pulvérisés puis “vendus” sous forme de poudre que l'on incorpore à d'autres formules, et servent majoritairement au revêtement étanches pour les bâtiments.

Le gisement de Saint-Jean-de-Maruéjols exploite des calcaires lacustres cénozoïques, qui se sont déposés dans un graben ayant fonctionné surtout à l'Éocène terminal (au Priabonien, anciennement nommé Ludien) et à l'Oligocène inférieur (au Rupélien, anciennement nommé Stampien). Les couches productives se présentent majoritairement sous la forme d'une couche de dix à douze mètres d'épaisseur, d'aspect lité, avec une imprégnation variable suivant les strates, dont la teneur moyenne en bitume est de l'ordre de 7 à 8 %, avec des passages pouvant aller jusqu'à 15 % (d'après Wikipédia(lien externe - nouvelle fenêtre)). La couche principale se trouve près du sommet du Priabonien. Ce gisement a été découvert au milieu du XIXe siècle au niveau d'affleurements dans les collines dominant la plaine de Saint-Jean-de-Maruéjols, sur le bord oriental du bassin. Des sondages ont montré sa présence souterraine et son importance. La couche de calcaire asphaltique depuis les affleurements de l'Est plonge vers le Sud-Ouest avec un pendage d'environ 10 % et est affectée par de nombreuses failles (normales) avec un rejet moyen de 10 à 30 m. Cette couche se trouve à environ 100 m de profondeur sous le village d'Avéjan et à 290 m au niveau du puits Goldney. En plus des calcaires asphaltiques, la série sédimentaire du bassin d'Alès contient aussi des niveaux de lignites, qui ont été exploités. Si les lignites viennent plutôt de végétaux ligneux, les asphaltes proviennent plutôt d'algues et de plancton.

Tous les échantillons présentés ici proviennent des déblais du puits Goldney et les photographies (sauf celles des figures 19 et 20) ont été prises aux environs immédiats de ce puits. Rejetés, ces échantillons doivent être moins riches que ce qui était extrait, traité puis commercialisé. Mais ils correspondent bien à la description que fait la littérature scientifique de la couche exploitée en profondeur. L'exploitation du calcaire asphaltique a cessé en 2008. Cette exploitation était assurée par deux compagnie : (1) la SMAC (Société des Mines d'Asphalte du Centre), qui exploitait aussi les gisements auvergnats, (cf. Un gisement d'hydrocarbures vu de l'intérieur et un trésor du patrimoine géologique français : la mine de bitume de Dallet (Puy de Dôme), dite « Mine des Rois » pour la partie géologique, et Mine des Rois de Dallet, usine de bitume de Pont-du-Château : visite commentée pour la partie historique et industrielle), et (2) la SFA (Société Française des Asphaltes). Les échantillons présentés ici proviennent des déblais du puits Goldney exploité par la SFA. Les mines de Saint-Jean-de-Maruéjols extrayaient environ 40 000 tonnes par an de calcaire asphaltique dans les années 1980. Les réserves du gisement sont estimées à 3 000 000 de tonnes.

Il n'y a pas que des calcaires asphaltiques lités dans les déblais du puits Goldney. On trouve aussi des calcaires (riches en hydrocarbures) contenant des lits ou des “rognons” de silex.

Les travaux miniers ont dégagé une vaste surface structurale (plusieurs dizaines de mètres de long et de large) montrant la partie supérieure d'une couche (sub-horizontale) de calcaire, calcaire contenant des éléments détritiques (eux-mêmes de nature calcaire). La surface de cette couche est de couleur grise.

Si les déblais de mines sont assez abondants (il suffit de consulter les cartes géologiques d'Alès, de Bourg-Saint-Andéol ou de Bessèges pour les trouver), les beaux affleurements de calcaires plus ou moins riches en matière organique sont rares. Nous allons en visiter deux, un sur le bord de la route longeant le cimetière de Barjac, et l'autre dans la tranchée d'un chemin récemment élargi aux abords immédiats du puits Goldney.

Le bassin d'Alès est un exemple de bassin en extension comme ceux, nombreux, qui ont affecté tout le Massif Central (et au-delà) à l'Éocène supérieur / Oligocène, bien moins connu et de plus petite taille que la Limagne ou l'Alsace, mais il obéit à la même logique. Il affecte et recoupe aussi bien le socle paléozoïque à l'Ouest que sa couverture sédimentaire mésozoïque à l'Est, socle et couverture affectés juste avant par la compression pyrénéo-provençale qui a engendré (ou fait rejouer) la faille des Cévennes (décrochement senestre), et plissé la couverture jurassique et crétacée…

Les amateurs de bassins en extension peuvent visiter cette région un peu plus longuement que les deux fois 1 heure que j'y ai passé en 2015 et 2025. Ils pourront s'aider d'un “guide géologique” disponible sur le web, Les bassins tertiaires d'Alès et d'Issirac (30)(lien externe - nouvelle fenêtre). Une douzaine d'arrêts vous aideront à découvrir ce bassin d'Alès et son “annexe”, le bassin d'Issirac. Ce livret guide contient aussi des coupes géologiques issues de la littérature ; j'en ai emprunté-modifié deux (figures 26 et 27, ci-dessous).

Localisation du bassin d'Alès sur fond de carte géologique de la France
Figure 28. Localisation du bassin d'Alès sur fond de carte géologique de la France